EDUCATION

Rythmes scolaires : la réforme à l’heure du bilan

hd-393-rythmes-1-afpDepuis leur mise en œuvre il y a trois ans, les nouveaux rythmes scolaires n’ont jamais cessé de faire débat. Aujourd’hui, l’heure du premier bilan a sonné. Et il apparaît mitigé.

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Les rapports sur les rythmes scolaires se succèdent. En l’espace de quelques semaines, pas moins de quatre études sur le sujet ont été publiées (lire note ci-dessous). Lancés à la rentrée 2013 à l’initiative de l’ancien ministre Vincent Peillon, et généralisés en 2014, les nouveaux rythmes avaient pour ambition de mieux adapter le temps scolaire aux capacités d’attention des enfants du primaire. Pour cela, les temps d’apprentissage ont été répartis sur 9 demi-journées au lieu de 8. En parallèle, les municipalités étaient invitées à mettre en place des activités périscolaires après les cours. Trois ans après leur mise en place, où en est-on ?

D’après les remontées de l’Inspection générale, la plupart des enseignants reconnaissent que la réforme leur a permis de dégager du temps pour traiter certains sujets en profondeur et mener à bien des projets qu’ils n’avaient pas le temps de lancer auparavant, même si d’autres se plaignent de courir après le temps, notamment l’après-midi. Si ce n’était pas l’objectif, les matières principales semblent aussi avoir profité du changement d’emploi du temps. Non seulement leur quota d’heures a eu tendance à augmenter (+ 10 minutes pour le français, + 20 minutes pour les mathématiques), mais en plus ces enseignements sont souvent programmés le matin, au moment où les enfants sont le plus attentifs.

 

Absentéisme

Pour les matières dites « secondaires », c’est plus compliqué. Selon le même rapport, le sport, l’éducation artistique ou l’éveil musical ont, au contraire, vu leur quota horaire diminuer. Quant aux récréations, elles ont aussi eu tendance à raccourcir (-10 minutes en moyenne par jour). L’Inspection générale pointe par ailleurs du doigt le fort absentéisme des élèves lors des demi-journées supplémentaires. Celui-ci peut toucher jusqu’à 50 % de l’effectif lorsque cette demi-journée est programmée le samedi matin (le mercredi matin, il est plutôt de l’ordre de 20 %). Cet absentéisme impacte non seulement les élèves absents, mais aussi le reste de la classe.

Du côté des Temps d’accueil périscolaire (TAP) aussi, on est loin du sans-faute. D’après les éléments recueillis sur le terrain, plus de 90 % des communes auraient mis en place des activités, conformément à l’esprit de la réforme. Beaucoup d’entre elles les ont programmées chaque après-midi de la semaine pendant trois quarts d’heure. C’est le cas par exemple dans la commune d’Orchies, dans le Nord (59). « Un roulement a même été mis en place de manière à ce que les enfants participent à tous les ateliers sur l’année scolaire », précise Stéphanie Lemagnent, la directrice de l’école maternelle Roger-Salengro.

D’autres communes ont fait le choix de regrouper les activités sur 1 h 30, deux fois par semaine. D’autres encore ont opté pour des formules plus originales. « Dans ma ville, les TAP ont lieu tous les soirs de 16 h à 17 h, deux fois par semaine sous forme d’étude, les deux autres jours sous forme d’ateliers, explique Cécile Lory, de la PEEP de Montrouge (92). Cela fonctionne plutôt bien même si le fait d’aller à l’étude empêche certains enfants de prendre part aux activités ».

« La mairie de Rosny-sous-Bois a fait le choix de programmer les TAP sur la pause méridienne, décrit la représentante locale de la PEEP. Ce système lui permet surtout de mieux gérer le trop grand nombre d’élèves à la cantine, en les répartissant sur trois services au lieu de deux ».

