EDUCATION

A vos marques, prêts ? philosophez !

HD-384---philo-sipa-1Epreuve reine, épreuve symbole de notre baccalauréat, l’enseignement de la philosophie n’a pas d’équivalent en Europe. Une exception française historique pour apprendre à « philosopher » mais pas seulement.

 

“L’artiste est-il maître de son œuvre ?”, “Vivons-nous pour être heureux ?”, “Suffit-il d’avoir le choix pour être libre ?”, “Pourquoi chercher à se connaître soi-même ?”… Autant de sujets sur lesquels les élèves de terminales générales et technologiques ont dû plancher au mois de juin dernier. Et ce sont bien les seuls en Europe à les redouter. En effet, héritée des Lumières et créée par Napoléon en 1808, l’épreuve de philosophie est aujourd’hui obligatoire pour tous les lycéens de section générale et technologique (depuis 1983). Une spécificité, visant à former des « citoyens éclairés », forts de cette liberté de penser, réservée au système éducatif français que regrette Simon Perrier, professeur de philosophie au lycée Marceau de Chartres et président de l’APPEP (Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public). « Il ne faudrait pas que cette spécificité ne soit que française. Maintenant il se fait ici ou là – au Portugal, en Italie – des enseignements de philosophie de conception différente. » Mais seul l’enseignement portugais est vraiment proche du nôtre avec un programme par notions, car en Italie, il s’agit d’un cours d’histoire des idées dispensé par des professeurs d’histoire, comme en Espagne. En Allemagne, pourtant terre de naissance de nombreux philosophes, la matière y est optionnelle comme en Suisse ou en Suède. Il faut alors attendre les études universitaires pour pouvoir « philosopher ». Si, en Europe, la France fait figure d’exception, François-Xavier Bellamy, agrégé de philosophie et écrivain précise que « beaucoup de pays africains en développement s’inspirent de notre modèle ».

 

Cultiver un champ de notions

C’est donc au rythme de huit heures de cours par semaine en L, quatre heures en ES, trois heures en S et deux heures pour les filières technologiques, que les élèves de terminale se familiarisent pour la première fois avec la philosophie à travers cinq champs de problèmes : le sujet, la culture, la raison et le réel, la politique, la morale pour les séries générales (uniquement trois champs en série technologique à savoir la culture, la vérité et la liberté). Ensuite, il existe un nombre plus ou moins important de notions à étudier selon la série choisie : de 14 notions pour les scientifiques à 23 notions pour les littéraires.

Et c’est bien là que l’enseignement de la philosophie a connu son principal tournant pédagogique. Comme le raconte Simon Perrier, « le début des années 70 a sonné la rupture avec un enseignement de connaissances en philosophie sous une forme dogmatique où l’on attendait, par exemple, des élèves qu’ils sachent par cœur comment Descartes fait la preuve de l’existence de Dieu. Cette épreuve technique était liée à un bac très élitiste (15-20 % de réussite au bac à cette époque) qui voulait former de futurs étudiants en philosophie. » C’est en 1973 qu’apparaît ainsi le programme par notions balayant toutes les philosophies et évitant toute forme d’endoctrinement. « Au 19e siècle on n’enseignait qu’un certain type de philosophie, celle dont on tenait à ce qu’elle soit celle des élites, reprend le président de l’APPEP. Aujourd’hui, on ne dit pas aux professeurs « vous serez plutôt platonicien que kantien », on leur laisse le choix des auteurs pour traiter les notions choisies. Et on leur laisse ainsi la possibilité, pour traiter les notions, de mettre les élèves devant le plus possible d’orientations afin de choisir un angle de traitement. »

 

