DOSSIER

DOSSIER : Laïcité et « vivre ensemble » à l’école

dessin-vdp-385-dossierAprès les évènements tragiques du début du mois de janvier, une institution de la République s’est retrouvée en première ligne : l’école. Elle a parfois même été accusée d’avoir « failli ». Il semble néanmoins injuste de faire d’elle la seule coupable puisqu’une telle situation, une telle ignominie, résulte sans doute davantage d’une accumulation de faits et de décisions politiques et socio-économiques. En revanche, le fait que l’école ait accueilli en son sein ceux qui allaient devenir des terroristes, ainsi que les incidents qui ont émaillé notamment la minute de silence en hommage aux victimes des attentats ont mis en évidence un fait sur lequel tout le monde s’accorde : la question de la laïcité et du vivre-ensemble n’est pas traitée à sa juste mesure à l’école.

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La question de la laïcité et du vivre-ensemble à l’école n’est pas nouvelle. Elle rythme même fréquemment les débats depuis plus d’un siècle et la promulgation de la loi instituant l’école primaire publique, gratuite, laïque et obligatoire. Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction publique, dans sa lettre aux instituteurs, précisait ainsi : « La loi du 28 mars [1882] se caractérise par deux dispositions qui se complètent sans se contredire : d’une part, elle met en dehors du programme obligatoire l’enseignement de tout dogme particulier, d’autre part elle y place au premier rang l’enseignement moral et civique. (…) Sans doute [le législateur] a eu pour premier objet de séparer l’école de l’église, d’assurer la liberté de conscience et des maîtres et des élèves, de distinguer enfin deux domaines trop longtemps confondus, celui des croyances qui sont personnelles, libres et variables, et celui des connaissances qui sont communes et indispensables à tous. »

Ces principes préfigurent donc une école laïque et l’enseignement de la laïcité, celle-ci pouvant être définie, selon Françoise Lorcerie, directrice de recherche au CNRS (Les 100 mots de l’Education, dir. Patrick Rayou et Agnès van Zanten, Editions Puf), comme « l’articulation de trois normes : la liberté religieuse, la neutralité de l’Etat et l’indépendance du politique par rapport au religieux ». Actuellement, plusieurs vecteurs permettent le respect et l’enseignement de la laïcité à l’école. D’abord, un enseignement d’éducation civique est donné à tous les élèves. « On y explique la loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat, explique Jean-Louis Auduc, auteur de manuels scolaires sur la citoyenneté et la laïcité (lire son interview plus loin). A savoir qu’elle n’est pas anti-religion mais qu’elle garantit la liberté de conscience ainsi que la neutralité et l’impartialité de l’Etat. » En 2004, la loi « encadrant le port de signes manifestant une appartenance religieuse dans les écoles » a, souligne Françoise Lorcerie, « restreint la liberté des élèves pour mieux garantir l’unité morale de l’espace scolaire ». En outre, depuis 2005, le socle commun de connaissances et de compétences prévoit l’enseignement du fait religieux.

 

HD-385---laicite-1---afpUne charte de la laïcité

Malgré cela, de nombreux problèmes liés à la laïcité ont vu le jour à l’école : refus de faire certaines activités sportives, d’étudier certains textes, exigence pour les repas servis à la cantine… C’est pourquoi, le 9 septembre 2013, Vincent Peillon, alors ministre de l’Education nationale, a présenté la Charte de la laïcité qui « explicite le sens et les enjeux de la laïcité », délimite la liberté d’expression et propose des ressources pédagogiques. Mais les incidents dans les écoles après les attentats de janvier ont mis en lumière un problème plus profond de la laïcité et du vivre-ensemble à l’école. « Même si les contestations sont marginales, explique Sébastien Sihr, secrétaire général du Snuipp, syndicat enseignant majoritaire dans le primaire, il faut les prendre très au sérieux parce qu’elles montrent une école fracturée où une partie de la jeunesse, notamment celle qui vit dans la ségrégation, ne se reconnaît plus dans les valeurs de la République. » « Si entendre que l’école a failli est insupportable, ajoute Roland Hubert, co-secrétaire général du SNES, principal syndicat enseignant dans le second degré, elle n’est toutefois pas à part de la société et c’est légitime que la société l’interpelle. »

 

