Les futurs enseignements pratiques interdisciplinaires
Ils cristallisent beaucoup de critiques parmi celles ayant trait à la réforme du collège, qui sera mise en œuvre dès la rentrée 2016. Les enseignements pratiques interdisciplinaires, communément réduits en « EPI », apparaissent comme une manière d’améliorer les apprentissages pour les défenseurs de cette réforme. A l’inverse, pour d’autres, la mise en place de ces EPI conduirait à une perte de repères. Décryptage.
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Mais que seront réellement ces EPI ? Le ministère de l’Education nationale les présente ainsi : « Les EPI sont des moments pour mettre en œuvre de nouvelles façons d’apprendre et de travailler les contenus des programmes ». En pratique, cela prendra la forme d’un travail en groupe qui croisera plusieurs disciplines et devra aboutir à la mise en place d’un projet incluant une réalisation concrète : un powerpoint, des affiches, un blog, un exposé… Les EPI concerneront tous les élèves du cycle 4, de la 5e à la 3e. Dotés d’un horaire maximum de 3 heures par semaine sur les 26 heures de cours hebdomadaires, ils pourront être évalués et feront l’objet d’un oral au brevet.
Les textes de la réforme n’explicitent pas précisément le cadre dans lequel s’inscriront ces EPI. Et pour cause : leur organisation se décidera au niveau de chaque établissement, auquel le ministère a souhaité offrir davantage d’autonomie. « Chaque établissement fait comme il veut dans le cadre global, indique Florence Robine, directrice générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), « numéro 2 » du ministère de l’Education. La réforme prévoit 4 heures maximum hebdomadaires dans les emplois du temps entre les EPI et l’accompagnement personnalisé (AP). Un établissement peut décider de faire 2 heures d’AP et 2 heures d’EPI, ou 3 heures d’EPI et une heure d’AP. » « On donne plus de marge de manœuvre aux établissements pour s’adapter au public » renchérit Claudie Paillette, secrétaire nationale du SGEN-CFDT, syndicat pro-réforme.
Toutes les disciplines concernées
Les EPI feront partie intégrante des programmes, à travers les huit thèmes prévus : développement durable ; corps, santé, et sécurité ; culture et création artistique ; information, communication, citoyenneté ; sciences et société ; langues et cultures de l’Antiquité ; langues et cultures régionales et étrangères ; monde économique et professionnel. Toutes les disciplines sont ainsi concernées. Les collèges seront également libres au niveau du choix des thèmes. Sur ces points, une seule obligation : que tous les élèves aient travaillé au moins six des huit thèmes durant le cycle.
Le choix des thèmes se fera principalement en fonction de deux facteurs : « Selon la proximité et les facilités à associer les programmes des deux disciplines, et selon les affinités entre enseignants, explique Laurent Fillion, professeur d’histoire-géographie à Ardres (62) qui expérimente les EPI depuis la rentrée. Il est important de ne pas imposer des binômes. » Ainsi, un EPI-type pourrait être le suivant : deux enseignants, de français et d’histoire, décident de travailler l’EPI « information, communication, citoyenneté » pendant un trimestre avec une classe de 4e. Ils ont choisi de faire écrire des lettres fictives autour de la Révolution française. En histoire, les élèves étudieront cette période selon les indications du programme et, en français, ils écriront les lettres à partir de ces connaissances, dans le cadre du travail sur la correspondance que prévoit le programme de français.
Depuis leur présentation, les EPI ont concentré bon nombre de critiques. Tout d’abord, ils diminueraient le temps consacré aux enseignements traditionnels. Dans les faits, de la 6e à la 3e, les élèves auront le même nombre d’heures d’enseignement avant et après la réforme. Seulement, ces horaires annoncés à partir de 2016 comprennent les EPI. En effet, il n’y a pas de plage prévue spécifiquement pour eux : ils se travailleront au sein même des cours disciplinaires, avec les enseignants de ces matières. « Les EPI, c’est une méthode de travail et non pas une matière, répond Laurent Fillion. Il s’agit de mettre en œuvre les programmes des disciplines. Donc ce n’est pas 26 heures de cours moins 3 heures d’EPI, mais dont 3 heures d’EPI. » « Les EPI vont être un moyen d’acquérir les compétences et connaissances du socle commun et sont faits en cohérence avec le programme, estime pour sa part Claudie Paillette. Dire que cela prend des heures sur les disciplines est de la malhonnêteté intellectuelle. Simplement, on les travaille autrement. Un exemple : une collègue de SVT travaille les plaques tectoniques. Pour un EPI, elle a décidé, avec une prof de langue, de faire travailler ses élèves sur des sites en langue étrangère. Mais ils travaillent quand même les SVT ! Mieux, ils travaillent en même temps les SVT et les langues. »
Mais ces EPI seront-ils « efficaces » ? Plusieurs objectifs sont en effet affichés : donner du sens aux enseignements, travailler des compétences transversales, améliorer l’autonomie, motiver les élèves à travers notamment la réalisation d’un projet. Or, d’aucuns estiment qu’il n’est pas prouvé que les EPI parviennent à atteindre ces buts. « Tous les établissements qui ont déjà mis en place ce type d’enseignement indiquent que les élèves sont plus motivés, plus attentifs, ont plus envie d’apprendre », assure Florence Robine. « Les élèves montrent de la curiosité avec ce type de projet, ils ont envie de produire, confirme Laurent Fillion. Et puis quand c’est nouveau, il y a toujours de la motivation, notamment pour les élèves en difficulté. »
Des EPI « clefs en main »
Une des questions qui reste en suspens autour des EPI concerne leur prise en main par les enseignants. En effet, il n’y a pas de temps prévu spécifiquement pour leur préparation. Si tous les enseignants seront formés aux nouveautés de la réforme du collège avant la rentrée, la mise en place pourrait s’avérer compliquée, entre les enseignants réticents et les nouveaux arrivants dans les établissements qui n’auront pas eu le temps de découvrir leurs collègues. « Dans les formations, on donne des exemples et on donnera même des EPI “clef en mains” », promet Florence Robine. « Si on le veut vraiment on parvient toujours à organiser des temps collectifs entre enseignants. C’est d’ailleurs un autre point positif des EPI : ils vont amener les équipes pédagogiques à travailler ensemble » se réjouit Claudie Paillette.
