EDUCATION

EDUCATION – Saut de classe : itinéraire d’un enfant avancé

Le redoublement n’est pas la seule pratique remise en cause dans le système éducatif, le saut de classe suscite aussi un vif débat au sein de la communauté éducative.
Voici quelques pistes de réflexion pour envisager la question. Le redoublement n’est pas la seule pratique remise en cause dans le système éducatif, le saut de classe suscite aussi un vif débat au sein de la communauté éducative. Voici quelques pistes de réflexion pour envisager la question.
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Face à un bon élève qui s’ennuie à l’école, le corps enseignant peut être amené à soulever la question du saut de classe… Question épineuse car, bien qu’il soit difficile de chiffrer le nombre d’enfants concernés (le ministère de l’Education ne recense pas ces données), il semblerait que la pratique ne fasse pas que des adeptes. Depuis plusieurs années, le saut de classe divise et des voix s’élèvent soit pour prendre davantage de précautions dans son application, soit pour simplement l’éradiquer. « Je viens d’une fratrie de 5 enfants, nous avons presque tous sauter une classe et les expériences ont été de passables à dramatiques… Je suis donc partagée si cela devait être envisagé pour l’une de mes filles », confie la mère d’Iris et Salomé. Actuellement en CE1, ces jumelles qui aiment l’école et leur maîtresse ne souhaitent pas être séparées, mais l’idée d’avoir de l’avance ne constitue pas un problème à leurs yeux : « Mon copain Ben n’a pas fait la grande section de maternelle, explique l’une d’elle, mais je trouve qu’il est comme nous dans la classe et dans la cour de récréation. » Des propos plein de bon sens car ce sont bien ces deux aspects de l’enfant qu’il faut intégrer dans la décision d’un passage avancé.
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Le poids des savoirs
Dès la maternelle, la question peut se poser. A cette période, des signes de précocité apparaissent chez certains enfants, notamment une rapidité d’apprentissage. Par conséquent, l’assimilation de l’alphabet et des gestes de l’écriture s’apparente à une formalité, tant et si bien qu’ils savent lire avant l’entrée en CP. Autre caractéristique : une vivacité d’esprit qu’ils savent exprimer ou exploiter à l’oral. Psychologue scolaire à la retraite, Patrick Pipet estime que le verbal est illusoire : « Un enfant qui parle bien et possède un bon processus de réflexion peut avoir des lacunes en maths, en sport ou en expression graphique. »
D’un point de vue scolaire, les enfants concernés devraient alors présenter une avance homogène globale pour trouver leur compte dans le niveau supérieur au leur. « Le saut de classe entraîne des échecs, sur le plan scolaire et personnel, en CM2, 4e et 2nde, poursuit Patrick Pipet. Ce sont les classes charnières dans lesquelles les domaines moins maîtrisés sont sérieusement handicapants. »
Un enfant « avancé » doit-il alors être surdoué pour conserver son avantage ? « Non, estime Claire, enseignante parisienne, il n’existe pas de moule pour ces enfants. La plupart ont une avance à un moment donné, puis ça s’équilibre et quelques fois, ils perdent leur « bonus ». » S’il existe un risque de bénéfice zéro, il est alors légitime de se demander si le jeu en vaut la chandelle.
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Une personnalité adaptée
Une telle décision ne peut être prise sans la considération de l’élève en tant qu’individu. Car il ne s’agit pas d’une affaire dans laquelle parents, enseignants et psychologues tiennent les premiers rôles. L’enfant est l’interprète principal de sa scolarité ! Il va sans dire qu’un passage anticipé échoue à coup sûr lorsque celui-ci repose sur le besoin narcissique d’un adulte de faire briller son enfant.
C’est alors en grande partie la maturité de l’élève qui va déterminer si le saut de classe convient à sa personnalité. D’après Patrick Pipet, la plupart des petits répondent « jouer » à la question « que souhaites-tu faire ? » De ce fait, si de lui-même l’enfant exprime son désir d’accélérer la cadence, faut-il examiner sa requête. En premier lieu, l’idée consiste néanmoins à chercher une alternative, comme le souligne l’enseignante de Paris : « On dit que les enfants avancés s’ennuient et ont besoin d’être confrontés à des difficultés et de fournir toujours plus d’efforts. Mais certaines activités extra-scolaires sont idéales pour les stimuler et combler cette attente. »
En outre, la personnalité de l’enfant doit pouvoir s’adapter, car être brillant est une chose, mais encore faut-il savoir travailler et vivre avec les autres. Observer l’enfant dans le contexte (le plus jeune parmi des grands) et s’entretenir avec un psychologue sur la question est essentiel. « Un enfant qui n’a pas de réactions relationnelles spontanées, quand il est question d’humour par exemple, ne peut s’acclimater à un tel changement », estime l’ancien psychologue scolaire.
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Une question de maturité
Pour compléter la réflexion, une projection s’impose. Envisager la vie de l’enfant dans un futur proche ne suffit pas, il faut l’imaginer dans les étapes suivantes de son développement avec les problématiques qui en découlent : va-t-il être complexé lorsque ses camarades atteindront la puberté avant lui ? Ou encore sera-t-il assez mûr pour entamer des études supérieures, voire prendre son indépendance, en étant le plus jeune des premières années… ?
En définitive, l’élève qui anticipe un niveau doit non seulement posséder de sérieuses prédispositions scolaires, mais aussi d’un solide état d’esprit. Il doit également pouvoir compter sur l’attention de ses parents sur le long terme et être préparé à un éventuel échec. A l’heure où les cours de soutien scolaire ou même les « colonies – stages de vacances – révisions » font le plein, la question du saut de classe peut sembler dérisoire. Pourquoi s’inquiéter des chanceux enfants qui travaillent vite et bien ? Pourtant, ces derniers peuvent eux-mêmes être concernés par une nécessité de redoublement. Or la pratique du maintien dans la classe une année supplémentaire tend à disparaître, prenant le risque de laisser des enfants dans l’impasse.
AJ
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REPERES
Mode d’emploi du saut de classe

