EDUCATION

L’illettrisme perdure mais recule

HD-389---illettrisme-1Fléau social, handicap souvent invisible, l’illettrisme est aujourd’hui combattu avec force. Pour le faire reculer, le mal doit être pris à la racine, dès le plus jeune âge, à l’école, mais aussi en dehors.

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Il existe des campagnes de communication qui marquent plus que d’autres. Celle de 2012 de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) fait partie de celles-là : sur une affiche, une voiture rouge, à l’image des publicités classiques de marques automobiles. Mais à côté, ce texte : « Plus de 3 millions de Français resteront hélas persuadés qu’il s’agissait d’une publicité pour une voiture ». L’affiche n’incite pas en effet à acheter la voiture mais à faire reconnaître le problème de l’illettrisme en France qui touche deux à trois millions de personnes.

Selon l’ANLCI, « on parle d’illettrisme pour des personnes qui, après avoir été scolarisées en France, n’ont pas acquis une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture, du calcul, des compétences de base, pour être autonomes dans les situations simples de la vie courante ». Ainsi, pour les enfants, l’expression « prévention de l’illettrisme » est plus adéquate puisqu’on ne peut parler d’illettrisme tant que la personne est encore scolarisée. En outre, l’illettrisme est différent de l’analphabétisme, qui concerne des personnes qui n’ont pas été scolarisées. « La notion d’illettrisme, spécificité française, a été créée au début des années 1980 par ATD Quart-Monde dans un rapport qui le différencie de l’analphabétisme, jugé trop péjoratif », précise Caroline Viriot-Goeldel, enseignante-chercheuse à l’Université Paris-Est Créteil et auteure d’une thèse intitulée « Aider l’apprenti-lecteur en difficulté ». L’illettrisme est également à différencier du « Français Langue étrangère » qui concerne l’apprentissage de la langue pour des personnes nouvellement arrivées sur le territoire national. En outre, « l’illettrisme, ce n’est pas seulement la difficulté dans le décodage, mais aussi dans la compréhension » précise Caroline Viriot-Goeldel.

 

Les raisons d’un recul

Depuis cette fameuse campagne de communication, l’illettrisme semble avoir reculé. La dernière étude de l’ANLCI, effectuée en 2012, révèle qu’en France 7 % de la population âgée de 18 à 65 ans seraient concernés par l’illettrisme, soit 2.5 millions de personnes. Plusieurs facteurs expliquent ce recul. Tout d’abord, il y a la prise de conscience de ce problème, depuis une dizaine d’années. En 2002, Luc Ferry, alors ministre de l’Education nationale, lance un plan de lutte contre l’illettrisme. En 2013, la lutte contre l’illettrisme est élevée au rang de Grande cause nationale. Tout cela a entraîné une communication accrue faisant connaître la situation au grand public, ainsi que des mesures spécifiques.

A l’école, la prévention de l’illettrisme s’est intensifiée. « L’Education nationale prend davantage en compte ce problème depuis le début de la décennie, explique Max Gratadour, le correspondant « prévention de l’illettrisme » dans l’académie de Limoges. Plusieurs dispositifs sont en place pour améliorer l’appétence de la langue française pour les élèves les plus en difficulté. » Par exemple, le plan « agir contre l’illettrisme » présenté en novembre 2013 s’appuie sur quatre grands principes : une meilleure sensibilisation des équipes éducatives ; la consolidation du pilotage du réseau « maîtrise de la langue » ; le renforcement du lien école-familles ; le renforcement des partenariats. Par ailleurs, la loi de la refondation de l’école, en 2013, a notamment posé pour objectif de tripler, d’ici à 2017, le nombre d’enfants de moins de 3 ans scolarisés, en particulier dans les milieux défavorisés. « Cela permet d’amorcer la maîtrise de la langue orale, fondamentale pour l’apprentissage plus tard de la langue écrite », explique Max Gratadour. A l’école élémentaire, le dispositif « plus de maîtres que de classes », provenant également de la loi de refondation, permet, selon le correspondant académique, « de faire face à l’hétérogénéité de certaines classes » et ainsi de différencier davantage les apprentissages en fonction des difficultés de chacun.

