DOSSIER

DOSSIER : En route pour l’école 2.0

illus_VdP_384L’école de demain sera numérique. L’intégration des nouvelles technologies dans les apprentissages est l’un des principaux défis auxquels l’école doit faire face dans les années qui viennent. Si des initiatives sont lancées, si les élus semblent prendre conscience de la situation, la France continue à accuser un certain retard sur ses principaux voisins. L’enjeu est important, non seulement pour les jeunes qui, demain, auront de plus en plus besoin de maîtriser ces nouveaux outils, que ce soit au niveau professionnel ou dans leur vie de tous les jours, mais aussi pour la société tout entière. Mais encore faut-il que les bonnes intentions ne restent pas lettres mortes. Certes, il n’est pas trop tard pour prendre les bonnes décisions, mais il faut faire vite car, entre l’équipement des établissements, l’entretien du matériel et la formation des personnels, plusieurs chantiers importants sont à mener de front. C’est à ce prix que l’école 2.0 (synonyme d’interactivité et de simplicité d’utilisation) verra le jour.

-

A partir de la rentrée 2016, chaque élève de cinquième sera équipé d’une tablette numérique. L’annonce a été faite par le président de la République François Hollande le 6 novembre dernier au cours d’une intervention télévisée. Cette opération, sans précédent en France à une telle échelle, s’inscrit dans le cadre de la loi sur la refondation de l’école du 8 juillet 2013. A côté des nouveaux rythmes scolaires et de l’instauration d’une nouvelle formation initiale des professeurs, ce texte fait une large place au numérique. Au-delà de la distribution de tablettes, la loi pour la refondation de l’école entend mettre à la disposition des équipes éducatives une offre complète de ressources pédagogiques ou encore sensibiliser les élèves, de l’école primaire au lycée, au bon usage d’internet et des réseaux sociaux. Le ministère de l’Education nationale a par ailleurs décidé de financer à hauteur de 9 millions d’euros une dizaine de projets innovants liés à l’e-éducation.

Plus que jamais, le gouvernement veut faire entrer l’école dans l’ère du numérique. Former les jeunes Français aux nouvelles technologies est indispensable si on veut les préparer à leur future vie professionnelle et les aider à appréhender le monde qui les entoure. Le numérique donne aux enseignants une occasion inespérée de développer de nouvelles pratiques pédagogiques adaptées au rythme et au besoin de chaque enfant et de proposer des séances plus interactives, plus ludiques. « Certains enfants timides restaient bloqués après une erreur au tableau noir ou sur leur cahier, explique ainsi une enseignante (1). Aujourd’hui, avec le tableau blanc interactif (TBI), lorsqu’on se trompe, on recommence tout de suite, on rebondit plus facilement ». Les nouvelles technologies peuvent aussi faciliter la collaboration entre les élèves et le travail en autonomie, offrir de nouvelles possibilités pour les enfants en situation de handicap ou en grande difficulté scolaire.

 

HD---384-dossier-3La France ne part pas de rien

L’idée d’intégrer le numérique à l’école n’est pas nouvelle. Depuis plus de 30 ans se succèdent des plans gouvernementaux, sans succès. « La différence, c’est que cette fois, on essaie de lever en même temps tous les freins susceptibles d’empêcher le développement du numérique dans les établissements scolaires, positive le principal d’un collège. Il faudra du temps, mais je suis certain qu’au final les enseignants finiront par s’approprier les outils mis à leur disposition ». Si la France a pris du retard sur ses principaux voisins (lire en encadré plus bas), elle ne part pas de rien pour autant. Depuis déjà plusieurs années, les parents d’élèves des collèges et des lycées peuvent consulter les notes et vérifier les devoirs de leur enfant sur internet, via le service Pronotes. Demain, des Espaces numériques de travail (ENT) leur permettront en plus de suivre le travail que fait leur enfant en classe ou d’envoyer des messages au professeur principal. Grâce aux ENT, les élèves échangeront des documents avec leurs professeurs, converseront en ligne avec leurs camarades, tiendront à jour des blogs depuis leur domicile ou organiseront des séances en visioconférence. Déjà utilisés par bon nombre de collégiens, les ENT sont en train d’être généralisés à tous les établissements.

