DOSSIER

DOSSIER – Rythmes scolaires : une réforme casse-tête

Cinq ans après avoir été abandonnée, la semaine de quatre jours et demi  fait son grand retour dans le primaire. A partir de la rentrée prochaine, et au plus tard en 2014, les enfants du premier degré devront travailler le mercredi ou le samedi matin. En contrepartie, les autres journées seront amputées d’environ 45 minutes de cours. Un temps devant être mis à profit pour proposer aux élèves des activités ludiques, d’ordre artistique, sportif ou culturel.
Destinée à mieux adapter le rythme scolaire à celui des enfants, cette réforme était attendue depuis longtemps. Pourtant, sur le terrain, sa mise en place soulève un bon nombre d’interrogations chez les enseignants, les élus locaux et les parents. Coût élevé, difficultés de mise en œuvre, manque de concertation… les griefs sont nombreux. La PEEP demande à ce que cette réforme soit reportée d’un an afin que soit lancée une vraie concertation, aussi bien au niveau national que local. Ce temps de réflexion est  indispensable pour mener à bien cette réforme fondamentale.
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C’était l’une des promesses de campagne du candidat François Hollande. A peine ses valises posées rue de Grenelle, son ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon, s’est attelé à la tâche, avec un objectif : mettre en place la semaine de quatre jours et demi dès la rentrée 2013. Le 26 janvier dernier, un décret précisant les contours de la réforme est donc paru au Journal officiel. Il prévoit d’étaler les 24 heures d’enseignement hebdomadaires sur 9 demi-journées au lieu de 8. Désormais, le mercredi matin sera travaillé, à moins qu’une demande ne soit faite auprès de l’Inspection académique pour la déplacer au samedi matin. Cette demi-journée supplémentaire ne pourra pas dépasser 3 h 30. Les autres jours, le temps d’apprentissage sera limité à 5 h 30. Quant à la pause méridienne, elle ne devra en aucun cas être inférieure à 1 h 30.
Sur cette base, il revient à la mairie, au conseil d’école ou au président de l’Etablissement public de coopération intercommunal (EPCI) d’aménager un projet qui devra être soumis au Directeur d’académie des services de l’Education nationale (Dasen) de son département, en charge de le valider. Dans la plupart des écoles, les cours devraient s’arrêter à 15 h 30, soit environ 45 minutes plus tôt qu’aujourd’hui. Dans certaines écoles, la pause méridienne sera allongée afin de permettre aux enfants de récupérer avant d’attaquer l’après-midi. Quelle que soit la solution choisie, le ministre souhaite que le temps libéré soit mis à profit pour proposer aux élèves des activités à caractère sportif, artistique ou culturel.
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Trop de précipitation
Si la plupart des membres de la communauté éducative est d’accord sur le fait d’alléger les journées des enfants du primaire, la méthode employée crée des remous. Le rythme imposé par le gouvernement, notamment, fait grincer des dents. Les maires de toutes les communes de France n’ont en effet que quelques mois pour réorganiser de fond en comble leurs services communaux de manière à pouvoir accueillir les élèves le mercredi matin. Des équipes d’encadrement au personnel de ménage en passant par les cuisiniers, tous les services communaux sont impactés. Les collectivités locales qui envisagent de mettre en place des activités périscolaires doivent également proposer un programme d’animation, recruter les animateurs pour les encadrer, trouver des locaux pour les accueillir… Un vrai défi !
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La chasse aux animateurs qualifiés
Proposer aux enfants des activités périscolaires nécessite aussi de mener au préalable une grande concertation avec les associations, les clubs sportifs et les centres de loisirs de la ville, recruter du personnel qualifié, trouver des locaux disponibles pour les accueillir… « A mes yeux, organiser de telles activités pendant 45 minutes chaque jour, ce n’est pas jouable, surtout quand il faut emmener les enfants hors de l’école, comme c’est le cas chez nous, explique Yves Bouloux, le maire de Montmorillon (86). Avec l’accord du directeur d’académie, nous avons décidé de conserver notre système actuel qui permet aux enfants de bénéficier d’une activité une fois par semaine pendant une heure et demie. Mais il ne faut pas se leurrer : je crains que dans la plupart des communes, les difficultés soient si importantes que les maires se contentent d’allonger les temps de garderie ».
Parfois, c’est la qualité de l’encadrement qui risque d’en prendre un coup. « Dans la commune où j’exerce, la mairie emploie déjà des animateurs pour prendre en charge certains élèves après la classe. Ils les aident à faire leurs devoirs, mais ces jeunes ne sont pas qualifiés et il m’est arrivé à plusieurs reprises de constater qu’ils avaient appris des choses fausses aux enfants, déplore Fabienne, enseignante en CM1 en ZEP. Je crains qu’avec cette réforme, la mairie ait de plus en plus recours à ce genre d’encadrants et ça ne me rassure pas ».
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L’argent, le nerf de la guerre ?
