EDUCATION

EDUCATION – Pédagogie : l’instruction civique et morale en débat

Supprimée à partir de 1968, les leçons de morale réintègrent le programme du primaire depuis trois ans. Les instructions de cette rentrée cherchent à en faire un enseignement à part entière. Une nouvelle offensive qui soulève des questions.


Entre la complexité d’un exercice de maths, le menu de la cantine et les histoires de cour de récré, il souffle un air d’antan dans certains récits à la sortie de l’école. « La maîtresse nous a parlé des libertés aujourd’hui. Elle avait écrit au tableau “chacun voit avec ses lunettes” », raconte Anna, 6 ans, qui comprend par là que chacun est libre de penser, mais ne voit pas ce que les lunettes viennent faire dans l’histoire « parce que tout le monde n’en a pas ! ». Les maximes d’autrefois font leur retour à l’école primaire, suivant la circulaire de Luc Chatel pour la rentrée 2011. Celle-ci stipule que le « développement moral de l’enfant doit faire l’objet d’une attention aussi soutenue que son développement intellectuel ou physique ». Déjà, il y a trois ans, le précédent ministre avait remplacé l’intitulé « éducation civique » par « instruction civique et morale ». Une nuance pleine de sens… Mais, si chacun s’accorde à dire que la transmission de valeurs est nécessaire, cette nouvelle démarche n’est pas approuvée par tous.

Un enseignement fondamental ?
La plupart des enseignants ne sont pas vraiment nostalgiques de l’école telle qu’elle était du temps de Jules Ferry. Aussi, ne cultivent-ils pas l’esprit du « c’était mieux avant » et considèrent-ils les leçons de morale dépassées. Julien, enseignant en CP et CE1 à Paris, juge les instructions de cette année difficilement applicables : « Je n’ai pas instauré de séances spécifiques pour les leçons de morale, le programme ne le permet pas. » S’agit-il alors d’un gadget éducatif ? « J’estime que cela fait partie de la vie de la classe, mais les élèves ont besoin de concret pour que le message soit entendu. Des sujets de morale sont donc abordés de manière improvisée en fonction des événements ou de leurs interrogations. »
Car les questions fourmillent dans l’esprit des enfants et il est de la responsabilité de l’école d’y apporter des éléments de réponse. Maria Pagoni-Andreani (1), maître de conférences en sciences de l’Education à l’université de Lille III, évoque le contraste entre le cadre familial et le cadre scolaire : « En découvrant l’école, l’élève rencontre pour la première fois des lois impersonnelles qui émanent du collectif et non d’une personne spécifique où se mêlent affectivité et autorité, comme c’est le cas dans la famille. » L’enseignement de la morale permettrait ainsi « d’aider chaque élève à édifier et renforcer sa conscience morale dans des situations concrètes et en référence aux valeurs communes à tout honnête homme », comme l’énonce la circulaire du ministère.
Reste à savoir quel type de valeurs l’Education nationale souhaite transmettre (lire encadré), car entre les idées de la IIIe république et celles du socle commun de compétences actuel, le message risque de ne pas être clair. « Voulons-nous former des individus dévoués au collectif ou autonomes. Cette confusion existe aussi à l’échelle de l’école : doit-elle se développer à l’image de la société ou doit-elle proposer des valeurs susceptibles de changer cette société ? », s’interroge le professeur en sciences de l’Education.

Eviter le conditionnement social
L’une des raisons pour lesquelles les leçons de morale avaient disparu des programmes à partir de 1968 est qu’il n’était plus question de dicter aux jeunes leur comportement. Une question de forme plus que de fond, à en croire certains protestataires de l’époque devenus enseignants : « Les maximes étaient incompatibles avec notre désir de liberté parce que cela s’apparentait à du rabâchage, se souvient Virginie, professeur des écoles à Marseille. Aujourd’hui je m’inspire de proverbes pour organiser des débats avec mes élèves ! » Réduire la morale à l’apprentissage de maximes génèrerait une forme de conditionnement social, le besoin de conceptualisation de l’enfant doit donc être pris en compte, rappelle Maria Pagoni-Andreani : « L’éducation pose le problème de l’articulation entre le savoir et l’expérience. Transmettre des messages ne suffit pas. Il est intéressant de créer des expériences qui vont dans le sens de ces valeurs, par exemple, en faisant participer les élèves à des projets collectifs. L’idée est ensuite d’analyser la signification de ces situations. »
Le ministère s’appuie, lui, sur les maximes comme support privilégié à cette démarche pédagogique : « L’intelligence des maximes, à travers une analyse collective guidée par le professeur, ne prend pas la forme d’un cours magistral. Ce sont les échanges entre élèves, appuyés sur une réflexion dont les objectifs sont garantis par le maître, qui permettent d’en faire émerger le sens moral. » Néanmoins, quelle que soit la méthode exploitée, l’objectif est de mettre en exergue une valeur ou une règle fondamentale. En définitive, l’élève doit faire la différence entre les règles conventionnelles qu’il doit respecter et les valeurs qui nécessitent un engagement de sa part, voire un esprit critique.
AJ

Note
1. Maria Pagoni-Andreani est l’auteure de « Le développement socio-moral : des théories à l’éducation civique », éd. Septentrion.

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TEMOIGNAGE
Aurélie, enseignante de CP en Seine-Saint-Denis
(93)
« Avec ma classe, j’ai choisi de faire un travail transversal sur certaines maximes : lecture, écriture et dessin tout en leur expliquant leur signification. Je choisis celles qui me paraissent les plus imagées telles que « Qui vole un œuf vole un bœuf » ou « A l’âne, l’âne semble très beau ». Avant chaque congé scolaire, ils votent pour le travail qui les inspire le plus pour débattre du fond. Ils adorent ces moments où ils découvrent une nouvelle façon d’apprendre. »

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REPERES
La morale, génération 2011
D’après la circulaire, les thèmes suivants peuvent donner lieu à un travail sur les maximes, les adages, les morales de fables, mais aussi de lecture de textes, de mises en situations (jeux de rôles, dilemmes moraux, etc.).
• L’introduction aux notions de la morale : le bien et le mal, le vrai et le faux, la sanction et la réparation, le respect des règles, le courage, la loyauté, la franchise, le travail, le mérite individuel.
• Le respect de soi : la dignité, l’honnêteté par rapport à soi-même, l’hygiène, le droit à l’intimité, l’image que je donne de moi-même (en tant qu’être humain), la protection de soi.
• La vie sociale et le respect des personnes : les droits et les devoirs, la liberté individuelle et ses limites, l’égalité (des sexes, des êtres humains), la politesse, la fraternité, la solidarité, l’excuse, la coopération, le respect, l’honnêteté vis-à-vis d’autrui, la justice, la tolérance, la maîtrise de soi (être maître de ses propos et de ses actes), la sécurité des autres.
• Le respect des biens : le respect du bien d’autrui, le respect du bien public.

POUR EN SAVOIR PLUS
Retrouvez la circulaire « Instruction morale à l’école primaire » (circulaire n° 2011-131 du 25-8-2011) en cliquant ICI.

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