La santé scolaire, une démarche à soigner
Chacun s’accorde à dire que la réussite scolaire passe par le bien-être de l’élève. Qui dit bien-être dit bonne santé, qu’elle soit physique ou mentale. C’est pourquoi, la santé des élèves doit être un sujet majeur pour chaque établissement scolaire, accompagné de l’infirmier ou du médecin scolaire. Les textes officiels préconisent de mener une politique de santé globale, qui doit suivre l’enfant durant toute sa scolarité.
Mais dans les faits, beaucoup de points de questionnement subsistent : qui pour assurer les bilans obligatoires, alors que le nombre de médecins scolaires a été divisé par deux ces dix dernières années ? De quel ministère dépendent ces professionnels de santé rattachés aux écoles, collèges et lycées ? Tous les établissements scolaires sont-ils en mesure de dispenser des actions de prévention efficaces pour mieux lutter contre le surpoids, les drogues, le harcèlement, etc. ?
La volonté générale de mieux suivre les élèves dans leur santé est certes affichée, mais reste à pouvoir coordonner les efforts de chacun pour une meilleure prise en charge.
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A Amiens, au collège Amiral Lejeune, c’est un lundi comme les autres ou presque. Un groupe d’étudiants en médecine vient à la rencontre des collégiens pour leur enseigner les gestes qui sauvent. Appels des secours, mise en position latérale de sécurité… Cette intervention devance les prérogatives du gouvernement qui souhaite que tous les élèves de 3e soient formés aux gestes qui sauvent, d’ici 2022. Pour l’heure, les étudiants picards interviennent après une concertation du CESC, le Comité éducatif de santé et de citoyenneté, mis en place dans l’établissement.
Des actions de prévention adaptées
Comme son nom l’indique, le CESC est une instance de réflexion qui doit non seulement contribuer à l’éducation à la citoyenneté, mais aussi définir un programme d’éducation à la santé et à la prévention des conduites à risques (lire en encadré page 22). Caroline Dumuis est maman de quatre enfants, et représentante Peep au collège Teilhard de Chardin à Chamalières (63). Elle siège au CESC qui se réunit une à deux fois par an, pour définir le plan d’action qui sera suivi durant l’année scolaire. « Le plus gros du discours porte sur la prévention des addictions (drogues, alcools, écrans), confirme-t-elle. Et il faut savoir l’adapter à chaque tranche d’âge.
Par exemple, les 6es qui attendent encore du “ludique”, ont assisté à une pièce de théâtre qui revient sur les risques au sens large. Les 5e ont, eux, assisté à l’intervention de membres de la Ligue nationale contre le cancer pour parler des méfaits du tabac.
Quant aux 3es, c’est la Police nationale qui a abordé la thématique de la prévention de l’alcool et des substances illicites. « Il s’agit à la fois de projets proposés par des associations ou d’idées émises par les parents, ajoute Caroline Dumuis. Au début de chaque intervention, les élèves rigolent. Mais ils se sentent vite concernés et prennent conscience des conséquences que peuvent avoir certaines attitudes ou consommations. »
« Viser le bien-être »
Le rôle préventif du CESC correspond aux attentes de la charte d’Ottawa datant de 1986 et qui traduit noir sur blanc les volontés de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) en matière de santé des enfants à l’échelle internationale : « la santé est perçue comme ressource de la vie quotidienne, et non comme le but de la vie ; il s’agit d’un concept positif mettant en valeur les ressources sociales et individuelles, ainsi que les capacités physiques. Ainsi, la promotion de la santé ne relève pas seulement du secteur sanitaire : elle dépasse les modes de vie sains pour viser le bien-être. »
C’est sur ce texte qu’en France, le ministère de l’Education nationale a fondé sa politique éducative de santé, et qu’en 2016 en découle le « parcours éducatif de santé ».
Prévention, éducation, protection
Le parcours éducatif de santé a pour ambition de toucher tous les élèves, de la maternelle au lycée. Pour cela, il s’appuie sur trois piliers : la prévention (telle que défendue par les CESC de chaque établissement, par exemple), l’éducation à la santé et, enfin, la protection de la santé.
Dans le cadre de l’éducation à la santé, il s’agit de développer des compétences psychosociales en lien avec le socle commun de connaissances. Les programmes d’enseignement doivent donc inclure des éléments sur l’alimentation, l’hygiène, les rythmes de vie ou encore la sécurité. Par exemple, expliquer aux enfants les différentes phases d’un cycle de sommeil permet de mieux en souligner les bénéfices sur l’organisme et, par conséquent, l’importance d’une bonne nuit de sommeil.
