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« Jamais sans mon portable ! »

HD-397---portable-1Dès l’âge de 11 ans en moyenne, les parents équipent leur enfant d’un téléphone portable. S’il constitue un lien rassurant pour la famille, l’ado y découvre de nombreux usages… dont certaines dérives sont prouvées. Conseils pour une utilisation sans danger.

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Le premier téléphone portable est gage d’autonomie pour l’adolescent. En entrant au collège, l’enfant rentrera seul le soir à la maison, et les parents inquiets se décident souvent à lui offrir son premier portable. « Ma fille Thalia prenant le bus seule, c’est pour des raisons de logistique et de sécurité, que je lui ai acheté un téléphone, ça m’a rassurée », confirme Fanny. C’est pourquoi 11 ans est l’âge moyen de l’apparition de cet objet dans la vie de nos enfants, qui n’est pas sans conséquence. S’il constitue un lien sécurisant entre l’ado et ses parents, face aux offres alléchantes des opérateurs, le portable basique devient vite un smartphone aux options innombrables. « Le souci est de laisser un mini-ordinateur à son enfant avec peu de contrôle parental, contrairement aux ordinateurs et tablettes où les parents sont plus vigilants », met en garde Stéphane Clerget, pédopsychiatre, qui conseille d’offrir un téléphone classique pour éviter que cet objet ne passe au statut de doudou.

 

Un objet magique ?

« Comme un objet magique, il vient remplacer le journal intime, le walkman, la télé, l’appareil photo… et les ados en exploitent tous les gadgets en l’emportant jusque sur l’oreiller, alors que l’effet parasite sur leur concentration et leur sommeil est prouvé : ils dorment moins et moins bien », ajoute le pédopsychiatre. Et ces impacts néfastes ne sont pas les seuls, médecins et professionnels ayant alerté dans une tribune au Monde sur les graves troubles du comportement et de l’attention observés de plus en plus chez les petits, face à tous types d’écrans : tablette, console mais aussi smartphone… Les études de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) ont également associé « un usage intensif du portable par des jeunes et une santé mentale affectée », qui pourrait se traduire par des comportements à risques, de la dépression ou des idées suicidaires.

« Le téléphone mobile reste la source majeure d’exposition aux radiofréquences, c’est la plus intense, rappelle Olivier Merckel, chef de l’évaluation du risque lié aux nouvelles technologies à l’Anses. Les enfants sont plus exposés que les adultes du fait de leurs différences morphologiques et anatomiques ». Au niveau du cerveau, en particulier, certaines zones, encore en transformation, sont plus sensibles aux ondes. « Requérant une attention permanente pour répondre à la moindre image envoyée, c’est très fatigant pour le cerveau, d’où un déficit d’attention », confirme Stéphane Clerget, qui incite les parents à la vigilance.

Soucieuse de ces dangers, Laëticia, mère de 3 enfants dont l’aînée Lou-Ann est entrée au collège, a fini par équiper sa fille après quelques mois de résistance : « J’y ai trouvé des avantages pour l’organisation familiale, mais nous avons fixé des règles pour qu’elle le dépose en rentrant du collège et qu’elle ne l’ait jamais près de son lit ». Or, les adolescents aimant déroger aux règles, il est parfois difficile de gérer cet intrus dans le cercle familial. « J’ai rapidement vu l’effet portable : elle était tout le temps rivée dessus, et cela a provoqué de violentes disputes et pleurs entre copines suite à des SMS envoyés, des gossips (ragots). J’ai dû le confisquer ».

L’effet addictif est aussi fort qu’auprès des adultes, pour qui le téléphone devient une « 3e main », ce qui contribue à un véritable paradoxe selon Stéphane Clerget : « les parents se plaignent des effets du portable mais sont eux-mêmes fascinés par cet objet et solidaires avec leur ado. Ils l’offrent en trouvant génial ce que leurs enfants font avec… alors que c’est moins compliqué d’utiliser un ipad que de faire un dessin avec crayon ! ». Résultat, dans les foyers, la gestion du téléphone devient une bagarre quotidienne dont le dernier levier reste la confiscation. « Mes deux filles l’emmèneraient même à table si je ne l’avais pas interdit ! », témoigne Fanny, qui a dû s’interposer sur un des réseaux sociaux utilisés par ses filles suite à des échanges insultants.

 

HD-397---portable-2Réseaux sociaux

Car les adolescents utilisent peu leur téléphone… pour téléphoner : 5 % de leurs communications ! Ils préfèrent communiquer via des applications comme Snapchat, WhatsApp, et passent leur vie sur les réseaux sociaux pour garder un lien continu avec leurs amis. « Il faut être clair sur les temps d’utilisation, expliquer à son enfant tous les risques, comme avec l’ordinateur. Et si ces règles ne sont pas respectées, ne pas hésiter à le confisquer », ajoute Stéphane Clerget, qui a déjà accompagné des parents pour qu’ils trouvent « la force de sevrer leur ado ». Bien sûr, tout dépend de l’attitude adoptée: « il faut observer les temps passés, en interdire l’usage la nuit et vérifier que cela n’affecte pas leurs résultats scolaires ».

Si leur usage est interdit dans l’enceinte des collèges, les parents doivent surveiller que leurs ados ne l’allument pas pendant leurs devoirs, sous peine d’être déconcentré à chaque message. « Il faut ré-ancrer les ados dans le réel. Et nourrir au maximum le quotidien familial, provoquer les moments d’échange à travers des activités artistiques sportives ou ludiques ! », conclut-il.

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ETAT DES LIEUX

Chiffres-clés

  • 93 % des 12-17 ans sont équipés d’un téléphone portable et le plus souvent d’un smartphone
  • 11 ans est l’âge moyen où les enfants se voient offrir un téléphone portable
  • Les collégiens envoient en moyenne 2 500 SMS chaque mois 20 % des communications des adultes sont vocales, contre 5 % chez les 12-15 ans

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397--DrClergetCONSEILS

Stéphane Clerget, psychiatre et pédopsychiatre, est spécialiste de l’adolescence, auteur de nombreux ouvrages dont « Adolescents, la crise nécessaire », publié chez Fayard.

« Les adolescents deviennent dépendants de leur téléphone notamment pour son aspect rassurant. Avoir l’impression d’être toujours en contact calme l’angoisse de la solitude et remplace le doudou. Ce n’est pas un hasard qu’à l’adolescence se produise cette régression : le téléphone lui permet, comme plus jeune lors de la séparation des parents, d’avoir l’impression de pas être seul et de pouvoir être sauvé à tout moment de tout danger réel ou imaginaire ! Cela permet aussi d’éviter de se confronter à ses pensées, qui à cet âge peuvent être sexuelles, agressives et mettre mal à l’aise. En fixant le téléphone il se sent protégé, ce qui explique qu’il reste face à l’écran plutôt que de parler. Car les ados téléphonent assez peu, et ne sont d’ailleurs pas plus joignables ! Les garçons sont sur des vidéos, les filles sur les réseaux sociaux, leur mode de communication étant l’envoi de photos, selfies et SMS. Il faut leur expliquer qu’il est plus intéressant d’être dans la relation directe, et de peaufiner leur image dans la vraie vie, en les inscrivant à des activités réelles. L’adulte entretient l’impression que son enfant entre dans la modernité, où le téléphone s’apparente à la pierre philosophale, comme si tout le savoir y était contenu. C’est encore une illusion à ne pas entretenir, il y a tant de moyens différents pour s’informer et se cultiver ! »

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