 

hd-393-ryhtmes-2De sérieuses inégalités

De plus, toutes les activités proposées ne se valent pas. A Vernouillet, les écoliers ont de la chance. Ils bénéficient d’animations intéressantes allant du karaté au jardinage en passant par la cuisine, la photo ou la chorale. Ceux de maternelle peuvent, quant à eux, assister à des lectures de contes, à des ateliers de motricité, de marionnettes ou d’arts plastiques. Les activités proposées changent après chaque vacances scolaires et à la fin de l’année, une journée spéciale est organisée de manière à ce que les parents puissent découvrir les réalisations des enfants. A Orchies aussi la municipalité regorge d’idées. Un atelier roller est envisagé, ainsi qu’une formation au secourisme et une sensibilisation à l’écologie ou à la découverte des légumes.

Dans d’autres communes, on est loin d’une telle offre. A Rosny-sous-Bois, par exemple, la mairie a fait le choix de ne pas organiser de TAP. « Dans chaque école, un responsable de la pause méridienne est censé mettre en place des animations, mais ce n’est pas toujours fait et la qualité est variable », regrette la représentante locale de la PEEP. Ailleurs, il n’est pas rare que les TAP se limitent à quelques activités manuelles inintéressantes encadrées par des bénévoles voire se transforment en simple garderie.

D’après une enquête menée à la rentrée, 40,3 % des parents de la PEEP estiment que les activités proposées à leur enfant de primaire ne sont pas de qualité, contre 37,6 % qui pensent le contraire (22,1 % ne se prononcent pas).

L’encadrement non plus n’est pas toujours à la hauteur. « A Montrouge, toutes les activités sont encadrées par des animateurs professionnels », se félicite Cécile Lory. Ce n’est pas le cas partout. Faute de trouver du personnel qualifié ou pour faire des économies, bon nombre de communes n’hésitent pas à recruter des animateurs non-titulaires du Bafa ou à faire appel à des bénévoles.

Les inégalités apparaissent aussi d’un point de vue financier. Sur les 6182 personnes ayant répondu à l’enquête de la PEEP sur les rythmes scolaires, 36,9 % disent être contraints de mettre la main au porte-monnaie s’ils veulent que leurs enfants participent aux activités périscolaires. Une situation que 79 % d’entre eux déplorent, même si d’autres acceptent plus facilement de participer au financement des TAP. « A Montrouge, le prix varie en fonction du quotient familial, mais comme les activités sont plutôt de bonne qualité, cela ne pose pas vraiment de problème », témoigne Cécile Lory.

 

Des désaccords sur la fatigue

Avec des journées plus chargées, des temps de récréation raccourcis et l’absence de coupure en milieu de semaine, beaucoup craignaient que les enfants soient plus fatigués qu’avant. De fait, que ce soit par le biais de l’Inspection générale, de l’Observatoire des rythmes et des temps de vie des enfants et des jeunes (Ortej) ou celui des syndicats, les enseignants sont nombreux à avoir constaté une fatigue accrue chez les enfants depuis la mise en place de la réforme, notamment en fin de semaine et à l’approche des vacances scolaires.

Ce constat, tout le monde ne le partage pas. Après avoir mené une étude scientifique dans plusieurs écoles de la ville d’Arras, le chronopsychologue François Testu assure, lui, que la réforme n’a pas eu d’impact significatif sur l’attention des élèves. « En fait, cela dépend des enfants et de l’organisation des familles, constate Cécile Lory. Pour certains, qui devaient déjà se lever le mercredi parce que leurs parents travaillent, la réforme n’a rien changé. Pour d’autres, c’est plus compliqué, notamment pour ceux de petite section que l’on doit réveiller après la sieste, notamment en début d’année ».

Note :

Rapport de l’Inspection générale de l’Education nationale sur L’efficacité pédagogique de la réforme des rythmes scolaires, finalisé en 2015 et rendu public le 10 juin 2016
Disponible ici.