L’éducation civique en question

En tant que pilier de la société, l’école ne peut en effet éviter une remise en question. D’abord, l’enseignement de l’éducation civique ne semble pas à la hauteur. Le Cnesco (Conseil national de l’évaluation du système scolaire), dans un rapport du 12 janvier 2015, souligne que si la France « se place en tête des pays européens par son investissement éducatif théorique dans ce domaine d’enseignement », celui-ci, dans la réalité du terrain, ne relève que d’une « participation de façade » : « Les heures d’enseignements intégrées le plus souvent à l’histoire-géographie ne sont pas toujours dispensées dans leur totalité » indique le Cnesco. « Beaucoup de collègues sont un peu loin de l’éducation civique, par rapport à la pression du programme, des notes, des inspections… » confirme Céline Rigo, enseignante d’histoire-géographie et secrétaire nationale du syndicat SE-UNSA.

Alors, pour combler ce manque, certains établissements ont décidé de mettre en place leur propre manière de transmettre ces valeurs. Dans le collège Charles-Dullin de Yenne (Savoie), depuis 2012, pendant une semaine en février, les élèves n’ont pas de cours mais un volet de petites sessions éducatives sur les thèmes de la prévention, de la sécurité, du handicap, de l’action sociale, avec des intervenants associatifs notamment. Parmi eux, SOS-Racisme. « C’est parti d’un problème au collège, explique Christophe Consigny, le principal. On a une population immigrée relativement faible mais très stigmatisée car le reste de la population est très rural. Les élèves relayaient les propos entendus par les familles. SOS Racisme est intervenu pour poser le cadre de la loi et évoquer le fait que l’école s’affranchissait de toute religion. Cela consiste à faire réagir, débattre les élèves sur des mots, des thématiques. Depuis, on n’a plus eu de faits de racisme… »

 

HD-385---laicite-2---afpFormer les enseignants

Autre question qui a surgi avec force au lendemain des incidents liés au non-respect de la minute de silence en hommage aux victimes des attentats : le manque de formation des enseignants à la laïcité et, plus largement, à la gestion des conflits, aux débats. « Pour tout ce qui est gestion humaine, c’est clair que l’on manque de formation » indique Mathilde, jeune enseignante de français dans un collège de la région parisienne. Car l’enseignant a d’autres missions que celle d’enseigner seulement des connaissances disciplinaires. « Il faut dire aux enseignants : vous êtes des fonctionnaires de l’Etat, vous avez aussi des valeurs à transmettre », estime Céline Rigo, secrétaire nationale du syndicat SE-UNSA.

Ainsi, dans les ESPE (Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation) où sont désormais formés les futurs enseignants, on assiste à une « conscientisation », selon le terme d’Alain Mougniotte, directeur de l’ESPE de Lyon qui a organisé le 31 janvier dernier une « journée de la laïcité » et qui prévoit une Université d’été sur la laïcité en juillet prochain. « La préparation à ces questions est sans doute trop légère, concède-t-il. A Lyon, il y a seulement douze heures d’enseignement par an sur des compétences comme transmettre les valeurs de laïcité, de morale, car l’essentiel est destiné à la formation disciplinaire. Mais on réfléchit, notamment à d’autres formes d’enseignement pour former aux débats. Les jeunes enseignants se rendent compte que c’est important. Il y a une « chance » à saisir, d’autant que la ministre nous a donné ce qu’il manquait : des directives précises. »

En effet, à la suite d’une « Grande mobilisation » qui a consisté en la réception, par la ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem, de plusieurs dizaines d’acteurs du monde éducatif (dont les fédérations de parents d’élèves), plusieurs mesures ont été décidées pour garantir et améliorer la transmission des valeurs républicaines, le respect des droits, de la citoyenneté, de la solidarité. Par exemple, mille formateurs seront spécialement formés à la transmission de ces valeurs, et devront, d’ici la fin de l’année, former eux-mêmes près de 300 000 professeurs, soit la moitié du corps enseignant, l’autre étant formée l’an prochain. De plus, des épreuves sur ces thèmes feront partie des concours de recrutement des futurs enseignants et la formation continue devrait être améliorée.

