EDUCATION

Remplacement des enseignants : quelle réalité ?

HD-385---prof-absent-1Bête noire de la gestion d’un établissement scolaire, la problématique du non-remplacement des enseignants absents a des conséquences parfois lourdes pour les élèves, en particulier dans le secondaire. Entre modalités d’organisation et mise en œuvre de solutions, que se passe-t-il réellement sur le terrain ?

 

«Elèves recherchent enseignant désespérément »… Si ce titre de mauvais film peut prêter à sourire, quelques parents d’élèves ont malgré tout dû en arriver à cet extrême pour trouver un enseignant pour leurs enfants. Des petites annonces postées ça et là depuis quelques années sur le site LeBoncoin, site d’annonces entre particuliers, pour alerter les autorités ministérielles de leur désarroi mais aussi trouver parfois le professeur de français, d’anglais ou encore de technologie manquant. Et, malgré tout leur acharnement, les rectorats des différentes académies concernées avouaient être dans l’impossibilité de trouver rapidement une solution face à un contingent limité de remplaçants.

Thouaré-sur-Loire (Loire Atlantique), Meximieux (Ain), Sarreguemines (Moselle) ou encore Vigneux-sur-Seine (Essonne) sont autant d’exemples qui, depuis quelques années, traduisent la difficulté de certains établissements à faire face à l’absence d’un enseignant. En décembre dernier, au lycée Navarre de Saint-Jean-Pied-de-Port (Pyrénées-Atlantiques), une délégation d’une quinzaine de parents d’élèves a pris à partie le proviseur de l’établissement pour exiger le remplacement d’un professeur de mathématiques absent depuis 3 semaines. Les parents d’élèves avaient même posté un appel à candidature sur le réseau social Facebook pour le trouver, l’absence étant prévue jusqu’à mi-avril ! Au final, l’Inspection d’académie a fini par confirmer la venue prochaine d’un remplaçant. L’intervention des parents a-t-elle servi de déclencheur ? Pas d’indication à ce sujet bien entendu, certainement pour éviter que ce type d’initiative musclée ne se multiplie…

Mais force est de constater que de nombreux parents réagissent aujourd’hui face au non-remplacement d’enseignants pour leur enfants. Problématique nouvelle ou plus grande médiatisation de ces affaires ? Les enseignants sont-ils plus souvent absents ? Y a-t-il de moins en moins de remplaçants ? Est-ce une question de matière enseignée et/ou de localisation? Autant d’interrogations légitimes sur une problématique qualifiée dans le projet de loi de finances 2015 de « préoccupation majeure du ministre de l’Education nationale puisqu’elle touche à la continuité et à la qualité du service public ».

 

HD-385---prof-absent-3Deux degrés, deux dispositifs

Avant d’analyser la réalité du terrain, il est utile de rappeler ce que l’Education nationale entend par « remplacement ». Car cette notion recouvre à la fois le remplacement de longue durée qui a vocation à durer jusqu’à la fin de l’année scolaire, comme un départ à la retraite, et le remplacement temporaire, ou suppléance, de plus ou moins longue durée comme un congé de maladie ordinaire ou un congé maternité. Mais, en plus de varier d’une académie à l’autre et d’un département à l’autre, les modalités d’organisation du remplacement diffèrent selon qu’il a lieu dans le premier ou le second degré.

En primaire, les personnels titulaires remplaçants sont rattachés à une école et affectés soit dans une brigade départementale de remplacement (BDR), soit dans une zone d’intervention localisée (ZIL). S’ils peuvent être mobilisés dès la première demi-journée d’absence, dans le seconde degré le recours à des remplaçants titulaires ou TZR (Titulaires sur zone de remplacement) n’intervient que pour des absences de plus de 15 jours ! En dessous de cette durée, la recherche de solutions au sein de l’établissement doit reposer sur l’implication de l’ensemble des personnels de l’établissement alors rémunérés en heures supplémentaires.

