EDUCATION

Le grand retour des classes bilangues au collège

HD-406---bilangues-4Les classes bilangues et les sections européennes sont proposées aux collégiens et aux lycéens qui souhaitent améliorer leurs connaissances des langues vivantes étrangères. Depuis 2017, cette offre de nouveau est renforcée. Pour autant, ces dispositifs restent trop marginaux.

 

 

Elles ont été mises sous l’éteignoir il y a quelques années. Au nom de l’égalité entre les élèves, et parce qu’elles étaient accusées d’être utilisées pour contourner la carte scolaire, l’ancienne ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, avait décidé de supprimer la plupart des classes bilangues de France. En mai 2017, à peine nommé, son remplaçant, Jean-Michel Blanquer, annonçait leur rétablissement à la rentrée suivante. Les syndicats d’enseignants ont eu beau déplorer un manque de moyens financiers, ces filières permettant aux élèves d’apprendre deux langues vivantes étrangères dès la classe de sixième font à nouveau partie du paysage scolaire. Selon les chiffres officiels, 68 % des collèges proposaient une classe bilangue à la rentrée 2018, contre seulement 59 % l’année précédente et 47 % en 2016. Dans plus de la moitié des cas (55 %), l’allemand est enseigné en plus de l’anglais. L’espagnol, lui, n’est présent en 6e que dans 14 % des cas et, dans 19 % des établissements, l’anglais est proposé comme seconde langue vivante.

 

 

HD-406---bilangues-2Une sélection à l’entrée

Si l’offre est désormais plus généreuse, tous les élèves qui le souhaitent ne peuvent pas intégrer une classe bilangue. Faute de places suffisantes, il n’est pas rare que les élèves soient sélectionnés à l’entrée. Au collège Dargent de Lyon (69), par exemple, une commission composée de professeurs de langue et de personnels de direction se charge d’étudier les dossiers qui lui parviennent en s’appuyant notamment sur les avis du directeur de l’école primaire et de l’enseignant de CM2. D’autres collèges ne prennent que des élèves ayant déjà commencé à apprendre les deux langues en primaire. D’autres encore font passer des tests aux candidats. Dans la majorité des cas, le niveau général de l’élève, et pas seulement en langues, ainsi que sa motivation font aussi partie des critères de choix.

Il faut dire qu’en classe bilangue, le nombre d’heures de cours de langues s’établit à 7 heures hebdomadaires en 6e contre 4 heures habituellement. Un travail personnel plus important est aussi demandé. « La classe bilangue s’adresse à des élèves qui maîtrisent les apprentissages fondamentaux, qui sont capables de fournir un travail régulier et qui font preuve d’une certaine autonomie, explique Anne Delnord, la documentaliste du collège Dargent de Lyon. Des élèves en grande difficulté en primaire auraient beaucoup de mal à faire face à l’apprentissage de deux langues ».

Un constat confirmé par Corine Planta, professeure d’allemand au collège Jean-Macé de Portes-lès-Valence (26). « Les sections bilangues s’adressent surtout à des élèves volontaires, motivés, curieux, qui ont un réel intérêt pour les langues et qui n’hésitent pas à s’investir en classe et à participer à l’oral », prévient-elle. Mieux vaut donc demander son avis à l’enseignant de CM2 et s’assurer de la motivation sans faille de son enfant avant de le diriger vers une classe bilangue et, le cas échéant, se renseigner tôt sur les critères de sélection appliqués par le collège visé.

 

 

Des bienfaits qui vont au-delà des langues

L’investissement est important, mais il en vaut la peine. Bien sûr, il permet avant tout aux élèves de mieux maîtriser les langues étudiées. Le niveau atteint y est même souvent meilleur que dans les filières classiques, y compris pour la première langue. Ces filières ont en effet tendance à faire plus la part belle à l’oral que dans les sections classiques, et il n’est pas rare que les enseignants se concertent et s’appuient sur les similitudes entre les langues pour faciliter leurs apprentissages respectifs. Au final, les collèges assurent quasiment aux élèves des filières bilangues d’atteindre le niveau B1 du référentiel européen dans les deux langues en fin de 3e.

Mais les bienfaits des classes bilangues ne s’arrêtent pas au seul apprentissage de la langue. « J’attache une importance toute particulière à faire partager la culture allemande et à faire découvrir et aimer l’Allemagne et l’espace germanophone aux élèves de la classe bilangue », insiste Julia, professeure au collège Joliot-Curie de Fontenay-sous-bois (94). Même son de cloche pour Corine Planta, la professeure du collège Jean-Macé, pour qui « la section bilangue contribue à la construction d’une identité européenne chez les enfants et donc à une belle ouverture d’esprit ».