Du personnel supplémentaire, des agents communaux qui travaillent plus longtemps, mais aussi des locaux à chauffer le mercredi, des ramassages scolaires complémentaires à organiser, éventuellement une cantine en plus… La réforme va coûter cher et ce sont les collectivités locales qui doivent mettre la main au porte-monnaie. La ville de Bordeaux (33) a estimé à 6 millions d’euros par an le coût de la réforme. Celle de Lyon s’attend à une facture à peine moins élevée (5 millions d’euros). A Canteleu (76), une ville de 15 000 habitants de Seine-Maritime, la mairie propose déjà des activités yoga ou poterie aux demi-pensionnaires, sur l’heure de midi. Les généraliser à tous les élèves coûtera à la commune 200 000 euros de plus chaque année.
Selon l’Association des maires de France (AMF), ce sont au total 600 millions d’euros que les collectivités locales devront trouver chaque année. Si les grandes villes devraient réussir tant bien que mal à encaisser ce surcoût, les communes rurales, elles, sont face à un véritable dilemme. Le maire de Montagnieu, dans l’Isère (38), a fait le calcul. Il estime qu’à cause de la réforme, son budget sera grevé de 8 000 euros par an. Une fortune pour ce village de 950 habitants !
« Ces nouvelles dépenses interviennent alors que les maires rencontrent déjà de sérieuses difficultés pour boucler leur budget et que les dotations de l’Etat ne cessent de baisser », constate Jérôme Sturla, le maire de Décines (69). A moins de repousser des travaux de voierie ou d’assainissement, la plupart des élus n’auront d’autre choix que d’augmenter les taxes locales. Dans un cas comme dans l’autre, ils craignent que ces dépenses somptuaires passent mal auprès de leurs concitoyens, à peine un an avant les prochaines élections municipales.
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Inégalités en vue
En fonction de l’implication des élus et des moyens qu’ils sont prêts à consacrer à cette nouvelle organisation, des inégalités risquent d’apparaître. Alors que certains élèves se verront proposer de participer gratuitement à des activités enrichissantes, d’autres devront tuer le temps en garderie ou se contenter d’un encadrement au rabais.
« Cette réforme va créer une école à deux  vitesses : l’école de l’urbain, avec un surcoût auquel il sera plus facile de faire face et l’école du rural où il sera difficile de trouver et de payer du personnel qualifié, prédisait Joselyne Mattei-Fazi, la présidente de l’association des maires de Corse du Sud, dans le quotidien Corse matin. Résultat : les parents vont faire le choix de quitter le rural pour aller dans des écoles mieux adaptées à leur enfant. Ce sera la mort de l’école du rural ».
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De timides avancées
Face à la grogne, le gouvernement a bien tenté de calmer le jeu. Les communes qui le souhaitaient ont pu demander à ce que la demi-journée supplémentaire soit déplacée au samedi matin, en lieu et place du mercredi. Un décret abaissant le taux d’encadrement des enfants lors des activités périscolaires est paru. Il permet aux communes d’embaucher moins de personnel et donc de limiter leurs coûts. Le gouvernement a également proposé aux communes de reporter d’un an l’entrée en vigueur de la réforme et a repoussé d’un mois la date jusqu’à laquelle les maires pouvaient en faire la demande.
Et ce n’est pas tout ! Une prime de 400 euros par an et un allègement des programmes seraient promis aux enseignants du primaire et un fonds de compensation de 250 millions d’euros a été bloqué pour aider les communes à se lancer. Celles qui appliquent la réforme dès la rentrée prochaine recevront 50 euros par élève. Dans les zones difficiles, cette aide grimpera à 90 euros.
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Du temps pour réfléchir
Si les enseignants continuent à faire part de leurs craintes (grèves et manifestations se succèdent), les maires, eux, ont jugé nettement insuffisantes les aides financières promises et déploré qu’il ne soit pas prévu de les reconduire d’année en année. Du coup, bon nombre d’entre eux ont décidé de repousser la mise en œuvre de la réforme à la rentrée 2014. « Je préfère prendre le temps de la concertation plutôt que de me précipiter », se justifie le maire de Décines, qui compte bien profiter de ce délai supplémentaire pour observer l’application de la réforme dans les villes qui se seront lancées en 2013 et en tirer les conclusions pour sa propre commune.
De son côté, la PEEP souhaiterait que ce report soit généralisé à toutes les communes afin que chacune d’entre elles prenne le temps de construire un vrai projet éducatif par le biais d’une grande concertation qui devrait avoir lieu au sein des conseils d’école ou dans des commissions regroupant élus, équipes enseignantes, Inspecteur de l’Education nationale (IEN) et parents d’élèves. Ces derniers, qui jusque-là n’ont pas pu donner leur avis, pourraient ainsi peser de tout leur poids et s’assurer que les activités périscolaires soient bien proposées gratuitement à tous les écoliers, qu’elles soient bien organisées dans des lieux adaptés et encadrées par du personnel qualifié.
Pour faire entendre sa voix, la PEEP a lancé un manifeste. Tous les parents sont invités à le signer sur le site www.peep.asso.fr/petition/rythmescolaire.html.