Quant à la protection de la santé, il s’agit de réunir toutes les conditions nécessaires au bien-être de l’élève (des locaux propres et un service de restauration de qualité, entre autres), mais aussi de créer des temps forts de la santé de l’élève, comme les visites médicales et de dépistage.
Des examens médicaux… en théorie
C’est dans ce cadre qu’est prévue une première visite médicale obligatoire durant la sixième année de l’enfant. Elle peut se faire soit durant l’année de grande section à la maternelle, soit durant le CP. Cet examen comprend le repérage précoce des signes qui peuvent entraîner des difficultés ultérieures d’apprentissage : problèmes visuels, auditifs, troubles du langage ou du développement psychomoteur. Elle est aussi l’occasion de vérifier que les vaccinations sont à jour. Malheureusement, cet examen est souvent délaissé, car seuls 71 % des élèves en bénéficient, selon les estimations de l’Education nationale. L’une des raisons avancées ? Le défaut de personnel apte à mener cet examen. Cette visite médicale doit en effet être réalisée par le médecin scolaire, une profession dont les effectifs s’effritent… En 2016, la France dénombrait seulement 1 035 médecins scolaires, avec de surcroît, une inégalité en fonction des territoires. L’heure est donc au questionnement, les ministères de l’Education nationale et de la Santé se prononçant régulièrement sur la nécessité d’une refonte de cette visite médicale.
Des problèmes de coordination entre les différents acteurs
De même, selon les textes officiels, une visite de dépistage infirmier doit avoir lieu durant la douzième année de l’enfant, le plus souvent à l’entrée du collège. Là aussi, la réalité est tout autre… Une situation qui pose la question de l’efficacité de la coordination entre les différents acteurs.
« Nous n’avons pas de service de santé scolaire dans l’Education nationale et les expertises de chacun ne sont pas bien connues pour répondre aux besoins présumés, commente Patricia Colson, secrétaire générale du SNAMSPEN/Sgen-CFDT, chargée de mission développement du pôle santé social au Sgen-CFDT. Il n’y pas de travail en réseau formalisé, pas de concertation organisée entre tous les professionnels concernés. Les établissements manquent de temps pour pouvoir se parler. Or, il y a une vraie nécessité de pouvoir se coordonner pour qu’il n’y ait ni trop de médicalisation, ni de démédicalisation de situations qui nécessiteraient un avis médical ».
En effet, même si la promotion de la santé en milieu scolaire est l’affaire de tous les membres de la communauté éducative, les personnels de santé restent des références au sein des établissements, et en premier lieu les infirmiers et médecins scolaires. « L’infirmière scolaire est rattachée à un collège ou un lycée, avec plusieurs écoles. Le médecin, lui, a en charge tous les établissements du bassin de vie. Il concourt à apporter de la cohésion et de la coordination entre différentes actions pour qu’elles s’inscrivent dans un véritable parcours santé, de la maternelle au lycée », explique Patricia Colson.
A chacun son rôle
Le rôle du médecin scolaire n’est pas de soigner, mais d’intervenir en milieu scolaire dans un but préventif et éducatif. Il doit donc assurer le dépistage de pathologies, de handicaps ou de troubles de l’apprentissage, mais aussi s’assurer de l’intégration des élèves handicapés. Il doit aussi reconnaître d’éventuelles situations de maltraitance. « Dans le contexte de l’école, il y a des choses qui sont révélées, et qui ne le sont pas dans le contexte de la famille ou chez le médecin traitant quand l’enfant y est accompagné de ses parents. C’est d’autant plus vrai pour les violences psychologiques et les violences conjugales qui sont imposées aux enfants », confirme Patricia Colson. Selon elle, le travail des médecins scolaires complète celui des infirmiers. Leur rôle n’est absolument pas interchangeable.
De l’accueil à l’urgence
L’éventail des missions des infirmiers scolaires est lui aussi très large. Il comprend l’accueil et l’accompagnement des élèves (écoute, aide et soutien des élèves, notamment pour ceux en souffrance psychique…) et la promotion de la santé, à travers la conduite des actions d’éducation à la santé et de prévention. Enfin, l’infirmier scolaire répond aux urgences, il donne les premiers soins à l’élève blessé ou en malaise. « Nous sommes là pour accueillir tous les élèves qui se présentent, quelle que soit leur problématique », résume Sylvie Magne, infirmière scolaire à Aubagne (lire son témoignage ci-dessous). Nous parler ne suppose pas la même contrainte émotionnelle qu’avec les parents. »
Une démarche qu’approuve Rachida Bounaga, maman de trois enfants et adhérente à la Peep de Clermont-Ferrand. « Ce que je n’arrive pas à dire à mes enfants, l’équipe de santé de leur établissement le fait. Ils permettent de les sensibiliser sur des sujets délicats comme l’éducation à la sexualité. L’enfant ne doit pas se sentir isolé et il doit pouvoir trouver un interlocuteur facilement, qui le sensibilise, voire le met en garde contre certains dangers », commente-t-elle. Rachida Bounaga rappelle également qu’une « bonne santé scolaire, c’est avant tout une bonne santé pour sa réussite ».
