EDUCATION

Le point sur la réforme des rythmes scolaires


HD-383---rythmes-afpUn peu plus d’un mois après la rentrée scolaire et la généralisation de la réforme des rythmes scolaires, nous avons souhaité faire un point. Si certains ont dû s’adapter à ces nouveaux rythmes depuis l’année dernière, la majorité des élèves de primaire – et leurs parents ! – découvre tout juste une nouvelle organisation de vie scolaire avec plus ou moins de difficultés. Et avec un sentiment dominant plutôt négatif quant à l’intérêt de cette réforme.

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« On a l’obligation de jouer le jeu. » Même si Jean-Claude Houssard, maire de Boulleville, petite commune de l’Eure à quelques encablures d’Honfleur, n’est pas convaincu que cette réforme serve à grand chose, il est tout de même allé jusqu’au bout de la démarche pour cette rentrée 2014. Résultat : « 11 personnes embauchées dont les ATSEM et un coût qui s’élève à 270 000 euros pour les 230 enfants du regroupement scolaire avec Saint-Maclou ». Au choix, sur sa seule commune, quatre ateliers gratuits sont proposés sur un temps quotidien de 45 minutes sur 4 jours. Pour les 65 enfants qui ont choisi d’en bénéficier (sur un effectif de 95), informatique, sport, théâtre et soutien scolaire sont au menu. « Avec 4 ateliers, 4 intervenants et 4 groupes de 18 élèves en moyenne qui changent toutes les semaines, on ne fait pas de l’épicerie mais presque. Et tout cela n’a été budgétisé que jusqu’en décembre-janvier, après on va voir. » Même si une éventuelle petite participation des parents ne représenterait qu’une goutte d’eau, cela serait une question de principe mais également une pression supplémentaire. « Si les parents payent ils peuvent alors exiger un plus grand service. D’autre part, les parents qui seraient concernés sont ceux qui travaillent et qui payent déjà pour la garderie. Ce n’est pas une loi pour les parents qui travaillent. »

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Des problèmes de discipline

Si 60 % des Français désapprouvaient encore la réforme à la veille de la rentrée selon un sondage CSA pour RTL publié le 1er septembre 2014, la nouvelle organisation du temps scolaire – entrée en vigueur en septembre 2013 dans une commune sur cinq – a bien été généralisée à toutes les écoles cette année. Si la durée du temps scolaire reste inchangée (24 heures hebdomadaires), une matinée supplémentaire de classe le mercredi matin (voire le samedi matin, mais c’est beaucoup plus rare) est donc mise en place. Chronobiologie, redistribution des apprentissages… Cette matinée « en plus » permettrait de répartir plus efficacement les activités de la semaine en fonction des pics d’attention des élèves. De la théorie à la pratique : incohérence ou impasse d’emploi du temps, Louise, 6 ans en CP dans le 18e arrondissement à Paris, se retrouve avec un cours d’EPS d’1 h 30 et seulement 1h de classe, le mercredi matin !

Pour Astrid, enseignante de CM1 dans une autre école de la capitale, c’est toujours le même casse-tête organisationnel pour cette deuxième rentrée au régime 4 jours et demi. « Je suis pour une demi-journée supplémentaire mais sans réduire les après-midi car le programme reste le même. Avec des ateliers mardi et vendredi, aucune sortie n’est possible ; et le jeudi les élèves sont infernaux. Si avant, je prévoyais des activités plus cool le vendredi, désormais c’est le jeudi, la journée problématique. A l’inverse, j’avance moins vite, à cause de leur fatigue chronique. Les vacances de la Toussaint seraient arrivées une semaine plus tôt, cela n’aurait pas été plus mal. » Côté pratique, sa classe est réquisitionnée dès 15 h 00 et elle est obligée de se réfugier en salle des maîtres. Là, parfois, elle assiste impuissante aux mauvais comportements des élèves dans le cadre périscolaire. « Ils mélangent le scolaire et les TAP (temps d’activité périscolaire) avec des règles de discipline qui ne sont plus les mêmes et des animateurs pas forcément compétents, qui se laissent déborder. Personnellement je me sens dépossédée de mes élèves ne sachant pas ce qu’ils font en ateliers et je n’ai pas l’impression que ces changements leur bénéficient. »

