DOSSIER

Apprendre à l’heure du Covid

HD-416---ouv-dossierDepuis plus d’un mois maintenant, toutes les mesures ont été prises pour conjuguer accueil des élèves en classe et sécurité sanitaire, en particulier par le port contraint du masque. Apprentissage de la lecture, enseignement de la musique, cours de langue, séance de sport… Pour les élèves comme pour leurs enseignants, le port du masque complique sérieusement les choses ! Certains enseignements s’apparentent à de vrais défis. Comment les enseignants peuvent-ils adapter leur pédagogie ? Quels effets sur la scolarité des élèves ? Cette situation ne va-t-elle pas encore accentuer des inégalités, notamment pour certains élèves qui souffrent de problèmes « Dys » ou d’autres handicaps ? 

 

Enseigner, transmettre les savoirs, passe naturellement par la communication. Et celle-ci se trouve forcément affectée quand il existe une « barrière », en l’occurence le masque, obligatoire pour tous les enseignants, dès l’école primaire.

Cette contrainte perturbe de nombreux enseignants : outre l’inconfort ressenti, ils sont nombreux à forcer la voix, ce qui peut entraîner des maux de gorge, une aphonie, des lésions sur les cordes vocales… Sans oublier ceux qui souffrent de pathologies telles que l’asthme, pour qui, le port du masque, s’apparente à une véritable torture (lire témoignages par ailleurs). Ainsi, pour soulager leurs prises de parole, les enseignants mettent-ils plus souvent les élèves en situation d’autonomie de travail, et ont plus fréquemment recours à des « Powerpoint »…

HD-416---dossier-1Du côté des élèves, les problèmes liés au masque sont de deux ordres. Pour ceux qui doivent obligatoirement le porter, les collégiens et les lycéens, en plus des désagréments qu’il occasionne – plus grande difficulté à respirer, buée sur les lunettes… – il n’incite pas à la prise de parole ; un obstacle encore plus conséquent pour les élèves les plus timides.

 

 

Des apprentissages perturbés

Mais le problème majeur, pour les plus jeunes des élèves principalement, réside dans le fait de ne pas « voir » la parole de l’enseignant. Un point crucial en particulier pour les plus jeunes, en maternelle et en cours préparatoire, qui sont en plein apprentissage du langage et de la lecture.

« Pour bien assimiler, les enfants ont besoin de voir les mouvements de la bouche ; on exagère volontairement les prononciations des sons », explique Anne, enseignante en grande section de maternelle à Rezé, en Loire-Atlantique. L’observation des signes non-verbaux, et singulièrement l’expression du visage, sont essentielles au bon apprentissage de la langue. Face à des enseignants masqués, les élèves sont indéniablement perturbés.

 

 

HD-416---dossier-2En cours de langue

Des perturbations également très présentes dans l’apprentissage des langues vivantes. De nombreux professeurs de langue ont partagé leur difficulté à enseigner avec un masque, leur frustration… : « Il est difficile d’apprendre une langue quand on ne voit pas la bouche de celui qui l’enseigne », se désole Brigitte, professeur d’anglais en collège. Une situation encore plus compliquée pour les débutants « qui ont besoin de lire sur nos lèvres pour bien comprendre » ; un repère qu’ils n’ont plus.

Pour les élèves, avec le masque, difficile aussi d’articuler correctement, de bien prononcer certains mots ou sons : par exemple le « the » anglais, le «h» aspiré en allemand.

 

 

La solution du masque inclusif

Enfin, cette barrière que constitue le masque pose encore plus de problèmes pour certains élèves, que ce soit ceux qui souffrent de troubles dyslexiques (en particulier la dysphasie) et surtout, c’est une évidence, pour les élèves sourds ou malentendants, qui ne peuvent comprendre qu’en lisant sur les lèvres. La solution ? Les masques dits « inclusifs », qui disposent d’une partie transparente pour voir la bouche.

Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, a indiqué début septembre qu’avaient été commandés des masques transparents pour les professeurs qui ont un élève sourd et ceux en charge de classes Ulis, ainsi que tous les enseignants de maternelle. « 300 000 masques », a ensuite précisé le ministre de l’Education nationale.