HD-384---philo-bsip-3Une pratique innovante

Une liberté que Damien Theillier, professeur de philosophie depuis 15 ans, a exploité au point de modifier sa méthode d’enseignement (1) il y a 10 ans. Face à la désillusion observée chez certains de ses élèves ne comprenant pas ce qu’on attendait d’eux à l’examen et qui les conduisait inexorablement à un désamour de la philosophie, il a fait le choix d’un enseignement qui a radicalement transformé sa pratique et ses résultats. « Sans renoncer au programme de notions, ce qui n’aurait aucun sens, j’ai néanmoins décidé d’enseigner ces notions dans leur déroulé chronologique plutôt que par des regroupements thématiques. J’avais remarqué que mes élèves, n’étant pas tous de grands intellectuels, s’en sortaient mieux au bac, et dans les concours post-bac, par l’apprentissage des auteurs du programme plutôt que par une approche thématique. J’ai donc reconstruit mon cours en m’inspirant de la méthode du Lagarde et Michard, qui a fait largement ses preuves dans le domaine littéraire. Ce type d’approche est plus formateur pour l’apprentissage d’une culture fondamentale. Dans le cadre de cette expérience, j’ai pu constater avec bonheur que mes élèves en redemandaient. Non seulement ils réussissaient mieux au bac et dans leurs études supérieures, mais ils étaient avides de continuer à philosopher. »

 

La philo pour tous ?

A l’inverse de Platon, qui pensait qu’on ne devait pas commencer la philosophie (qu’il appelle plutôt la « dialectique ») trop jeune, parce que c’est dangereux – et pour qui 30 ans était le bon âge –, la question se pose régulièrement d’étendre l’enseignement de la philosophie aux élèves de 1re, voire aux élèves de seconde, comme le souhaiterait Cécile Moreno, professeur de philosophie en région parisienne. « Le problème général et concret de certains élèves en philosophie est leur difficulté de maîtrise du français et leur manque d’assurance face à l’exercice de la dissertation. En 1 an, on attend une rentabilité de la matière, mais c’est très complexe quand on ne maîtrise pas les outils d’expression. Si vous avez des difficultés à conjuguer au présent de l’indicatif au collège, comment voulez-vous étudier un texte de Kant ou de Platon quelques années plus tard ? Il faut très tôt les confronter à la dissertation, spécialité française, et que cela devienne un geste familier. Beaucoup en terminale ont peur car ils ne savent pas ce qu’est une problématique. »

Et, malgré leur manque d’assurance, cette professeur passionnée et investie constate chaque année un vrai appétit des jeunes générations pour la philosophie, qui plus est en terminale technologique de ZEP où ses élèves ont obtenu entre 10 et 18 au bac. « Ils sont très ancrés dans le concret et ont cette capacité à poser un raisonnement pertinent. A nous d’aider toute cette jeune génération à devenir des esprits libres, car il y a une demande. » Si des préjugés sont tombés vis-à-vis des filières technologiques, les lycées professionnels restent, eux, en marge de cet enseignement.

HD-384---philo-sipa-2Une expérimentation d’un enseignement de la philosophie en lycée professionnel a toutefois déjà été menée, et celle de l’académie de Reims, initiée durant l’année scolaire 2000-2001 jusqu’en 2006 est sans aucun doute la plus aboutie (grâce à la volonté du recteur Daniel Bloch). Elle a, en tout cas, largement dépassé le stade de l’expérimentation, note un rapport de l’Education nationale (2). Et la conclusion est sans appel car il apparaît clairement aux deux inspecteurs en charge de l’investigation que « l’enseignement de la philosophie en lycée professionnel est de nature à donner aux élèves de cette voie des atouts supplémentaires pour « entrer dans la vie » ou poursuivre leur formation immédiatement après le baccalauréat. Quand bien même il se résumerait, pour certains élèves, au sentiment d’avoir été pris au sérieux dans leur capacité à penser et à juger par eux-mêmes, cet acquis mériterait d’être préservé et cultivé. Ils prennent conscience que « ça leur parle » et que « ça parle d’eux », que cet accès à la culture ne leur est pas interdit, n’est pas réservé aux autres. »

Si les auteurs du rapport formulaient le vœu à l’époque d’être entendus, 7 ans après cela n’est toujours pas d’actualité. Et c’est à regret que Francis Foreaux, professeur de philosophie qui a participé à l’expérimentation avec conviction, constate qu’il faudrait une vraie volonté politique pour passer outre les problèmes de moyens techniques et d’organisation structurelle liés à cet aménagement. Patience donc, même si l’enseignement de la philosophie à tous les lycéens de toutes filières confondues permettrait, pour François-Xavier Bellamy, de les relier en un lien assez fort. Un lien également entre générations qui occasionne des débats à l’intérieur des familles. Quel parent n’aime pas se remémorer son sujet de philo à l’occasion de l’épreuve du bac de son enfant ? Qui n’a pas été tenté d’amorcer une réflexion à l’écoute des sujets proposés au bac ? La philosophie apparaît bel et bien comme un lien non seulement à préserver, mais aussi à développer et à étendre au plus grand nombre.

