EDUCATION

L’école avant trois ans : nouveau levier de la réussite scolaire ?

L’un des axes de la refondation de l’école se consacre à la scolarisation des enfants de moins de trois ans. Une entrée précoce qui sera développée en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé.

-

L’évolution de l’humain est ponctuée d’étapes. Avant l’âge de trois ans, l’enfant vit l’une de ces périodes-clés, celle où il explore les développements affectif, moteur et verbal. C’est également à ce moment qu’il doit acquérir la propreté et l’autonomie qui sont les deux conditions pour entrer à l’école. Or, plus de 10 % des enfants de deux ans comptent déjà parmi les effectifs des établissements scolaires du territoire national (11,6 % pour l’année 2011-2012). La situation n’est pas nouvelle et le sujet provoque débats et controverses depuis une trentaine d’années en France. Cependant, en intégrant cette pratique à sa Refondation de l’Ecole, Vincent Peillon donne une impulsion ministérielle forte à la question. Avant l’âge de trois ans, certains petits Français pourraient ainsi – de façon officielle et réglementée – quitter le nid familial ou la crèche pour prendre la voie de la maternelle. Un accueil qui s’adresse en priorité aux populations des quartiers sensibles et implique la mise en place d’un dispositif adapté.
-
Cible et objectif
Principale interrogation : avant trois ans, l’enfant est-il prêt à être scolarisé ? « Il existe des inégalités dans le développement des enfants à chaque période. Il y a des différences entre les enfants de trois ans, donc elles peuvent être encore plus marquées si l’on fait une comparaison avec ceux de deux ans et demi », analyse Monique Kermadec, psychologue, psychanalyste, et auteur de « Pour que mon enfant réussisse » (éd. Albin Michel). Ces disparités ne seraient pourtant pas insurmontables et une intégration scolaire précoce pourrait même être favorable à certains élèves selon la circulaire de décembre 2012 émise par le ministère de l’Education nationale. Une position qui s’appuie notamment sur les conclusions de travaux internationaux de recherche qui montrent des effets positifs sur les élèves issus de milieux socio-culturels défavorisés.
Le texte du ministère adressé aux recteurs et rectrices d’académie souligne cet aspect : « La scolarisation d’un enfant avant ses trois ans est une chance pour lui et sa famille lorsqu’elle correspond à ses besoins et se déroule dans des conditions adaptées. Elle est la première étape de la scolarité et, pour beaucoup d’enfants, la première expérience éducative en collectivité. Il s’agit notamment d’un moyen efficace de favoriser sa réussite scolaire, en particulier lorsque, pour des raisons sociales, culturelles ou linguistiques, sa famille est éloignée de la culture scolaire. Cette scolarisation précoce doit donc être développée en priorité dans les écoles situées dans un environnement social défavorisé, que ce soit dans les zones urbaines, rurales et de montagne ainsi que dans les départements et régions d’outre-mer. »
-
Le choix des parents
D’après Monique Kermadec, si l’efficacité du dispositif est réelle, elle n’est pas garantie pour autant : « Cela présente un intérêt pour des enfants étrangers ou issus de l’immigration, car cela permet un apprentissage de la langue et de la culture du pays d’accueil. Il n’y a pas de preuve que cela peut lutter contre l’échec scolaire, mais cela peut aider certains enfants. »
Concrètement, l’inscription se fait auprès de la mairie et les enfants sont comptabilisés dans le cadre des prévisions d’effectif de la carte scolaire par le Dasen (Directeur académique des services de l’Education nationale). Jean-Paul Delahaye, directeur général de l’enseignement scolaire du ministère de l’Education nationale expose ainsi la démarche : « Tout enfant dont la famille dépose une demande est accueilli s’il a deux ans révolus à la rentrée scolaire. Non seulement la volonté des parents trouve un écho, mais, comme le précise la circulaire, ils sont étroitement associés au projet. Ce n’est qu’avec leur adhésion et en concertation avec l’équipe enseignante que peut être garantie la qualité de cette première scolarisation. Tout l’enjeu est de susciter une demande d’école dans des familles qui en sont souvent éloignées ou qui vivent la scolarisation comme une intrusion dans une relation fusionnelle. Tout parent mérite une égale attention, dans le respect de son identité culturelle, sociale, linguistique » (lire son interview en encadré).
La fonction parentale est donc essentielle, le projet de loi précise que l’accueil des moins de trois ans donne lieu à un dialogue avec le directeur de l’école et l’équipe composée de l’enseignant et de l’Atsem (Agent territorial spécialisé des écoles maternelles), ainsi qu’à des rencontres régulières, collectives et individuelles. La psychologue Monique Kermadec insiste sur le fait que cette scolarisation précoce n’est pas obligatoire : « Cela doit rester volontaire, mais cette option doit être suffisamment connue des parents concernés pour qu’ils puissent faire un choix. »
Par ailleurs, dans les écoles ne relevant pas de ce dispositif mais accueillant des enfants de moins de trois ans, il n’existe pas de réelle alternative : les enfants sont accueillis dans la limite des places disponibles en donnant priorité aux plus âgés. Le système ne change pas. Quant aux classes dites « passerelles », ces structures qui facilitent le passage entre la famille et la crèche ou l’école, elles appellent, dans les secteurs les plus défavorisés, un pilotage et un fonctionnement s’appuyant sur une démarche partenariale. Ainsi, les municipalités sont maîtres d’œuvre des projets, en lien avec la caisse d’allocations familiales et la direction départementale des affaires sanitaires et sociales qui sont également des partenaires engagés dans la mise en œuvre des actions.
-
Une intention de sur-mesure
Concernant le projet pédagogique et éducatif – conçu par l’ensemble de l’équipe encadrante et validé par l’IEN –, il doit également être présenté aux parents. Les programmes précisent que : « L’objectif essentiel de l’école maternelle est l’acquisition d’un langage oral, organisé et compréhensible par l’autre. A l’école maternelle, l’enfant établit des relations avec d’autres enfants et avec des adultes. Il devient progressivement un élève ; il découvre l’univers de l’écrit ». Pour les moins de trois ans, comme pour les autres enfants, il s’agit donc de soutenir leur développement, d’enrichir la formation de leur personnalité et leur éveil culturel, mais aussi d’élargir leur univers relationnel dans des situations de jeux, de recherches, de productions libres ou guidées… « Il faut qu’il y ait une attention particulière sur le développement du langage et un encouragement de la motricité fine », souligne Monique Kermadec.
Quant à la logistique, le ministère parle d’aménagements. La rentrée pourrait être décalée par rapport aux élèves des autres sections et échelonnée avec des temps d’adaptation. Il est aussi question d’assouplissement des horaires d’entrée et de sortie en fonction des besoins des petits, en conservant toutefois un temps de présence significatif selon une organisation régulière, négociée avec les parents qui s’engagent à la respecter. La salle de classe doit, elle, être spacieuse afin de faciliter les déplacements dans l’espace ; dotée d’un mobilier adapté, équipée de jeux, structures et matériels permettant l’évolution motrice, les manipulations et l’exercice sensible ; et attenante à la salle de repos afin d’offrir au cours de la journée un espace de repli et d’isolement, proche de l’espace sanitaire. Des conditions auxquelles s’ajoute la formation des enseignants de maternelle, pour qui le dispositif sera soit une nouvelle aventure, soit un casse-tête pédagogique. Pour d’autres, il offrira une chance de maintenir une classe ouverte.
-

