DOSSIER

DOSSIER : La citoyenneté au coeur de l’école

HD-396---dossier-2-afpL’école ne se contente pas de transmettre les connaissances. Elle tient aussi un rôle de premier ordre dans l’éducation des élèves à la citoyenneté. Plus que jamais, il revient aux équipes éducatives la lourde tâche de donner aux jeunes les armes pour prendre la place qu’ils méritent dans la société, les sensibiliser aux valeurs de la République, leur apprendre les règles de notre démocratie, bref, faire d’eux des citoyens à part entière. Cette mission régulièrement réaffirmée est revenue récemment sur le devant de la scène à la lumière des événements tragiques qui ont secoué la France.

Depuis 2015, jamais les initiatives en lien avec la citoyenneté n’avaient été aussi nombreuses. Aux quatre coins du pays, les équipes éducatives, en lien avec diverses associations, rivalisent d’idées pour faire prendre conscience aux jeunes générations de l’importance de respecter l’autre et pour améliorer le vivre-ensemble.

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Le 8 janvier 2015, au lendemain de l’attentat de Charlie Hebdo, tous les établissements scolaires de France organisaient une minute de silence en hommage aux victimes. Si dans la majorité des cas cette cérémonie s’est bien déroulée, dans certains établissements, des élèves n’ont pas hésité à perturber ce moment de recueillement national. Des débats en classe ont également été l’occasion pour certains jeunes d’affirmer que les journalistes et dessinateurs assassinés avaient « bien cherché » ce qui leur était arrivé. Ces événements ont poussé l’école à remettre en cause sa capacité à transmettre les valeurs de la République. Quinze jours plus tard, la ministre de l’Education nationale annonçait une série de mesures. Najat Vallaud-Belkacem promettait de renforcer la formation initiale et continue des professeurs sur l’enseignement laïque du fait religieux, instaurait une journée de la laïcité chaque 9 décembre et imposait à tous les parents d’élèves la signature d’une charte de la laïcité et des règles de civilité. La ministre annonçait également la diffusion dans les écoles d’un livret destiné à permettre aux enseignants de répondre aux questions des élèves sur la laïcité ainsi que la création de 1 000 postes d’« ambassadeurs de la laïcité » (enseignants, inspecteurs et proviseurs) pour accompagner les enseignants dans ce domaine. Surtout, la ministre s’attaquait aux contenus des programmes avec notamment la mise en place de séances obligatoires d’éducation aux médias destinées à aider les élèves à repérer les fausses informations, à affûter leur esprit critique et à se forger une opinion personnelle.

 

La mission citoyenne réaffirmée

Faire de l’élève un citoyen à part entière a toujours fait partie des missions de l’école, mais depuis une quinzaine d’années, cet objectif n’a cessé d’être réaffirmé. « Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République », stipule la loi d’orientation pour l’avenir de l’école du 23 avril 2005, toujours d’actualité. La loi de 2013 pour la refondation de l’école, quant à elle, a inséré dans le code de l’éducation un article précisant qu’ « au titre de sa mission d’éducation à la citoyenneté », l’Education nationale devait préparer les élèves à « vivre en société et à devenir des citoyens responsables et libres, conscients des principes et des règles qui fondent la démocratie » (art. L. 121-4-1.-I).

Plus que jamais les équipes éducatives ont pour mission de faire de chaque élève un citoyen à part entière, qu’il connaisse les lois qui régissent la République, appréhende le fonctionnement de notre démocratie, prenne conscience de ses droits et de ses devoirs. Elles doivent par ailleurs les sensibiliser aux notions de liberté, d’égalité, de fraternité, leur apprendre à respecter les règles et à s’interdire toute forme de discrimination.

 

HD-396---dossier-1-afpL’éducation morale et civique au cœur du dispositif

La citoyenneté s’aborde notamment pendant les cours d’Education morale et civique (EMC). Introduits par la loi de 2013 pour la Refondation de l’École, ils sont obligatoires pour tous les élèves du CP à la terminale à raison d’une heure par semaine dans le primaire et une heure tous les 15 jours dans le second degré. Justice, respect, tolérance, solidarité, égalité entre les hommes et les femmes, mais aussi lutte contre les discriminations, les notions qu’elle doit aborder sont nombreuses. Si une grande liberté pédagogique est laissée aux enseignants, l’apprentissage doit s’appuyer principalement sur la réalisation de projets (exposés, sorties, etc.). Des débats doivent par ailleurs amener les élèves à respecter le pluralisme des opinions, à réfléchir par eux-mêmes et à développer leur esprit critique.

