EDUCATION

La réforme de la grammaire sur les rails

HD-396---grammaire-AFP-2Parmi les nouveautés des programmes de primaire entrés en vigueur à la rentrée 2016, l’enseignement du prédicat est celui qui a fait le plus parler de lui. Malgré tout, plusieurs mois après la polémique, il s’impose dans les écoles.

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Il y a des mots qui restent en travers de la gorge. « Prédicat » est de ceux-là. Au moment où les nouveaux programmes de primaire étaient rendus publics, l’enseignement de cette nouvelle notion a créé la polémique. En l’espace de quelques jours, le sujet a divisé enseignants, linguistes, élus, parents et experts de l’éducation. Inconnue de la plupart des Français, la notion de prédicat est maîtrisée depuis longtemps par les linguistes. Elle désigne la partie de la phrase décrivant ce que fait le sujet. Dans la phrase « Le chat boit du lait », « le chat » est le sujet et « boit du lait » le prédicat. Jusque-là, les élèves apprenaient en CM1 ou CM2 à repérer les compléments d’objet direct et indirect. Désormais, ils aborderont le prédicat. Pour autant, COD et COI ne disparaissent pas. Leur apprentissage a été repoussé en classe de 5e.

Ce changement pourrait paraître anodin. Il a pourtant été à l’origine d’une levée de boucliers. Beaucoup de professionnels ont vu dans ce nouvel apprentissage un moyen d’alourdir un peu plus des programmes déjà bien chargés et de complexifier encore l’apprentissage de la grammaire française. D’autres ont vu au contraire dans le fait de remplacer les compléments d’objet par le prédicat un appauvrissement de l’apprentissage de la langue française.

 

Le CSP monte au créneau

Face à cette bronca, le Conseil supérieur des programmes a dû réagir. Dans un communiqué, l’instance chargée de concocter les nouveaux programmes d’enseignement précise avoir juste souhaité, par ce biais, « faire percevoir la langue comme un système cohérent dont il faut maîtriser le fonctionnement pour accéder à la compréhension » et invite à « relativiser l’importance d’un grand nombre de termes trop techniques ». Pour le CSP, le prédicat « remplit un vide en donnant les moyens d’analyser les énoncés de formes très différentes et en incitant à s’intéresser à leur sens ».

L’association des sciences du langage (ASL) va aussi dans ce sens. « Cette notion est utile pour la compréhension par les élèves du fonctionnement grammatical de leur langue », justifie son président Alain Rabatel, car elle « offre un cadre intégrateur permettant de le distinguer des autres grands groupes fonctionnels de la phrase puis, dans une phase ultérieure, de procéder à l’analyse plus détaillée de leurs composants ». L’ASL souligne par ailleurs que le Canada a introduit le prédicat dans ses programmes « sans que cela n’ait produit les effets catastrophiques annoncés par d’aucuns ». Une majorité de linguistes aussi a pris fait et cause pour le prédicat. Selon eux, la notion de complément d’objet est trop compliquée à appréhender par des élèves de primaire. Plus simple à cerner, le prédicat facilite la compréhension des textes en les abordant de manière plus globale et non comme des jeux de construction composés de pièces qui s’imbriquent les unes avec les autres.

 

Des enseignants divisés

Parmi les enseignants de primaire aussi, il y a les « pro » et les « anti » prédicat. Sur un site d’actualité éducative*, Delphine, enseignante en primaire, affirme que l’apprentissage du prédicat ne pose pas de problème particulier. « Je l’enseigne à mes CM2 depuis quelque temps sans aucun souci. Le prédicat n’est pas plus impressionnant pour les élèves que le complément circonstanciel ou le déterminant démonstratif. C’est un mot nouveau comme tant d’autres. Je demande à mes élèves d’isoler le sujet de la phrase puis les compléments de phrase (c’est-à-dire les groupes que l’on peut déplacer et supprimer) et tout le reste, c’est le prédicat. En une séance, mes élèves avaient compris. En deux semaines, c’était solide pour tous », conclut Delphine.

Son collègue, Benoît Wautelet, voit lui le prédicat comme un « marche-pied grammatical » qui permet de « compléter une démarche d’analyse ». « Dorénavant, on commence par décomposer la phrase en 2 ou 3 parties (sujet, prédicat et éventuellement complément de phrase) puis on se lance dans l’analyse des fonctions de chacune de ces parties. »

D’autres enseignants sont plus circonspects, à l’image de Pierre Jacolino. « Le prédicat n’est pas si simple à repérer, alerte-t-il. Dans la phrase, « Longtemps, je me suis couché tôt », le mot « longtemps » fait partie intégrante du prédicat car si on le retire, on change complètement le sens de la phrase. Le risque, c’est que les enseignants de primaire se limitent à l’étude de phrases basiques qui n’aideront les élèves ni à lire, ni à écrire, ni à penser ».

 

HD-396---grammaire-afp-3Des parents désorientés

Depuis, la polémique est passée et les tensions se sont apaisées. Mais sur le terrain, la notion de prédicat n’a pas encore atteint tous les élèves de cycle 3. Si de nombreux enseignants de primaire l’ont intégrée à leur enseignement sans que cela ne pose de problème particulier, tous ne l’ont pas fait, parfois par conviction mais le plus souvent par méconnaissance ou par manque de formation. Car, parmi les enseignants, rares sont ceux qui maîtrisent cette notion et la manière de l’enseigner aux élèves. Les manuels ne l’abordent pas encore. Quelques vidéos à visée pédagogique existent bien sur Internet, mais elles sont peu nombreuses et pas toujours mises en avant. Quant à la formation initiale et continue, il faudra plusieurs années pour qu’elle atteigne tous les enseignants.

