EDUCATION

Le nouveau visage de l’internat

Finie la systématique sentence punitive du départ à l’internat. Aujourd’hui, il est surtout synonyme de réussite et d’intégration sociale pour les adolescents qui demandent à y partir. Un changement radical de perception qui résulte d’une offre plus attractive.

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« La vraie joie du jeudi c’est de faire sa valise pour rentrer »… des tweets de ce type sur #internat il y en existe beaucoup. Entre ceux qui pestent contre le bug de l’alarme incendie à 6h30 du matin ou encore ceux qui relookent leur chambre avec un lit en équilibre sur le bureau en postant une photo légendée  « pendant ce temps à l’internat », la vie à l’internat anime les réseaux sociaux. Sans rivaliser avec la douceur du foyer familial, la vision cauchemardesque du dortoir de 50 lits comme seule source de chaleur humaine a pris un coup de vieux. Et si l’internat a toujours été, et sera toujours, un lieu fait pour favoriser avant tout le travail et non le loisir, les choses évoluent tout de même vers beaucoup plus de confort, d’intimité et d’écoute. Preuve en est, une tendance repartie à la hausse du nombre d’internes en France après une chute vertigineuse depuis les années 70.
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L’ « acceptabilité » morale de l’internat
En décembre 2000, lors d’un séminaire sur le « développement de l’internat scolaire public », Camille Colombe, alors à la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), énumérait les raisons d’une demande d’entrée à l’internat à savoir « la situation géographique, les difficultés familiales, les résultats scolaires ou encore la recherche d’un enseignement spécifique dans les sections sportives, artistiques ou internationales, ou encore la nécessité de donner des soins particuliers à l’enfant dans des établissements climatiques. » Et à l’époque elle notait une demande beaucoup plus importante pour les garçons que pour les filles. Un fait qui n’est toujours pas démenti si l’on en croit la plate-forme d’Ecoute Infos Familles (1) qui constate qu’à tous les âges, dans les trois quarts des cas, ce sont les garçons qui posent problème à leurs parents. Parents désemparés qui demandent alors une place en pension. Encore parfois, sanction ultime pour des parents à bout de nerfs, l’internat gagne désormais à être connu.
Pour Dominique Glasman, professeur d’université, chargé d’intervenir lors de ce même séminaire sur les perspectives de l’internat « nous sommes passés d’une image négative de l’internat à une autre plus positive. Tout se passe comme si l’internat avait acquis aujourd’hui une « acceptabilité » morale qu’il n’avait pas il y a quelques années. Pour les adolescents, cette acceptabilité morale vient du fait que l’internat leur offre la possibilité de changer de rôle, de rompre avec le quotidien et le milieu urbain au profit d’un lieu de sociabilité à l’écart des parents, dans un cadre qui les aide à accomplir leur métier d’élève. »
Et pour accomplir son métier d’élève mais également améliorer les rapports avec sa famille, Thomas, 17 ans, a convaincu ses parents de l’envoyer en pension. « Une vraie bouffée d’oxygène qui m’a permis de mieux travailler et de mettre un terme aux conflits du quotidien avec mes parents ». De nombreux adolescents en difficulté scolaire ou non doivent ainsi convaincre leurs parents pour qui l’internat est soit synonyme de mauvais souvenirs soit de débarras pour parents désintéressés. Pourtant, il ne faut pas minimiser le côté salvateur de la mise à distance en cas de conflits ni mal interpréter le désir d’autonomie et d’indépendance d’un adolescent. A en croire Dominique Glasman, « l’enjeu consiste donc à faire en sorte que l’internat puisse se tenir à distance à la fois de la caserne et du simple centre d’hébergement tout en créant un cadre capable d’associer incitation, contrôle, autonomie et soutien, ce cadre devant par ailleurs être lisible et attractif pour les parents et pour les adolescents. »
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Des conditions attractives et citoyennes
Au collège de Marciac dans le Gers, les responsables affichent l’ambition constante de faire vivre aux jeunes internes un temps contraint agréable et porteur d’apprentissage de vie en collectivité. Si le dialogue avec les élèves est évidemment fructueux pour améliorer leur cadre de vie et développer les activités partagées, la création de la classe Jazz ou Ateliers d’initiation à la musique de jazz permet de développer chez les élèves la sensibilité, l’aptitude à créer, la recherche de méthode ou l’acquisition de comportements citoyens. Comme l’indique Christian Péthieu, le principal, « le jazz est ainsi le reflet de ce que doit être pour nous la construction d’un acteur de la société, avec un apprentissage individuel rigoureux qui donne sa place à la singularité des élèves grâce à l’improvisation, et l’apprentissage des contraintes et des joies d’un partage musical en groupe. On le voit, notre projet dépasse le cadre strict d’une scolarité « classique » pour contribuer, avec la musique, à un développement harmonieux des élèves mêlant des acquisitions de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être et une conscience citoyenne active. » Et pour participer à ce projet éducatif, nul besoin d’être déjà un musicien accompli car c’est le principe de non sélection musicale qui préside à l’intégration des élèves dans les ateliers d’initiation. Seuls un niveau scolaire convenable et une forte motivation sont demandés. Et cette initiation musicale n’a rien de confidentiel car les élèves musiciens terminent l’année scolaire en jouant de la 6e à la 3e lors d’une soirée bilan de l’année et ont l’honneur de se produire lors du festival de Marciac à l’occasion d’une journée qui leur est dévolue. Une expérience irremplaçable que 117 élèves sur les 215 ont, aujourd’hui, choisi de vivre.
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Améliorer le « vivre ensemble »
Si le projet pédagogique du futur internat du collège Henri Baumont de Beauvais n’a pas l’oreille musicale, le projet est également construit autour de la notion de « vivre ensemble, aujourd’hui et demain ». Et ce travail sur la citoyenneté et la responsabilisation est nourri par une réflexion architecturale poussée. Ainsi le futur bâtiment, qui pourra accueillir, dès la rentrée 2015, 18 filles et 18 garçons, n’a rien à voir avec ce que le principal Xavier Mouchard a pu connaître dans sa jeunesse. « Il disposera d’une cuisine aménagée où les internes pourront fabriquer leurs repas ensemble mais également d’un espace détente ou nouvelles technologies (Tic). Avec des chambrées de trois personnes, des espaces réfléchis, les connexions internet et la lumière suffisante, toutes les conditions sont réunies pour que ce soit le plus familial possible. » Prévu par la collectivité territoriale de rattachement du département de l’Oise pour être un internat de la réussite, anciennement d’excellence, il s’adressera aux collégiens motivés et ne bénéficiant pas d’un environnement favorable pour réussir leurs études. Une mesure pour la promotion de l’égalité des chances mise en place en 2008 et qui est inscrite depuis 2009 parmi les priorités nationales financées par l’emprunt national. En 2012-2013 ce sont ainsi 11 500 collégiens, lycéens ou étudiants qui ont pu vivre comme une chance de rentrer à l’internat.
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Note
(1) : Écoute infos familles: 01 81 89 09 50
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INTERVIEW