Les dispositions réglementaires applicables prévoient qu’au terme de chaque année scolaire, le conseil des maîtres se prononce sur les conditions dans lesquelles se poursuit la scolarité de chaque élève. Par souci de continuité des apprentissages dans des conditions optimales, le saut de classe peut être envisagé. Cependant, en primaire, un seul saut de classe peut être accordé. Néanmoins, dans des cas particuliers et exceptionnels, et après avis de l’IEN de la circonscription, un second saut de classe peut être décidé. Les familles bénéficient d’un recours, leur demande étant examinée par une commission départementale d’appel présidée par l’inspecteur d’académie.

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INTERVIEW

Catherine Bonnet-Huby,  professeur des écoles dans la Drôme

Comment considérez-vous le saut de classe ?

Le saut de classe est pour moi une évidence, au même titre que le redoublement. Enseigner implique de s’adapter à l’enfant comme à son rythme d’apprentissage. De ce fait, si on a affaire à un enfant boulimique de savoirs, il faut parfois l’amener au niveau supérieur plus vite que les autres.

Comment procédez-vous ?

Lorsque nous sommes sûrs que l’élève possède une réelle rapidité intellectuelle et qu’il fera partie des meilleurs dans le niveau supérieur, nous nous entretenons avec les parents. Lorsque la demande vient de ces derniers, c’est dramatique pour l’enfant, il y a de fortes chances pour que ce soit difficile à assumer pour lui. Un élève souffre toujours dans une classe pour laquelle il n’est pas prêt.

Y a-t-il des classes non « anticipables » ?

Je suis davantage favorable au saut de la grande section qu’à celui de CP. Si l’enfant passe de la maternelle au CE1, il est très recommandé de lui faire travailler son écriture pendant l’été et de présenter un cahier à l’enseignant pour qu’il juge de son niveau à la rentrée.

Le système de maintien et de passage anticipé est-il équilibré d’après vous ?

Non, car le redoublement – jugé trop coûteux – est quasi proscrit. Or il peut s’avérer indispensable. Les établissements qui font sauter des classes aux élèves qui en ont la capacité devraient récupérer des points qu’ils pourraient “utiliser” en redoublement. A l’image des points carbone, cela rééquilibrerait la facture et donnerait une chance de réussite au plus grand nombre.

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