Mais si le prédicat soulève autant de passions, c’est peut-être surtout parce qu’il remet en cause des décennies d’apprentissage et qu’il déboussole une bonne partie des parents. Alors que jusque-là ils pouvaient venir en aide à leur enfant pour repérer le COD ou le COI et accorder le participe passé ; avec le prédicat, c’est plus compliqué. Ils se retrouvent ainsi privés d’une partie de leurs prérogatives. Le changement est d’autant plus important que le prédicat n’est pas le seul changement institué par la réforme. Celle-ci prévoit aussi l’abandon des termes « compléments circonstanciels » de temps ou de lieu, pour les regrouper sous l’appellation unique de « complément de phrase ».

 

Un niveau en baisse

Il est encore trop tôt pour dire quel sera l’impact réel de cette nouvelle réforme sur la maîtrise par les élèves de la grammaire. Mais une chose est sûre : il y a urgence à changer les choses. Selon la dernière enquête « Les performances en orthographe des élèves en fin d’école primaire » menée par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) de l’Education nationale (note d’information n° 28 de novembre 2016), le niveau des élèves a encore baissé ces dernières années. Sur la même dictée d’une dizaine de lignes, les élèves de CM2 font en moyenne 17,8 fautes en 2015, contre 14,3 en 2007 et 10,6 en 1987. Au-delà de leur nombre, l’enquête montre que les fautes qui ont le plus augmenté sont les fautes grammaticales. En 2015, seuls 55 % des élèves interrogés ont bien accordé un verbe simple à l’imparfait. Ils étaient 87 % en 1987. Et seul un quart des élèves a mis un « s » à la fin du mot « inquiets » au pluriel. Ils étaient 47 % à l’avoir bien orthographié en 1987. L’accord du participe passé aussi pose plus de difficultés qu’avant : 65 % ont eu des difficultés pour accorder le participe passé, contre seulement 40 % en 1987.

 

Note * : Vousnousils.fr.

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A SAVOIR

Comment trouver le prédicat ?

Vous êtes parent d’un enfant de cycle 3 et vous voulez aider votre enfant à trouver le prédicat ? C’est possible. Il vous suffit de lui poser deux questions. Dans un premier temps, faites-lui trouver le sujet en lui demandant « De quoi parle la phrase ? ». Une fois cette première étape réussie, posez-lui la question suivante : « Qu’est-ce qu’on en dit ? ». Tout ce qui décrit l’action du sujet constitue le prédicat.

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itw-396-grammaireSylvie-PlaPOINTS DE VUE

Sylvie Plane, vice-présidente du Conseil supérieur des programmes (CSP)

« Les anciens programmes portaient la trace d’une époque où la majorité des enfants n’accédaient pas au second degré. Toute la grammaire devait alors être enseignée en primaire, avant de recommencer au collège en insistant sur les détails. Notre ambition est de faire en sorte que la grammaire ne soit plus vue comme un objet autonome qu’il faut apprendre à tout prix, mais qu’elle permette aux élèves de maîtriser les fondamentaux. C’est la raison pour laquelle nous avons mis l’accent sur l’apprentissage des fonctions essentielles de la phrase et sur les relations entre les mots et les groupes de mots. L’enseignement du prédicat va dans ce sens. Il doit permettre aux élèves de mieux comprendre ce qu’est une phrase au-delà du fait qu’elle commence par une majuscule et qu’elle se termine par un point.

Nous avons aussi voulu rétablir une progression logique de l’apprentissage de la grammaire en repoussant l’étude des compléments d’objet de manière à la faire coïncider avec l’étude de l’accord du participe. La polémique née de la publication de ces programmes est en grande partie à mettre en rapport avec le fort attachement patrimonial des parents à la grammaire. Mais ceux-ci peuvent être rassurés car grâce à ces nouveaux enseignements, notre langue sera plus facile à apprendre et mieux apprise ».

 

 

itw-396---Francette-PopineaFrancette Popineau, co-secrétaire générale et porte-parole du syndicat d’enseignants du primaire Snuipp

« La majorité des collègues a intégré les nouveaux programmes à leur enseignement. D’une part parce que c’est leur rôle et d’autre part parce qu’il est important que tous les enseignants de France s’appuient sur une base commune. Beaucoup trouvent d’ailleurs dans le prédicat un outil intéressant pour appréhender plus globalement la construction de la phrase avant d’aborder des notions plus complexes, comme les compléments d’objet. Les enseignants l’adaptent à leur pédagogie. Certains n’utilisent même pas le mot « prédicat », préférant parler de « groupe fort ». Mais le gros souci, c’est la faiblesse de la formation initiale et l’absence de formation continue et de supports qui obligent les enseignants à s’approprier par eux-mêmes les nouveaux programmes, sans être certains que tout ne sera pas remis en cause dans quelques mois. »

 

Marie, enseignante de primaire à Charenton-le-Pont (94)

« Dans mon école, tous les enseignants de CM (cours moyen) ont abordé le prédicat en classe, malgré leurs réticences. Les élèves comprennent plutôt bien cette notion. Le problème, c’est qu’une fois en 5e, au début du cycle 4, ils auront peu de temps pour maîtriser les COD, les COI et les compléments circonstanciels. Pour les bons élèves, ça ne posera pas de problème, mais ceux qui ont besoin de plus de temps risquent de ne pas être prêts à temps pour le brevet et de sortir du collège sans maîtriser ces notions essentielles de grammaire.

A mon sens, il aurait mieux valu aborder plus tôt ces notions et complexifier progressivement les exercices. Certains enseignants que je connais ont parlé des compléments d’objets à leurs élèves de CM, alors que cela ne figure pas dans les nouveaux programmes. En même temps, c’était difficile de faire autrement dans la mesure où leurs élèves avaient déjà étudié ces notions l’année dernière, avant la mise en place de la réforme. »

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