Pour cela, les enseignants peuvent avoir recours à de nombreux supports. Les dessins animés « Vinz et Lou », par exemple, permettent d’aborder de manière ludique les thèmes du handicap, de la discrimination ou de la vie en communauté. Les Philofables s’appuient sur des textes pour faire réfléchir les enfants sur leur place dans la société et sur leurs propres comportements. Dans chaque région, les Centres de documentation pédagogique (CRDP) peuvent mettre à leur disposition expositions, jeux éducatifs et autres supports en lien avec la citoyenneté. « Organiser un débat en classe, c’est compliqué. Si certains enseignants se sentent à l’aise avec cet exercice, d’autres préfèrent renoncer de peur d’être débordés, constate Francette Popineau, porte-parole du Snuipp, le premier syndicat d’enseignants du primaire. Une formation au fait religieux et la manière de l’aborder en classe est indispensable pour tous. Malheureusement, ce n’est pas le cas ».

 

Apprentissage transversal

Mais l’enseignement de la citoyenneté ne se limite pas à l’EMC. Elle peut aussi être abordée dans les autres disciplines, dans le cadre des ateliers pluridisciplinaires (EPI au collège et TPE au lycée), pendant les 10 heures de vie de classe (HVC) annuelles prévues au collège ou à l’occasion d’ateliers. Au collège Guy Mocquet de Gennevilliers (92), les élèves ont ainsi créé une pièce de théâtre sur le thème de l’égalité entre les filles et les garçons. A l’école Gérard Philipe de Villiers-le-Bel (95), des ateliers philo ont été organisés par la psychologue scolaire. « L’idée était de montrer aux élèves que même s’ils ne sont pas bons en français, ils sont capables de penser par eux-mêmes. Cela a contribué à les valoriser », explique Nathalie Monnier-Piaud, la coordonnatrice du projet. Les élèves les plus engagés peuvent s’impliquer dans la vie de leur établissement, en devenant délégué de classe ou en se faisant nommer au Comité d’éducation à la Santé et à la citoyenneté (CESC), une instance du second degré chargée de mettre en œuvre un projet éducatif de prévention de la violence et d’éducation à la citoyenneté et à la santé. Ils peuvent même, le cas échéant, influer sur les décisions liées à la vie de leur établissement au sein du conseil de vie collégienne ou lycéenne.

 

HD-396---dossier-4-sipaDes associations en soutien

De nombreuses associations se mettent aussi au service des équipes éducatives. Graine de citoyen, par exemple, propose des séances de sensibilisation à la vie en communauté ou au décryptage de l’information par le biais de jeux ou par la fabrication d’œuvres d’art. L’association Eveil, elle, propose des ateliers clé-en-main sur les valeurs de République, l’égalité et la lutte contre les discriminations. « Nos séances, d’une durée d’1h50, commencent toujours par la diffusion d’une vidéo ou la mise en place d’un jeu de rôle, puis se poursuivent par un débat mené par un intervenant formé, précise la déléguée générale de l’association Andrée Sfeir. Dans tous les cas, la priorité est toujours donnée à la parole de l’enfant ». L’association propose également la mise en place de projets à plus long terme. « Récemment, nous avons aidé des lycéens à monter un questionnaire sur l’égalité entre les filles et les garçons dans leur établissement. Une fois le traitement réalisé, les jeunes filles se sont rendues compte qu’elles étaient discriminées alors qu’elles n’en avaient pas conscience ».

