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Nos enfants et l’argent de poche

HD-398---argent-2Si parler de son salaire reste difficile en France, l’argent de poche n’est pas une question taboue. Mais faut-il donner de l’argent de poche à ses enfants ? Et si oui, à partir de quel âge, et combien, à quelle fréquence ? Enfin, ce geste participe-t-il à son éducation ?

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« Il ne faut pas être normatif, d’autant qu’il est délicat de recommander un montant, qui sera jugé ridiculement faible pour certains, beaucoup trop élevé pour d’autres », conseille Pascale Micoleau-Marcel, déléguée générale de l’IEFP (Institut pour l’éducation financière du public) pour qui l’argent de poche n’est « pas un gros mot ! ». « Donner de l’argent n’est jamais une obligation, l’enfant ne doit pas le considérer comme un dû », ajoute le pédopsychiatre Stéphane Clerget. Et en la matière, les habitudes varient selon les pays. Si en Europe du Nord, Allemagne, Autriche, Danemark (…) les enfants reçoivent très tôt de l’argent de poche, en Europe du Sud (Italie, Espagne) les dons se font lors d’occasions très spéciales.

En France, si les trois quarts des parents sont favorables au principe, selon une récente étude réalisée par Opinionway pour Fortuneo, près de la moitié des Français (43 %) donnent de l’argent de poche à leurs enfants. Selon cette même étude, ils octroient 47 euros par mois en moyenne. « Ce montant n’est pas significatif, car il y a une grande diversité selon l’âge de l’enfant…et ce que les parents lui demandent d’acheter avec », estime Stéphane Clerget. En effet, certains parents d’ados laissent une somme plus importante, à charge pour ces derniers d’acheter vêtements et fournitures, par exemple.

 

A chaque âge son argent de poche

Donner ou non est une question propre à chaque famille, qui dépend de ses principes éducatifs, de ses moyens… et de l’âge de l’enfant. « Il est intéressant de commencer quand l’enfant commence à compter. A partir de 4 ans, il peut avoir son petit porte-monnaie. Cela lui apprend à comprendre cet outil d’échange et les mécanismes d’achat. C’est de l’initiation à la gestion de budget », conseille le psychiatre. Pour la déléguée générale de l’IEFP, on peut attendre : « avant 7-8 ans, l’enfant aime autant faire du troc, une carte Pokemon contre une bille. Mais après, l’argent peut lui montrer le caractère universel de cette monnaie d’échange et lui apprendre à gérer un petit pécule ».

Dans la pratique, le passage au collège est souvent un moment-clé. Nolwenn a commencé à donner 2 euros par semaine à son fils Arthur à son entrée en 6e. « Pour plus d’équité, j’ai décidé de donner aussi 1 euro à sa sœur, même si elle n’est qu’en CE1 », témoigne-t-elle. En effet, tout dépend de l’âge de l’enfant dans la fratrie : « si l’aîné en perçoit à 12 ans, il est fréquent que les cadets en aient plus tôt », confirme Pascale Micoleau-Marcel, qui ajoute que l’on peut très bien vivre sans argent de poche !

Cécile Bressac, 18 ans, en est un exemple : « Je n’en ai jamais eu, ni aucun de mes frères et sœurs. Si je voulais m’acheter le moindre bonbon, je devais demander à mes parents. Mais cela m’a appris à exprimer ce que je désirais, et à discerner ce qui est important. » Depuis son entrée dans la vie étudiante, Cécile a la gestion d’un budget de 90 euros pour ses frais de vêtements et nourriture, le logement étant réglé par ses parents. « Ne pas avoir d’argent de poche m’a appris à économiser, petite, les pièces de la petite souris, puis l’argent perçu aux anniversaires, à Noël, puis via le babysitting. Ce que j’ai comme argent est à mes yeux très précieux ! ». Si Cécile est plutôt « fourmi », son frère aîné, qui avait les mêmes droits et devoirs, s’est révélé si dépensier que ses parents ont dû intervenir. La preuve par l’exemple qu’il est complexe de faire un lien direct entre le don d’argent de poche et la capacité à gérer un budget une fois adulte. « Nous ne disposons pas d’études scientifiques établissant les vertus pédagogiques de cet argent de poche », regrette d’ailleurs Pascale Micoleau-Marcel.

 

HD-398---argent-1Des cigales et des fourmis

« L’argent fait partie de la vie, il est important d’informer ses enfants. Tout le monde a un rapport particulier à l’argent, parfois pathologique : certains adultes sont surendettés, d’autres incapables de réaliser un achat plaisir. L’argent de poche doit permettre de prévenir ces travers et d’initier l’enfant à la gestion d’un budget… avec chacun ses principes », rappelle Stéphane Clerget, pour qui il n’y a aucune vérité éducative en la matière. « Il y a des cigales et des fourmis. Un entre deux sera de bon aloi : les inviter à mettre de côté, mais aussi à savoir dépenser lorsque la somme suffit à se faire plaisir ». Arthur est ainsi parvenu à mettre de côté pour s’acheter la boîte de Lego tant convoitée, même si sa mère avoue : « S’il lui manque un peu, je complète car il a déjà fait un bel effort ».