Autrement dit, soigner la santé scolaire, c’est contribuer à la bonne santé mentale, physique et à celle qui mène à la réussite scolaire. Lutter contre l’échec et le décrochage scolaire passe par le bien-être de l’élève.
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ZOOM
Premiers secours : une formation obligatoire
La formation aux premiers secours est obligatoire à l’école, et ce dès le primaire. Les élèves reçoivent en effet un enseignement intitulé Apprendre à Porter Secours (APS), basé sur « des principes simples pour porter secours, en lien avec une éducation à la prévention des accidents de la vie courante », précise le ministère de l’Education nationale. Il est complété au collège par le module « Gestes qui sauvent ». En deux heures, les adolescents apprennent à faire face à des arrêts cardiaques, des hémorragies ou des pertes de connaissance. Enfin, les collégiens peuvent demander à passer le PSC1 (Prévention et Secours Civique de niveau 1), la formation de base au secourisme.
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Des chiffres… alarmants
- 49 % des plus de 15 ans sont en surpoids
- Plus de 15 % des jeunes âgés de 15 ans fument au moins une fois par semaine.
- Plus de 30 % des jeunes de 15 ans ont déjà été ivres à deux reprises.
- En 2015, 9 % des enfants âgés d’un an en France n’étaient pas vaccinés contre la rougeole et 17 % contre l’hépatite B
(la France se classe avant-dernière des pays de l’OCDE, devant le Mexique).
Source : OCDE, novembre 2017
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Les missions du CESC, comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté
Présent dans chaque collège et lycée, le comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté (CESC) est présidé par le chef d’établissement et réunit des représentants de toute la communauté éducative.
Parmi ses missions, le CESC doit définir un programme d’éducation à la santé et à la sexualité et de prévention des comportements à risques. L’instance peut proposer des actions de sensibilisation sur des comportements identifiés (tabac, drogues, harcèlement…), et proposer des préconisations dans l’aménagement des espaces.
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POINTS DE VUE
Denis Dougé, principal du collège André Malraux à Dijon (21)
Quelles sont les actions en faveur de la santé menées au sein de votre établissement ?
La plupart des actions sont issues des réflexions du CESC. Il est difficile de réunir le comité (qui comprend entre 15 et 20 personnes, dont des intervenants externes) pour un travail au fil de l’eau. Aussi, une réunion en début d’année scolaire permet de définir différentes initiatives.
Ainsi, pour les élèves de 6e, nous avons proposé « Malraux en mouvement ». Il s’agit de mettre en avant les bienfaits de l’activité physique, en partenariat avec des étudiants en kinésithérapie. Ces derniers ont assuré des interventions théoriques en classe, mettant l’accent sur l’anatomie du corps pour mieux revenir sur les bienfaits de l’activité physique. Puis, une journée de pratiques sportives (gymnastique, basketball, épreuves de relais…) est venue compléter la sensibilisation.
En 5e, nous avons mené des exercices autour de la diététique pour alerter les élèves sur le déséquilibre alimentaire. Ils ont reçu des conseils sur le bien-manger, après avoir suivi un cours théorique sur le système digestif.
En 4e, l’accent est mis sur la lutte contre les discriminations, et en 3e, sur l’éducation à la sexualité, en partenariat avec le centre de planification familiale.
Selon vous, la santé des élèves relève-t-elle des missions des établissements scolaires ?
L’établissement scolaire a un rôle à la fois de prévention, mais aussi de détection des pathologies éventuelles. Certains élèves arrivent en 6e en étant passés au travers des mailles du filet et présentent des défauts de vision ou des troubles dys, par exemple. Notre démarche n’a rien de coercitif, elle ne revêt aucun caractère obligatoire, sauf si bien sûr il y a des risques majeurs pour l’élève. Nous pouvons signaler, mais il n’y a pas d’obligation de soins… Nous ne pouvons que prévenir les familles.