Rapport sur la mise en place des projets éducatifs territoriaux de Françoise Cartron, sénatrice, remis le 20 mai 2016 au Premier ministre.

Disponible ici.

Rapport sur l’aménagement du temps scolaire à Arras, par Georges Fotinos et François Testu
, rendu public le 10 juin 2016

Disponible ici.

Enquête 2016 de l’Association des maires de France sur la réforme des rythmes scolaires, juin 2016

Disponible ici.

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itw-393-agnes-le-brunPOINT DE VUE

Agnès Le Brun, maire de Morlaix et rapporteur de la commission Education pour l’Association des maires de France

« L’enquête que nous avons menée avec la CNAF montre que malgré leur bonne volonté pour mener à bien cette réforme, les maires doivent faire face à de nombreuses difficultés. Beaucoup d’entre eux, principalement en zone rurale, rencontrent des problèmes liés aux locaux ou au transport. Ils ont aussi du mal à recruter du personnel qualifié. Ces nouveaux rythmes scolaires n’ont fait qu’augmenter les inégalités et renforcer la concurrence entre les communes. Des associations ont aussi été complètement désorganisées, à cause des bouleversements des emplois du temps et du recrutement par les communes de leurs animateurs. Mais le problème est avant tout financier. La réforme des rythmes scolaires pèse lourd sur les budgets des communes. De plus en plus de municipalités sont d’ailleurs tentées de revenir sur la gratuité qu’elles avaient décidée dans un premier temps tant la réforme coûte cher.

Sur ma ville de Morlaix, cette gratuité pour les familles pèse pour 110 000 euros par an sur le budget de la commune. C’est autant d’argent que nous ne pouvons pas utiliser pour d’autres projets. Il est essentiel que le coût de cette réforme imposée aux communes soit compensé à l’euro près, sinon, il s’agit ni plus ni moins d’un transfert d’impopularité fiscale. »

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A SAVOIR

La réforme à l’école maternelle

Rapporteurs, maires, parents d’élèves… Tout le monde ou presque est d’accord pour dire que la réforme des rythmes en maternelle telle qu’elle est aujourd’hui est une aberration. Organiser des activités l’après-midi nécessite souvent d’écourter la sieste. Cette nouvelle organisation allonge aussi le temps des tout-petits passé en collectivité. L’enquête menée par la PEEP auprès des parents confirme cette tendance. 71,8 % d’entre eux estiment que la nouvelle organisation n’est pas adaptée à la maternelle, alors que seulement 8,8 % pensent le contraire (19,4 % ne se prononcent pas). On remarquera néanmoins qu’une souplesse est aujourd’hui de mise concernant l’organisation de la journée à l’école maternelle, tenant compte de sa spécificité (circulaire « Hamon »).

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ZOOM

La commune d’Aups a surmonté les épreuves

A Aups, dans le Var, les nouveaux rythmes scolaires sont désormais une affaire qui marche. Après quelques tâtonnements à la rentrée 2013-2014, la mairie a revu sa copie. Les TAP se déroulent désormais les lundis, mardis, jeudis et vendredis soir pendant trois quarts d’heure. Les enfants, répartis en groupes, tournent tout au long de l’année sur les différents ateliers proposés (danse, tir à l’arc, musique, etc.) ainsi que sur les séances proposées par la médiathèque de la ville et par la ludothèque de Draguignan.

 

Une gratuité qui coûte

« Le plus difficile a été de recruter des animateurs compétents, avoue Marlène Roux, adjointe chargée de l’éducation. Si les activités de maternelle sont encadrées par les Atsem, pour l’élémentaire, la mairie a signé des conventions avec plusieurs associations locales. Au final, tout le monde y trouve son compte. Les élèves profitent d’activités variées qu’ils n’auraient pas eu l’occasion de faire en-dehors des TAP et les associations gagnent un peu d’argent et de la visibilité ». Si cette commune de 2 000 habitants affiche de très bons taux de participation (80 % des écoliers profitent des TAP), c’est aussi grâce à une collaboration efficace entres les enseignants, le personnel municipal et les animateurs sous la houlette d’un coordonnateur et au fait que ces activités sont gratuites pour les familles. « Cette gratuité, qui coûte 40.000 euros par an à la commune, est un choix fort que nous allons tenter de maintenir tant que nous pourrons ».

