EDUCATION

« Nul en maths » ? : halte à la fatalité !

Alors que les mathématiques sont, avec le français, au cœur du système éducatif, nombreux sont les collégiens à redouter cette matière. Pourtant des solutions existent. D’où viennent ces blocages, comment y remédier ? Des professionnels livrent leur expertise.

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Pourfendeurs et défenseurs du système éducatif français s’accordent au moins sur un point : les mathématiques sont au cœur de la réussite scolaire. Et pourtant, une part de plus en plus importante de la population scolaire « décroche » dans cette matière. Les statistiques sont impitoyables : outre les résultats inquiétants des dernières enquêtes Pisa, une étude PIAAC réalisée en 2013 au sein de 23 des pays de l’OCDE, montre que la France se classe dans les cinq derniers pour la population des 16-65 ans « à l’aise avec les fondamentaux du calcul » : les quatre opérations, la proportionnalité, les pourcentages et les fractions. Une étude corroborée par l’Insee qui estime à 70 % la part des adultes français qui ont des performances médiocres ou préoccupantes en calcul.
Pourtant, rien n’est jamais irrémédiable si l’on en croit Michel Vigier, fondateur de l’Association pour la prévention de l’innumérisme. Selon ce spécialiste, ancien ingénieur et professeur de maths durant vingt ans, il n’existe pas de blocage structurel (autrefois appelé dyscalculie) à l’apprentissage des maths. Au contraire, une formation spécifique de rattrapage (ou remédiation) s’étalant sur 10 à 40 heures (le maximum de 40 heures correspondant à un élève de 4e en Segpa) permet de combler les principales lacunes mathématiques usuelles.
Depuis 2011, l’Education nationale a repris à son compte ce concept d’innumérisme. Toutefois, dans les faits, Michel Vigier déplore que la règle de trois, abandonnée depuis le début des années 1980, n’ait pas été réintroduite : « Cette technique, des plus utiles dans la vie quotidienne, n’a pas été remplacée par des outils simples équivalents. Il est nécessaire de généraliser l’usage des tableaux de proportionnalité, des outils pratiques. » L’ancien professeur de maths plaide même pour une simplification de la langue française qui viserait à remplacer les mots onze, douze, treize, quatorze, quinze et seize par dix-un, dix-deux… et à introduire septante, huitante et nonante, comme en Belgique ou en Suisse.
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Le problème de l’abstraction
Un grand nombre de parents se retrouvent cruellement désemparés quand il s’agit de faire face au blocage de leur adolescent face aux mathématiques. Une nouvelle voie a été ouverte par la psycho-pédagogue Anne Siéty (lire en encadré), qui défend une approche psychologique.
Au quotidien, c’est aussi l’accompagnement des parents qui doit s’adapter aux difficultés du collégien. L’un des problèmes le plus fréquemment évoqués par les élèves est la déconnexion par rapport au réel, l’abstraction. Les professionnels conseillent d’abord d’utiliser des objets pour aider l’élève à matérialiser un problème posé. Au collège, cette stratégie est cruciale quand l’élève semble noyé dans l’abstraction. Avec des objets, des situations de la vie courante, le problème devient palpable et le cerveau va pouvoir mettre en route ses grilles de lecture habituelles. En s’appuyant sur les dernières découvertes scientifiques en matière de neurosciences, Michel Vigier préconise de présenter un concept qui pose problème sous un seul angle. « Nous savons aujourd’hui que dans le doute, la conscience s’abstient. Si le cerveau se retrouve face à plusieurs approches du même problème, il n’en épousera aucune et restera bloqué. »
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Réintroduire le boulier
Faire parler l’apprenant, l’aider à s’exprimer avec ses propres mots est aussi une clé pour résoudre un blocage avec les maths. Les mathématiques ne laissent pas assez de place à la parole, et les élèves y expriment donc leurs angoisses et désirs inconscients. « Tant qu’on ne formule pas un problème avec ses propres mots, on n’en a pas une représentation mentale fidèle », confirme Nicolas Rolli, professeur de mathématiques dans un collège de Colmar (Haut-Rhin) – lire son point de vue plus bas.
De son côté, Michel Vigier milite pour la réintroduction de l’abaque et du boulier didactique, des outils qui permettent de visualiser et manipuler des nombres de façon simple et visuelle. Notre cerveau sait en effet instinctivement appréhender les quantités inférieures à trois. Cette méthode de comptage alternative n’utilise que les chiffres 1, 2 et 3 pour former n’importe quel nombre entier.
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Des énoncés incompréhensibles
Dans une matière où règne un jargon parfois incompréhensible, il faut aussi savoir rendre plus attrayants les énoncés, les présenter différemment en y glissant par exemple de petites touches d’humour. Le but est bien entendu de dédramatiser une matière par essence aride en y introduisant de la légèreté, un côté ludique et concret. Enfin, il est primordial de ne pas laisser l’enfant se persuader qu’il est nul en maths. Dès le primaire, et encore plus au collège, maintenir la communication en évitant toute dramatisation excessive sur ses difficultés en maths est crucial.
Mais parce que malgré tous les efforts consentis par les parents, le résultat n’est pas toujours au rendez-vous, n’hésitez pas à solliciter une aide extérieure. Profs de maths à la retraite, étudiants, organismes qui proposent des cours spécifiques (Kelprof, Maxicours, Prof Express, Anacours…) ou soutien organisé par le collège… De même, l’Association de prévention de l’innumérisme propose dans toute la France des ateliers de formation pour les élèves mais aussi pour les familles et les formateurs en partenariat avec les éditions Abacus (renseignements sur www.innumerisme.com). Autant d’intervenants qui permettront à votre enfant d’aborder cette matière plus sereinement et de se réconcilier avec les maths.
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INTERVIEW