 

HD-389---illettrisme-3Evaluer pour prévenir

De même, une évaluation des élèves en début de CE2 est désormais imposée. « Un des principaux leviers pour prévenir l’illettrisme est l’évaluation régulière des élèves, du CP au CM2, pour repérer ceux en difficulté, estime Caroline Viriot-Goeldel. L’enseignant peut alors là aussi différencier son enseignement. »

Toutefois, selon la chercheuse, la clef se trouve dans la manière d’enseigner la lecture et l’écriture. « La meilleure des solutions est d’offrir un enseignement de qualité, bien avant les dispositifs d’aide, d’autant que dans les recherches en sciences de l’éducation ou cognitives, on commence à bien connaître ce qu’est un enseignement de la lecture de qualité. » Une étude de l’OCDE parue en novembre dernier démontre d’ailleurs que les élèves français passent plus de temps que leurs voisins à étudier les « fondamentaux » : 37 % du temps scolaire au primaire, contre 22 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Or, les résultats ne suivent pas. L’étude note ainsi que la France « doit davantage rentabiliser le temps scolaire » en mettant en place « une façon différente d’enseigner pour permettre aux élèves de travailler davantage à leur rythme ».

« Devant les élèves les plus en difficulté, il faut des leviers ludiques car davantage de scolaire ne permet pas de mieux faire adhérer ces élèves et creuse encore davantage les écarts, confirme Max Gratadour. Dans notre académie, on essaie de valoriser l’entrée dans la littérature. On incite les enseignants à lire des histoires, des contes, parfois en mobilisant des intervenants. Il y a aussi des « valises littérature » à disposition des enseignants contenant un ensemble d’ouvrages et de fiches pédagogiques. »

 

HD-389---illettrisme-2Donner le goût de lire

En dehors de l’école, plusieurs organismes viennent en aide aux élèves les plus en difficulté, tels que l’association Lire et Faire lire ou l’AFEV (Association de la fondation étudiante pour la ville). Localement, beaucoup d’associations permettent également de prévenir l’illettrisme. C’est le cas de « Ecoute mes histoires », en Seine-Saint-Denis. La présidente, Françoise de Blangy, est conteuse. Avec les autres membres de l’association, elle se rend dans des écoles et des instituts médico-éducatifs et raconte les histoires qu’elle a elle-même écrites. « Le but est de développer l’écoute et l’attention puis, de fil en aiguille, le goût de lire », précise-t-elle. A l’école élémentaire, elle fait écrire des histoires aux enfants, dans une démarche pédagogique « élaborée avec des enseignants et des psychologues ». « Il y a des enfants qui n’ont pas accès à la lecture de livres en français, explique-t-elle. D’autres ne font plus l’effort d’ouvrir un livre et se mettent devant la TV. On veut refaire découvrir la beauté et l’importance du livre et aider à l’apprentissage de la communication et de l’autonomie. »

Un apprentissage essentiel dans notre société actuelle. « Certes, si l’apprentissage de la lecture se passe mal, l’élève a des difficultés pour apprendre pouvant mener à l’échec et au décrochage, souligne Caroline Viriot-Goeldel. Mais, plus encore, dans notre société de l’information, on écrit beaucoup plus qu’avant (mails, SMS…) et s’il ne peut pas utiliser ces moyens, l’enfant ne pourra pas bien s’insérer dans la société. »

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Etat des lieux

Les chiffres-clés de l’illettrisme

  • 2 500 000 personnes sont en situation d’illettrisme, soit 7 % de la population (9 % en 2004) (étude réalisée seulement sur les personnes âgées de 18 à 65 ans)
  • 53 % des personnes en situation d’illettrisme ont plus de 45 ans
  • 51 % des personnes en situation d’illettrisme ont un emploi
  • Environ 50 % d’entre elles vivent dans une zone faiblement peuplée (zone rurale ou ville de moins de 20 000 habitants).

Chiffres de 2011-2012, dernier recensement de l’illettrisme.

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La-Cle-33Témoignage

Sonia Moussay, directrice de l’association La Clé (Lille)

A Lille, l’association La Clé propose des cours individuels à des adultes en situation d’illettrisme ou d’analphabétisme, à des étrangers et à des enfants en difficulté scolaire. La première année, en 1985, huit personnes bénéficiaient de ces cours. Pour cette année 2015-2016, ils sont environ 600, et presque autant de formateurs ! « Chaque cours est individuel et chaque formateur donne chaque semaine une à deux heures de cours à la même personne », précise Sonia Moussay, directrice de La Clé. Les formateurs (plus de la moitié d’entre eux sont étudiants ou enseignants) sont bénévoles et eux-mêmes formés préalablement. « Pour les scolaires, on insiste sur les difficultés d’organisation, de mémorisation, d’attention, explique Sonia Moussay. S’ils n’ont pas les bases, ils ne peuvent acquérir la suite. Le but n’est pas de faire pareil que l’école car ces enfants en difficulté ont besoin d’autre chose. » Selon elle, l’augmentation des demandes d’aides que reçoit La Clé ne provient pas de failles de l’école, qui « n’est pas moins bonne qu’il y a dix ans. C’est le résultat d’un bouche-à-oreille et cela montre que les parents sont motivés pour que leur enfant réussisse ». Et la directrice de conclure : « Une des manières de prévenir l’illettrisme est d’accentuer les partenariats école-associations ainsi que la personnalisation de l’enseignement, car l’illettrisme a des causes différentes chez chacun. »

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ZOOM

Quel rôle pour les parents ?