De plus en plus de ressources sont aussi mises à la disposition des élèves, que ce soit pour apprendre l’anglais (English for schools), pour faire réviser les notions de base aux élèves de primaire (les Fondamentaux), pour accéder aux annales du brevet et du baccalauréat en ligne (Prép’exam). Les enseignants, quant à eux, peuvent trouver en ligne des ressources pour préparer leurs cours (Eduthèque) ou se former (M@gistère). Le numérique, enfin, est présent dans les programmes. Tous les collégiens, par exemple, doivent être sensibilisés aux dangers d’Internet et des réseaux sociaux. Ils doivent également, à leur sortie du collège, maîtriser les principaux outils informatiques dans le cadre du Brevet informatique et internet (B2i) et, depuis 2012, une spécialité Informatique et sciences du numérique (ISN) est proposée aux lycéens de série scientifique.

 

HD---384-dossier-1Un développement inégal

A l’école l’Esplanade de Sedan (08), par exemple, les élèves de CM2 utilisent le réseau social Twitter pour communiquer avec des correspondants du monde entier. Ceux du collège Olympe de Gouges de Loupian (34) expérimentent l’utilisation d’un cartable numérique par le biais d’une clé USB. En Corrèze, cela fait déjà plusieurs années que les collégiens utilisent des tablettes en classe. Ailleurs, ce sont les systèmes de vidéo-conférence qui sont utilisés pour organiser des conversations avec des élèves anglais.

Par ailleurs, 72 collèges faisant la part belle au numérique se sont vu attribuer le label « collège connecté », leur permettant de bénéficier de moyens financiers supplémentaires. Indéniablement, le numérique gagne du terrain. Pour autant, les initiatives de ce genre sont encore rares, trop souvent soumises à la motivation de l’équipe enseignante et à l’implication des collectivités locales qui détiennent les cordons de la bourse. Acheter du matériel, raccorder le collège en fibre optique, installer le wifi dans chaque classe… ces investissements coûteux ne font pas toujours partie des priorités des élus. Surtout qu’une fois déployé, le matériel doit être entretenu. Certaines communes ou académies ont mis en place des équipes de techniciens chargés d’intervenir dans les établissements, mais la plupart du temps, ce sont les enseignants les plus « technophiles » qui s’en chargent sur leur temps libre.

 

HD---384-dossier-2Une réussite sous conditions

Se contenter d’équiper les établissements en ordinateurs ou en tablettes ne sert pas à grand chose. La réussite passe surtout par l’adoption de nouvelles pédagogies. « Que l’on demande aux élèves de remplir un QCM sur un cahier ou sur une tablette ne change rien, explique un enseignant. Il faut que les profs apprennent à profiter de toutes les facettes des nouvelles technologies, que ce soit l’accès à internet, la vidéo, les applications interactives, les manuels numériques… C’est comme cela que le numérique apporte quelque chose aux élèves ». Pour cela, il faut que l’Education nationale mette à leur disposition des applications basées sur le numérique, que les éditeurs scolaires numérisent leurs manuels et proposent des logiciels éducatifs adaptés, que les entreprises liées aux nouvelles technologies créent de nouvelles applications dédiées à l’e-education… Il faut surtout que les enseignants soient formés à l’utilisation de ces outils. Des sessions commencent à être proposées aux jeunes enseignants en formation initiale.

Depuis la loi d’orientation de 2013, un service public du numérique éducatif a aussi été instauré. Son objectif est de mettre à disposition des enseignants des ressources à utiliser au quotidien en classe, développer des pratiques pédagogiques basées sur le numérique et leur proposer des modules de formation destinés à les aider à mieux utiliser les nouvelles technologies. La loi prévoit également la nomination dans chaque académie d’un délégué au numérique chargé de coordonner les actions en lien avec les collectivités locales. Le moteur est enclenché, mais il faudra beaucoup de temps pour que tous les élèves de France soient égaux face au numérique.

 

 Note

1 – Libération, 19 septembre 2014.

-

__________

ZOOM

Code informatique

Outre la distribution de tablettes, le président de la République a aussi annoncé que les élèves seraient amenés à apprendre le langage informatique qui est à la base des logiciels, des jeux vidéo et des sites internet. En primaire, cet apprentissage serait assuré sur le temps périscolaire et de manière facultative. 300 collèges devraient aussi introduire le code dans leurs programmes dès la rentrée 2015, avant une généralisation l’année suivante. En novembre, le Conseil supérieur des programmes indiquait dans ses propositions sur le contenu du socle commun que chaque élève devrait « connaître les principes des langages de programmation et être capable de réaliser des applications utilisant des algorithmes simples ».

Aux Etats-Unis, Barack Obama en a fait aussi l’une de ses priorités pour le pays et en Grande-Bretagne, les cours de code sont obligatoires pour les enfants de 5 à 16 ans depuis la rentrée dernière. Reste un détail à régler : qui se chargera d’assurer ces apprentissages ?

