EDUCATION

Travail des mineurs : des règles de sécurité plus souples

HD-387---ens-pro-jeuneUn décret paru en avril dernier a assoupli les règles de sécurité pour les apprentis et stagiaires. Si les entreprises s’en félicitent, les enseignants d’établissements d’enseignement professionnel craignent une augmentation des risques.

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« Ce texte est dangereux pour les jeunes ! » Olivier Bleuven, enseignant en techniques forestières au lycée professionnel agricole de Sabres (Landes), est catégorique : le décret du 17 avril 2015 « relatif à la procédure de dérogation (…) pour les jeunes âgés de moins de dix-huit ans » est un recul au niveau de la sécurité des apprentis et des stagiaires. A l’initiative des ministères du Travail et de l’Agriculture, ce texte assoupli les règles de sécurité autour du travail des mineurs en milieu professionnel. Plus précisément, le décret précise qu’il a « pour objet de simplifier la procédure de dérogation aux travaux interdits ». En effet, les apprentis ou stagiaires d’établissements d’enseignement professionnel et agricole n’ont pas le même code du travail que les salariés classiques, certains travaux leur étant notamment interdits. Par exemple, un employeur ne peut pas faire exécuter à un employé de moins de dix-huit ans « des opérations sous tensions » ou des « travaux de démolition, de tranchées, comportant des risques d’effondrement et d’ensevelissement » (source gouvernementale : « Liste des travaux interdits et règlementés à partir du 14 octobre 2013 »).

D’autres tâches sont, elles, « soumises à dérogation », telles que la « conduite d’équipements de travail servant au levage » ou encore le « montage et démontage d’échafaudages ». Les secteurs de la menuiserie, de la métallurgie ou les professions forestières, de l’élagage et du bâtiment sont particulièrement concernés.

 

« On perdait des maîtres de stage »

Ce sont donc ces types d’activités, « soumises à dérogation », qui sont concernées par le décret de 2015, lequel substitue au régime d’autorisation par l’inspecteur du travail un régime déclaratif. Auparavant, un employeur qui souhaitait déroger devait en faire la demande à l’inspection du travail. Le jeune était autorisé à effecteur ces tâches seulement lorsqu’un inspecteur avait vérifié que toutes les conditions – de sécurité, de formation, d’information – étaient réunies. « Mais cela freinait les entreprises, explique Irène Guillaume, membre de la Commission formation de la CGPME (Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises). Les inspecteurs devaient aller dans chaque entreprise, chaque CFA (Centre de formation d’apprentis). Or, ils ne le pouvaient pas car ils n’étaient pas assez nombreux. Les entreprises – et donc les jeunes – devaient parfois attendre trois mois avant d’obtenir l’autorisation. » « Il y avait des abandons de procédure et on perdait des maîtres de stage » renchérit Joëlle Guyot, adjointe au sous-directeur des politiques de formation et d’éducation à la direction générale de l’enseignement et de la recherche au ministère de l’Agriculture.

Désormais, la venue d’un inspecteur du travail n’est plus nécessaire. Le maître de stage ou le chef d’entreprise employant un apprenti doit uniquement déclarer à l’inspection du travail les tâches soumises à dérogation qu’il compte faire exécuter au jeune. « Le document comporte des informations sur le jeune, son avis médical et la formation sécurité qu’il a suivie » précise Irène Guillaume. Cette déclaration doit se faire au plus tard huit jours avant le début de la période de travail pour que, si besoin est, l’inspecteur du travail vienne réaliser les vérifications.

Ce changement de réglementation a ainsi pour objectif de lever des freins à l’embauche de jeunes travailleurs et, en particulier, d’atteindre l’objectif annoncé du gouvernement des 500 000 apprentis d’ici 2017 – ils étaient 423 000 en 2014.

