EDUCATION

Comment faire face aux violences scolaires ?

HD-404---violence-1-AFPLes images d’un lycéen menaçant son enseignante avec une arme, à Créteil, ont provoqué une vive émotion cet automne. Comment endiguer le problème récurrent de la violence scolaire ? Les acteurs de terrain suggèrent plusieurs pistes, mêlant moyens, formation et travail d’équipe.

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« Pour tout le monde, cela a été un choc ! » Didier Sablic, professeur d’EPS au lycée Branly, a vécu de l’intérieur l’affaire de Créteil. À la veille des vacances de Toussaint, la vidéo d’un élève réclamant à une enseignante, pistolet en main, d’être marqué présent, a provoqué une vive émotion. « Pour une simple absence, la situation est disproportionnée », regrette le prof de sport, délégué syndical Snep-FSU. Et même si l’arme était factice – ce qu’on ignorait sur le moment – l’onde de choc a atteint les sommets de l’État. Une grande concertation a été lancée par le ministère de l’Éducation, et doit aboutir à de nouvelles mesures (lire en encadré ci-dessous).

« Le sujet ressort toujours à l’occasion d’événements graves », confie Florence Delannoy, proviseur au lycée de Genech, près de Lille. Mais elle est formelle : ces images choquantes « sont loin de traduire la réalité de ce que vivent les enseignants ». C’est l’avis de Didier Sablic : « Je suis à Branly depuis 24 ans, on n’est pas à Chicago ! Ce qui s’est passé ne correspond pas à notre quotidien. » Il n’empêche : début octobre, plusieurs élèves ont également exhibé des armes factices dans leur lycée du Havre. « C’est très grave, mais fort heureusement, c’est très rare », assure le chercheur Eric Debarbieux (lire son interview plus bas). Ce type de faits concernerait selon lui « moins de 0,2 % des enseignants ».

L’affaire repose en tout cas la question de la violence scolaire. « La violence du quotidien est surtout verbale, signale Ghislaine Bazir, proviseur d’un lycée francilien. On doit constamment reprendre un langage cru, ordurier, souvent sexiste. Cela peut sembler vain, mais on ne peut pas banaliser. » Dans son lycée de la campagne lilloise, Florence Delannoy a surtout affaire à « des élèves qui n’acceptent aucune remarque, dont la parole dérape plus vite ». « Désormais, les jeunes sont habitués à tout argumenter », complète Philippe Donatien, proviseur à Montauban et secrétaire général du syndicat ID-FO. « Quoi que dise l’adulte, une logorrhée se met en route. Cela peut être insupportable. »

Mais ce n’est pas nouveau. « Ce sujet a toujours existé, rappelle Florence Delannoy. La violence évolue, mais on ne constate pas d’explosion. » Philippe Donatien estime que c’est le reflet du monde extérieur : « Les violences urbaines existent, et certains lycéens y participent… On isole les faits scolaires, mais les élèves ne se transforment pas une fois franchies les grilles des établissements ! ».

 

Chacun sa méthode

Pour apaiser le climat, chaque équipe pédagogique élabore sa propre recette. Habituée des lycées sensibles, Ghislaine Bazir a ainsi trouvé une parade contre les bagarres : elles aboutissent systématiquement à un conseil de discipline ! « On en fait un outil pédagogique. On pose le fait qu’une bagarre n’a rien d’anodin. Qu’il faut répondre de ses actes. » Se réunissant « bien plus qu’ailleurs », le conseil mobilise intensément les représentants des enseignants, parents, élèves… « Cela est bien perçu, car il y a un impact : le risque de bagarre a diminué. Les élèves prennent plus de précautions dans les moments de colère. Ensemble, on pose une grande limite. » Florence Delannoy avait appliqué cette méthode à Roubaix. « On a fait des conseils de discipline à la chaîne pendant 6 mois, puis les choses se sont apaisées. Cela a permis de rétablir le tabou de la violence physique dans l’établissement. » Depuis, elle défend une approche intransigeante. « On rappelle collectivement trois lignes rouges : violences physiques, violences verbales envers le personnel et addictions/trafics. » Et les règles sont strictes : par exemple, trois retards de 5 minutes entraînent deux heures de retenue.

