EDUCATION

Quelles pistes pour la rénovation des programmes ?

Une rénovation des programmes pour… une révolution ? Quelles sont les perspectives du conseil supérieur des programmes ? Réponses.

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Le « cœur du réacteur » de la refondation de l’école. Cette expression empruntée à Claude Lelièvre, historien de l’éducation, en octobre 2013 par le ministre de l’Education nationale de l’époque, Vincent Peillon, lors du lancement du Conseil supérieur des programmes (CSP), démontre bien l’importance de celui-ci. Institué par la loi d’orientation et de programmation de la refondation de l’école du 9 juillet 2013, le CSP émet des avis et formule des propositions sur la conception générale des enseignements, le contenu du socle commun, la nature et le contenu des examens ainsi que ceux des concours des enseignants des premier et second degrés. Enfin, le CSP lie les programmes à la recherche et à la formation des enseignants. « Le souhait de Vincent Peillon était de recréer une instance en toute transparence afin de gérer l’ensemble des processus de fabrication des programmes » explique le président du CSP, Alain Boissinot, ancien recteur de l’académie de Versailles et inspecteur général de lettres. « Recréer » car, entre 1989 et 2005, il existait le Conseil national des programmes (CNP), auquel a succédé le Haut conseil de l’éducation, qui lui-même a été remplacé selon la loi par le CSP.
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Transparence et indépendance
La transparence est en effet un des principes du CSP, qui se veut également indépendant. Le CSP s’attache ainsi à publier ses travaux et les lettres de demandes du ministre de l’Education (car le CSP établit des propositions soit à la demande du ministre, soit en se saisissant d’un sujet qui relève de ses compétences). « On a mal vécu les dernières modifications des programmes, rédigées dans des conditions obscures, lance Claire Krepper, secrétaire nationale SE-UNSA, syndicat enseignant des premier et second degrés. Il était urgent de mettre en place une procédure transparente qui associe toutes les parties concernées, avec une distance vis-à-vis du ministère. » La composition du CSP est en effet éclectique : six parlementaires représentant la nation (trois députés et trois sénateurs issus des commissions ad hoc respectives), deux représentants du Conseil économique, social et environnemental ainsi que dix personnalités qualifiées, nommées par le ministre pour cinq ans. « Il fallait sortir des programmes politiques, estime Claire Krepper. C’était aberrant que ce soit des membres du cabinet qui valident le contenu des enseignements. Les programmes sont des outils professionnels devant être rédigés par des professionnels. »
Dans une logique de concertation et de consensus, le CSP, qui reçoit régulièrement associations et syndicats, fera appel à des groupes d’experts pour l’élaboration des programmes, au sein desquels seront présents des enseignants et des représentants des parents d’élèves. « Nous sommes attentifs aux propositions des parents, assure Alain Boissinot. L’école nous semble avoir des responsabilités d’instruction, mais aussi d’éducation. On doit donc trouver un terrain respectueux des familles et un compromis entre le rôle de l’école et celui des familles. »
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Logique « curriculaire »
Le 3 avril dernier, le CSP a publié le résultat de ses premiers mois de travail : la charte des programmes (voir encadré). Après avoir indiqué que les savoirs enseignés doivent « aider les élèves à se repérer dans la complexité du monde », à la « recherche de la vérité » et « bénéficier à la totalité des élèves », le CSP évoque sa manière de concevoir les programmes. « Même si le mot fait débat, la logique sur laquelle nous travaillons s’approche du curriculum » explique Alain Boissinot. Ainsi, le CSP réfléchira à la fois aux programmes, à leur évaluation, à leur révision et à la formation des enseignants. Dans cette même logique « curriculaire », les programmes ne vont plus être seulement une liste de connaissances disciplinaires annuelles mais un ensemble global de connaissances et de compétences que l’élève acquiert dans la durée.
« Il fallait sortir de l’approche utilitariste des programmes où l’objectif était seulement de préparer à l’année suivante », assure Claire Krepper. « C’est une véritable révolution copernicienne !, ajoute Claude Lelièvre. On part des grands objectifs pour ensuite définir en quoi chaque discipline va y contribuer. Le global en premier, puis on décline. Avant, c’était l’inverse, on voyait les disciplines toutes seules, année par année, c’était une pagaille monstre. » Les programmes vont ainsi être pensés en fonction des cycles, et non plus de manière annuelle, afin de donner plus de cohérence de la maternelle au lycée.
Le CSP envisage également de donner davantage d’autonomie aux enseignants, eux qui seraient « prisonniers des programmes », selon le pédagogue et vice-président de la Ligue de l’enseignement Pierre Frackowiak. « Les programmes doivent donner le cadre et laisser davantage d’initiative aux enseignants », estime Alain Boissinot. « La marge donnée au local reste à définir, s’inquiète Roland Hubert, co-secrétaire général du SNES. On est pour une certaine liberté pédagogique donnée aux enseignants, mais on est opposés à ce qu’ils définissent chacun de leur côté une partie du programme. »
En outre, le CSP va s’attacher à expliciter les finalités pour donner sens aux enseignements, pour les professeurs et les élèves, et à définir des objectifs réalistes. « Il faut délimiter ce qui est réellement appris par l’élève », souligne Roland Hubert. Les programmes, souvent critiqués pour être lourds et inadaptés, devraient ainsi voir leur taille se réduire. « Il y a des difficultés concernant le socle commun, explique Claire Krepper. Il y a beaucoup trop de contenus sans approfondissement. »
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« Condamné à réussir »
Mais la diminution du contenu entraînera-t-elle une baisse de niveau des élèves au sein du « socle commun de connaissances, de compétences et de culture », c’est-à-dire ce qui est censé être maîtrisé par tout élève en fin de scolarité obligatoire ? « Faire des programmes, c’est faire des choix, d’autant que je ne crois pas que le niveau soit corrélé à la quantité de notions présentes dans un programme ! » lance Roland Hubert. « Avant, on définissait des programmes pour des élèves idéaux : il était donc facile d’avoir des objectifs extrêmement élevés et exigeants, explique Claude Lelièvre. On doit se préoccuper de l’ensemble des élèves et non de ceux qui sont le plus à l’aise. Il y aura peut-être une baisse du niveau qui était idéalement demandé, mais une augmentation du niveau de l’ensemble d’une classe d’âge. »
Selon le calendrier, le CSP doit donner cet été ses indications concernant le socle commun et le programme de maternelle (voir encadré). Ses réflexions sur le programme de la scolarité obligatoire ne devraient quant à elles pas apparaître avant l’hiver 2015, pour une mise en application à la rentrée 2016. Une période longue mais assumée. « Tout ne se fera pas du jour au lendemain, lance Alain Boissinot. Les sujets d’éducation ne peuvent pas se traiter dans l’urgence du journal de 20 heures, ni suivant les rythmes des remaniements ministériels… » « C’est la première fois qu’il peut y avoir une résolution du problème de fond, s’enthousiasme Claude Lelièvre. Mais c’est la dernière fois que l’on peut le faire. S’il y a échec, on ne pourra pas recommencer car tout le monde reprendra ses billes. Le CSP est condamné à réussir, et on doit donc lui donner du temps. Pour le moment, il ne cède pas, mais on n’est pas sûr que ça tienne jusqu’au bout… » Et l’historien de conclure, avec espoir : « le cœur du réacteur bat toujours ! ».
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INTERVIEW