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HD-387---ens-pro-cyril« Un risque que les entreprises ne jouent pas le jeu »

Toutefois, cet assouplissement des règles de sécurité fait craindre une diminution de la sécurité des jeunes. « L’employeur va déclarer ce qu’il voudra déclarer » estime ainsi Jérôme Dammerey, secrétaire général du SNUEP-FSU, syndicat d’enseignants de la voie professionnelle. « Il y a un risque que les entreprises ne jouent pas le jeu » ajoute Olivier Bleuven. Les regards se tournent essentiellement vers les petites entreprises. « Les grandes entreprises agissent dans les règles, poursuit Olivier Bleuven. Elles ont des services juridiques, de ressources humaines, qui mettent tout en œuvre pour recevoir les jeunes. Elles ont les moyens de les former. Le problème, ce sont les petites structures qui n’en ont ni le temps ni les moyens. »

Ainsi, Cyril Blot, élève de 16 ans en Bac pro Travaux publics au lycée Martin Nadaud de Saint-Pierre-des-Corps, a déjà connu quelques frayeurs. « Sur un chantier lors d’un précédent stage dans une petite entreprise, on m’a fait conduire de gros engins, un peu du jour au lendemain. J’avoue que j’ai eu un peu peur… »

« Ce qu’il se passe, c’est qu’on simplifie les procédures car on n’a pas les moyens d’améliorer le système, explique Jérôme Dammerey. Or, il ne faut pas rabattre les conditions de sécurité des jeunes car les accidents du travail sont plus nombreux chez eux en proportion que chez les salariés plus expérimentés. Le jeune n’est pas concentré de la même manière, il a besoin d’une attention particulière. »

 

Capture d’écran 2015-08-06 à 16.50.23Des accidents en forte baisse

Du côté des entreprises, on prône la confiance. « Quel est l’intérêt de l’entreprise de mettre le jeune en danger ?, demande Irène Guillaume. Elle est responsable et assure évidemment la sécurité de ses salariés. Et puis, les entreprises, ce sont aussi des individus, des parents qui ont des enfants. On ne met pas les enfants en danger. » « Puisque c’est désormais déclaratif, bien sûr qu’on peut tricher, admet Nicolas Chaffurin, enseignant au lycée agricole de Mâcon-Davayé, mais ce n’est dans l’intérêt de personne, pas même de l’entreprise car s’il y a un souci, c’est elle qui est embêtée. » En outre, depuis plusieurs années, la sécurité des jeunes travailleurs a été renforcée. « Si on a assoupli, c’est parce qu’il y a d’autres garanties, d’autres contraintes », estime Nicolas Chaffurin. Un rapport de 2015 du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a d’ailleurs relevé une division par deux environ du nombre d’accidents d’élèves ou d’apprentis entre 2002 et 2012. « On a intégré des parties concernant la sécurité dans les modules professionnels et les diplômes, on a imposé un certain nombre d’exigences au chef d’établissement et au maître de stage, celui-ci devant notamment former les jeunes aux risques qu’il encoure. Et puis il y a le “document unique” » précise Joëlle Guyot. Ce “document unique” (DU), qui concerne tous les employeurs de main d’œuvre, consiste en une évaluation et un inventaire des risques devant permettre de prendre des mesures afin de les limiter. « La mise en place du DU a « écrémé » les maîtres de stage, où seuls les plus sérieux sont restés », assure Nicolas Chaffurin.

 

Rester vigilants

Malgré cela, le décret de 2015 laisse chez certains un goût amer. « Je peux entendre que les entreprises sont responsables, lance Jérôme Dammerey, mais en tout cas, cette décision ne va pas améliorer les conditions de travail et de sécurité des jeunes. Il y avait une autre solution : remettre des moyens dans l’inspection du travail pour garantir les conditions de sécurité. » « On fait un travail de fond, répond Joëlle Guyot. On responsabilise les acteurs. On n’en avait pas les moyens, mais même si on avait pu mettre plus d’inspecteurs du travail, cela aurait été la solution de facilité. Il faut être pédagogue et faire progresser ces sujets chez les maîtres de stage et chefs d’établissement. » Olivier Bleuven, quant à lui, propose de repousser la première période de stage : « Les élèves partent en stage à peine six mois après leur arrivée dans l’établissement : on n’a pas le temps de les former à tous les risques ! » Les parents d’élèves ont également un rôle à jouer. « Les enseignants font au moins une visite dans l’entreprise pour chaque stagiaire, mais on ne peut pas voir tous les risques, on n’en a pas les compétences, explique Nicolas Chaffurin. Les parents doivent rester vigilants et ne pas hésiter à contacter l’établissement s’ils constatent quelque chose. »

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ZOOM

Chiffres-clés 

- 1 600 lycées professionnels et 694 000 lycéens professionnels.

