EDUCATION

Des stages mieux encadrés

HD-386-stages-1-phanieDes mesures viennent d’entrer en vigueur pour mieux encadrer les stages en entreprise et limiter les abus des employeurs.

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Ils avaient défrayé la chronique en défilant dans les rues le visage caché derrière des masques blancs, symboles de leur invisibilité dans le monde du travail. Ils entendaient ainsi dénoncer les abus de certains employeurs et assurer aux stagiaires une plus grande reconnaissance. Après dix années de combat, les membres du collectif Génération précaire semblent avoir en partie obtenu gain de cause. Le 10 juillet 2014 a été votée une loi visant à mieux encadrer les stages et à renforcer les droits des stagiaires.

Le texte comporte plusieurs aspects. Tout d’abord, il réaffirme le rôle du stage en entreprise. Celui-ci doit obligatoirement venir en complément de la formation. Il a pour objectif de permettre à l’élève à la fois d’appliquer ce qu’il a appris en cours et de découvrir le monde de l’entreprise grâce à une immersion totale de plusieurs semaines, voire plusieurs mois. La convention tripartite, signée par l’établissement scolaire, l’entreprise et le stagiaire, reste plus que jamais d’actualité. Elle doit dorénavant préciser obligatoirement les compétences à acquérir ou à développer ainsi que leur définition précise. Elle liste également les activités auxquelles le stagiaire participera ainsi que les tâches qui lui seront confiées. Désormais, tout stagiaire doit faire l’objet d’un suivi régulier dont les modalités doivent elles aussi figurer dans la convention. Le tuteur, chargé de ce suivi au sein de l’entreprise, et l’enseignant-référent (qui ne pourra plus suivre plus de 16 stagiaires en même temps), qui a pour mission de faire le lien entre l’école et l’entreprise, doivent être clairement identifiés.

 

La chasse aux abus

Toutes ces dispositions sont censées mettre un terme aux stages « photocopies », encore trop fréquents, à l’image de ce qu’a vécu Romain lors de son passage dans un cabinet d’architectes : « J’ai passé la plus grande partie de mon temps à distribuer des plis et des colis dans les entreprises. Je n’ai pas vraiment appris l’architecture, mais par contre, je connais bien le métro parisien. En fait, mon stage a surtout permis au cabinet qui m’employait de faire des économies de poste et de coursier. Le stagiaire fait souvent le travail le plus fatigant et le moins intéressant, celui dont aucun salarié ne veut. Ce n’est pas très valorisant. »

Ces dispositions visent aussi à éviter que des entreprises ne recrutent des stagiaires dans l’unique but de profiter d’une main d’œuvre bon marché, quitte à recruter un nouveau stagiaire dès que le précédent s’en va. Alors qu’elle était en stage chez un éditeur d’ouvrages parascolaires, Pauline avait été victime de ce système : « Mon maître de stage m’avait fait comprendre que j’avais une chance d’être embauchée. J’ai été très motivée. Mais à la fin de mon stage, on m’a annoncé que c’est un autre stagiaire qui allait me remplacer, car il n’y avait pas assez de budget pour créer un poste… ».

Autre nouveauté imposée par la loi, un stagiaire ne peut plus rester plus de 6 mois consécutifs dans un même organisme. Les établissements scolaires ont eux aussi de nouvelles obligations. Ils sont désormais tous tenus d’aider leurs élèves à décrocher des stages en recensant les offres disponibles et en les préparant aux entretiens d’embauche. Par ailleurs, la loi entend limiter le nombre de stagiaires dans les entreprises grâce à un plafond basé sur la masse salariale. Les employeurs s’exposent à une amende de 2 000 euros par stagiaire surnuméraire.

 

HD-386-stages-2Des droits renforcés

La loi du 10 juillet 2014 renforce par ailleurs les droits des stagiaires au sein de l’entreprise. Plus question de rendre ces derniers corvéables à merci. Désormais, chaque stagiaire doit figurer sur le registre unique du personnel au même titre que les autres salariés et son temps de présence dans l’entreprise doit être précisé dans la convention de stage. Celui-ci ne peut pas être supérieur à celui des autres salariés. La loi prévoit aussi un renforcement des contrôles de l’Inspection du travail et accorde aux prud’hommes un délai maximum d’un mois pour traiter les demandes de requalification des stages abusifs en contrat de travail. Les stagiaires bénéficient enfin de la même protection contre le harcèlement moral et sexuel dans l’entreprise que les autres salariés, ce qui n’était pas le cas jusque-là…

Outre l’intérêt des tâches effectuées et la quantité de travail réalisée, les stagiaires déploraient aussi leur faible rémunération. « Il est quasiment impossible de vivre décemment à Paris avec un salaire de stagiaire », se désolait il y a quelque temps l’un d’entre eux sur un forum Internet. Sur ce point aussi, la loi a quelque peu changé la donne. Le seuil de rémunération est désormais fixé à 479,50 euros, soit une augmentation de 43,50 euros par rapport à ce qui se pratiquait jusque-là. Cette gratification minimale passera à 523 euros par mois à compter du 1er septembre 2015. Certes, on est encore loin d’un vrai salaire. Par ailleurs, cette gratification ne sera obligatoire que pour les stages de plus de deux mois alors que le mouvement Génération précaire souhaitait qu’elle soit versée dès le début du deuxième mois. Mais ces sommes sont exonérées d’impôt sur le revenu et le stagiaire bénéficie des mêmes avantages que les salariés de l’entreprise (accès au restaurant de l’entreprise ou tickets-restaurants selon les cas, remboursement des frais de transports, etc.). Il dispose aussi du même nombre de jours de congés que les salariés, ce qui n’était pas encore le cas.