Proviseur en Seine-Saint-Denis, Bruno Bobkiewicz, secrétaire national du SNPDEN (syndicat des personnels de direction), refuse l’idée du laisser-aller. « Il n’est pas question d’être plus souple pour acheter la paix sociale. On se doit d’avoir la même exigence partout. » Il prône visibilité et réactivité « Tous les matins, je suis à la grille d’entrée. On est aux côtés des enseignants. Tous les signalements doivent être traités. Le pire, ce serait de laisser faire, de ne pas apporter de réponse. »

 

HD-404---violence-3Sécuriser les établissements

Faut-il aller plus loin, solliciter la police ? Ghislaine Bazir sourit : « Elle est déjà présente dans les établissements ! » « C’est une fausse question, abonde Philippe Donatien. Nous disposons de correspondants police/gendarmerie, avec qui nous travaillons. Nous sommes représentants de l’État : en cas de problème, il est de notre responsabilité de les solliciter. » Par contre, il semble difficile d’envisager une présence permanente. « Cela provoquerait une émotion dans la communauté éducative », alerte Bruno Bobkiewicz. Philippe Donatien y voit un mauvais message : « Ce serait un aveu d’impuissance. On mène un travail d’éducation, même si on doit parfois être répressif ou coercitif. » Didier Sablic craint, lui, une stigmatisation : « Quel parent aurait envie d’inscrire son enfant dans un lycée qui a besoin de policiers ? ».

À défaut, Florence Delannoy se pose la question des vigiles. « Aujourd’hui, le personnel à l’entrée n’a pas de réelle formation sécurité : ce sont des surveillants, souvent de jeunes étudiants, et des agents de loge. Avoir quelqu’un qui demande à ouvrir le sac, comme dans les supermarchés, cela peut être une réponse ponctuelle. » Comme la loi l’y autorise, Ghislaine Bazir effectue ponctuellement ces contrôles. Il y a parfois des armes dans les sacs : marteau, spray de défense… « On sanctionne, mais on creuse le problème. Des élèves expliquent que c’est pour se protéger des bandes dans le RER. Certains parents mettent eux-mêmes une bombe au poivre dans le sac de leur fille… » En 2015, le lycée de Montauban a été équipé de portiques s’ouvrant avec une carte magnétique. « Cela a contribué à apaiser l’établissement, témoigne Philippe Donatien. On a moins de bagarre. Le lycée est plus privatisé, donc sécurisé. » Mais Bruno Bobkiewicz ne voudrait pas que « les établissements se transforment en bunker. Pour que le climat soit bon, il faut une confiance a priori… »

 

L’école comme lieu d’exutoire

Mais comment faire confiance, quand tout peut se retrouver sur internet ? « C’est cela qui est nouveau dans les violences scolaires, juge Ghislaine Bazir. Les réseaux sociaux ont un impact, provoquent une transmission et une visibilité rapides. » « Cela nous met en difficulté, reconnaît Bruno Bobkiewicz. Beaucoup de choses nous échappent : invectives, insultes… » Philippe Donatien le constate les lundis matin. « L’établissement est un point de ralliement d’enfants qui se sont apostrophés le week-end. Il peut servir de lieu d’exutoire. »

La possibilité de partager des vidéos peut aussi exacerber les situations. « On a eu le cas d’un élève qui chassait les scènes de violences, pour les partager sur un site spécialisé, précise Philippe Donatien. Filmer la bagarre devient un spectacle gratuit. » La vidéo, élément déclencheur de la violence ? « On est à une époque où l’on cherche à se mettre en valeur, confie Florence Delannoy. Filmer en classe peut amplifier certains mouvements… » En tout cas, sur l’affaire de Créteil, les élèves assurent à Didier Sablic que « c’était pour rigoler ». « Avec ce qu’ils voient dehors, les vidéos, les clips, ils perdent le sens des réalités », explique ce dernier.