- Enseignement agricole : 830 établissements d’enseignement technique. 170 000 élèves dans l’enseignement technique agricole.

- 1 500 Centres de formation d’apprentis (CFA). 423 000 jeunes apprentis en 2014 (- 8% par rapport à 2013). 500 000 : objectif du nombre d’apprentis du gouvernement d’ici 2017.

- 6387 accidents d’élèves ou d’apprentis de l’enseignement agricole en 2012 (11 526 en 2002).

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387-secu-pro-DuveauPOINT DE VUE

Nicolas Duveau, enseignant d’électrotechnique au lycée professionnel Auguste-Perdonnet, à Thorigny-sur-Marne

« L’ancien texte était inapplicable : il conduisait à une visite automatique d’un inspecteur du travail en cas de demande de dérogation. Cela avait deux conséquences. Comme les inspecteurs n’étaient pas assez nombreux, il y avait de très longs délais d’attente. Puis, certaines entreprises ne prenaient plus de jeunes pour ne pas risquer une visite d’un inspecteur. Le décret a assoupli les règles de sécurité qui étaient parfois absurdes : un élève en CAP cuisine ne pouvait pas, par exemple, utiliser un robot-mixeur… Le législateur avait décidé d’interdire tout pour s’enlever toute responsabilité. Le problème est que, désormais, on doit se contenter de ce que le patron déclare. Cela peut poser problème pour le travail en hauteur par exemple : dans le bâtiment, pour monter au-delà de cinq mètres, l’employé doit être titulaire d’un certificat. Or, c’est à l’entreprise de le former à cela, mais ça coûte du temps et de l’argent et, désormais, l’inspection du travail n’aura plus les moyens de vérifier. Charge, en cas d’accident, à l’employeur de justifier tout cela… On demande parfois aux établissements de faire ces formations, mais on n’a pas le temps. On ne peut pas supprimer les cours d’enseignement généraux, ou alors il faudrait réduire la durée des stages et augmenter la présence en établissement. »

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387-Laurent-Chardigny-(gaucTEMOIGNAGE

Laurent Chardigny, co-gérant du Domaine viticole de Rochebin, à Azé (71)

« On a actuellement trois apprentis, et deux stagiaires devraient bientôt nous rejoindre. Nous sommes très concernés par ce décret car les outils que nous utilisons sont presque tous considérés comme dangereux ! Il y a le sécateur électrique, les tracteurs, la pompe à vidange, le pressoir… Il y a même des risques avec le gaz de fermentation qui dégage du CO2. Du coup, on doit lister, dans la déclaration, tous ces outils que peuvent utiliser les apprentis. Mais on fait très attention avec la sécurité, c’est la même chose pour les apprentis que pour les employés. On explique beaucoup les choses, on répète beaucoup les règles.

Aussi, il y certaines tâches que les apprentis ne peuvent pas faire : conduire un Fenwick car il faut un permis, réparer une machine qui est bloquée… Je leur demande de m’appeler, car ils n’en ont pas les compétences et c’est dangereux. Ils ne font qu’utiliser l’appareil. Il n’y a pas vraiment de risques car nos appareils sont aux normes, et puis on a des visites de professeurs et d’inspecteurs du travail qui peuvent toujours voir ce qui ne va pas. Mais, au final, cette histoire de déclaration est presque idiote car les enseignants savent très bien ce qu’on utilise comme outils et que pour faire du vin, il faut un pressoir. Et certaines entreprises peuvent de plus déclarer ce qu’elles veulent… »

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GRAND TEMOIN

387-temoin-Jean-Marie-Le-BoJean-Marie LE BOITEUX *, secrétaire général du Syndicat National de l’Enseignement Technique Agricole Public (SNETAP-FSU).