Que l’on choisisse d’échelonner les versements, par semaine comme Nolwenn, ou mensuellement, il faut être régulier et clair sur cette fréquence et le montant. Puis assortir ce don de recommandations : « Le principe est que l’enfant peut s’acheter librement le superflu, les parents achetant vêtements et fournitures, exceptés les ados à qui on peut déléguer certains achats, en le leur expliquant. Puis fixez des limites : il peut s’acheter ce qu’il veut sauf les produits interdits voire dangereux comme les cigarettes, pour d’autres les bonbons », conseille Stéphane Clerget. Une fois la somme fixée, adaptée aux besoins et à l’âge de l’enfant, pas question de rallonge ou d’avance et aucune place au chantage. Et en cas de manquement aux règles, n’hésitez pas à le supprimer. « Cela peut être une punition, au même titre qu’on prive d’écrans. Par contre il faut lui laisser la liberté de les dépenser et ne jamais lui reprendre : donner, c’est donner, reprendre c’est voler ! », conclut-il.

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ZOOM

Vers l’indépendance financière : premiers comptes et carte bancaires

« Aucun intérêt avant l’âge de 12 ans de posséder une carte bancaire : il faut rester dans le concret des pièces et des billets », conseille Stéphane Clerget. Mais lorsque l’enfant devient adolescent, ses besoins changent et il est peut être judicieux d’ouvrir un livret Jeune. Ce produit d’épargne, accessible à partir de 12 ans, que la plupart des banques couplent avec une carte de retrait, peut être utilisé comme un premier compte, rémunéré, dans la limite de 1 600 euros. A l’âge du lycée, dès 16 ans, on peut envisager l’ouverture d’un compte courant au nom du jeune, sur lequel il est facile de garder la main tant qu’il n’est pas majeur. Vous aurez toujours le choix entre une simple carte de retrait ou une carte de paiement. Les banques rivalisent d’ingéniosité pour proposer à la fois des solutions sécurisantes, à frais réduits (voire gratuites comme Freasy du Crédit agricole) tout en étant attractives pour les jeunes : réductions au cinéma, matches sportifs… De son côté, la Société générale propose une carte de retrait qui se bloque dès lors que le solde devient débiteur. Rassurant pour les parents !

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398-ARGENt-pascale-LDINTERVIEW

Pascale Micoleau-Marcel, déléguée générale de l’Institut pour l’éducation financière du public (IEFP). Cette association d’intérêt général mène des actions pédagogiques afin de favoriser et promouvoir la culture financière des Français, avec un espace dédié aux enfants sur le site internet www.lafinancepourtous.com.

Quels sont les impacts de l’argent de poche pour l’enfant ?

Il faut distinguer ce que l’on entend par « argent de poche » : est-ce pour s’acheter des bonbons, ou pour déléguer à l’enfant l’achat de ses fournitures, vêtements… Alors cela devient un outil pour gérer son budget. L’enfant va davantage mettre de côté pour s’acheter le bien convoité. Cela lui apprend la notion d’épargne, de temps, cela le fait sortir du principe d’immédiateté pour s’inscrire dans la durée. Cela lui permet de mesurer que les choses ont un prix. Même lorsqu’on a peu de moyens, on peut extraire une partie de ses achats habituels afin de lui en déléguer une partie. Mais avec les bonnes recommandations bien sûr ! Si l’enfant n’a toujours pas acheté les crayons demandés vous lui en donnerez moins. Mais cela lui permet d’apprendre à compter et à attendre pour acheter ce qu’il a convoité.

 

Doit-on associer cet argent de poche à de bons résultats scolaires, une tâche familiale bien faite ?

Attention c’est pour lui qu’il travaille avant tout. De même il est préférable que l’enfant aide naturellement dans sa famille car il vit dans une communauté, pour de menues tâches comme mettre le couvert… Sinon le risque est qu’il ne fasse plus rien gratuitement, ce qui n’est pas le bon message à faire passer ! Par contre il peut y avoir un mix entre argent de poche et des « extras » comme nettoyer à fond sa chambre ou encore s’il a eu un excellent bulletin sur le trimestre ou une année. Il ne faut pas que ce soit une carotte, mais ça peut être une récompense. C’est toute la nuance !

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A SAVOIR

Prolonger la réflexion en lectures…

« Lili veut de l’argent de poche », de Dominique de Saint Mars et Serge Bloch, éditions Calligram.

« Comment obtenir ce que tu veux (ou presque) de tes parents », de Stéphane Clerget, éditions Limonade.

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