EDUCATION

Carte scolaire : entre obligation et dérogations

HD-395---carte-sco-3-SIPADepuis des décennies, la carte scolaire précise l’établissement que doit fréquenter un élève en fonction de son lieu d’habitation. Créée dans un souci d’équilibrer la fréquentation des établissements, elle se heurte parfois aux attentes des familles.

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Le principe de base est plutôt simple : une adresse pour une affectation dans une école maternelle, élémentaire, un collège ou un lycée. C’est ce qu’on appelle la carte scolaire – ou sectorisation –, c’est-à-dire le découpage en secteurs d’une ou plusieurs communes, en fonction du nombre prévisionnel d’élèves. Mais parfois, le quotidien rend les choses plus compliquées. Comme avec Stéphane et Elodie, parents d’Adeline, 3 ans, habitants de Marseillette (Aude). Leur nourrice s’occupe d’Adeline depuis ses 3 mois. A l’approche de la rentrée scolaire, elle leur annonce qu’elle ne pourra pas assurer la sortie de classe, l’établissement étant bien trop loin de son domicile. Stéphane et Elodie demandent et obtiennent alors une dérogation pour scolariser leur fille dans une école maternelle située près du domicile de leur nourrice.

De telles situations se présentent chaque année. Certaines trouvent une issue heureuse, d’autres non, ce qui fait de la carte scolaire un sujet sensible, qui suscite le débat. Beaucoup de parents voient en effet dans cette « sectorisation » un carcan à leur possibilité de choisir l’établissement de leur enfant. Faut-il leur donner raison ? Faut-il au contraire affecter d’office les élèves ? La discussion est loin d’être évidente.

 

De quoi parle-t-on ?

La carte scolaire demeure en effet une obligation : celle pour les parents d’inscrire leurs enfants dans un établissement dit « de secteur ». Créée sous De Gaulle en 1963, elle ne concerne que les établissements publics. Avec l’allongement de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans, voté en 1959, la construction de collèges explose. Il faut alors répartir au mieux élèves et enseignants.

Dans les années 70, la carte scolaire prend une autre facette : elle doit garantir la mixité sociale en permettant à des enfants domiciliés dans un même secteur mais de milieux différents, de fréquenter la même école. Le résultat, au final, est mitigé, incitant la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, à remodeler 40 ans plus tard la carte scolaire autour de la mixité sociale. Seule une vingtaine de départements testent depuis la dernière rentrée la multisectorisation des collèges. Quant aux autres, ils conservent pour l’heure le système actuel.

 

Une carte revue et corrigée chaque année

La carte scolaire n’est pas organisée de la même manière selon le niveau d’enseignement. Les maires dessinent la carte scolaire concernant les écoles primaires. Les conseils généraux (niveau départemental) s’occupent pour leur part des collèges. Enfin, la carte scolaire des lycées relève des services académiques.

Dans certaines communes, la carte scolaire est remodelée en début d’année civile, l’objectif étant de prendre en compte l’évolution de la population scolaire. Difficile alors de jongler entre les impératifs des établissements, leur capacité d’accueil et les demandes particulières des familles. Pourtant, un assouplissement de la carte scolaire, en 2007, a permis d’allonger la liste des motifs de dérogation.

 

HD-395---carte-sco-1Des dérogations possibles

Par ordre de priorité, sont pris en compte : le handicap de l’élève, la nécessité d’une prise en charge médicale, la détention d’une bourse, la présence d’un frère ou d’une sœur dans l’établissement ou le parcours scolaire particulier (projet de formation, classe musique, langue rare, sport de haut niveau…). Certaines villes prennent en compte d’autres critères comme la profession des parents. « Parmi les dérogations auxquelles nous sommes attentifs, il y a celles des métiers à risques (comme les policiers par exemple) : pour protéger l’enfant, il n’est pas scolarisé sur le lieu d’habitation des parents », explique Katia Bigotte, présidente honoraire de la Peep d’Antony-Wissous (Hauts-de-Seine / Essonne) et responsable des écoles primaires. D’autres métiers délicats sont concernés, comme les médecins, les infirmiers, ou les parents qui travaillent de nuit. « Pour le confort de l’enfant, il est important qu’il soit scolarisé dans des conditions sereines. Ce sont des choses qui peuvent être écoutées et acceptées. C’est le cas également, si l’un des parents est enseignant et souhaite que l’enfant rejoigne son établissement », poursuit Katia Bigotte.

En revanche, si le but est de gagner cinq minutes sur son temps de trajet pour aller au travail, la demande a de fortes chances d’être rejetée. « Ce sont des demandes fréquentes, mais elles peuvent être jugées secondaires par l’administration. Il s’agit juste de confort pour les parents. Or, ce qui prime, c’est le bien-être de l’enfant, pas les caprices des parents », avertit Katia Bigotte. De même, la « mauvaise réputation » d’un établissement ne justifie pas, aux yeux de l’administration, une demande de dérogation.

 

Qui décide ?