 

Notes

  1. http://cours-de-philosophie.fr.
  2. Rapport n° 2006-086-Avril 2007 d’Alain Séré et Philippe Forstmann sur l’enseignement de la philosophie en baccalauréat professionnel (Évaluation du dispositif mis en œuvre dans l’académie de Reims).

 

-

__________

A SAVOIR

La philo au bac

L’épreuve de philosophie du bac est toujours la première à ouvrir le bal. Elle se déroule à l’écrit sur une durée de 4 heures. Les candidats qui souhaitent passer l’épreuve de philo au rattrapage seront interrogés à l’oral (durée 20 minutes). C’est l’épreuve de réflexion par excellence, il est attendu de la part de l’élève soit de commenter et d’analyser un texte, soit de rédiger une dissertation. Le coefficient de l’épreuve est de 7 pour la série L, 4 pour la série ES, 3 pour la série S et 2 pour les séries technologiques.

-

__________

INTERVIEW

384---temoin-philoFrançois-Xavier Bellamy, agrégé de philosophie et écrivain (Les déshérités ou l’urgence de transmettre, Plon)

« La philosophie est faite pour tous et parle à tous »

Pourquoi est-il important de philosopher en terminale ?

C’est une chance pour les élèves de notre pays d’avoir l’occasion de rencontrer la philosophie sur des questions que chacun se pose. Et chacune de ces questions est susceptible de faire grandir leur liberté. Nous vivons dans un temps qui se raccourcit avec la tentation permanente de l’immédiateté, or, en trouvant la distance par rapport à nous-mêmes c’est là que naît la liberté.

La philosophie est faite pour tous et parle à tous. La recherche de la vérité est le premier principe qui fonde toute la philosophie et cela suppose rigueur, exigence intellectuelle et humilité. Et on ne va pas chercher la vérité si l’on est sûr de soi. En se mettant à l’école des autres c’est là que l’on grandit.

 

Faudrait-il élargir son enseignement à d’autres classes ?

J’ai eu l’occasion d’en faire avec des petits de CE1 et CM1 et si l’appétit pour la question est chez eux naturel, l’approfondissement est plus difficile. Plus urgent et nécessaire que d’étendre l’enseignement de la philosophie aux élèves de 1re, il faut le mettre en place en terminale professionnelle et participer ainsi à sa revalorisation.

-

__________

POINT DE VUE

384---philo-Simon-PerrierSimon Perrier, professeur de philosophie au lycée Marceau de Chartres et président de l’APPEP (Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public)

« La philosophie donne une vision de la vie »

-

Pourquoi cette spécificité historique française ?

La France l’emporte historiquement parce que la philosophie a été installée dans les lycées très tôt au 19e siècle comme étant l’achèvement des études secondaires. L’enseignement de la philosophie achève tous les savoirs reçus par l’école en leur donnant une unité, une vision de la vie, une vision du monde, une vision de l’existence. C’était l’idéal du 19e siècle.

 

A-t-elle acquis tout de suite sa réputation d’ « épreuve-reine » du bac ?

C’est même par ce fait-là qu’elle l’est devenue. D’ailleurs l’expression qu’on trouve chez des profs de philosophie du 19e siècle c’est « reine des sciences, sciences des sciences ». C’est elle qui fait de tous les savoirs, un savoir qui permet d’avoir une compréhension du monde dans sa totalité. N’exagérons rien, mais c’est comme ça qu’ils le concevaient.

 

Quelle est la notion qui intéresse le plus les élèves ?

Il y a évidemment des sujets plus faciles, tout ce qui est existentiel, tout ce qui va leur apparaître plus immédiatement engager la vie personnelle et avoir des résonances très concrètes les touchent plus rapidement, mais cela ne veut pas dire que l’on n’arrive pas à leur montrer qu’il faut aller plus loin. Que la question du bonheur engage celle de la vérité par exemple, la vérité c’est une notion plus austère a priori, mais il y a un lien entre les deux.

Mot-clé:

Pas de commentaires pour le moment.

Donnez votre avis