MAGAZINE

MAGAZINE – L’alcool et les jeunes : prévenir sans dramatiser

Comas éthyliques, binge drinking (intoxication alcoolique aiguë), mélanges douteux… Aujourd’hui, l’alcool est devenu l’un des principaux fléaux sanitaires chez les adolescents. Pourtant, il semble surtout nécessaire de faire la part des choses pour agir efficacement et à bon escient…


C’est généralement dans le milieu familial qu’a lieu la première rencontre avec l’alcool avant de se développer ensuite plutôt dans le cercle d’amis vers 14-15 ans. Cette bascule a souvent lieu entre le collège et le lycée. « La première fois que j’ai été confrontée à l’alcool en soirée, les plus grands avaient amené des bières aromatisées », se souvient Louise, 16 ans. « Au départ, avec mes copines, on se forçait un peu pour faire comme les autres, pour vivre une expérience entre potes. Par la suite, c’est par goût que j’ai continué à boire en soirée. » « La consommation d’alcool peut démarrer très jeune », explique le sociologue David Le Breton, auteur de « En souffrance : adolescence et entrée dans la vie » (éd. Métaillié). « Certains connaissent des expériences d’alcoolisation extrême dès 11 ou 12 ans même si cela reste rare. Mais le fait notable, c’est que l’alcool n’est pas tabou chez les jeunes et qu’il est largement banalisé en soirée. »
La nouveauté, c’est aussi le glissement des filles vers ce comportement traditionnellement masculin. « Les adolescentes consomment de plus en plus, elles n’hésitent plus à s’afficher et l’alcool fait désormais partie de leurs pratiques », constate le sociologue Thierry Morel, co-auteur du rapport « Chronique ordinaire d’une alcoolisation festive chez les 16-21 ans », remis en 2009 au Haut-Commissariat à la Jeunesse.

Briser les interdits
Aujourd’hui, les spécialistes sont unanimes : les jeunes ressentent le besoin de « se lâcher ». « Ils sont à la fois plus libres qu’autrefois dans leurs rites festifs et ont en même temps une pression énorme sur les épaules. Rajoutez à cela le fait qu’ils sont à l’âge où l’on brise les interdits et tous les ingrédients sont réunis pour les amener à une consommation excessive, explique David Le Breton. Ils sont dans une phase “ludique”, entre l’enfance et l’âge d’homme, où ils ressentent le besoin de ces prothèses adultes que sont le tabac et l’alcool. Ce qui pose problème, c’est le fait que ces expérimentations s’expriment à travers leur regard d’adolescents, dans la fête et l’excès, un contexte où il est très difficile de se démarquer de ses semblables ». « Il faut une véritable autonomie de pensée, rare à cet âge, pour savoir dire non, confirme le Dr Brunhes, médecin scolaire. Par cette alcoolisation festive, ils oublient leur dépendance à leurs parents ou un chagrin amoureux. Ils ont ainsi l’impression d’accélérer le mouvement pour devenir adultes à travers un rituel adulte. »
Si les consommations ponctuelles d’alcool dans un cadre festif sont les plus fréquentes, il existe aussi une consommation qui fait office d’automédication. Ce phénomène est observé chez les sujets anxieux, dépressifs ou hyperactifs, qui développent une addiction à l’alcool pour colmater les difficultés de la vie quotidienne. « L’alcoolisation n’est pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. C’est plus un mal-être qui fait tomber les jeunes dans l’alcool, vécu comme une solution. Il est indispensable de resituer la conduite d’alcoolisation dans son contexte », rappelle le pédopsychiatre Daniel Bailly, spécialiste des addictions des jeunes et auteur de « Alcool, drogues chez les jeunes : agissons » (éd. Odile Jacob).