__________

REPERES

Les grands principes du dispositif

• La scolarisation des enfants de moins de trois ans concerne les enfants dès l’âge de deux ans.

• La scolarisation des enfants de moins de trois ans nécessite un local et un matériel adaptés.

• Le projet pédagogique et éducatif prévoit explicitement les modalités d’accueil et de participation des parents à la scolarité de leur enfant.

• Les horaires d’entrée et de sortie le matin et l’après-midi peuvent être assouplis par rapport à ceux des autres classes.

-

__________

TEMOIGNAGE

Gaëlle, enseignante en école maternelle

« D’après moi, la scolarisation doit commencer à 3 ans, pas en dessous. Les tout-petits enfants ont des besoins spécifiques, ce sont des bébés et l’école n’est pas une crèche ou un jardin d’enfants. Bien souvent, ils n’ont pas acquis la propreté et cela n’est pas une mission de l’école. Pourquoi ne pas donner plus de moyens aux crèches, ou en ouvrir de nouvelles ? Personnellement je suis enseignante et non puéricultrice ou assistante maternelle, je n’ai pas choisi d’être formée à cela. Quant à l’idée de scolariser les moins de trois ans dans les quartiers difficiles pour les aider, il faut savoir que bien souvent, dans les familles qui ne parlent pas ou mal français, les parents ont tendance à fuir pour ne pas avoir à parler aux enseignants à cause justement de la barrière de la langue… Alors que là plus qu’ailleurs, il y a besoin de dialoguer, qu’ils comprennent ce que l’école attend d’eux et ce qu’ils peuvent attendre de l’école. »

-

__________

INTERVIEW

Jean-Paul Delahaye, directeur général de l’enseignement scolaire du ministère de l’Education nationale


Pourquoi n’appliquer la comptabilisation des enfants de moins de 3 ans qu’aux écoles situées dans un environnement social défavorisé ?

L’extension de l’accueil des enfants de moins de trois ans sur tout le territoire à tous les parents qui en feraient la demande aurait un coût insupportable pour l’Etat, en termes de postes, mais aussi pour les collectivités locales qui prévoient et équipent des locaux, organisent les transports, rémunèrent les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM).

Les enseignants amenés à encadrer ces jeunes enfants vont bénéficier d’une formation spécifique. Que pouvez-vous annoncer au sujet de ces nouveaux modules ?

Les inspectrices et inspecteurs de l’Education nationale chargés de mission « école maternelle » sont, dans tous les départements, les experts en charge de l’organisation et de la coordination des formations et des actions partenariales. Ils conduisent des actions spécifiquement destinées à renforcer les connaissances et les compétences des enseignants exerçant auprès de ces très jeunes enfants. Ils travaillent ainsi sur l’accompagnement à la séparation, la construction du langage, l’exploration de l’espace, les interactions entre enfants et avec les adultes, la place du jeu, la sécurité. Des parcours de formation à distance sont par ailleurs en préparation à la DGESCO, en lien avec le Centre national de documentation pédagogique (CNDP) qui seront mis à disposition des enseignants professeurs des écoles, accompagnés par les conseillers pédagogiques et les inspecteurs du 1er degré (dispositif m@gistere). Les Espé (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation) développeront également, bien sûr, à partir de la prochaine rentrée scolaire, dans le cadre de la rénovation de la formation des enseignants et de la réinstallation d’une véritable formation initiale, des modules spécifiques de formation à l’attention de nos futurs enseignants.

Mot-clé:

Pas de commentaires pour le moment.

Donnez votre avis