Dans le secondaire, pour les collèges et les lycées, les parents qui souhaitent demander une dérogation doivent remplir un dossier (« Formulaire d’assouplissement à la carte scolaire ») auprès du directeur académique des services de l’Education nationale (Dasen). Pour le primaire (écoles maternelles et élémentaires), il faut retirer un formulaire auprès des services scolaires de la municipalité. Les parents l’accompagnent de pièces justificatives (un certificat médical, par exemple) et d’une lettre manuscrite qui explique leur démarche. Une commission se réunit courant mai-juin pour statuer sur chaque dossier. Elle est composée du maire ou du maire-adjoint chargé des affaires scolaires, du représentant de l’Education nationale au niveau du secteur, de directeurs d’école, d’un représentant des réseaux d’éducation prioritaire (REP, anciennement appelé ZEP) si le secteur en compte, d’un responsable administratif aux affaires scolaires non élu, et d’un représentant des associations de parents d’élèves.

Katia Bigotte assiste chaque année aux commissions du premier degré. Pour elle, il ne faut pas hésiter à rendre un dossier le plus complet possible : « il arrive que les parents négligent leur demande. Par exemple, ils invoquent un simple souci de commodité, alors que leur situation est plus compliquée que ça. » En cas de besoin, la commission peut demander des précisions aux parents. Elle peut aussi tout simplement leur refuser la dérogation. Libre aux familles alors de faire appel et de justifier, plus en détails, leur demande. En attendant la réponse définitive, il est évidemment conseillé d’inscrire l’enfant dans son école de secteur. Ce n’est qu’une fois la dérogation obtenue, qu’il sera possible de l’inscrire dans l’école souhaitée.

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ETAT DES LIEUX

Chiffres-clés des dérogations à la carte scolaire

  • Chaque année, 10% des élèves entrants en 6e et en 2nde demandent une dérogation à la carte scolaire. 64 % des dossiers reçoivent une réponse favorable. Un taux qui chute à 30 % à Paris. (Source : DGESCO)
  • Autres données, issues du rapport « Carte scolaire ou école à la carte ? » du Comité de contrôle et d’évaluation des politiques publiques, publié le 1er décembre 2015 :
  • Le taux de demande de dérogation des élèves boursiers oscille autour de 5 % en 6e et en seconde « les familles concernées étant les moins capables de s’engager dans une telle démarche administrative », expliquent les rapporteurs, Yves Durand et Rudy Salles.
  • En 2014, 56 % des demandes d’entrée par dérogation dans les collèges parisiens n’étaient pas liées aux priorités ministérielles (bourse, handicap) ou à des parcours scolaires particuliers mais à des critères « de confort » (rapprochement de fratrie, proximité du domicile ou du travail, motifs non répertoriés par les circulaires).

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itw-395---dominique-fis-carPOINT DE VUE

Dominique Fis, IA-DASEN – Inspectrice d’académie – Directrice académique des services de l’Education nationale (Isère)

Comment s’organise le découpage de la carte scolaire ?

Pour le premier degré (maternelle, élémentaire), l’Isère est découpée en 21 circonscriptions. On essaie d’avoir des zones équilibrées en termes de nombre d’élèves, mais aussi en termes de temps de distance à parcourir. En effet, à chaque circonscription est dédié un inspecteur de l’Education nationale, le référent pour les enseignants, mais aussi les parents d’élèves. Un inspecteur qui est en zone de montagne aura plus de temps de déplacement qu’un homologue qui travaille en ville : il aura donc un peu moins d’élèves et un peu moins d’enseignants dans sa circonscription que dans une autre, plus urbaine. On veille aussi à ce que le découpage soit cohérent par rapport au secteur de recrutement des collèges : il faut qu’il y ait une continuité entre l’école et le collège auquel peut être affecté un élève (Ndlr : le nouveau cycle 3, dit de consolidation, intègre le CM1, le CM2 et la 6e).

Le collège appartient au second degré, qui est lui découpé en quatre bassins d’éducation dans notre département. Ces bassins d’éducation sont définis en accord avec l’activité économique du département.

 

La carte scolaire change-t-elle d’une année à l’autre ?

Généralement, il y a peu de changements. La carte scolaire doit être un minimum stable pour que les parents d’élèves et les élus d’un secteur aient bien identifié l’inspecteur de la circonscription. L’objectif de la carte scolaire est d’être cohérente et la plus simple possible pour faciliter la vie des parents et le travail des inspecteurs, des enseignants. Mais depuis le 1er janvier, il faut intégrer dans notre réflexion les regroupements de communes, pour conserver cette cohérence territoriale.

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TEMOIGNAGE

Martine, parent d’élèves, Paris

Martine est mère de deux enfants. A la fin du CM2, sa fille aînée est affectée au collège Thomas Mann (Paris 13e). Mais elle souhaite suivre des cours de russe au plus tôt et demande une place au collège Claude Monet (Paris 13e), qui propose cette option dès la 6ème. L’établissement n’étant pas au maximum de sa capacité d’accueil cette année-là, sa demande est acceptée.

Trois ans plus tard, le fils de Martine veut rejoindre sa grande sœur dans le même établissement. Martine pense alors faire jouer le regroupement de fratrie pour une nouvelle demande de dérogation. Les choses se corsent. « Les autorisations ne sont plus aussi évidentes que lors de ma première demande. L’effectif du collège Claude Monet a beaucoup augmenté durant les trois dernières années et l’accord ne m’a pas été donné d’emblée. Le principal du collège m’a en effet fait comprendre qu’il fallait que j’appuie ma demande d’une lettre pour m’assurer d’avoir toutes les chances de mon côté. »

Martine rédige alors un courrier détaillé faisant valoir l’importance d’avoir frère et sœur dans le même établissement : les deux collèges étant en effet éloignés l’un de l’autre. En insistant sur ce point, Martine a pu obtenir une dérogation.

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