 

HD-385---laicite-4--sipaUn rôle pour les parents

Najat Vallaud-Belkacem a également souligné l’importance des parents sur ces questions. La ministre a ainsi annoncé la mise en place de comités départementaux au sein desquels les parents seront conviés, pour une meilleure cohabitation avec l’école. « Ils ont un rôle pas seulement en tant que parents, aussi en tant que citoyen. Mais il faut les aider, car tous n’ont pas les mêmes ressources pour transmettre les valeurs », souligne Céline Rigo, revendiquant en filigrane davantage de mixité sociale dans les établissements scolaires. La ministre a d’ailleurs engagé une réflexion à ce sujet. « Il faut redonner envie aux familles d’envoyer leurs enfants dans des établissements ghettoïsés pour, justement, mettre fin à cette ghettoïsation avec des conditions plus positives, plus valorisantes » plaide pour sa part Sébastien Sihr. Des conditions qui pourraient faire de l’école un lieu de confiance, de respect, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement. « Si on veut que l’école soit le berceau de toutes les belles valeurs de la République, conclut la jeune enseignante Mathilde, il ne faut pas seulement qu’elle les enseigne, il faut qu’elle les incarne. »

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ZOOM

Un chiffre : 200

Le ministère de l’Education nationale a indiqué qu’environ 200 incidents avaient été déclarés, dont 40 signalés à la police ou à la justice. 100 auraient eu lieu lors de la minute de silence, 100 autres les jours suivants.

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Quid de l’enseignement religieux à l’école

Il n’y a, actuellement, pas de cours spécifique d’enseignement du fait religieux à l’école. Toutefois, il est présent dans plusieurs disciplines telles que l’histoire, les lettres, l’histoire des arts ou la philosophie. Dans un rapport annexé à la loi d’orientation de l’école de 2005, il est indiqué : « Il convient, dans le respect de la liberté de conscience et des principes de laïcité et de neutralité du service public, d’organiser dans l’enseignement public la transmission de connaissances et références sur le fait religieux et son histoire ». Concrètement, les élèves, en 6e et 5e, étudient la naissance des grandes religions avec notamment des extraits des textes fondateurs, dans un « esprit de laïcité respectueux des consciences et des convictions ». L’étude de l’architecture des lieux religieux est aussi au programme (cathédrales, abbayes, etc.). 

Au sein du socle commun de 2005 encore en vigueur, qui comprend sept grandes compétences, deux concernent notamment le fait religieux : la « culture humaniste », qui suppose la connaissance « de la diversité des civilisations, des religions, du fait religieux en France, en Europe et dans le monde », ainsi que « les compétences sociales et civiques » qui induit de « comprendre la diversité culturelle de la France d’aujourd’hui pour contribuer à la construction d’une culture commune à tous les élèves ». Le futur socle commun, actuellement en discussion, prévoit un enseignement moral et civique dont les formes restent à préciser

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« Parcours citoyen » et Journée de la laïcité

Parmi les mesures annoncées par la ministre de l’Education, en ce qui concerne les programmes, un « parcours citoyen » sera mis en place pour que tous les élèves, du primaire à la terminale, suivent un enseignement moral et civique et une éducation aux médias. Mesure symbole : une journée de la laïcité sera célébrée dans les établissements scolaires tous les 9 décembre.

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La liberté d’expression – et ses limites – à l’école

La liberté d’expression est délimitée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme, tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » A l’école, elle est complétée par la Charte de la laïcité : « La laïcité permet l’exercice de la liberté d’expression des élèves dans la limite du bon fonctionnement de l’École comme du respect des valeurs républicaines et du pluralisme des convictions. »

Parmi les limites qu’elle énonce, il y a : « Ne pas porter atteinte à la vie privée et au droit à l’image d’autrui » ; « Ne pas tenir certains propos interdits par la loi : l’incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse, l’apologie de crimes de guerre, (…) le négationnisme » ; Ne pas tenir de propos diffamatoires » ; « Ne pas tenir de propos injurieux ». La Charte ajoute : « Les personnels ont un devoir de stricte neutralité : ils ne doivent pas manifester leurs convictions politiques ou religieuses dans l’exercice de leurs fonctions » ; « Les enseignements sont laïcs ». De plus, il est indiqué qu’« aucun sujet n’est a priori exclu du questionnement scientifique et pédagogique » et qu’ « aucun élève ne peut invoquer une conviction religieuse ou politique pour contester à un enseignant le droit de traiter une question au programme. »

Enfin, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit (loi n° 2004-228 du 15 mars 2004).