 

Le stage au cœur de la formation

Même si elles ne vont pas tout résoudre, ces nouvelles dispositions devraient permettre de limiter les abus et contribuer à renforcer l’expérience professionnelle des étudiants. L’enjeu est de taille. En France, la plupart des formations intègrent des stages obligatoires. Un étudiant en DUT passe 10 semaines en entreprise au cours de sa formation, un élève ingénieur au moins 28 semaines et un étudiant en école de commerce entre 10 et 18 mois. Les cursus universitaires aussi y ont de plus en plus recours. 70 % des étudiants en master et 48 % des étudiants en licence ont effectué au moins un stage au cours de leur scolarité.

Si les stages ont une telle importance, c’est qu’ils apportent beaucoup. Non seulement ils permettent aux élèves de mettre en pratique ce qu’ils ont appris en cours, mais ils leur offrent aussi une occasion inespérée de mettre un pied dans le monde du travail, de nouer des contacts et de se constituer un réseau. « Les 10 mois de stage que j’ai effectués durant mes études supérieures m’ont permis d’acquérir de l’expérience. D’ailleurs, lors de mes entretiens d’embauche, on m’a davantage parlé de mes stages que de ce que j’ai appris à l’école. Sans mes deux stages, jamais je n’aurais décroché un CDI à 21 ans », assure Thibault. « Le stage de fin d’études que j’ai réalisé dans la filiale asiatique d’un grand groupe industriel a représenté un effort financier important, mais c’est surtout un investissement pour mon avenir professionnel. D’ailleurs, il m’a permis de me faire remarquer par les équipes basées en Europe », assure de son côté Alice. Avec ou sans loi, le stage reste plus que jamais un passage obligé.

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ZOOM

Tous les stages sont concernés

Qu’ils soient obligatoires ou facultatifs, qu’ils se déroulent en entreprise ou au sein d’un organisme public, tous les stages sont soumis à cette nouvelle législation. Le décret d’application du 30 novembre 2014 précise en effet que la loi du 10 juillet s’applique à tous les « élèves et étudiants accomplissant une période de formation en milieu professionnel ou un stage dans le cadre de leur cursus de formation initiale ». Les modalités s’appliquent donc aussi bien aux stages de l’enseignement supérieur qu’aux périodes de formation en milieu professionnel prévues dans le cadre du secondaire. Ainsi, les lycéens en CAP ou en bac pro, par exemple, bénéficient des avancées de la loi au même titre que les étudiants, que ce soit au niveau de l’encadrement, des droits ou de la rémunération.

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TEMOIGNAGES

Philippe, professeur dans un lycée professionnel à Nantes (44)

« Si les nouvelles mesures vont dans le bon sens, le succès d’un stage dépend surtout de la bonne coordination entre l’entreprise et l’enseignant-référent. Avant chaque stage, je rencontre le patron de l’entreprise et le tuteur afin de les briefer sur le profil de l’élève et sur ce que j’attends d’eux. Ensemble, nous précisons les tâches que le stagiaire devra accomplir et les connaissances qu’il devra acquérir. C’est à cette condition que le stage sera vraiment profitable pour l’élève. La validation, qui a lieu à la fin du stage de deuxième année, se fait elle aussi en concertation. Le tuteur et moi vérifions que l’élève a bien acquis ce qui devait l’être, puis nous remplissons une grille d’évaluation et nous discutons afin de lui mettre une note correspondant à sa valeur. Avec une bonne préparation et un bon suivi, les dérives sont rares. »

 

 

 

Amandine, étudiante en école d’avocat

« Après une première expérience dans un petit cabinet de province, j’ai eu la chance, grâce à des relations familiales, de pouvoir intégrer un prestigieux cabinet parisien de la place Vendôme. Ces quelques mois ont été incroyables. Ils m’ont permis de me rendre compte de ce qu’était le métier et j’ai compris pourquoi je voulais le faire. Moi, jeune fille ayant toujours vécu à la campagne, j’ai dû m’adapter rapidement, ne serait-ce qu’en troquant mes jupes par des tailleurs. Certes, j’ai passé beaucoup de temps dans les taxis pour aller déposer des plis aux quatre coins de Paris. Ce n’était pas forcément très gratifiant, mais je le faisais sérieusement, consciente que la moindre erreur pouvait avoir des conséquences importantes sur la procédure. Par chance, je n’ai pas fait que ça. Avec 4 autres stagiaires, nous passions la majeure partie de notre temps le nez dans les textes pour trouver les articles de loi et les jurisprudences que nous réclamaient les avocats du cabinet. Même s’il y avait une certaine compétition entre les stagiaires, l’ambiance était bonne. Heureusement car je travaillais entre 10 et 12 heures par jour, voire plus en cas d’urgence. Même si la rémunération n’a pas été à la hauteur du travail fourni, je ne regrette rien. Depuis, je poursuis mes études en espérant avoir laissé une bonne impression et en essayant de garder le contact avec mon tuteur. »

 

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