Une solution qui montre ses limites : selon un questionnaire parlementaire sur les défis de l’enseignement scolaire dans le projet de loi de finances 2015, le taux de remplacement de courte durée atteint 36 % contre un taux d’efficacité de 97,2 % pour les absences de longue durée pour 2013-2014 ! Des chiffres éloquents même s’il est précisé que les solutions dégagées au sein des établissements sont presque impossibles à évaluer comme la récupération du cours par l’enseignant à une autre date ou l’échange de services avec un autre enseignant. Qu’en est-il sur le terrain ? A en croire de nombreux enseignants, à l’image de Jennifer, professeur de mathématiques dans un collège du 18e arrondissement de Paris, « il n’y a tout bonnement pas de remplacements pour des absences de moins de 15 jours au collège et c’est d’ailleurs le problème des arrêts qui vont de semaine en semaine ».

Pour preuve de la difficulté rencontrée pour les remplacements de courte durée dans le second degré, le questionnaire parlementaire parle d’une « diversification des viviers, outre l’usage de TZR lorsque cela s’avère possible » et constate qu’ « un vivier de contractuels encadrés, formés et fidélisés semble être actuellement un des leviers les plus développés par les académies ». La solution trouvée ? L’article 13 du décret du 27 juin 2014 modifiant celui du 6 juin 2003 qui permet de « suspendre, avec l’accord de l’intéressé, le contrat d’un assistant d’éducation pour lui permettre d’être recruté temporairement en qualité de professeur ou de personnel d’éducation contractuel pour assurer temporairement le remplacement d’un fonctionnaire ou faire face à une vacance temporaire d’emploi ». Autrement dit, ce sont les assistants d’éducation, initialement créés en 2003 pour assurer des tâches d’encadrement des élèves et d’assistance aux équipes pédagogiques, qui auront parfois en charge la mission de devenir enseignant… temporairement.

 

HD-385---prof-absent-2Une trop grande disparité

Au-delà du cours non assuré c’est le manque de suivi qui fait surtout peur aux parents. Si au Raincy (93), Valérie, déléguée des parents d’élèves et mère d’un collégien s’est fait une raison quant aux « remplaçants de moins de 15 jours » qui ne viennent plus car tous occupés ailleurs, elle veut que l’enseignement se poursuive malgré tout. « Quand un arrêt maladie est reconduit ou qu’un congé maternité commence plus tôt, il y a heureusement les professeurs des autres classes qui donnent du travail voire parfois la principale du collège elle-même, car c’est une ancienne professeur de français. » En dépit de toutes ces bonnes volontés, Valérie a vu la situation se dégrader. « Il y a 10 ans, jamais mon fils n’a eu un maître absent en primaire ; parfois, on ne savait même pas que la maîtresse était absente car les élèves étaient répartis dans les autres classes pour une journée au maximum. »

Ce que craignent tous les parents : la longue absence qui handicape l’élève dans sa scolarité. Un exemple, le cas rapporté par Anne, alors déléguée des parents d’élèves dans un lycée de l’académie d’Aix-Marseille concernant le non-remplacement d’un enseignant de physique-chimie pour des élèves de seconde s’orientant en sciences de l’ingénieur. « Même en alertant l’inspection de l’académie, ce sont près de deux mois de cours que les élèves ont dû rattraper pendant l’été et à leur rentrée en 1re.»

 

Quelles solutions ?

La situation du remplacement des enseignants est-elle à ce point tendue partout sur le territoire ? En zone rurale, à en croire Marie-Claude Bertin, directrice de l’école primaire de Les Préaux (27), la question n’est visiblement pas un problème. « En plus d’avoir des enseignants rarement absents, nous avons le même inspecteur d’académie depuis 7 ans à qui il suffit de transmettre l’information dès l’appel du collègue absent. En campagne, ils font tout pour qu’il y ait quelqu’un dans la classe. » Alors cela voudrait-il dire que le vivier de remplaçants serait, ici, suffisant ? Avec le recul de 10 ans de carrière de remplaçant dans le secteur, Benjamin Losier affiche un maximum de 4 jours consécutifs sans remplacement – et toujours en début d’année. Et si aucun recrutement n’a été effectué dans l’année pour renforcer le vivier, aucun de ses 18 collègues remplaçants de sa brigade n’est non plus aujourd’hui sans poste. Des effectifs suffisants donc mais un équilibre qui reste tout de même fragile comme dans la circonscription voisine où la pénurie s’est fait sentir suite à de nombreux congés de maternité, ce qui nécessite désormais le détachement de collègues d’autres brigades.