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itw-393-francoise-cartronGRAND TEMOIN

Françoise Cartron, sénatrice PS de Gironde, chargée par le Premier ministre Manuel Valls d’une mission sur les rythmes scolaires

Après vous être rendue dans 12 départements et avoir analysé les réponses à un questionnaire diffusé auprès des maires, vous avez remis au Premier ministre le 20 mai dernier votre rapport sur la mise en place des activités périscolaires, notamment en zone rurale. Finalement, votre constat se veut plutôt rassurant.

La bonne surprise de ce rapport, c’est qu’il y a beaucoup moins d’atermoiement dans les petites communes que ce que l’on imaginait. Il faut rendre hommage aux maires qui, dans leur grande majorité, ont pris conscience de l’importance de cette réforme pour leurs écoles et pour la vie de leur village. Ils ont su aussi mobiliser le tissu associatif pour valoriser l’identité de leur territoire et le patrimoine local. Dans les Landes, par exemple, des écoliers apprennent à faire des échasses. D’autres, qui s’initient à la musique, ont intégré la fanfare du village. Autour d’Ajaccio, les enfants apprennent la langue corse ou sont sensibilisés à la protection de l’environnement.

Les associations, quant à elles, profitent de ces activités pour se faire connaître. Je me souviens notamment d’un centre équestre des Pyrénées qui a vu ses effectifs doubler depuis qu’il participe aux TAP.

 

Pourtant, avant la mise en place de la réforme, les maires ruraux étaient ceux qui craignaient le plus de se retrouver face à des difficultés importantes…

La réforme a poussé les maires ruraux à faire preuve d’imagination. Ils ont compris que proposer une offre riche et de qualité leur permettrait d’attirer les parents de jeunes enfants. Les intercommunalités ont souvent permis de mutualiser les coûts et les moyens. Quant aux inégalités, que certains mettent en avant, elles existaient avant la mise en place de la réforme. Ce ne sont pas les TAP qui les ont créées.

 

Trois ans après son entrée en vigueur, comment peut-on améliorer l’application de cette réforme ?

Il faut d’une part amener enseignants et animateurs à mieux communiquer ensemble afin de limiter les doublons et faire en sorte que les enfants différencient bien le temps scolaire du périscolaire. La réforme est récente et je suis certaine que leur collaboration se renforcera. Il faut par ailleurs simplifier les dossiers d’obtention des aides de la CAF, qui sont actuellement trop compliqués.

Enfin, l’un des principaux enjeux, c’est le renouvellement des activités dans le temps. Les animateurs peuvent se tourner vers le réseau Canopé qui propose de nombreux ateliers à des prix accessibles. Pour notre part, nous sommes en train de développer des supports pédagogiques en collaboration avec les musées nationaux.

 

Que pouvez-vous dire aux parents qui trouvent insuffisante la qualité des activités proposées ?

Ils doivent avoir conscience que toutes ces activités apportent aux enfants, quelles qu’elles soient. Dès lors qu’un enfant agit, il apprend, son esprit s’ouvre, sa curiosité s’éveille et donc son intelligence se développe. Je veux les rassurer car sur le terrain, j’ai vu des enfants heureux.

 

Biographie

Françoise Cartron est née le 27 mars 1949 à Bordeaux. De profession enseignante et directrice d’école maternelle en zone d’éducation prioritaire, elle est élue sénatrice de la Gironde le 21 septembre 2008. Membre du parti socialiste, elle est vice-présidente du Sénat depuis 2014.

 

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