 

 

HD-406---bilangues-3Regain d’intérêt pour les sections européennes et internationales

Les classes bilangues ne sont pas les seules à profiter de ce regain d’intérêt pour les initiatives susceptibles d’améliorer le niveau en langues des élèves. Les sections européennes, qui permettent de bénéficier de cours en langue étrangère et d’échanges culturels, sont elles aussi plus nombreuses qu’il y a un an. Selon le ministère, 30 % des collèges proposeraient cette filière, soit deux fois plus qu’à la rentrée 2017. Les élèves qui l’ont choisie ont généralement la possibilité de basculer au lycée dans une section européenne ou de langue orientale (SELO), au sein de laquelle est pleinement intégré l’apprentissage non seulement d’une langue étrangère, mais aussi de la culture du pays, par le biais notamment de 4 heures de langue et civilisation qui viennent s’ajouter à l’emploi du temps classique. Des échanges avec des élèves d’autres pays sont aussi organisés, soit à distance grâce aux nouvelles technologies, soit lors de voyages sur place.

Dans le même esprit, les sections internationales, elles aussi, ont la faveur de nombreux parents. Ces filières, qui s’appuient généralement sur des partenariats avec des pays étrangers, ont la particularité de mélanger des élèves français et des élèves étrangers au sein de mêmes classes et de consacrer pas moins de 6 heures hebdomadaires à l’apprentissage d’une langue étrangère. Certains cours, comme l’histoire-géographie ou les mathématiques, sont même enseignés dans la langue étrangère à partir du collège et des épreuves spécifiques sont prévues au baccalauréat. « Dans ces sections, les cours de langues sont dispensés par des professeurs natifs qui amènent non seulement leurs connaissances linguistiques, mais aussi une pédagogie spécifique, constate Salima, parent d’élèves et élue PEEP, dont les enfants suivent leur scolarité en section internationale anglaise à Strasbourg. La sélection à l’entrée est souvent rude, mais intégrer ce cursus dès son plus jeune âge est un vrai atout qui va bien au-delà de la seule maîtrise de la langue de section, tant les compétences qui y sont acquises se répercutent dans les autres disciplines et donc sur le niveau scolaire général de l’élève. »

A l’heure où la maîtrise d’une ou plusieurs langues étrangères est plus que jamais indispensable pour leur avenir professionnel, faire profiter un maximum d’élèves de ces initiatives représente un enjeu important.

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ZOOM

A l’étranger, de vraies filières bilingues

Si les classes bilangues permettent d’anticiper l’apprentissage d’une seconde langue vivante, on est loin d’un véritable enseignement bilingue comme en trouve à l’étranger. Aux quatre coins du monde, de plus en plus de filières dispensant des cours dans une langue étrangère voient le jour. Le phénomène est particulièrement présent dans les grandes villes américaines. A New-York, par exemple, des écoles proposent aux enfants à partir de 4 ans et jusqu’au lycée de baigner autant dans l’anglais que dans le français. Dans ces établissements prisés des familles, élèves francophones et non francophones se mélangent et bénéficient de la moitié des cours en anglais et de l’autre moitié en français. Cette méthode, qui a fait ses preuves, est pour l’instant absente de France.

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Les langues au coeur de la citoyenneté européenne

Parce qu’elle joue un rôle essentiel dans la création d’une Europe citoyenne et démocratique, l’Association européenne de l’Education (AEDE-France) a toujours placé la maîtrise de langues étrangères au cœur de son action. Depuis plus de 60 ans, cette association européenne composée d’enseignants, de personnels administratifs ou encore de parents d’élèves se donne comme objectif de développer la citoyenneté européenne à travers notamment une éducation de qualité et un apprentissage poussé des langues étrangères.

A ce titre, la section française de l’AEDE intervient régulièrement auprès des décideurs, participe à des débats et des colloques et organise des expositions sur des thèmes variés. Ses bénévoles mènent aussi régulièrement des actions auprès des enseignants afin de leur faire prendre conscience de l’importance de développer et de cultiver la citoyenneté européenne chez leurs élèves par l’éveil du sentiment d’appartenance à l’Europe et de leur donner des outils concrets en les sensibilisant aux valeurs fondatrices du conseil de l’Europe. Ils animent enfin au sein des établissements scolaires des ateliers destinés à sensibiliser les élèves eux-mêmes à l’importance de l’Europe et à en faire des citoyens à part entière.

Plus de renseignements sur www.aede-france.org.