Anne Siety, psychopédagogue est l’auteur de « Qui a peur des mathématiques ? » (éd. Denoël)

À quel moment surviennent les blocages en mathématiques ?

Souvent en 5e, lorsque les élèves abordent le calcul littéral : les lettres remplacent les chiffres et le raisonnement devient plus abstrait. Beaucoup d’élèves pensent qu’ils n’ont pas compris les maths dans leur globalité. Or, régulièrement, ces blocages [apparemment massifs] ne portent que sur un point du programme. C’est pourquoi il est essentiel de prendre du temps, et de demander à l’élève de préciser ce qu’il ne comprend pas.


C’est donc l’abstraction de cette matière qui pose problème ?

Les maths sont une matière à laquelle on est particulièrement sensible. C’est une discipline à la fois abstraite et très circonscrite à l’univers scolaire. Quand quelque chose est abstrait, on y met de soi-même, on y projette un peu de son histoire, de ses racines, de ses repères… Lorsqu’un ado ne travaille pas ses maths, c’est rarement de la mauvaise volonté. Cela peut venir du fait que c’est violent pour lui : il ressentirait une sorte d’anorexie mathématique. L’idée pour y remédier est de réveiller son appétit.


Justement, comment mettre le collégien en appétit ?

L’essentiel est de respecter cette difficulté et d’éviter que l’ado se sente dévalorisé : le laisser verbaliser sans juger, lui demander de donner son avis sur sa difficulté et de dire ce qu’il souhaite. Nous, les parents, sommes pris dans une angoisse : si nos enfants ne réussissent pas en maths, nous craignons – à tort – qu’ils ratent leur scolarité. Mais l’angoisse est mauvaise conseillère. Il peut être intéressant de faire entendre cette souffrance par un psychopédagogue ou simplement d’écouter l’ado : lui proposer des cours particuliers, le laisser travailler avec un copain,  un adulte…

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POINT DE VUE

Nicolas Rolli, professeur de mathématiques à Colmar

« Dès l’âge de 7-8 ans, certains élèves se persuadent qu’ils ne sont pas faits pour cette matière. Du coup, quand ils arrivent en 6e, ils sont déjà dans un état d’esprit très négatif, sûrs qu’ils ne seront jamais bons. Et les professeurs ne sont pas formés pour débloquer ce genre de situation… Le problème vient en partie du fait que l’on met une trop grande pression sur les maths dès le primaire. Du coup, très rapidement, les élèves se convainquent qu’ils sont doués… ou pas fait pour ça ! S’il existe beaucoup de solutions pour remédier à l’analphabétisme, l’innumérisme est en revanche le parent pauvre. Il existe pourtant de nombreuses pistes à explorer : le rôle de la sémantique qui permettrait d’instaurer un véritable dialogue avec l’élève est intéressant mais avec une classe de trente, c’est impossible à mettre en place. Pour moi, le soutien ne constitue pas une solution car il est souvent perçu comme une punition qui ne met pas l’élève dans les meilleures dispositions pour apprendre… »
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ZOOM

Dragonbox, l’algèbre en s’amusant

Non, les jeux sur tablette et smartphone ne sont pas tous abrutissants ! La preuve, de plus en plus de professeurs de maths recommandent à leurs élèves de jouer à Dragonbox. Cette application ressemble à un jeu comme les autres. Dans ce « puzzle game », on découvre un écran divisé en deux. De chaque côté sont réparties des icônes. Le but du jeu est d’éliminer toutes ces icônes sauf une. En ajoutant et combinant des éléments, les enfants parviennent rapidement au but. Au fil des 350 niveaux de la version réservée aux plus de 12 ans, les mécanismes  deviennent de plus en plus complexes, mais surtout il faut parvenir au but avec un nombre réduit de  mouvements. Les icônes laissent la place à des lettres, les dragons laissent place à des x et -x. En quelques heures de jeu, les enfants pourront assimiler des principes de base de l’algèbre et leurs étranges mécanismes.
DragonBox est une application pour iOS et Android. Elle est disponible dans deux versions : une réservée aux 5-12 ans (200 niveaux, 5,49 euros) et une pour les plus de 12 ans (350 niveaux, 8,99 euros).

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