Les dangers des « premix »
Le principal responsable – pointé à la fois par les parents, les spécialistes et même les ados –, ce sont les bières aromatisées et les premix (mélanges d’alcool fort et de soda). La pub et l’étiquetage sont dans la ligne de mire. « La démarche des industriels est perverse car ils abreuvent les jeunes de pubs et proposent des boissons qui leur sont spécialement destinées. Non seulement elles sont fortes, mais en plus, elles sont sucrées pour qu’ils ne sentent pas l’alcool et que la dépendance s’installe », se désole Thierry, père de Léo, 15 ans. « Plus la consommation débute jeune, plus elle est problématique à cause des séquelles psychiques qu’elle engendre, prévient le docteur Valleur, psychiatre à l’hôpital Marmottan et spécialiste des dépendances (lire son interview en encadré). A l’adolescence, le cerveau n’est pas encore mature et peut subir de vrais dommages. De plus, les habitudes de consommation se fixent tôt et de manière durable. » Sans oublier qu’en cas de consommation régulière, l’adolescent multiplie les risques d’entrer dans une spirale de décrochage scolaire.

Comment réagir ?
D’abord, il convient de dédramatiser la consommation d’alcool. « Il y aura forcément une première fois, rappelle le Dr Bailly. Quand elle se produit, mieux vaut adopter une réaction appropriée : ne soyez ni complice ni dramatisant. Il faut que votre enfant puisse parler sans être jugé. » Pour vous faire entendre de votre enfant, mieux vaut avoir préalablement installé votre autorité. « Il est difficile d’avoir de l’autorité sur les ex-enfants rois. Quant au message, il est clair : “Si je te l’interdis, c’est parce que je tiens à toi.” », assure le pédopsychiatre.
Enfin rappelons la valeur de l’exemple donné par les parents. « Sortir une bouteille à table à chaque repas, c’est banaliser l’alcool », avertit le docteur Valleur. Pour autant, il faut aussi accepter que les jeunes prennent des risques, qu’ils construisent leur propre expérience. Focalisez-vous sur les risques (accidents, bagarre, abus…) et veillez à ce que la consommation d’alcool soit circonscrite aux soirées festives. Avec modération.
MG

__________

TEMOIGNAGE
Marc Valleur, psychiatre à l’hôpital Marmottan, spécialiste des dépendances, auteur des « Pathologies de l’excès » (éd. JC Lattès)

« On note une baisse sensible et constante de la consommation d’alcool régulière chez les jeunes depuis de nombreuses années. Ce que l’on voit arriver, ce sont les ivresses, avec notamment le phénomène du binge drinking (intoxication alcoolique aiguë), un rite d’initiation qui a toujours existé mais qui augmente fortement. Une hausse d’autant plus inquiétante qu’aujourd’hui, les alcools forts ne sont plus dilués avec du jus ou des sodas mais des boissons énergisante qui permettent de repousser les limites et de les franchir sans même s’en rendre compte, avec des conséquences dramatiques comme les comas éthyliques. Mais le plus dangereux, outre les risques directs liés à l’alcoolisation, ce sont ceux indirects, notamment les accidents de la route (en deux-roues ou en voiture), les abus (contre les filles surtout), les accidents “domestiques” et les bagarres qui peuvent dégénérer et finir aux urgences. »

__________

REPERES
Chiffres clés

• En 2008, les adolescents de 17 ans étaient 8,9 % à déclarer un usage régulier de l’alcool. Il s’agit le plus souvent de garçons (13,6 % contre 4 % pour les filles).
• Les ados étaient 56,4 % à avoir expérimenté l’ivresse alcoolique en 2000 contre près de 60 % en 2008 (59,8 % précisément).
• En 2007, comparativement aux autres Européens, les jeunes Français âgés de 16 ans font partie de ceux qui déclarent le moins souvent avoir été ivres au cours des douze derniers mois (22e position sur 35 pays).
Source : Rapport de 2009 de l’observatoire français des drogues et des toxicomanies.
Plus d’informations sur les chiffres de la consommation d’alcool des adolescents – enquête de l’OFDT

__________

ZOOM
Informer les jeunes

Médecin scolaire à Evry et secrétaire générale du syndicat national autonome des médecins de santé publique de l’Éducation nationale, le Dr Brunhes mène des actions de prévention dans les établissements scolaires : « Au collège, on organise des conférences, notamment avec un ancien alcoolique qui a raconté sa déchéance et son retour à la réalité. En parallèle de ces interventions ponctuelles, des réunions réunissent les parents pour leur expliquer le phénomène et partager avec eux leurs expériences. »

Mot-clé:

Pas de commentaires pour le moment.

Donnez votre avis