Le 20 avril dernier, l’association remettait par ailleurs son traditionnel prix Eveil à des classes de collégiens et de lycéens qui avaient produit les meilleurs courts-métrages sur le thème de la liberté d’expression et d’opinion. « Cette expérience m’a permis de comprendre, dans ce que je faisais, ce qui était vraiment citoyen et ce qui ne l’était pas », constate Abdelkader, élève en classe de première au lycée Armand Carrel à Paris (75). Des élèves de troisième du collège Saint-Louis de Lieusaint (77) ont quant à eux composé de toute pièce une chanson. « Depuis les attentats de Charlie Hebdo, nous voulions parler de liberté d’expression et de vivre-ensemble. Avec cette chanson, nous avons voulu dire qu’il faut s’aimer et accepter les autres quoi qu’il arrive », expliquent Willy et Rita. Pour Andrée Sfeir, cette implication n’a rien d’une surprise. « Contrairement à ce que l’on peut croire, les jeunes sont très attachés aux valeurs républicaines et ils sont prêts à s’engager dès lors qu’on leur en donne la possibilité ».

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A SAVOIR

Un Parcours citoyen obligatoire pour chaque élève

Depuis la rentrée 2016, tous les élèves du CP à la terminale doivent suivre un Parcours citoyen. Celui-ci intègre non seulement les 300 heures d’Education morale et civique, mais aussi toutes les actions en lien avec la citoyenneté qu’il aura menées au long de sa scolarité (projets, rencontres, engagement dans des actions citoyennes, y compris hors du cadre scolaire, etc.). Chaque élève doit consigner lui-même dans un document toutes les actions menées dans le cadre de son Parcours citoyen.

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Une réserve citoyenne au service des enseignants

Depuis 2015, les enseignants qui le souhaitent peuvent faire appel à des milliers d’hommes et de femmes figurant dans la réserve citoyenne. Ces citoyens se sont tous proposés pour raconter leur histoire aux côtés des enseignants ou dans le cadre d’activités périscolaires et ainsi aider l’équipe éducative à transmettre les valeurs de la République. Toute personne majeure peut demander à figurer dans la réserve citoyenne. Une fois la candidature validée par le référent académique, elle pourra être contactée par un enseignant ou un membre de l’équipe éducative (CPE ou autre) pour intervenir face à une ou plusieurs classes. Cette participation est bénévole.

Pour en savoir plus sur la réserve citoyenne, reportez-vous au numéro 395 de La Voix des Parents ou ICI.

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itw-396---franck-schwab-phoPOINT DE VUE

Franck Schwab, professeur d’Education morale et civique à Nancy (54) et membre de l’Association des professeurs d’histoire et de géographie (APHG)

« Dans mon lycée, ce sont les professeurs d’histoire-géographie qui se chargent de l’Education morale et civique, ce qui est assez logique dans la mesure où les références historiques y sont nombreuses. Si les thèmes à aborder sont imposés, une grande liberté est accordée aux enseignants dans la manière de faire. Avec les élèves de seconde, je m’appuie principalement sur les textes fondateurs, notamment la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, pour évoquer le vivre-ensemble ou la liberté de conscience. J’aime bien aussi partir du règlement intérieur du lycée pour amener mes élèves à comprendre l’importance du respect des règles et aborder la notion de justice. En première, on parle plus de politique. On leur apprend ce qu’est un parti, on évoque les différences entre la droite et la gauche. Dans l’ensemble, cela fonctionne plutôt bien même si la qualité des débats dépend beaucoup de l’implication des élèves. Mais les sujets abordés peuvent être sensibles. Il est donc préférable que l’enseignant ait suffisamment d’expérience pour pouvoir répondre à leurs questions en conservant une absolue neutralité. Au final, nous ne sommes jamais sûrs de ce qu’ils retiennent. Nous semons des graines en espérant qu’elles germent. Mais ce travail est important car demain, tous seront des électeurs or, beaucoup de ces jeunes souffrent d’un gros déficit de connaissances. »

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TEMOIGNAGE

Armel Pressard, 11 ans, ancien conseiller municipal des jeunes à Pont-Saint-Martin (44)