 

Le nouveau défi des promoteurs de l’esperanto

Y aura-t-il bientôt une épreuve d’espéranto au baccalauréat ? C’est en tout cas l’objectif que se sont fixé les représentants français de cette langue internationale, créée il y a plus d’un siècle. Pour cela, ils ont multiplié les rencontres avec différents acteurs du monde de l’éducation, dont la PEEP. Un dialogue a aussi été engagé avec le ministère de l’Education nationale. Si le but n’est pas encore atteint, des avancées sont à noter. Tout d’abord, les représentants de l’esperanto en France ont été agréés par le ministère. Surtout, au cours de l’année 2017-2018, l’enseignement de l’esperanto a été testé dans 13 établissements français. 286 élèves ont été concernés par cette expérience.

De son côté, le ministère assure ne pas fermer la porte à la création d’une épreuve d’esperanto au baccalauréat à condition que lui soit démontré qu’il existe une réelle demande de la part des élèves. Inciter les élèves à se tourner vers cette langue internationale, tel est le prochain défi des promoteurs de l’esperanto en France.

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itw-406---Jaumont-3-credit-GRAND TEMOIN

Fabrice Jaumont, auteur de « La Révolution bilingue : le futur de l’éducation s’écrit en deux langues ».

« Faisons profiter nos enfants des bienfaits du bilinguisme »

 

Quelle est la place du bilinguisme, et plus particulièrement du bilinguisme anglais-français, aux Etats-Unis ?

Dans les grandes villes américaines, il est très présent. Les filières bilingues anglais-espagnol ou anglais-chinois sont les plus répandues, mais la demande est forte pour des cursus anglais-français, que ce soit de la part de parents francophones, soucieux de maintenir le niveau en langue de leur enfant, ou de familles américaines adeptes du plurilinguisme. Le problème, c’est que ces filières sont souvent proposées par des écoles privées qui les facturent plus de 30 000 dollars par an.

Des cursus publics gratuits existent, mais ils sont peu nombreux. On en compte seulement 12 en français à New-York et 170 aux Etats-Unis. Pour remédier à cette situation, j’ai écrit un livre dans lequel je donne une méthode censée permettre aux parents qui le souhaitent d’avoir les clés pour convaincre des directeurs d’école de créer une filière bilingue publique au sein de leur établissement.

 

En quoi le bilinguisme peut-il jouer un rôle important dans l’apprentissage des langues ?

Aux Etats-Unis, l’enseignement des langues étrangères a de plus en plus de mal à s’imposer face à des filières plus en vogue, comme l’informatique ou la technologie. Pour autant, le nombre de filières bilingues, lui, ne cesse de progresser. Elles sont la preuve qu’il existe toujours un attrait pour les langues étrangères.

 

Vous qui êtes installé depuis des années de l’autre côté de l’Atlantique, comment voyez-vous l’apprentissage des langues en France ?

Je constate que les choses évoluent, mais que les changements interviennent surtout au collège et au lycée. Selon moi, c’est trop tard. En concentrant les efforts sur le primaire, on profiterait davantage des capacités des plus jeunes à apprendre les langues, et pas seulement l’anglais.

Développer les filières bilingues pourrait aussi être une bonne solution pour améliorer le niveau général des jeunes Français quand on considère les nombreux bénéfices du bilinguisme sur le développement cognitif et émotionnel des enfants.

Contrairement à ce que l’on imagine, cette approche n’est pas plus coûteuse que l’approche monolingue. Certes, cela demande un effort sur la formation des enseignants et un travail d’adaptation des manuels, mais cette organisation ne coûte pas plus cher en ressources humaines dans la mesure où deux enseignants partagent leur temps sur deux classes. C’est plus avantageux et nettement plus efficace que de faire venir 3 heures par semaine un professeur de langue dans une classe de primaire.

 

En quoi, selon vous, l’intérêt du bilinguisme dépasse-t-il le seul apprentissage des langues ?

De nombreuses études ont démontré que le fait d’enseigner deux langues simultanément développait chez les enfants une gymnastique cérébrale qui favorisait l’apprentissage des autres matières. Le bilinguisme a aussi tendance à renforcer l’empathie, le respect et la capacité d’intégration. Il serait dommage de se passer de ces bienfaits. Comme le dit Gregg Roberts, qui a beaucoup œuvré pour le développement de filières bilingues aux États-Unis, « le monolinguisme est l’illettrisme du XXIe siècle ».

 

 

BIO

406---livre-jaumontEducateur, chercheur et auteur, Fabrice Jaumont est très impliqué dans le développement des filières bilingues outre-Atlantique, particulièrement à New-York où il réside. Son livre « La Révolution bilingue : le futur de l’éducation s’écrit en deux langues » (éd. Tbr Books) encourage parents et éducateurs à créer de nouvelles filières à deux langues.

 

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