A neuf mois de la rentrée 2016, le flou demeure encore autour de ces EPI, tant sur leur mise en place que sur leurs apports. Florence Robine, qui assure qu’une évaluation de la réforme sera faite, tient à rassurer : « Jamais une réforme n’a été autant anticipée. De plus, à ceux qui disent qu’on détruit le collège, on ne peut pas dire que le collège actuel soit une réussite complète ! D’autant qu’on est loin de le détruire : les EPI, ce n’est que 3 heures sur 26 ! On ouvre simplement des possibilités. » « Les EPI, ce n’est pas une méthode miracle, conclut Laurent Fillion. Mais je crois à l’importance de diversifier les pratiques pour qu’à un moment donné, tous les élèves se retrouvent dans une qui leur convienne. »
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ZOOM
Les autres mesures principales de la réforme du collège
- Accompagnement personnalisé pour tous : 3h par semaine en 6e, 1h de la 5e à la 3e.
- Apprentissage d’une 2e langue vivante dès la 5e (induisant la suppression des classes bilangues et internationales).
- Suppression des options latin et grec, mais trois mesures mises en place :
- Les cours de français comprendront des « éléments fondamentaux des apports du latin et du grec à la langue française »
- Le latin et le grec seront intégrés à l’EPI « Langues et cultures de l’Antiquité »
- Un « enseignement de complément » pourra être dispensé dans les établissements volontaires (1h en 5e, 2h en 4e et 3e).
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Emmanuelle Larrieu, enseignante de français au collège Jean-Gay de Verfeil (31)
Vous expérimentez dès cette année un EPI. Pouvez-vous nous le présenter ?
Il concerne une classe de 4e et porte sur le thème « Langues et cultures de l’Antiquité ». Je le fais avec ma collègue de latin et de grec. Les élèves font des recherches avec elle sur les mythologies puis écriront à partir de cela dans mon cours une nouvelle fantastique que l’on publiera sur un blog.
Comment cet EPI s’est mis en place ?
Le principal nous a proposé d’expérimenter les EPI, on a accepté. Aussi, je m’entends bien avec ma collègue – ça part souvent de là ! – et ce thème permet de faire bénéficier tous les élèves de l’enseignement du latin et du grec. La préparation n’est pas si lourde que cela : on est de toute façon toujours en train de réfléchir à de nouveaux moyens d’intéresser les élèves. Mais il est certain que, l’an prochain, on aimerait avoir un temps de concertation pour les mettre en place, en particulier pour les enseignants qui intègreront le collège en septembre.
Percevez-vous déjà des effets sur les élèves ?
Oui et ils sont très positifs. Leur motivation est indéniable, notamment car on leur fait produire quelque chose à la fin et ils y sont sensibles. Cela permet d’aller « chercher » des élèves qui ont plus de mal dans les cours magistraux. Le travail en groupe est très stimulant, comme pour les enseignants d’ailleurs !
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Laure Bienvenu, 26 ans, enseignante de français au collège Gérard-Philippe, à Cergy-Pontoise (95)
« Au sein de mon collège, la réforme a été pas mal anticipée. Il y a beaucoup de travaux interdisciplinaires. Cette façon d’enseigner est un moyen de raccrocher des élèves en difficulté. On ressent le besoin de faire du lien entre les matières, ça donne vraiment du sens. L’interrogation que j’ai autour des EPI se situe sur l’évaluation. On ne sait pas du tout sur quel principe cela va se faire.
Aussi, cela risque d’être difficile pour les profs les plus expérimentés, habitués à travailler seuls, alors que les jeunes profs ont été formés à avoir en tête que le métier n’était plus cloisonné. Pour tout ça, cela risque d’être difficile l’an prochain, qui va être une année de transition. Il va falloir beaucoup travailler. D’autant plus dans les collèges difficiles comme le mien, qui sont des plaques tournantes d’enseignants où l’équipe pédagogique change tout le temps, alors que les EPI vont prendre naissance en premier lieu par l’affinité professionnelle entre enseignants. »