EDUCATION

L’instruction en famille, une alternative à l’école

HD-397---ecole-maison-3-sipCertains enfants ne vont pas l’école, tout simplement parce qu’eux-mêmes et leur famille ont fait ce choix. L’apprentissage se base alors sur des expériences de la vie quotidienne, une large place étant accordée à l’autonomie de l’enfant. Pour autant, chaque enfant déscolarisé doit se soumettre tous les ans à un contrôle de l’Education nationale.

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Oyan, 12 ans, remplit un verre doseur de farine. Il doit transformer une recette pour 6 personnes en recette pour 4. Quelle sera alors la bonne quantité de farine à verser ? La préparation du gâteau est l’occasion pour lui d’apprendre le principe des proportions. Ce sera son seul et unique « cours » de mathématiques de la semaine. Oyan ne va pas à l’école. Ses parents ont choisi dès son plus jeune âge de ne pas le scolariser et de favoriser l’instruction en famille. « Comme la plupart des enfants, Oyan est allé à l’école maternelle. Mais dès la moyenne section, avec son accord, nous avons choisi de le retirer de l’école qui ne respecte pas les rythmes individuels de chaque enfant. Ce n’est pas parce qu’ils ont le même âge qu’ils veulent forcément apprendre la même chose, justifie Gwenaële Spenlé, sa maman, membre de l’association Les Enfants d’abord. Encore assez discrète dans le paysage de l’éducation en France, l’instruction en famille compte de plus en plus d’adeptes. Ce qui pousse les familles à sauter le pas ? Les classes surchargées, l’enseignement de masse, l’éducation formatée sont les réponses les plus fréquentes.

Contrairement aux idées reçues, la scolarisation n’est pas obligatoire. En revanche, il y a une obligation d’instruction pour tout enfant âgé de 6 à 16 ans. Cet apprentissage n’a donc pas forcément besoin de se dérouler à l’école. Il peut être dispensé par la famille ou toute autre personne de son choix. De même, aucun diplôme n’est requis pour instruire l’enfant.

 

Une procédure à respecter

Toutefois, les familles qui choisissent de déscolariser leurs enfants doivent respecter une certaine procédure. Avant chaque rentrée scolaire, elles doivent déclarer au maire de leur commune et à leur académie que l’instruction sera donnée dans la famille. Elles n’ont pas à fournir les motifs de leur décision, mais si elles ne transmettent pas cette déclaration, elles s’exposent à une amende de 1 500 euros.

La déclaration enregistrée, le maire mène une enquête sur l’enfant instruit dans sa famille, dès la première année. Cette enquête est renouvelée tous les deux ans, jusqu’aux 16 ans de l’enfant.

Le contrôle pédagogique, lui, est assuré une fois par an par un inspecteur académique qui vérifie que l’enfant reçoit bien une instruction et acquiert des connaissances. Il s’assure de la progression de l’enfant, de sorte qu’il soit capable de maîtriser l’ensemble des exigences du socle commun à ses 16 ans. La famille ne peut pas s’opposer à ce contrôle pédagogique, au risque d’être signalée auprès du procureur de la République. Mais libre à elle de choisir les moyens et les méthodes pour atteindre le niveau requis. « A chaque visite de l’inspecteur, mes enfants n’ont pas à remplir des feuilles d’exercices. Ils montrent par eux-mêmes ce qu’ils ont fait durant un an, partagent leurs expériences, soulignent les sujets qu’ils ont appréciés, etc. » décrit Alix Delehelle, membre de l’association LAIA et maman de deux enfants déscolarisés. Justement, en quoi consiste l’apprentissage de l’instruction en famille ?

 

HD-397---ecole-maison-1Des connaissances acquises en totale liberté

A chaque famille sa méthode. Certaines ont recours à des cours par correspondance, utilisent des manuels et organisent des séances régulières de travail. D’autres s’inspirent des pédagogies alternatives. Par exemple, pour enseigner la lecture à sa fille, Alix Delehelle a opté pour la méthode des Alphas, qui propose une approche ludo-éducative grâce à de petits personnages.

D’autres familles encore préfèrent laisser l’enfant aller vers les sujets qui l’intéressent et se contentent de répondre à sa curiosité. « Je n’aime pas le terme “école à la maison” car justement nous ne faisons pas l’école. Il n’y a pas de cours imposés. Nous apportons à nos enfants un environnement stimulant et riche, et nous essayons d’être le plus disponible possible pour leurs questions. Ils apprennent ce qu’ils veulent, comme ils veulent, quand ils veulent », commente Gwenaële Spenlé. Une absence de planning et une approche très libre auxquelles adhère également Alix Delehelle : « Les enfants apprennent beaucoup par eux-mêmes. Ils développent leur curiosité et deviennent vite autonomes. De plus, s’ils aiment un sujet, ils ont du temps pour l’approfondir », affirme-t-elle.

 

Transformer l’enseignement en jeux

Ainsi, pour la plupart des familles qui ont choisi l’instruction à la maison, nul besoin de cours classiques pour que l’enfant apprenne les bonnes choses. Dans le cas d’Oyan, les séances de cuisine sont ainsi l’occasion de travailler les mathématiques. « Nous ne faisons du formel que si notre fils le demande. En tout, nous avons dû lui enseigner à peine une vingtaine d’heures de mathématiques de toute sa vie, précise sa mère. Les bases des mathématiques sont dans la vie courante. Aussi, il est facile de transformer l’enseignement en jeux : les enfants retiennent beaucoup mieux. »

Pour les autres enseignements, comme l’histoire, la géographie ou l’art, ces familles multiplient les visites culturelles. Et quand au collège le niveau se corse, les enfants ont gagné suffisamment en autonomie pour développer leur propre apprentissage. Ils savent chercher l’information par eux-mêmes et multiplier les sources. Solliciter l’aide d’amis des parents pour apprendre l’anglais, faire des recherches sur internet ou à la bibliothèque, lire beaucoup, voyager avec leurs parents… Tout est prétexte à apprendre. Pour ceux qui préfèrent des cours plus « formels », certaines académies laissent des outils pédagogiques en libre accès. Les associations qui défendent l’instruction en famille regorgent aussi de méthodes et de conseils pour aider les enfants.

