EDUCATION

Carte scolaire : réguler pour corriger les inégalités

Sectorisation, carte scolaire… Deux termes qui recouvrent une même volonté politique de corriger les inégalités territoriales et sociales. Un outil utile mais régulièrement remis en cause pour son manque d’efficacité.

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C’est en 1963 que le général de Gaulle instaure la carte scolaire au nom d’une certaine idée de l’Etat et de l’égalité des chances. Ce que l’on appelle « la carte scolaire », c’est le principe selon lequel les élèves sont affectés dans un établissement en fonction de leur domicile dans le cadre d’un secteur géographique attribué à cet établissement et ce, de l’école maternelle jusqu’au lycée.
« Depuis cinquante ans donc, cet ensemble de dispositifs évolue au gré des politiques car la carte scolaire se trouve à la croisée de plusieurs enjeux sociaux et politiques majeurs. Mais c’est depuis 1984 que plusieurs ministres ont tenté de l’assouplir », explique Agnès van Zanten, dans son ouvrage « La carte scolaire » (Ed. Que sais-je ?).
Pour les collèges, depuis 2004, il revient au conseil général, qui assure la construction et le fonctionnement de ces établissements scolaires, de définir leur secteur de recrutement. L’affectation des élèves dans un établissement est ensuite effectuée par le DASEN (Directeur académique des services de l’Education nationale). Tous les élèves doivent pouvoir être affectés dans l’établissement de leur secteur de résidence. La carte scolaire sert donc, d’abord, à garantir aux familles que chaque enfant pourra être inscrit dans un établissement de proximité. Elle permet aussi de prévoir l’évolution des effectifs des établissements et d’utiliser au mieux leurs capacités d’accueil.
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Un assouplissement mis en place par Xavier Darcos
En 2006, le ministre de l’Education Xavier Darcos envisage l’assouplissement de la carte scolaire en affichant les objectifs d’une telle mesure : « favoriser l’égalité des chances et améliorer sensiblement la diversité sociale dans les collèges et les lycées », tout en donnant « une nouvelle liberté aux familles » dans le choix de l’établissement scolaire de leur enfant. En effet, l’assouplissement de la carte scolaire prévoyait, pour les parents, la possibilité d’inscrire les élèves dans un établissement autre que celui « de secteur », soit le plus proche de leur domicile. La carte scolaire n’était pas pour autant supprimée, mais les procédures de dérogation largement facilitées.
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Un assouplissement au bénéfice des plus favorisés ?
Le ministère de l’Education nationale a commandé une étude réalisée par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance et publiée en juin 2013 sur les effets de l’assouplissement de la carte scolaire. Une étude qui a mis en lumière « les effets néfastes » de cet assouplissement. Un rapport de la sénatrice Françoise Cartron de juin 2012 et un rapport de l’inspection générale de juin 2013 viennent corroborer ce constat. En effet, si la réforme a eu peu d’impact sur la composition sociale des établissements à l’échelle nationale, certains établissements relevant de l’éducation prioritaire ont cependant vu leurs effectifs nettement diminuer. Cette étude démontre notamment que le taux d’évitement est plus élevé dans les collèges de l’éducation prioritaire, alors que les demandes de dérogation des élèves boursiers restent, elles, très faibles. Conclusion de l’enquête : « L’assouplissement de la carte scolaire a essentiellement bénéficié aux enfants issus de milieux aisés. »
L’étude a par ailleurs démontré que les familles sont nombreuses à formuler une demande de dérogation sur la base du motif « parcours particulier », qui, le plus souvent, relève d’une stratégie de contournement. Un nombre significatif de dérogations sont ainsi accordé pour des convenances personnelles… Conséquence, afin de limiter les abus constatés, la circulaire de rentrée 2013 a déclassé le motif « parcours particuliers » (options rares comme certaines langues vivantes ou sections sportives, par exemple) de la 4e à la 6e position dans l’ordre des priorités des motifs de dérogation. La loi du 8 juillet 2013 revient donc sur cet assouplissement avec pour objectif de « repenser la sectorisation comme une modalité de régulation favorisant la mixité sociale et scolaire. La possibilité de définir des secteurs communs à plusieurs collèges, ouverte par cette loi, permettrait au DASEN de veiller, lors de l’affectation des élèves, à ce que les caractéristiques sociales de ces établissements soient les plus proches possibles, de façon à ce que l’un ne paraisse pas « défavorisé » par rapport aux autres », conclut le ministère.
Ce changement de règles concernant les « enseignements particuliers » est loin de faire l’unanimité… En avril dernier, en réaction à cette modification des règles d’affectation, la PEEP dénonçait une « mesure inefficace dans l’accroissement de la mixité sociale des établissements scolaires et qui ne peut que contribuer à alimenter la défiance des familles envers l’institution ». Et la PEEP de demander, face à l’opacité du système, « plus de transparence dans l’affectation des élèves dans les établissements du second degré », souhaitant que « le ministère publie les chiffres de ces dérogations dans chaque département et pour chaque établissement ».
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Les règles de dérogation
Aujourd’hui, afin de tenir compte de situations particulières, le DASEN peut toujours accorder, par dérogation, des inscriptions en dehors du secteur géographique déterminé par le lieu de domicile de l’élève, si elles sont justifiées par des critères dont la liste est fixée par une circulaire ministérielle. Avec une limite évidente : qu’elles n’excèdent pas les capacités d’accueil de l’établissement demandé.
Le calendrier des procédures est propre à chaque département. Il est communiqué au cours du deuxième trimestre. La famille doit compléter un imprimé de demande de dérogation en précisant clairement le(s) motif(s) de sa demande et en fournissant les pièces justificatives. Le formulaire de demande d’affectation dans l’établissement souhaité est téléchargeable sur le site de la direction des services départementaux de l’Education nationale de son département.
Si les capacités d’accueil de l’établissement de son choix le permettent, les demandes sont satisfaites. Si le nombre de places disponibles, après affectation des élèves du secteur, ne permet pas de satisfaire toutes les demandes, les dérogations sont attribuées selon les priorités suivantes :
- élève souffrant d’un handicap ;
- élève bénéficiant d’une prise en charge médicale importante à proximité de l’établissement demandé ;
- élève boursier au mérite ou boursier sur critères sociaux ;
- élève dont un frère ou une sœur est déjà scolarisé (e) dans l’établissement demandé ;
- élève dont le domicile est situé en limite de secteur et proche de l’établissement souhaité ;
- élève devant suivre un parcours scolaire particulier ;
- Autre(s) motif(s).
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REPERES