 

Moyens et formations

Comment endiguer le problème ? Enseignants et proviseurs évoquent tous un « besoin de formation ». « On envoie des jeunes professeurs dans les académies les plus complexes, et on ne les prépare pas au public », regrette Philippe Donatien. « Savoir comment réagir, ce n’est pas facile, note Florence Delannoy. Il y a des techniques pour répondre à une agression verbale, faire retomber la pression. » Surtout qu’elle rappelle que les élèves changent. « Ils n’ont plus les mêmes codes, plus le même langage. On doit se former tout au long de la carrière, pour s’adapter. » Philippe Donatien imagine notamment des « ateliers d’échange, où les enseignants mutualisent leurs expériences. » Une idée qui semble faire l’unanimité.

Mais le problème est aussi une question de moyens. « On manque de professeurs, de cadres intermédiaires, de CPE, de surveillants et d’assistants d’éducation, tranche Florence Delannoy. Pour qu’un établissement fonctionne, il faut des adultes pour encadrer les élèves. » Philippe Donatien souhaite également des « professionnels compétents pour gérer certains problèmes : éducateurs spécialisés, médecins, psychiatres, orthophonistes… » Bruno Sablic résume la problématique : « Plus il y aura d’adultes qualifiés dans les établissements, plus on réduira les tensions et les risques. Sinon, on est dans la gestion des urgences. »

Pour réussir à faire face, tous nos interlocuteurs soulignent l’importance d’équipes éducatives « stables et solides ». « Si chez nous, cela ne va pas si mal, c’est grâce à une dynamique collective, annonce Bruno Bobkiewicz. On est beaucoup plus efficace quand on gère les problèmes ensemble. » Didier Sablic assure que l’affaire de son lycée a d’ailleurs « ressoudé » l’équipe enseignante. Depuis l’incident, en octobre, lui et ses collègues parlent avec les classes, expliquant que les cinq jeunes impliqués ont été exclus définitivement et seront poursuivis. « Il est important de faire passer un message commun. Les élèves ne perçoivent pas toujours la gravité des actes et leurs conséquences. »

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ZOOM

Plan d’actions pour la protection de l’École

hd-404---creteilLe 31 octobre, à la suite de l’agression d’une enseignante à Créteil (photos ci-contre), le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer a annoncé quelques mesures du Plan d’actions pour la protection de l’École. Entre autres : une réorganisation des conseils de discipline (délais raccourcis avec moins de membres), le recours plus fréquent à des « sanctions de responsabilisation » (remise en état de peinture ou du matériel dégradé, etc.), et le signalement systématique de tous les incidents dans un registre, dont une synthèse annuelle doit être présentée au conseil d’administration. L’ensemble du plan et ses détails devaient être dévoilés mi-décembre, notamment le volet concernant une présence policière dans les établissements scolaires. La crise des Gilets Jaunes et les manifestations lycéennes ont poussé le Gouvernement à retarder cette présentation, attendue désormais dans les prochaines semaines.

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itw-404---chercheur-violencINTERVIEW

Eric Debarbieux, expert en Sciences de l’Éducation, ancien Délégué ministériel à la prévention de la violence scolaire

L’affaire de Créteil a choqué le pays…

C’est parce que ces faits sont extraordinairement rares en France. Dans mes enquêtes, le risque d’être menacé par une arme à feu touche moins de 0,2 % des personnels. Je ne veux pas minimiser ce qui s’est passé : ce sont des situations graves. Le problème, c’est qu’on se laisse toujours fasciner par les faits exceptionnels, pour appeler à des solutions exceptionnelles.

 

Vous avez mené de nombreuses études sur le sujet. Peut-on parler de degré jamais atteint ?

