EDUCATION

Quid de l’enseignement moral et civique ?

HD-388-ens-moral-3-AFPNouveauté de la rentrée 2015, un acronyme en lieu et place de l’enseignement moral et civique, EMC, qui se veut une des réponses à la « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République » voulue par le ministère de l’Education nationale. Quelques semaines après la rentrée, quid de la mise en pratique de cet enseignement controversé ?

 

«Certains peuvent craindre avec l’usage du mot même de « morale » une forme de préchi-précha, ce que Nietzche appelait la moraline et que ça nous ramène au temps des leçons de morale de la IIIe République. » Conscient de cette gêne sémantique apparue lors de la consultation, Pierre Kahn, professeur des universités à Caen et coordinateur du groupe chargé de l’élaboration des projets de programmes d’EMC pour le conseil supérieur des programmes, insiste pour que la première tâche d’une formation à l’EMC soit un travail sur le mot même de morale pour lever les préjugés. Plus largement, pour le ministère « l’objectif de l’EMC est d’associer dans un même mouvement la formation du futur citoyen et la formation de sa raison critique. Ainsi l’élève acquiert-il une conscience morale lui permettant de comprendre, de respecter et de partager des valeurs humanistes de solidarité, de respect et de responsabilité ».

 

Des heures dédiées

Hérité du concept de « morale laïque » mis sur les rails par l’ancien ministre de l’Education Vincent Peillon, l’EMC est aussi la résultante de la « mobilisation de l’Ecole autour des valeurs de la République » promise par Najat Vallaud-Belkacem au lendemain des attentas de Paris en janvier 2015. Et tout particulièrement en réponse au refus du respect de la minute de silence dans plusieurs établissements scolaires. Qu’importe si beaucoup de professeurs avaient jugé cette mise en place précipitée, elle a eu lieu du CP à la terminale en remplacement de l’instruction civique en primaire, de l’éducation civique au collège et, dans une moindre mesure, de l’éducation civique, juridique et sociale (ECJS) au lycée. Lycée où cet enseignement bénéficiait déjà d’horaires propres. C’est désormais le cas également du CP à la terminale à raison d’une heure par semaine au primaire et de deux heures par mois pour les collégiens et les lycéens, un enseignement dispensé par un professeur d’histoire-géographie. Au programme, une articulation autour de quatre « dimensions » : la sensibilité, qui vise à l’acquisition d’une conscience morale, la règle et le droit, pour comprendre le sens des règles du vivre ensemble, le jugement, et la notion d’engagement.

 

HD-388-ens-moral-2-BSIPDes pédagogies appropriées

Si transmettre les valeurs communes de dignité, de liberté, d’égalité, de solidarité, de laïcité, d’égalité entre les femmes et les hommes, d’absence de toute discrimination, de tolérance et de respect de la personne n’est pas chose facile, elle n’en demeure pas moins une aventure passionnante. Et pour passionner, il faut déjà intéresser… C’est pourquoi Pierre Kahn reconnaît que « la difficulté liée à cet enseignement est de transmettre ces valeurs comme valeurs c’est-à-dire de les faire valoir, de les rendre désirables grâce à la mise en œuvre de formes pédagogiques appropriées ».

Côté pédagogie, Sophie, enseignante en CE2 à Versailles (78), a fait passer le permis piéton à ses petits élèves. Et pour aborder la notion de handicap et de respect de la différence, Sophie s’appuie sur les enfants handicapés de sa propre classe et organise des jeux de rôles. « Pour l’exercice de la citoyenneté, nous allons organiser l’élection des délégués de la classe. » Des élections qui ont déjà eu lieu à Vanves (92) dans la classe de CP de Louise avant les vacances de la Toussaint. « Yacine devait dire « signé » et Stéphane disait « a voté » quand on mettait le bulletin dans l’urne. » Et même si elle avait déjà accompagné ses parents voter, elle n’avait pas fait le rapprochement entre ces deux mêmes actions citoyennes. En tout cas, cette fois-ci le message est passé car Louise, élue déléguée remplaçante, explique fièrement que « voter n’est pas un jeu, c’est sérieux car on nous fait confiance ».

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« Le besoin d’un règlement »

A l’inverse, quelques semaines après la rentrée, certains parents interrogés n’ont pas encore entendu parler de l’EMC dans la classe de leur enfant car il n’a pas été encore abordé. « C’est prévu pour la rentrée après les vacances de la Toussaint », précise Céline, maman d’Apolline, élève de CM2 à Bourg la Reine (92).