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INTERVIEW

itx-385---auducJean-Louis AUDUC. Auteur de manuels scolaires et d’ouvrages concernant l’éducation à la citoyenneté, la laïcité et les relations parents-enseignant, Jean-Louis Auduc dirige également le comité de réflexion et d’études sur les relations familles-école, mis en place par la PEEP en novembre dernier.

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Pourquoi l’éducation civique n’est-elle enseignée que de « façade », pour reprendre les termes du Cnesco ?

A partir du moment où les différents ministres expliquent que l’éducation civique ne concerne que les élèves des milieux défavorisés, l’éducation civique ne peut pas être diffusée. Le message que l’on donne ainsi aux enseignants est : « Si je n’ai pas d’élèves défavorisés, je n’ai pas à enseigner l’éducation civique ». De plus, l’éducation civique serait la seule chose de l’enseignement qui serait innée pour les enseignants, puisqu’il n’y a pas de formation spécifique ! Si on veut que ce soit réel, il doit y avoir une épreuve d’éducation civique dans les concours de recrutement. Car, aujourd’hui, les enseignants sont souvent démunis face à des problèmes hyper complexes. Il y a un problème avec la formation initiale, mais le défaut de la formation française est surtout la quasi-absence de formation continue. Un enseignant peut rester vingt ans sans recevoir de formation. Je suis pour qu’un enseignant reçoive au moins une semaine de formation tous les deux ans.

 

Comment expliquez-vous les incidents dans les écoles autour de la laïcité ?

L’école a perdu de son magistère. Il y a une interrogation sur ce qu’a à enseigner l’école. Elle a perdu de sa légitimité car certaines familles ne font pas la différence entre les savoirs, les croyances et l’opinion. L’école n’a pas assez communiqué avec les familles les plus éloignées d’elle, qui pensent alors que l’école va à l’encontre de leurs convictions. Aussi, il est de plus en plus difficile d’étudier la laïcité car la laïcité française repose sur la séparation de l’espace public et de l’espace privé. Or, aujourd’hui, pour bon nombre de jeunes, cette séparation ne fait plus sens. Moi, petit, j’avais un journal intime que je planquais sous mon lit. Aujourd’hui, c’est Facebook… A l’heure de la vie virtuelle, expliquer les différences entre l’intime, le secret et le privé devient difficile car il y a une confusion des espaces.

 

Que faudrait-il faire ?

Un des enjeux est de créer une véritable communauté éducative. Il y a un travail à faire avec les familles en insistant bien sur l’idée que l’école ne s’occupe pas de leur espace privé. L’école est un espace public, laïque, de savoirs, qui doit donner un sentiment commun d’appartenance. L’école doit avoir une communication de vulgarisation, accueillir les parents, expliquer ce qu’il se passe à l’école. On pourrait aussi réfléchir à un code de déontologie des enseignants, ce qui renforcerait leur autorité et ramènerait de la confiance. Il faut une école rassurante et non angoissante.

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TEMOIGNAGE

Bastien Capel, professeur d’éducation physique et sportive dans un collège de Seine-et-Marne

« Je suis arrivé, déjà assez affecté, au collège le jeudi midi, et je suis tombé sur des collègues complètement dépités après la minute de silence. J’avais, la veille, collecté des arguments un peu partout. J’ai décidé de ne pas faire cours mais de discuter. Je me suis dit que j’avais un rôle social plus important que de leur faire faire du handball. J’ai été très surpris par leur propos, très violents. J’ai entendu des phrases comme « Leurs dessins ont blessé les Musulmans comme les balles ont blessé Charb ».

La direction nous incitait à faire remonter à la police les propos des enfants. Je n’ai pas voulu car c’était de la lâcheté, se débarrasser du problème. L’école est le lieu où la liberté d’expression doit se faire. Ce n’est pas en limitant la parole qu’on va pouvoir argumenter et défendre des valeurs.

Ce qui s’est passé est horrible mais c’était l’occasion de faire notre métier d’éducateur. Il a fallu argumenter, en citant des passages du Coran notamment, qui dit le contraire de ce qu’ils pensaient. Le problème est que ceux qui étaient très énervés ne laissaient pas la parole aux autres car dès que je faisais un vote sur une idée, la grande majorité ne pensait pas comme eux.