« Un jour, le maire de ma ville est venu dans notre classe nous proposer de faire partie du premier Conseil municipal des jeunes. Je me suis présenté et j’ai été élu. On se retrouvait régulièrement à la médiathèque pour parler de ce que l’on voulait faire pour notre ville. Mon souhait était de lancer la construction d’un skate park et d’un terrain de tennis accessible à tous. Malheureusement, faute de budget, le projet n’a pas encore vu le jour. En revanche, nous avons organisé des séances de cinéma et une journée de découverte des sports. J’ai aussi participé à plusieurs commémorations. Régulièrement, j’étais invité à parler de mon rôle de conseiller aux autres élèves de ma classe. C’est notre maîtresse aussi qui nous a montré comment allait se dérouler l’élection présidentielle. Au final, c’était une bonne expérience. J’ai pris conscience que même si les contraintes sont nombreuses, on peut changer les choses. »

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Itw-396----Eric-WeillGRAND TEMOIN

Eric Weill, président de l’Office central de coopération à l’école (OCCE)

« L’engagement et le respect ont toujours été au coeur de notre mission »

 

 Depuis près de 90 ans, l’OCCE est un partenaire privilégié de nombreux établissements scolaires. En quoi joue-t-il un rôle essentiel dans l’éducation des jeunes à la citoyenneté ?

L’OCCE est surtout connu des enseignants pour sa capacité à leur offrir un encadrement juridique de l’argent des coopératives scolaires. Mais notre rôle va bien au-delà. Nous aidons aussi les enseignants à monter des projets de coopération grâce à des formations, à des financements ou par le biais de dispositifs que nous avons mis en place pour promouvoir la lecture et l’écriture auprès des enfants (Etamine), pour monter des projets en lien avec le théâtre (Théa), pour sensibiliser les élèves au développement durable (Jardinons à l’Ecole), à la citoyenneté, au harcèlement scolaire et à bien d’autres sujets.

A partir de septembre, nous proposerons également, avec le ministère de l’Education nationale, la plateforme Trousse à projets qui permettra aux écoles d’avoir recours au financement participatif. Les enseignants peuvent également faire appel à nos animateurs présents dans chaque département pour les aider à mener à bien des projets coopératifs. Nous intervenons aujourd’hui dans 85% des écoles primaires publiques, mais aussi dans le second degré notamment en soutien des Conseils de vie des collégiens ou des lycéens dans lesquels les élèves œuvrent au sein de leur établissement avec le regard bienveillant des adultes. Nous agissons enfin dans le cadre des activités périscolaires même si les municipalités font encore trop peu appel à nous. Toutes ces actions participent à donner une cohérence à une éducation à la citoyenneté responsable.

 

Quelles sont les valeurs sur lesquelles s’appuie l’OCCE ?

Nous partons du principe que l’on apprend mieux quand on est acteur de ses apprentissages. Tous nos projets ont en commun de faire en sorte que l’élève puisse s’engager, que ce soit dans la vie quotidienne de la classe, dans celle de son établissement ou dans la société. Cet engagement passe par une confiance réciproque entre les élèves et les adultes. Cette confiance, qui s’instaure progressivement, est indispensable.

 

Depuis les attentats qui ont frappé la France, avez-vous constaté des changements dans les comportements ou dans les projets menés ?

Les notions de dialogue et de respect prônées par les autorités après les événements ont toujours été au cœur de notre mission. Notre place centrale dans l’apprentissage de la citoyenneté nous a conduits à travailler avec les autres acteurs du secteur et le ministère de l’Education nationale pour renforcer encore l’éducation des jeunes à la citoyenneté. Nous avons mis en place des démarches concrètes pour travailler les attitudes citoyennes à l’Ecole et engager le débat autour des problématiques de citoyenneté.

 

Selon vous, l’apprentissage de la citoyenneté est-il dévolu à l’école ?

Le sujet est trop important pour qu’il soit laissé aux seules familles. Les enfants n’auraient pas accès aux mêmes connaissances. Il revient donc à l’école de le faire. Mais les parents ont un rôle important à jouer et malheureusement, ils sont trop souvent mis de côté. Il est important que, plus qu’aujourd’hui, ils soient écoutés et associés aux projets en lien avec la citoyenneté.

 

 

BIO express 

Après avoir été instituteur puis inspecteur de l’Education nationale à Elancourt (78), Eric Weill est aujourd’hui retraité. Âgé de 65 ans, il est président bénévole de la fédération nationale OCCE depuis 2012.

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