Mme Le Rall, CPE remplaçante à l’internat du lycée Jacques Prévert, Pont-Audemer (27)

La vision de l’internat a-t-elle changé ?

Oui ce n’est plus le bagne. Le but premier c’est de mettre les élèves dans de bonnes conditions afin qu’ils réussissent toute leur scolarité. Ici, on offre un cadre studieux où il y a des heures d’études obligatoires. Nous savons que certains élèves n’auraient pas utilisé ces heures pour travailler s’ils étaient chez eux.


Qu’est-ce qui motive l’entrée en internat ?

Beaucoup de parents sont conscients du cadre privilégié dédié aux devoirs. Avec 60 places (30 pour les filles, 30 pour les garçons), nous sommes obligés de faire une sélection en début d’année car nous recevons plus de demandes que nous n’avons de places. Nous étudions alors la distance entre le domicile et le lycée ainsi que les critères sociaux et familiaux.


Qui s’occupe de ces internes ?

Nous sommes trois CPE pour 60 élèves et nous nous relayons pour effectuer des permanences jusqu’à 20 h 30. Sur place, de 18 h 00 à 7 h 30 du matin, il y a deux assistantes d’éducation dont le rôle est d’encadrer les élèves, de les surveiller et d’apporter leur aide à l’étude si besoin. Elles sont aussi à l’écoute des ados s’ils ont besoin de parler… Sorte de deuxièmes mamans. Après, s’il y a un souci, les personnels de direction, qui logent sur place, sont eux aussi de permanence en cas de grave problème.

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REPERES

L’internat en chiffres

• 169 067 élèves étaient internes en 2011, dans l’enseignement secondaire public.

• Les différents internats proposent 215 794 places et leur taux d’occupation est proche de 78 %.

L’offre de places en internat se répartit entre :

– les collèges : 12 211 places, soit 5% de l’offre globale

– les lycées professionnels : 55 911 places, soit 26 % de l’offre globale

– les lycées généraux et technologiques : 134 509 places, soit 63 % de l’offre globale

– les classes post-bac : 13 163 places, soit 6 % de l’offre globale.

• 250,01 euros = aide forfaitaire annuelle attribuée aux élèves boursiers.


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TEMOIGNAGE

Rozane, 17 ans, interne de terminale en Bretagne

Pourquoi être devenue interne ?

Je n’ai pas à supporter les 1 h 30 de transports quotidiens, qui me faisaient rentrer très tard chez moi. C’est plus pratique, je peux me lever plus tard comme je suis déjà sur place et je n’ai plus à prendre le bus de 6 h 40. C’est aussi parce que j’avais déjà des amies internes. Être dans la même chambre que des amies la semaine, c’était une super perspective !

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Comment ont réagi tes parents ?

Mes parents étaient d’accord pour que j’y aille, ils m’y ont encouragée, ils en avaient marre de me voir rater mon bus tous les matins ! Désormais je m’entends mieux avec eux.

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Comment se passe la vie à l’internat ?

Je fais mieux mes devoirs, parce qu’à l’internat il n’y a ni ordi, ni télé pour me distraire… Dans mon internat, on a le droit de décorer nos chambres comme on veut, les surveillants sont sympas avec nous et il y a une bonne ambiance. En revanche niveau logistique, et modernité, on a énormément de problèmes. Douches froides, chauffage qui ne marche pas souvent… On mange assez mal au self, les alarmes incendies qui « buggent » et se déclenchent en pleine nuit… Bref, les conditions ne sont vraiment pas terribles, mais j’y reste pour le côté pratique et mes amies.

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