Pour Laurent Grandmontagne, enseignant de CM1/CM2 à l’école Lagrâce-Dieu (31), l’EMC est loin d’être un cours de morale comme ceux qui ont survécu jusqu’aux années 60 et qui consistaient souvent en la lecture et l’analyse d’une fable ou d’un conte dont la « morale » est ensuite écrite au tableau et recopiée par les élèves. C’est sur la base d’une discussion que naît le règlement de la classe. « On attend d’avoir quelques soucis dans la vie de la classe, comme trop d’élèves qui se lèvent pour prendre un mouchoir, des chaises qui font du bruit, qui les amènent à chercher des solutions. C’est eux qui ressentent le besoin d’un règlement. » Pour cet enseignant expérimenté qui a vécu quelques années auparavant dans les cités, la période post attentats de Paris a été dure à vivre. « J’ai trouvé ça triste de voir des jeunes qui se disaient « pas Charlie » et qui ne voulaient pas participer. Ce sont des jeunes qui se sentent abandonnés par la République. »

 

« Nous exigeons de la politesse »

Pour sensibiliser à ces valeurs du « vivre ensemble » et faire connaître les institutions de la France, rien de tel que « des débats sur les religions mais aussi pour régler un problème d’agression dans la cour, des moqueries à cause de lunettes, reprend Laurent Grandmontagne. Nous faisons même des débats philosophiques : pourquoi trouve-t-on une chose belle ? Peut-on vivre sans mentir ? Pour discuter des institutions, nous travaillons sur l’élection, on se pose la question de « comment on fabrique une loi ? ». Dans ce cas, il s’agit plus de cours comme sur le fonctionnement de la sécurité sociale. Il est aussi important de rappeler que les propos racistes et antisémites ne sont pas de simples avis mais des délits et j’encourage les enfants à transmettre le message à leurs parents. »

Pour faire exister ces valeurs, cette petite école de campagne fonctionne sur la base même de ces valeurs de tolérance, de respect… « Par exemple, nous exigeons de la politesse, les élèves se lèvent quand un adulte entre dans la classe. Et à partir du CM2 nous instaurons le vouvoiement. En ce moment d’ailleurs c’est une période de transition, 90 % des élèves de ma classe l’ont intégré. Pour les autres, il s’agit d’une erreur et non d’une provocation », se réjouit l’enseignant de Lagrâce-Dieu.

Pour faire exister aux yeux des élèves cette vie riche de valeurs, rien de tel que les exemples concrets. C’est pourquoi Laurent Grandmontagne va accueillir dans sa classe une femme correspondante de l’association La chaîne de l’espoir qui, entre autres, permet de soigner, en France ou à l’étranger, des enfants qui ne peuvent l’être dans leur pays d’origine faute de moyens techniques ou financiers. Loin d’une morale « moraliste » à ingérer, il faut donner à voir, à comprendre, à questionner ces valeurs que nous leur demandons d’appliquer dans leur quotidien. L’EMC n’est pas un mot magique qu’il suffirait de prononcer pour instaurer de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Aux adultes aussi, parents en premier, de montrer l’exemple.

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Pour en savoir plus : 

L’enseignement moral et civique (EMC) au Bulletin officiel spécial du 25 juin 2015 

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ZOOM

Un dispositif de confiance

L’École n’étant pas la seule responsable, ni la cause de tous les maux qui la touchent, les parents sont invités à relayer aussi les valeurs enseignées par l’EMC. Et dans les onze mesures voulues par le ministère de l’Education nationale dans le cadre de la grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République, la mesure 4 consiste à associer pleinement et développer les temps d’échange avec les parents d’élèves pour créer une relation de confiance. Dans les académies, il existe les proviseurs de vie scolaire qui sont les référents des associations de parents pour toute difficulté relative au racisme, aux discriminations ou à la remise en cause des valeurs de la République. Mais aussi les espaces et/ou temps des parents développés – ou censés l’être… – dans chaque école et établissement.

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Lutter contre les stéréotypes sexistes

Dans la fiche ressource à la disposition des enseignants intitulée « les discriminations sexistes, travail sur les stéréotypes » à destination des élèves de 3e, l’un des exercices consiste à indiquer les caractéristiques masculines / féminines de personnages réels ou de fiction.

Exemples : Billy Elliot, jeune danseur, Laurence Parisot, chef d’entreprise ou Angela Merkel, chef de gouvernement. Si l’exercice perpétue pour certains des clichés sexistes et a soulevé une mini polémique, le ministère a tenu à rappeler que l’unique objectif de cet exercice est « de mettre en évidence cette vision très « stéréotypée » des hommes et des femmes et de la nuancer ». Place au débat.

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INTERVIEW

388-itw-emc-LGLaurent Grandmontagne, enseignant d’une classe de CM1/CM2 à l’école Lagrâce-Dieu (31)

Que pensez-vous de l’EMC ?

C’est un nouveau nom mais pas un nouvel enseignement puisqu’il existait déjà l’éducation civique. Mais instaurer l’EMC ne peut qu’aller dans le bon sens. C’est important d’insister. De toutes façons, en classe, il n’y a pas 1h qui ne soit pas 1h d’éducation civique car il faut tenir compte de la parole de l’autre, ne pas lui couper la parole, respecter la règle du jeu au sport, faire des équipes équitables sans mettre de côté un tel ou une telle… Si dans les années 80, c’était un peu ringard le drapeau, la Marseillaise, avec le temps on se les est fait voler et maintenant on court derrière. Aujourd’hui avec mes élèves nous allons aux commémorations du 11 novembre et du 8 mai et ils connaissent tous notre hymne national. L’EMC c’est autre chose que la leçon de morale écrite au tableau ou la morale imposée en force. Alors oui quand on voit le programme de l’EMC, on se dit que c’est utopique mais si on y travaille tous, on vivra tous en harmonie.

 

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