Alain Boissinot, président du Conseil supérieur des programmes

Quelles sont les difficultés lorsque l’on veut rénover des programmes ?
D’abord, résoudre l’instabilité. Les enseignants ont le sentiment de ne plus savoir où ils vont. En 2008, on a remis en cause ce qui avait été décidé en 2002 alors que l’on commençait seulement à le mettre en œuvre. On veut éviter ces virages à 180 degrés. La seconde est le manque de perspective d’ensemble. Avant, on y allait par petits bouts, sans s’occuper des autres niveaux ou des autres disciplines. Il faut d’abord définir la cohérence d’ensemble, dans le cadre du socle commun.
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Allons-nous vers le « curriculum » ?
C’est un mot qui fait débat et qui paraît nouveau chez nous. La logique sur laquelle nous travaillons s’en approche. On préconise la cohérence globale avant le détail, avec des programmes davantage portés sur les cycles. On ne peut pas définir les programmes sans s‘intéresser à l’évaluation, aux outils pédagogiques et à la formation des maîtres. Avant, on prenait les programmes comme un idéal théorique, or on doit prendre davantage en compte ce que les élèves apprennent réellement.
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N’y a-t-il pas un risque d’abaisser le niveau des élèves ?
Il s’agit de se donner les moyens d’atteindre les ambitions. On doit définir ce qui est vraiment fondamental. On pense qu’il faut faire davantage confiance aux enseignants pour la mise en œuvre des programmes. La rue de Grenelle ne peut pas décider de ce qui se passe chaque heure dans chaque classe.
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Cela entraînerait donc une formation différente des enseignants ?
C’est essentiel. On est convaincu que ça ne sert à rien d’avoir les meilleurs programmes du monde sans donner aux enseignants les outils pédagogiques nécessaires.

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Doit-on s’attendre à de grands bouleversements ?

Non, ce ne serait pas raisonnable. Ce n’est pas la logique de la table rase. Il y a des points qui doivent évoluer, notamment avec l’émergence de domaines nouveaux tels que le numérique. Nous devons nous pencher sur son usage, sur les possibilités qu’il donne, ses problèmes juridiques…
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REPERES

La charte des programmes

Publiée le 3 avril, la charte des programmes dévoile le cahier des charges du CSP, la manière dont il élaborera les programmes, leur mise en œuvre, leur évaluation, leur révision.

Huit grands principes sont évoqués : « présenter les programmes sous forme de textes plus synthétiques », « de manière explicite et compréhensible pour les non-spécialistes », « mieux expliciter les choix opérés », « une évaluation régulière des programmes », « afficher les exigences », « reconnaître le travail de mise en œuvre des enseignants », « prendre toute la mesure des outils numériques » et « susciter l’intérêt chez l’élève ».

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ZOOM

Vers une école maternelle « bienveillante »

Au départ annoncées pour le printemps et une mise en œuvre à la rentrée 2014, les pistes du CSP concernant le programme de maternelle, le premier dans le calendrier, ne seront finalement dévoilées que cet été pour une mise en application à la rentrée 2015. « On a repoussé le calendrier car il n’était pas très réaliste : il nous conduisait à travailler en trois mois et donc à faire du mauvais travail », justifie Alain Boissinot. Ce laps de temps supplémentaire permettra davantage de consultations avec les professeurs des écoles et une meilleure « appropriation ».
Apprendre par le jeu
Toutefois, la direction vers laquelle tendra le programme est déjà définie : un équilibre entre bienveillance, bien-être, épanouissement et apprentissage. La priorité sera donnée aux domaines du langage, du corps, de la création, de la découverte du monde, de l’espace et du temps, dans un « cadre valorisant » où l’enfant apprendra par le jeu, la participation à des projets, le travail en équipe. « On doit équilibrer entre le fait que la maternelle doit poser les bases tout en ne bachotant pas le travail du CP. Il faut une progression raisonnable et continue » indique Alain Boissinot.

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