Selon l’Education nationale : « pour produire tous ses effets, la prévention de l’illettrisme doit être menée dans une relation de confiance avec les familles ». Ainsi, partout en France, des actions sont menées par des parents d’élèves. Depuis maintenant 30 ans, la PEEP organise par exemple le Grand prix de jeunes lecteurs, un concours qui encourage le goût de la lecture des élèves du CM1 à la 5e.

Des Actions éducatives familiales (AEF) existent également, pour aider les parents en difficulté. « Les parents impliqués peuvent alors aller voir les parents qu’ils estiment pouvant être dans cette situation et les aider, par exemple en leur expliquant qu’il existe ces AEF » indique Marie-Thérèse Geffroy, présidente de l’ANLCI. En effet, ajoute-t-elle, « il faut s’assurer que les parents soient à l’aise avec le système scolaire d’un côté, mais aussi avec la lecture et l’écriture. »

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MT-GeffroyGRAND TEMOIN

Marie-Thérèse Geffroy, est présidente de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI)

En 2011, vous aviez donné une interview à la Voix des Parents dans laquelle vous vous félicitiez que la question de l’illettrisme était de moins en moins méconnue. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Dans notre pays, on a une extrême difficulté à nommer ce qui dérange. Or, pour lutter contre un problème, il faut le nommer et voir la réalité en face. En France, l’illettrisme concerne des gens ordinaires qui sont allés à l’école dans notre pays et qui peuvent se sortir de cette situation. Si on accepte de voir qui sont vraiment ces gens et sortir des présupposés, on a gagné le premier combat.

Depuis quatre ans, on a beaucoup avancé. En 2013, par exemple, l’illettrisme était la Grande cause nationale. Cela ne nous a pas donné de moyens financiers mais un important moyen d’information. Depuis 2014, il existe également les Journées nationales de lutte contre l’illettrisme, autour du 8 septembre, la journée internationale de l’alphabétisation. Il y a eu 160 manifestations dans le pays en 2014, et 303 en 2015 ! Cela entraîne un important retentissement dans les médias.

 

Cette meilleure connaissance du problème a-t-elle déjà eu des effets concrets ?

En 2006, nous avions réalisé notre première enquête, avec l’INSEE. Il y avait alors 3.1 millions de personnes de 18 à 65 ans touchées par l’illettrisme. En 2013, pour notre deuxième enquête, il y en avait 2.5 millions, soit une baisse de 20 % ! C’est le résultat du travail, de l’organisation et des outils mis en place par l’ANLCI et des partenaires. La prise de conscience s’est faite dans les institutions, chez les partenaires sociaux et les entreprises (car la moitié des personnes illettrées ont un emploi).

 

Comment mieux prévenir l’illettrisme ?

Spontanément, on se dit que c’est le rôle de l’école. Ce n’est pas à nous, l’ANLCI, de dire à l’Education nationale comment apprendre à lire, écrire, compter. En revanche, on observe qu’il y a des pratiques qui marchent et d’autres moins. Des pratiques qui ont pu être raillées, comme la dictée, fonctionnent très bien pour l’apprentissage de l’écriture et de la lecture. On doit regarder les façons d’enseigner qui fonctionnent et les élargir à tous les élèves.

 

Comment voyez-vous la suite de la lutte contre l’illettrisme ?

Je suis déterminée et optimiste. Il faut être conscient du fait qu’il n’y a pas des gens qui savent et d’autres qui ne savent pas. Il y a simplement des gens qui, à un moment donné, n’ont pas pu ou peut-être pas voulu apprendre et il faut leur donner une seconde chance.

Et on doit continuer à se battre pour dire que l’illettrisme n’est pas l’apprentissage du français en langue étrangère. Ce n’est pas la même chose. 71 % des personnes en situation d’illettrisme parlaient français dans leur famille et ne sont pas étrangères. Ce sont des gens qui sont dans une situation, et non pas qui auraient une identité ou une nature à devenir illettrés.

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Biographie

Marie-Thérèse Geffroy a d’abord été professeur de lettres classiques, puis s’est engagée dans la vie associative, politique ainsi que dans la formation professionnelle avant de devenir Inspectrice générale de l’Education nationale. Elle est directrice de l’ANLCI dès sa création, en 2001, puis présidente depuis 2012.

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