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GRAND TEMOIN

Christian Forestier

Ancien membre du Haut conseil de l’éducation, Christian Forestier a piloté la rédaction de deux rapports sur les rythmes scolaires, l’un remis à Luc Chatel en 2011, l’autre à l’actuel ministre de l’Education nationale Vincent Peillon. Il est l’un des spécialistes les mieux placés pour donner son avis sur cette réforme importante.

En quoi repasser à la journée de 4 jours et demi était-il une priorité, 5 ans seulement après l’avoir abandonnée ?

Les deux consultations que j’ai pilotées ont abouti à la même conclusion : on ne peut pas laisser notre système scolaire en l’état. Nos enfants ne travaillent que 144 jours par an, soit un quart de moins que dans le reste du monde. Ils passent 6 heures par jour en classe alors que leur temps d’apprentissage quotidien ne devrait pas excéder 5 heures. Qui plus est, parents d’élèves comme enseignants et élus locaux ont toujours été, dans leur immense majorité, favorables à un retour à la semaine de 4 jours et demi.


Si tout le monde est d’accord, comment expliquez-vous ce vent de contestation ?

Je ne me l’explique pas. Je suis conscient que cette nouvelle organisation peut générer certaines craintes et engendrer des problèmes d’organisation, notamment dans les petites communes. Mais je pense que sur un tel sujet, il faut dépasser les clivages. Si nous souhaitons vraiment faire de la réussite de nos enfants une priorité, il faut s’en donner les moyens. Les parents, de leur côté, doivent avoir conscience qu’il en va de l’intérêt de leur enfant.


La mise en place de cette réforme dès septembre n’est-elle pas précipitée ?

En 2008, la semaine de 4 jours est entrée en vigueur en seulement 3 mois et personne ne s’est plaint. Aujourd’hui, il n’y a qu’à voir les résultats des évaluations internationales qui classent les petits Français parmi ceux qui maîtrisent le moins bien leur langue maternelle pour se rendre compte que nous ne pouvons plus perdre de temps. Tous les obstacles sont surmontables.

Certains craignent que n’apparaissent des disparités ? C’est possible, mais c’est oublier qu’aujourd’hui déjà, certaines communes ne font rien ou pas grand chose pour leur école alors que d’autres en font leur priorité.


Modifier les rythmes scolaires va-t-il régler le problème de la qualité de l’enseignement en France ?

C’est en tout cas un bon début. Avec la réforme de la formation des maîtres qui va suivre, nous aurons un socle solide qui nous permettra d’aller dans le bon sens. Je ne doute pas non plus que la durée des vacances scolaires soit remise à plat et qu’un zonage des congés d’été soit instauré. C’est une nécessité.