« Faut-il sacrifier la sécurité des jeunes par manque de moyens ? »

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Dans quel contexte le décret assouplissant les règles de sécurité des jeunes de l’enseignement professionnel et agricole a-t-il été décidé ?

Il a été proposé par le ministère du Travail qui était confronté à un certain nombre de professions, plus accidentogènes que d’autres, agacées par les différents blocages à l’embauche. L’exemple souvent pris était qu’il fallait une dérogation pour pouvoir faire monter un jeune sur une échelle. Le but est donc d’assouplir les contrôles. Le problème est qu’à l’autre bout de la chaîne, c’est la sécurité du jeune qui est en jeu. Désormais, l’entreprise ne doit faire que du déclaratif. Certes, l’inspection du travail peut toujours vérifier, mais comme elle est en sous-effectif, il y a un risque de laisser-aller.

 

Doit-on s’inquiéter de cette liberté donnée aux entreprises ?

Il faut faire une différence entre grandes et petites entreprises. Les premières ont les moyens de faire faire des formations aux jeunes, ont du matériel aux normes et sont souvent contrôlées. Mais dans le milieu agricole, les agriculteurs sont souvent seuls et n’ont ni les moyens ni le temps de faire faire des formations aux jeunes et ont souvent des machines un peu vieillottes. Et comme l’inspection du travail ne va plus aller vérifier, on ne sait pas quels risques on fait courir au jeune.

 

Que proposez-vous ?

Il faut faire plus de pédagogie et expliquer que ces tracasseries administratives sont dans l’intérêt de tout le monde, même de l’entreprise qui va ainsi éviter de prendre le risque qu’un jeune se blesse. Les inspecteurs du travail pourraient également venir dans les entreprises davantage en tant que conseils, et plus seulement dans le but de sanctionner. Mais évidemment il faudrait leur donner plus de moyens. La vraie question est politique : faut-il sacrifier la sécurité des jeunes par manque de moyens ?

 

Plus globalement, quelle est la situation actuelle de l’apprentissage et de l’enseignement agricole ?

Un des problèmes est qu’on envoie en apprentissage des jeunes qui ne le souhaitent pas, simplement car on ne leur offre pas d’autres choix. L’apprentissage est très bien mais pour les jeunes qui le veulent. Mais un jeune qui souhaite – et qui en a la possibilité – suivre un enseignement général devrait toujours le pouvoir. Concernant l’enseignement agricole, trois dimensions sont en tension actuellement. D’un point de vue pédagogique, il y a une trop forte baisse des enseignements disciplinaires au profit de la liberté de choix des établissements. Ensuite, comme on ne peut pas accueillir tout le monde faute de moyens, on refuse certains jeunes qui souhaiteraient venir dans l’enseignement agricole. Enfin, la question du personnel se pose, de sa formation et de ses obligations de service.

 

Quels sont les atouts de l’enseignement agricole ?

Tout d’abord, c’est la proximité du vivant, de la nature, des animaux car dans chaque établissement il y a des exploitations et des ateliers. De plus, ce sont des établissements à taille humaine : un gros lycée agricole, c’est 500 élèves, contre 1000 élèves pour un gros lycée de l’Education nationale. ça crée du lien, de même que les internats qui n’ont plus rien à voir avec ceux des années 1950 et qui sont désormais de vrais lieux de vie. Egalement, l’enseignement agricole, ce n’est pas seulement agrico-agricole : il y a aussi des cursus d’aménagement du territoire, de travail en forêt, d’aide à la personne en milieu rural… L’autre gros atout est la cohabitation d’enseignements général, technologique et professionnel.

 

* Ancien ouvrier agricole, Jean-Marie Le Boiteux est devenu professeur en 1987. Il enseigne aujourd’hui la biologie et l’écologie dans le cadre de formations pour adultes en établissement agricole. Il est secrétaire général du SNETAP-FSU depuis 2009.

 

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