Les enseignants concernés sont progressivement équipés. Aucune généralisation n’est prévue, au grand dam de nombreux autres enseignants, « non éligibles ». Sans parler des AESH, accompagnants d’élèves en situation de handicap, qui, dans certains départements, plusieurs jours après la rentrée, n’avaient même pas reçu de « simples » masques chirurgicaux…

 

 

Impact relationnel

Enfin, au-delà de toutes les problématiques pédagogiques, le port du masque a aussi un impact social : « On ne connaît pas le visage de nos professeurs, ça crée un rapport très bizarre, un peu surréaliste, s’attriste Emma, nouvellement entrée en classe de seconde. Une situation qui, « même si l’on s’y est fait », demeure « perturbante » à beaucoup d’égards pour les élèves, qu’ils soient au primaire, au collège ou au lycée.

 

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TEMOIGNAGES

Bertrand, enseignant en mathématiques en collège (Caen, 14)

“Cela altère les échanges »

« Les masques des élèves m’empêchent souvent de bien les comprendre : quand ils sont au fond de la classe, quand ils ne parlent pas assez fort, qu’ils marmonnent ou n’articulent pas bien… je suis parfois obligé de leur demander de répéter jusque 3 ou 4 fois pour saisir ce qu’ils disent. Cela altère beaucoup  les échanges. C’est fatiguant pour moi, comme pour eux… »

 

Camille, élève de seconde (Côte d’or, 21)

« On voit que certains profs ont plus de mal ! »

« Après quelques jours, je me suis bien habituée au masque ; ce n’est pas forcément gênant pendant les cours, même si on voit que certains profs ont plus de mal ! Mais je me demande quand même à quoi cela sert qu’on le porte. Quand on est à la cantine, on l’enlève bien sûr, alors que l’on est proches les uns des autres, que l’on discute ; pareil dans les vestiaires en EPS quand on va au gymnase pour faire du badminton. Et puis quand on passe la grille du lycée, on l’enlève tous… En cours, on n’est pas face à face, on est quand même éloignés les uns des autres et on doit le porter… Je ne comprends pas trop l’intérêt. »

 

Sofia, enseignante en anglais en lycée (Créteil, 94)

«  Le masque fait suer, dans tous les sens du terme ! »

« Les élèves qui utilisent les masques en tissu sont quasiment inaudibles, je dois sans cesse leur demander de répéter plus fort, c’est assez usant à la longue. Mais surtout, j’ai du mal à identifier les élèves, à les reconnaître, à associer des visages aux prénoms, même après un mois de cours ; cela perturbe la communication, l’installation d’un climat de confiance… Je n’aurais pas pensé qu’il était si essentiel de voir le visage de mes élèves pour bien travailler. Le masque fait vraiment suer, dans tous les sens du terme ! »

 

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ZOOM

Cours de sport : ce qui change avec le Covid

L’EPS, une bouffée d’oxygène au propre comme au figuré ! En effet, les cours d’éducation physique et sportive sont le seul enseignement obligatoire qui permet le non-port du masque pour les élèves. Le référentiel publié à la rentrée concernant la pratique du sport dans le contexte du Covid indique en effet que « le port du masque n’est pas possible lors de la pratique physique ». Et d’ajouter qu’il faut prévoir « une distanciation d’au moins deux mètres en cas d’activités sportives, sauf lorsque la nature de la pratique ne le permet pas. » Ce qui est le cas de tous les sports d’équipe, tels le hand-ball ou le basket, sports scolaires par excellence, où les contacts sont nombreux – sans oublier le rôle transmetteur du ballon… Toutes les activités sportives de proximité ou de contacts corporels sont donc exclues. A la place, les enseignants d’EPS doivent privilégier des disciplines comme l’athlétisme ou des jeux de raquette.

 

« La voix parlée, n’est pas la voix chantée »

Comme le précise le référentiel spécifique concernant l’éducation musicale et le chant, « le port du masque est obligatoire pour les professeurs et les élèves ». S’appuyant sur des études, le ministère de l’Education argumentant qu’ « un travail vocal soutenu aboutissant à des productions vocales de qualité reste aisément envisageable dans ce cadre réglementaire » (« avec le masque »).

Les professeurs d’éducation musicale ne l’entendent pas de cette oreille. Anne-Claire Scébalt, la présidente de l’Apemu, association des professeurs d’éducation musicale, regrette que les pratiques vocales n’aient pas fait l’objet d’une attention particulière : « Au regard de la situation, car la voix parlée, n’est pas la voix chantée, et après avoir pris des éclairages de plusieurs spécialistes (orthophonistes, phoniatres), il nous semble indispensable que la situation soit réévaluée », vient-elle de réclamer au ministre de l’Education nationale.

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