En tant que maman d’un fils scolarisé à Bondy (Seine-Saint-Denis), Astrid est tout aussi perplexe face à une école dans l’incapacité de l’informer sur les activités prévues. Et c’est bien ce problème de communication de l’école vers les parents qu’elle constate également dans sa propre école. « Nous voyons beaucoup moins les parents si ce n’est plus du tout car nous ne sommes pas à la sortie des classes ce qui oblige à transférer beaucoup d’informations par cahier de correspondance interposé ; cela complique le relationnel. »

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HD-383---rythmes-dodoLe grand écart des TAP

Si justement le relationnel parents-enseignants doit désormais s’adapter à des modes de communication indirects, certains subissent en plus le manque d’informations. Preuve en est, ce courrier reçu par les parents de l’académie de Rouen en date du 30 septembre dernier et qui les informe, enfin, des raisons et des bienfaits de cette semaine avec 5 matinées. Jusque-là, pour beaucoup, aucune réunion ni consultation. Pour Jennifer, maman d’une petite Louise en classe de CP dans une école qui a adopté les nouveaux rythmes en 2013, les ateliers qui devaient être un choix des enfants s’est révélé un choix des animateurs eux-mêmes sans consultation des parents. D’autant qu’ « en fonction de la compétence et de la sympathie des animateurs, l’activité est cool… ou beaucoup moins ! ». Pour cette maman, gratuité rime avec garderie déguisée à la vue des activités Kapla, puzzle et jeux de société.

Autre son de cloche dans la petite ville de Lampertheim, près de Strasbourg, Vanessa, maman de deux enfants, est, elle, ravie des activités proposées à ses enfants : initiations sportives, création d’un conte musical, cours d’anglais ou de danse. L’organisation trimestrielle est bien rodée et la municipalité a mis les moyens mais cela a un prix pour les familles : 24 euros par enfant et par trimestre. Un coût qui s’ajoute aux activités extrascolaires que ses enfants n’ont pas abandonnées pour autant.

Alors faut-il en conclure qu’il faut payer pour que les enfants aient accès à des activités qualitatives et qu’il ne faut pas s’attendre à grand-chose quand il y a gratuité ? Certes non. Mais il est clair que les élèves qui sont scolarisés dans des communes riches ont plus de chances de bénéficier d’activités périscolaires attractives. Ce qui est le cas pour les enfants de Florence, en région bordelaise. Si l’année dernière elle payait 5 euros par enfant et par an à Eysines, cette année dans l’école de Saint-Médard-en-Jalles, où elle a scolarisé ses enfants, c’est gratuit et qualitatif. Danse, musique, photo, vélo ou encore « atelier attitude citoyenne » ravissent Camille (CM2), Manon (CE2), Luka (CE1) et Théa (Moyenne section). « Tout le monde y trouve son compte et ils sont très contents d’aller au TAP qu’ils choisissent eux-mêmes. »

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Bouleversements dans les familles

On le voit bien, cette réforme engendre des sentiments très divers chez les parents. Que l’on soit dans une commune avec des moyens financiers importants ou non, à la campagne ou en ville, dans une école avec des intervenants qualifiés et motivés… ou non. Mais on peut faire un constat : si le temps scolaire est désormais le même pour tous les élèves de primaire, les TAP creusent, eux, des inégalités entre les écoles et les communes sans partout « contribuer au développement de leur curiosité intellectuelle » ; ce qui est pourtant l’ambition du ministère si l’on se réfère au discours officiel relayé par le site 5matinees.education.gouv.fr. Sans oublier d’autres points négatifs comme la fatigue constatée chez un grand nombre d’enfants ainsi que les bouleversements dans la vie personnelle et professionnelle que cette réforme a provoqués dans les familles.