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BIOGRAPHIE

Inspecteur général de l’Education nationale, Christian Forestier a enseigné en lycée et dans le supérieur avant de devenir président d’université puis recteur d’académie. Il a présidé le Haut conseil de l’évaluation de l’Ecole (HCE) de 2003 à 2005. Après avoir exercé diverses fonctions au ministère de l’Education nationale, il est aujourd’hui administrateur général du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).

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REPERES

L’aide aux enfants en difficulté évolue

Outre les rythmes scolaires, la réforme de Vincent Peillon prévoit aussi de faire disparaître l’aide personnalisée au profit d’activités pédagogiques complémentaires (APC). Menées en groupes restreints, elles pourront prendre la forme d’un soutien aux élèves en difficulté, d’une aide aux devoirs mais aussi de toute autre activité prévue dans le projet d’école. Tous les enseignants sont tenus de consacrer chaque année 36 heures à ces APC.

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POINT DE VUE

Michel Saumonneau, maire de Bonnes (Vienne)

« Après avoir participé à plusieurs réunions avec les autres élus, les représentants de l’Education nationale et les parents d’élèves, nous nous posons toujours la question de savoir s’il est judicieux de modifier les rythmes scolaires dès la rentrée prochaine. Il y a trop d’inconnues. Nous ne savons même pas combien d’enfants resteront à la garderie ou en périscolaire ! Cette réforme nous obligerait par ailleurs à accroître le temps de garderie de 15 heures par semaine environ et posera des problèmes de locaux. Recruter me semble aussi compliqué. Nous aimerions proposer du judo et de la gym dans le cadre des activités périscolaires, mais les animateurs qualifiés habitent sur Poitiers et je doute qu’ils soient prêts à faire 40 kilomètres aller-retour par jour pour venir travailler pendant 45 minutes. Quant au mercredi matin travaillé, il va nous obliger à augmenter le temps de travail du personnel communal et à prévoir un transport supplémentaire vers le centre de loisirs. Je pense que nous allons reporter la mise en place d’un an. Nous en profiterons pour approfondir notre réflexion ».

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REPERES

Alléger les rythmes scolaires : une priorité absolue

Avec la réforme des 4 jours et demi, finis les fatigues récurrentes et les écoliers qui s’assoupissent en milieu d’après-midi ? En tout cas, tous les chronobiologistes s’accordent sur la nécessité, en primaire, d’étaler les apprentissages sur 5 jours consécutifs afin de mieux adapter les périodes d’apprentissage au rythme psychophysiologique des enfants.

En effet, quelle que soit la durée de son sommeil, l’enfant arrive fatigué à l’école. Son attention croît progressivement jusqu’à atteindre un pic vers 10-11 heures, puis ses capacités baissent à nouveau avant de remonter une dernière fois pour atteindre leur plus haut niveau vers 15-16 heures. Les pics d’attention sont finalement assez rares. Alors mieux vaut ne pas les laisser passer.

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Bientôt une réforme des grandes vacances ?

Le 24 février, le ministre de l’Education nationale a pris position pour un raccourcissement des vacances d’été à 6 semaines. « Nous devons être capables d’avoir un zonage l’été, deux zones, et nous devons être capables d’avoir six semaines, c’est suffisant » a ainsi déclaré Vincent Peillon sur le plateau de BFM TV. Une annonce qui n’a pas manqué de créer des remous au sein de la communauté éducative, et au-delà. Mais le ministre d’ajouter que cette possible réforme ne serait pas discutée avant 2015. Un chantier qui semble aussi complexe que celui de la mise en œuvre aujourd’hui de la semaine de 4 jours et demi, tant les enjeux sont nombreux.

Les activités extra-scolaires impactées

Avant toute modification des rythmes scolaires, les collectivités locales doivent avoir élaboré un Projet éducatif territorial (PEDT). Ce document, réalisé en concertation avec les services de l’Etat concernés par les écoles (Education nationale, Jeunesse et Sport, Politique de la Ville…), mais aussi avec les associations et les institutions culturelles ou sportives, recense toutes les actions existantes dans les communes et aux alentours. Son objectif est de coordonner les projets des écoles avec les activités proposées en-dehors du temps scolaire afin que chaque écolier puisse conjuguer son travail à l’école et ses activités extra-scolaires.

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