-

La situation chez nos voisins

Mauvaise élève la France ? C’est en tout cas ce que pense l’OCDE qui classe l’Hexagone au 24e rang européen concernant l’accès à l’outil numérique et sa maîtrise dans un contexte pédagogique. A peine 5 % de nos enseignants utiliseraient les nouvelles technologies quotidiennement, contre 90 % en Norvège ou aux Pays-Bas. Au Danemark, l’usage du numérique est obligatoire dans toutes les matières. Les jeunes danois ont aussi accès à internet pendant certaines épreuves du baccalauréat et sont évalués sur leur capacité à maîtriser ces technologies. En Finlande, 90 % des enseignants déclarent utiliser les outils numériques en classe bien que le gouvernement n’ait mené aucune politique particulière sur le sujet. En termes d’équipements, la France se situe pourtant légèrement au-dessus de la moyenne européenne avec dix élèves par ordinateur en primaire, six au collège et trois au lycée. Toutefois, seulement 75 % de nos établissements sont connectés en haut débit, contre 98 % au Danemark, 94 % au Royaume-Uni et 90 % en Finlande. Enfin, la France compte seulement un tableau numérique interactif pour 500 élèves, soit deux fois moins que la moyenne en Europe.

-

Tablettes : une distribution et de nombreuses interrogations

Si l’idée est séduisante, offrir une tablette à chaque collégien de France n’est pas sans poser quelques questions. Sur le matériel lui-même tout d’abord : Quelle tablette choisir ? Avec un système ouvert de type Linux ou fermé comme sur les iPads d’Apple ? Combien d’années les élèves seront-ils censés garder leur tablette ? Comment le matériel sera-t-il mis à jour et entretenu ? Et surtout qui va payer en cas de perte, de casse ou de vol ? Pour l’instant, aucune compagnie d’assurance n’accepte de prendre en charge un tel risque. L’utilisation de la tablette aussi pose problème : les élèves pourront-ils s’en servir pour jouer ? A quelles applications auront-ils accès ? Un système de contrôle sera-t-il mis en place ? Quant aux parents, pourront-ils refuser la tablette ? Autant de questions auxquelles il faudra apporter des réponses avant de commencer la distribution.

-

Le CNN réfléchit à l’école de demain

Le Conseil national du numérique (CNN) s’est penché sur le cas de l’école. Dans son rapport baptisé Jules Ferry 3.0, rendu public le 3 octobre dernier, cet organe chargé de réfléchir à la place du numérique dans notre société a émis 40 propositions. Lui aussi souligne la nécessité de mettre en place un enseignement d’informatique au collège et de créer un corps spécifique d’enseignants en informatique. Il met aussi en avant l’usage du numérique pour rapprocher l’école des collectivités locales, des associations et des parents. Le CNN propose également, avant de distribuer des tablettes, de mieux cerner les besoins des enseignants et de renforcer les liens de confiance entre les enseignants, les éditeurs scolaires et les fabricants de matériel. « Si le numérique ne constitue pas la réponse à tous les maux, c’est un atout dont il faut s’emparer pour aider l’école à reprendre le flambeau de l’égalité des chances et améliorer l’accès de chacun au savoir », assure Benoît Thieulin, le président du CNN.

-

Les cours d’informatique toujours en débat

Faire de l’informatique une discipline à part entière, voilà qui aurait vraiment du sens dès lors que l’on parle d’école numérique. De nombreux spécialistes en font une priorité (lire l’entretien avec notre Grand témoin Jean-Pierre Archambault ci-contre et l’encadré sur le Conseil national du numérique ci-dessus). Même l’Académie des sciences souligne la nécessité de faire de l’informatique une discipline à part entière. Pour autant, on en est encore loin. La mise en place d’un Capes ou d’une agrégation Informatique, indispensables pour former les enseignants chargés de ces cours, n’est pas d’actualité. Idem en ce qui concerne les certifications qui autoriseraient les professeurs des écoles à sensibiliser leurs élèves. A la place, l’ancien ministre de l’Education Benoît Hamon avait proposé que les professeurs de technologie et de mathématiques se chargent de cette tâche. Une proposition retoquée sèchement par l’Académie des sciences qui jugeait, dans un rapport de mai 2013, que fondre l’informatique dans les sciences mathématiques ou les génies mécaniques et électriques reviendrait à « la mutiler gravement ». Autres « détails » à régler : trouver des heures dans des emplois du temps déjà bien chargés et mettre en place des épreuves d’informatique au baccalauréat…