Comme le montre l’enquête Peep (lire ci-contre), la réforme des rythmes scolaires reste bel et bien un sujet à polémique pour la majorité des parents interrogés. Ce qui est loin d’instaurer un climat serein au sein de la communauté éducative alors même que des dossiers d’importance attendent la ministre Najat Vallaud-Belkacem, à commencer par la redéfinition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. S’il est connu qu’un clou chasse l’autre, cela n’est pas forcément vrai avec ce dossier des rythmes scolaires, qui pourrait devenir plus qu’une épine dans le pied de la ministre de l’Education nationale.

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INTERVIEW

Michel Leroux, maire de Pont-Audemer (27)

Comment s’est passée cette deuxième rentrée scolaire appliquant ces nouveaux rythmes dans les six écoles de votre ville ?

Beaucoup mieux car nous avons fait des adaptations entre 2013 et 2014 étant donné que nous sommes un peu rodés. Nous avons décidé de laisser de la souplesse en maternelle pour respecter les temps de vie du petit enfant. La question de la sieste a donc été réglée. Tout est une question de volonté, il faut être sensible aux questions éducatives et c’est notre cas.

 

Plus que de la sensibilité éducative, ne faut-il pas avoir les moyens ?

Il est évident que pour certaines petites communes c’est moins facile ; c’est pourquoi nous avons aidé deux communes sur l’intercommunalité à mettre en place la réforme. Pour notre ville le coût total se situe entre 250 000 et 300 000 euros par an, moins les aides de l’Etat. Grâce à notre volonté et notre détermination, nous nous sommes donné les moyens également d’évaluer et de suivre le dispositif grâce à la mise en place d’un grand conseil des écoles où se réunissent les délégués des enseignants et les parents au moins une fois par trimestre.

 

Justement quels sont les retours que vous avez eus sur cette nouvelle organisation ?

L’évaluation que nous avons faite au mois de juin est sans appel au niveau du discours des enseignants qui trouvent les enfants plus disponibles le matin. Concernant les activités proposées, il y en a 80 et un peu moins de 90 % des élèves y participent (contre plus de 90 % l’année dernière). Chaque enfant s’inscrit au début du trimestre et aucune participation n’est demandée aux parents. Quelques élèves sont partis dans le système privé mais cela reste très marginal.

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REPERES

Nouveaux rythmes, mode d’emploi

• une semaine de 24 heures de classe pour tous les élèves ;

• 5 matinées d’enseignement ;

• une pause méridienne dont la durée ne peut être inférieure à 1 h 30 ;

• des activités périscolaires encadrées par des agents spécialisés des écoles maternelles (ATSEM), animateurs, éducateurs territoriaux d’activités physiques et sportives durant les plages horaires libérées ;

• une aide de 50 euros par an et par enfant scolarisé pour chaque commune, et une aide portée à 90 euros par enfant pour les communes les plus en difficulté.

 

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ZOOM

 Des parents dubitatifs

Une enquête réalisée par la Peep du 12 au 19 septembre sur un échantillon de 4484 parents permet d’avoir une vue d’ensemble du ressenti des parents sur le terrain. Si 82 % des parents interrogés estiment que la rentrée scolaire s’est déroulée de manière satisfaisante, chez les 18 % de mécontents c’est la mauvaise organisation des TAP qui arrive en tête des doléances. Mais quand il s’agit de juger de l’intérêt pédagogique des activités proposées, ils sont 47 % à estimer qu’elles n’en ont pas. Concernant plus généralement l’aménagement de ce nouveau temps scolaire, ils sont très nombreux (64%) à ne pas le trouver adapté aux élèves de maternelle. Enfin, 67 % des sondés ne pensent pas que cette réforme permettra aux élèves de mieux réussir à l’école ; pire, pour 40%, elle les fatiguerait davantage !

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