 

Mettre fin aux a priori

Dans le cadre d’une instruction en famille, le réseau a beaucoup d’importance. Avant tout, il permet aux familles d’entrer en contact les unes avec les autres pour favoriser la socialisation des enfants d’une part, voire celle des parents d’autre part, car souvent le père ou la mère doivent arrêter de travailler. Les relais régionaux des associations organisent aussi toutes les activités extrascolaires : sport, musique, dessin, etc.

Les associations permettent également de se tenir au courant des évolutions réglementaires et de s’apporter un soutien mutuel. « Nous souffrons beaucoup des a priori de l’Education nationale ou des autres familles. Il faut savoir que l’instruction à la maison existe et que ce n’est pas contre la loi, partage Alix Delehelle. Et il faut aussi démystifier notre approche : non, l’avenir de l’enfant n’est pas compromis. Il s’agit juste d’une autre manière d’enseigner. »

 

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ETAT DES LIEUX

Chiffres-clés

  • En 2014-2015, 24 878 enfants étaient scolarisés à domicile (soit 0,3% des enfants soumis à l’obligation d’instruction). Ils étaient 18 818 en 2010-2011 (soit 0,22 %) et 13 547 en 2007-2008 (soit 0,16 %).
  • En 2014-2015, 34,3 % des enfants déscolarisés sont âgés de 6 à 10 ans, 65,7 % de 11 à 16 ans.

Source : Ministère de l’Education nationale, juin 2016.

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INTERVIEW

Olivier Deshayes, inspecteur d’académie – inspecteur pédagogique régional à Besançon, chargé du contrôle de l’instruction à domicile

Quel est le suivi de ces enfants instruits à la maison ? Doivent-ils participer à des examens, des contrôles ?

Le suivi consiste en un contrôle tous les ans par des inspecteurs de l’Éducation nationale. Il n’existe pas d’examens obligatoires : le diplôme national du Brevet et le baccalauréat peuvent être passés, ou non.

En revanche, les élèves instruits dans la famille qui désirent entrer en seconde générale et technologique doivent passer un examen (organisé par les DSDEN). Cet examen permet de vérifier s’ils ont acquis le niveau requis du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Cet examen porte sur deux disciplines seulement : les mathématiques et le français.

 

Comment “vérifier” leurs connaissances acquises ?

La vérification porte sur les connaissances et les compétences suivant la progression définie en fonction de la méthode pédagogique retenue par les parents ou les éducateurs. L’important est que l’élève, à ses 16 ans, ait maîtrisé l’ensemble des exigences du socle commun.

 

Dans quels cas choisir de rescolariser l’élève ?

Il y a deux possibilités. La première : ce choix de rescolarisation dépend de facteurs inhérents aux éducateurs. Le manque de socialisation, la perte de repères sociaux peuvent amener les parents à rescolariser leurs enfants.

La seconde : du point de vue de l’Education nationale, s’il est constaté que la progression mise en œuvre ne peut pas faire acquérir aux élèves le socle commun, il est dans un premier temps demandé aux parents de revoir leur approche pédagogique en vue de cette acquisition. Après un second contrôle non satisfaisant, l’inspecteur académique peut demander la rescolarisation de l’enfant.

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TEMOIGNAGE

« Nous sommes sur de l’individuel : les enfants progressent mieux ! »

Ancienne enseignante dans le Loir-et-Cher, Samara n’avait jamais eu de mauvais a priori concernant l’école. Au contraire, elle y était très attachée. Ses filles aînées ont d’ailleurs poursuivi une scolarité « classique ». Mais pour ses deux derniers enfants, tout s’est passé différemment. Lou, 13 ans et Alizée, 11 ans, n’ont connu que respectivement 2 ans et demi et 5 mois d’école. Ils étaient alors en école maternelle, mais Alizée, en petite section a développé une véritable phobie de l’école. Samara choisit alors de déscolariser ses deux jeunes enfants et de leur donner des cours à la maison. « Je me suis mise en disponibilité pour pouvoir enseigner à mes enfants. Mais j’avais peur : d’une part de cette image de moi-même seule, face à mes enfants durant de longs tête-à-tête, et d’autre part, qu’ils s’ennuient et se sentent isolés. Je n’avais pas envisagé l’instruction en famille sur le long terme » explique Samara. Au final, huit années se sont écoulées et Samara apprécie son choix. « Pour les enseignements type mathématiques ou français, je me suis rendue compte que quatre ou cinq heures de cours par semaine suffisent pour acquérir le même niveau qu’en classe, qui, lui, demande plusieurs semaines d’apprentissage. Nous sommes sur de l’individuel : les enfants progressent mieux. Dans les classes surchargées, il y a beaucoup de perte de temps. »

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ZOOM

Plus de contrôles à l’avenir ?

En juin 2016, l’ancienne ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, avait annoncé un renforcement des contrôles de connaissances des enfants déscolarisés, avec la mise en place de paliers d’apprentissage. Les familles se verraient alors imposer des programmes scolaires à suivre à la lettre. Mais ces dispositions, inscrites dans un article de la loi « égalité et citoyenneté », dernière grande loi du quinquennat de François Hollande, ont été censurées par le Conseil constitutionnel le 26 janvier dernier – idem pour l’interdiction de la fessée.

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