 -

__________

TEMOIGNAGE

Michaël, professeur de mathématiques au collège Keranroux de Brest (29)

« Grâce aux tablettes et à une application que j’ai dénichée, mes élèves font, par exemple, de la géométrie dynamique. Ils peuvent ainsi facilement dessiner un triangle puis, d’un geste, l’agrandir ou en connaître l’aire. C’est rapide, pratique et ça rend les élèves actifs. Grâce aux outils numériques, ils peuvent aussi terminer chez eux un tableau qu’ils ont commencé de remplir en classe ou revoir une notion sur une tablette pendant que d’autres font un exercice sur le vidéoprojecteur. Chaque enseignant utilise le numérique comme il le souhaite. Les élèves utilisent aussi les tablettes pour s’enregistrer en cours d’anglais ou pour prendre des photos en arts plastiques. A mes yeux, les tablettes doivent être prises comme des outils au même titre que le rapporteur et le compas. Elles ne doivent pas faire oublier les bonnes vieilles techniques qui ont montré leur efficacité. »

-

__________

GRAND TEMOIN

384---temoin--archambaultJean-Pierre Archambault

Professeur agrégé de mathématiques, Jean-Pierre Archambault a créé puis coordonné le pôle de compétences « logiciels libres » du SCÉRÉN. Il est aujourd’hui président de l’association Enseignement Public et Informatique (EPI). Il est aussi membre du conseil d’administration de la Société Informatique de France (SIF) et co-responsable du groupe ITIC-EPI-SIF.

« Il est grand temps que les intentions se transforment en actes ! »

-

Quels sont, selon vous, les « statuts éducatifs » de l’informatique ?

Jean-Pierre Archambault : Lorsque l’on évoque le numérique à l’école, on pense avant tout à l’utilisation des outils informatiques dans le cadre des apprentissages. Mais le numérique est aussi présent sous d’autres formes. Il est intégré aux programmes des disciplines qui évoluent, comme les sciences expérimentales avec la simulation et les enseignements techniques ou professionnels. Il est un outil professionnel utilisé par l’Education nationale, par exemple pour gérer la paie ou assurer la communication avec les équipes ou les parents. L’immense majorité des enseignants se servent enfin de l’informatique pour préparer leurs cours. Qui plus est, l’informatique est en train de redevenir une discipline scolaire à part entière.

 

En quoi, selon vous, apprendre l’informatique aux élèves est-il essentiel ?

J-P.A : Faire de l’informatique une discipline à part entière correspond aux missions de l’école, à savoir former l’homme, le travailleur et le citoyen. Les jeunes d’aujourd’hui seront de plus en plus amenés à utiliser l’informatique dans leur vie professionnelle. Cela permettrait aussi de faire naître des vocations et inciter des élèves à se tourner vers des métiers dont la société aura de plus en plus besoin. Enseigner l’informatique et le numérique participerait enfin à former les citoyens en donnant aux jeunes les clés pour participer pleinement à la vie de la société et comprendre les enjeux de demain qui seront de plus en plus liés au numérique.

 

Pour autant, il semble compliqué de donner à l’informatique toute la place qu’elle mérite à l’Ecole. Quels en sont selon vous les principaux freins ?

J-P.A : Concernant les usages, la maintenance des matériels pose encore problème même si la situation s’améliore. La connexion des établissements en très haut-débit est aussi insuffisante. Mais le principal frein à mes yeux, c’est le manque de formation des enseignants. Former, cela coûte, mais c’est un investissement indispensable pour l’avenir du pays. Trop longtemps différée, la formation des enseignants doit être mise en œuvre dans les plus brefs délais en créant un Capes et une agrégation d’informatique, voire des Capes et agrégations bivalents, des certifications dans les ESPE pour les professeurs des écoles, des habilitations du type ISN…

Il est grand temps que les intentions se transforment en actes. Il est urgent de ne plus attendre, comme le dit l’Académie des sciences dans son rapport. Le travail est énorme, mais il faut que le gouvernement fixe un cap et accélère la montée en charge.

 

Où en est l’action que vous menez depuis des années pour l’utilisation des logiciels libres ?

J-P.A : Ils s’imposent de plus en plus au niveau des infrastructures et de l’administration de l’Education nationale, mais ils sont encore trop peu utilisés en classe et plus généralement dans la société. Pourtant, sensibiliser les élèves aux logiciels libres permettrait de leur donner un pluralisme technologique plus que jamais nécessaire. Et il y a un lien naturel entre l’enseignement de la science et technologie informatique et l’accès au code source.

 

Mot-clé:,

Pas de commentaires pour le moment.

Donnez votre avis