La solution se trouverait-elle dans l’embauche de nouveaux enseignants ? C’est en tout cas la réponse apportée par le ministère de l’Education nationale avec la création de plusieurs dizaines de milliers de nouveaux postes pour le premier degré et le second degré sur le quinquennat, dont une partie sera dévolue au remplacement des enseignants absents. Mais au-delà de l’augmentation des effectifs la vraie solution ne viendrait-elle pas d’une meilleure organisation ? C’est ce que suggère notamment la Peep, qui par la voix de se présidente Valérie Marty indiquait quelques semaines après la dernière rentrée scolaire que « c’est la gestion des ressources qu’il faut revoir, en permettant, par exemple, des remplacements entre les académies ».

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TEMOIGNAGE

itw-385---vautierPatrick Vautier, directeur du cabinet du recteur de l’académie de Caen

« Notre principal devoir c’est de mettre des enseignants devant les élèves. Comme la plupart des académies françaises nous avons été touchés depuis 2-3 ans par une vraie difficulté qui ressemblait parfois à une pénurie d’enseignants dans certaines matières ou dans certains secteurs géographiques. Cette année cela s’est atténué. Pour preuve, pour le mois d’octobre nous étions à 95 % des remplacements assurés. Historiquement, probablement que l’année dernière a été l’année scolaire la plus difficile. Entre autres phénomènes, le double concours, qui a été évidemment une bonne chose puisque cela a permis un recrutement assez important, a totalement asséché le vivier de contractuels dont nous disposions les années précédentes. Mais pas dans toutes les zones géographiques ni dans toutes les matières. Celles qui sont le plus en tension, et qui sont encore en tension cette année, sont les lettres, le français, les maths, un peu la technologie et aussi l’allemand. »

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INTERVIEW

Hélène Ramon, principale du collège Jean-Baptiste Corot au Raincy (93)

Le remplacement des enseignants absents est-il un problème que vous avez à gérer au quotidien ?

Dès lors que les absences sont inférieures à 15 jours, nos enseignants ne sont pas remplacés. Mais heureusement, en règle générale nous n’avons pas beaucoup de remplaçants à trouver, la situation de nos professeurs étant stable et peu d’entre eux sont non-titulaires. Autre facteur qui a son importance, la moyenne d’âge des enseignants du collège est assez élevée ce qui sous-entend que je n’ai pas eu à gérer de départs en congés de maternité.

 

Etes-vous un cas à part en Seine-Saint-Denis ?

Il s’agit en effet d’un collège privilégié où les enseignants se sentent bien. En ça, le climat au sein de l’établissement joue un rôle important.

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A SAVOIR

Taux de remplacement dans le 1er degré en 2012-2013

Aix-Marseille               78,6

Amiens                          92,04

Besançon                      93,15

Bordeaux                      82,29

Caen                              90,06

Clermont-Ferrand      93,23 

Corse                             73,23

Créteil                           86,53

Dijon                              88,63

Grenoble                       87,45

Guadeloupe                  72,17

Guyane                          94,67

La Réunion                   74,22

Lille                               80,32

Limoges                        91,72

Lyon                              87,12

Martinique                  89,25

Montpellier                 88,71

Nancy-Metz                95,15

Nantes                          87,7

Nice                              91,15

Orléans-Tours           94,11

Paris                            95,04

Poitiers                       98,53

Reims                          94,1

Rennes                       89,55

Rouen                        96,32

Strasbourg                83,5

Toulouse                   93,65

Versailles                   89,1

France Métropolitaine et DOM          87,96

 

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