On me pose la même question depuis 30 ans ! Chiffres en mains, je vous le dis : la violence a pris de nouvelles formes avec les réseaux sociaux, mais elle n’explose pas. Depuis 1991, je mène des enquêtes de victimation, qui sont les plus sérieuses pour connaître la structure de la violence à l’école. Le ministère en réalise également. Toutes montrent la même chose : il n’y a pas d’augmentation de la violence. On tourne chaque année autour de 80 000 signalements. Cela peut sembler beaucoup, mais c’est peu, dans un système avec 12 millions d’élèves et plus d’1 million d’adultes !

 

La violence existe également entre élèves…

Elle se constitue plutôt de petits faits, notamment des violences verbales. On voit aussi des violences physiques entre élèves, bagarres, bousculades intentionnelles, des violences d’appropriation – environ 1500 cas de racket sont signalés par an. Il ne faut pas oublier les violences indirectes : la mise à l’écart, l’ostracisme. L’important est de croiser ces faits signalés et les enquêtes de victimation, car tout n’est pas connu par l’administration.

 

On parle de plus en plus du harcèlement…

Les campagnes de prévention commencent à porter leurs fruits. Les chiffres sont en légère baisse : à l’école primaire et au collège, à peu près 6 % des élèves sont victimes d’un harcèlement sévère, contre un peu moins de 2 % au lycée.

 

Est-ce le miroir d’une société violente ?

Des facteurs externes expliquent bien sûr une partie de la violence. Les écoles ne sont pas à l’écart des bruits du monde. Mais il faut lier victimation et climat scolaire. La quasi-totalité des faits de violence scolaires sont perpétrés par les propres élèves des établissements. Qu’on le veuille ou non, le problème est au cœur de la vie scolaire.

 

Les réseaux sociaux semblent aggraver le problème…

Ils n’augmentent pas les violences, mais offrent de nouvelles manières d’être violent. Certains comportements sont probablement amplifiés par les réseaux, la possibilité pour un événement de devenir viral. Dans les affaires comme Créteil se pose le problème de la cyberdiffusion. On cherche à se faire voir. Il faut donc faire attention à la vidéosurveillance. Plus vous avez des caméras, plus vous donnez l’occasion et l’envie d’être vu.

 

Le ministère dévoilera en janvier des mesures… L’un des enjeux, c’est la présence de la police au sein des établissements.

Je ne crois pas à la logique du plan généraliste, qui plaque la même réponse à tout le monde. Chaque établissement a ses particularités. Il faut du cousu main, au plus près possible du terrain. Le réflexe est toujours le même : restaurer l’autorité avec un rapprochement Police/Justice/Éducation nationale. Je n’ai rien contre, et c’est déjà une réalité de terrain. Un chef d’établissement qui ne connaîtrait pas le commissariat du secteur ferait une grosse erreur. Mais je me pose la question pour les permanences policières. Cela supposerait un vrai travail avec le ministère de l’Intérieur, sur la définition du rôle du policier. Il y a une très forte méconnaissance de ce qu’est le travail policier, de ce que peut être une vraie police de proximité.

 

Les enseignants ne semblent pas suffisamment formés aux différentes situations de violence auxquelles ils sont confrontés…

J’ai interrogé près de 66 000 personnels. À la question « De quelle formation avez-vous besoin ? », les profs emploient cinq mots : « gestion », « crise », « conflit », « élève », « difficile ». Ces outils n’existent quasiment pas. Des gens vont passer toute leur vie à faire du travail en groupe, et ne sont pas formés à la dynamique de groupe ! On doit comprendre la gestion des conflits, la discipline positive, la psychologie de l’enfant… Et pas seulement en début de carrière. Les professeurs demandent une formation continue, concrète, pratique, pédagogique.

 

Les chefs d’établissement appellent à une stabilisation des équipes…

Quand on voit des endroits où 60 % des professeurs changent d’une année sur l’autre, comment voulez-vous faire face ? Le facteur de protection le plus efficace contre la violence, c’est la stabilité et la qualité des équipes éducatives. On a absolument besoin d’une notion de communauté, de travail commun entre les personnels. Une étude québécoise montre que les enseignants qui sont accueillis, supportés et soutenus sont beaucoup moins victimes de violences. Et c’est également le cas pour leurs élèves !

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