Et au primaire ?

L’affectation d’un élève dans une école maternelle ou une école élémentaire obéit également aux règles de la sectorisation : les élèves sont scolarisés dans l’école dépendant géographiquement de leur lieu de résidence. Les communes possédant plusieurs écoles maternelles et élémentaires définissent elles-mêmes leurs « secteurs scolaires ». La mairie procède à l’affectation des élèves et traite également les éventuelles demandes de dérogation. Pour cela, il vous faudra justifier votre demande (obligations professionnelles, inscription d’un frère ou d’une sœur dans un autre établissement…) et attendre la décision qui vous sera notifiée.
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INTERVIEW

Jean-Michel Coignard, directeur académique des services de l’Education nationale (DASEN) des Yvelines

Dans les Yvelines, quel est le taux de demande de dérogation depuis l’assouplissement de la carte scolaire ?

La carte scolaire a été assouplie par la circulaire ministérielle du 4 avril 2008. Ces cinq dernières années, les demandes de dérogation représentent 10 à 12 % du nombre total d’élèves à affecter, notamment pour l’entrée en 6e et en seconde. Le taux de satisfaction varie entre 70 et 85 %, selon les années.


Comment se déroulent les recours ?

La commission de dérogation, présidée par le DASEN, se réunit en mai/juin afin d’examiner les demandes pour la rentrée suivante. Le DASEN prononce la décision d’affectation dans la limite des places disponibles dans chaque établissement et selon des critères de classement (cf. article).


Quelles évolutions sont envisagées dans les mois à venir ?

Le ministère de l’Education nationale a annoncé son intention de reprendre la question de la carte scolaire, avec tous les partenaires concernés, pour un renforcement de la mixité sociale et scolaire.

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ZOOM

Paroles de parents

« Notre fils a intégré une bande à son entrée au collège, il devenait infernal, multipliait les heures de colle et autres punitions. La seule solution était de le séparer de ses mauvaises fréquentations. C’est donc en accord avec la direction du collège que nous avons demandé à le faire changer d’établissement. Notre demande a été acceptée car la direction du collège a appuyé notre demande. » Mariama, Paris

« Pour obtenir une dérogation, j’ai inscrit mon fils dans un lycée qui proposait une option « technologie des systèmes automatisés », relativement peu courante dans le département. C’est ainsi que j’ai pu contourner la carte scolaire. » Marc, Gironde

« J’ai demandé une dérogation pour que mon dernier soit inscrit à côté de mon travail, afin que je puisse le déposer le matin et le récupérer le soir sans faire de détour. Mais ma demande n’a pas été acceptée. On m’a indiqué qu’il n’y avait plus de place dans le collège que je souhaitais pour lui. Sans appel possible. » Agnès, Lot

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