Patricia Chiba, adhérente Peep à Montrouge (92)
« La vaisselle en plastique utilisée dans les cantines est un vrai problème de santé. C’est pourquoi, avec la Peep de Montrouge, nous avons lancé une campagne pour favoriser l’usage d’autres matériaux. Nous avons même monté une association, baptisée « Cantine sans plastique ». Montrouge est devenue ville-pilote sur le sujet, organisant des conférences avec l’intervention de chercheurs du CNRS. Remplacer le plastique par l’inox, par exemple, relève du principe de précaution : notamment lorsqu’il est en contact avec la chaleur, le plastique peut se révéler néfaste car il dégage des substances toxiques. Dans cette démarche, les établissements scolaires ne peuvent malheureusement pas faire grand-chose. L’usage du plastique relève de la mairie, qui choisit les prestataires de restauration scolaire. Il faut l’effort de tous pour pouvoir proposer le meilleur à nos enfants, surtout quand il s’agit de leur alimentation. C’est pourquoi, le dialogue est également ouvert sur la qualité des repas et la problématique du bien-manger. »
Sylvie Magne, infirmière scolaire à Aubagne
« Chaque jour, je suis présente pour près de 1200 élèves, dont 80 internes. Les élèves viennent librement nous voir. Ça va du petit bobo aux épidémies ou aux problématiques autour du mal-être. Nous sommes souvent le premier recours, quitte à passer ensuite le relais à d’autres partenaires quand cela est nécessaire. L’infirmier scolaire est un interlocuteur très facile d’accès et bien identifié. De plus, nous ne sommes pas dans le jugement, nous restons neutres. »
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Saphia Guereschi, secrétaire générale du SNICS-FSU (le syndicat national des infirmiers – conseillers de santé) et responsable académique rattachée à l’Académie de Dijon
« La santé doit être prise en compte comme un déterminant de la réussite scolaire »
Comment le sujet de la santé des élèves a-t-il évolué au cours de ces dernières années ?
En 2013, lors des travaux sur la loi de refondation de l’école, l’Education nationale s’est intéressée au sujet de la santé à l’école. Ses travaux ont abouti à des textes adoptés en novembre 2015, qui définissent la politique de santé à l’école. Cette dernière est présentée comme une mission de l’Education nationale avec toute une politique chapeau, mais aussi des projets de santé par niveau académique et par établissement, avec une évaluation de la santé des élèves et la prise en compte du parcours scolaire. Le parcours éducatif de santé a ensuite été formalisé l’année suivante.
Il y a donc eu toute une cohorte de textes qui encadrent ce qu’on appelle la politique de santé à l’école. C’est le concept que nous aimons défendre au sein du Snics-FSU. Les infirmiers scolaires sont au service de la réussite scolaire avant tout et c’est ce qui est affirmé dans les textes de 2015.
Pourtant, il semble y avoir de nouvelles perspectives…
Le gouvernement actuel a annoncé vouloir intégrer la médecine scolaire dans le cadre de la santé publique, mettant à mal toutes les prérogatives des années précédentes. Or, il y a une différence entre être au service de l’Education nationale (sous la hiérarchie des chefs d’établissement et au service de la réussite scolaire) et être au service de la Santé publique pure. Dans le second cas, nous devrions répondre aux priorités de santé publique alors qu’aujourd’hui, nous répondons aux besoins de l’élève qui est en face de nous, en fonction de sa problématique à lui. Il s’agit de rester centré sur l’individu.
Chacun, de la maternelle à l’université, doit mettre une pierre à l’édifice pour amener l’élève vers la dimension émancipatrice de l’école et lui permettre une meilleure appropriation de sa santé. Affilier ces services à l’Education nationale, c’est aussi prendre en compte la santé comme un déterminant de la réussite scolaire.
Le Snics-FSU souhaite également alerter les pouvoirs publics sur une modification de l’examen médical de la 6ème année. Pourquoi ?
Cet examen a fini par dériver pour être mené par des infirmières scolaires, alors que cela ne relève pas de leurs compétences. Et tout le temps qu’elles dédient à ces examens, elles ne sont plus en mesure de répondre aux missions de suivi et d’écoute du quotidien. Nous ne savons pas faire de diagnostic médical. En revanche, nous savons accompagner.
L’inquiétude porte également sur la création d’un service de la santé scolaire qui a été dissous en 1982, en raison de son inefficacité et du non-service rendu aux élèves. Or, on ne peut pas améliorer la prise en charge de la santé des élèves, en recréant un service extérieur à l’Education nationale. Il faut montrer l’utilité du soin infirmier et laisser l’examen de la 6e année aux médecins de ville et aux pédiatres, pour qu’on puisse se recentrer au sein de l’Education nationale et assurer l’accueil des élèves. Il y a un problème de respect et de connaissance du rôle de chacun.