Ainsi, en se rendant compte qu’ils ne faisaient pas l’unanimité, ils se rangeaient un peu. A la fin même, quand j’ai demandé « Est-ce que Charlie a mérité ce qui lui est arrivé ? », il n’y avait plus de mains qui se levaient… ».

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GRAND TEMOIN

Interview-Abdennour-BidarAbdennour Bidar est chargé de mission laïcité au niveau national, et membre de l’Observatoire national de la laïcité.

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Vous êtes « Chargé de mission sur la pédagogie de la laïcité » au ministère de l’Education nationale En quoi consiste cette mission ?

Il s’agit d’abord de formation des personnels de l’Education nationale sur cette question de la laïcité qui est, comme le dit le code de l’éducation, « la mission première de l’Ecole de faire partager aux élèves les valeurs de la République ». Or seule une laïcité bien comprise peut être une laïcité bien transmise. Il faut donc s’assurer que tous les personnels disposent d’une culture commune de la laïcité de la République et de l’Ecole, de son sens et de ses enjeux, pour qu’ensuite ils se sentent et soient capables d’expliquer clairement ce principe aux élèves. Par exemple, la laïcité de l’Ecole fait obligation aux professeurs de ne pas exprimer leurs convictions personnelles – politiques, religieuses ou autres – dans l’exercice de leurs fonctions. Il est capital que tous aient conscience de cette éthique professionnelle, qu’ils la respectent et qu’ils soient capables d’en montrer aux élèves le bénéfice ; en l’occurrence le fait que grâce à cette déontologie, l’élève a l’assurance qu’il a en face de lui des adultes qui se sont engagés à ne pas l’influencer par leurs propres opinions, et donc que sa liberté de conscience est mise en sécurité, et que le principe de laïcité contribue à rendre possible le vivre ensemble entre croyants – de toutes confessions – et non croyants.

 

Quel bilan avez-vous tiré de vos visites dans des établissements scolaires et des ESPE, où l’on forme les futurs enseignants ?

Il y a d’abord une difficulté de compréhension du principe même de laïcité. De ce point de vue, la culture commune – culture républicaine et culture du métier d’enseignant, de sa déontologie – est visiblement à reconstruire. Il y a aussi le fait que la laïcité pose des limites à l’expression des appartenances religieuses. Or aujourd’hui, dans une société individualiste où liberté est souvent confondue avec le droit pur et simple d’être « soi-même » et de s’avancer « tel quel » dans l’espace public, toute limite est vécue comme vexatoire, liberticide. Il faut donc rappeler qu’en démocratie, la limite de la règle ou de la loi ne va pas contre la liberté mais permet la conciliation des libertés.

 

Comment expliquez-vous les incidents survenus à la suite des attentats dans des établissements scolaires ?

« Je suis Charlie » et « Je ne suis pas Charlie » sont deux conceptions du sacré qui s’opposent : les uns disent « la liberté d’expression est le bien le plus sacré » et les autres disent « la personne du prophète Mohammed est le bien le plus sacré ». Il faut tenir compte de cette opposition et organiser à l’Ecole des débats dans lesquels les élèves apprennent à comprendre et à confronter ces points de vue sur leurs convictions les plus profondes.

On ne peut plus se passer de tels débats. Pour beaucoup de jeunes enseignants, la religion c’est l’inconnue pure et simple et quand ils se retrouvent face à des jeunes d’origine musulmane par exemple, qui eux ont une foi faite de convictions absolues, c’est le choc des différences ! De là, la réticence de nombreux enseignants à traiter ce qui de près ou de loin concerne le fait religieux. Il faut donc les former pour leur donner la sécurité intellectuelle et professionnelle nécessaire. Si nous ne savons pas ouvrir des espaces de discussion sur les valeurs, les convictions – à l’Ecole et en dehors –, en apprenant à discuter de façon respectueuse, tolérante, argumentée, en apprenant à se mettre à la place de l’autre dans la mesure du possible (culture de l’empathie), en travaillant à la reconnaissance mutuelle, alors on laissera la place au silence, et donc fatalement, à un moment ou à un autre, à la violence.

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