DOSSIER

Vers une réforme de l’enseignement professionnel

HD-438---ouv-dossier-bonneA la fin du collège, un élève de 3e sur trois se dirige vers la voie professionnelle. Que ce soit en CAP, certificat d’aptitude professionnelle, en seconde professionnelle, par la voie scolaire ou sous le statut d’apprenti. Mais cette orientation, tout le monde en convient – le président de la République en tête –, demeure trop souvent un choix par défaut…

Depuis plusieurs années pourtant, des mesures ont été prises pour valoriser l’enseignement professionnel par la voie scolaire, le rendre plus attractif, plus performant. Mais les résultats ne sont toujours pas au rendez-vous, comme le montre, par exemple, le faible taux d’insertion professionnelle de ces jeunes après avoir obtenu leur diplôme.

A la demande d’Emmanuel Macron, qui souhaite une « transformation profonde de la voie professionnelle », avec notamment une augmentation de d’au moins 50 % des temps de stage, des groupes de travail ont été mis en place pour préparer cette future réforme ; mais celle-ci rencontre déjà de fortes oppositions, comme celle du Snetaa, premier syndicat de l’enseignement professionnel (lire l’interview de son secrétaire général, Pascal Vivier, plus loin).

 

«Un gâchis ». Emmanuel Macron n’a pas fait dans la demi-mesure quand il a fait un état des lieux des lycées professionnels, lors de son discours sur la rentrée scolaire, à Paris le 25 août 2022. Rappelant que les lycées professionnels comptent deux tiers des décrocheurs, que deux ans après l’obtention de leur diplôme, 41 % des titulaires d’un CAP ont un emploi, et 53 % pour ceux qui ont un bac pro, le président de la République n’a pas mâché ses mots : « Collectivement, c’est inacceptable. Ça veut dire que nous avons un gâchis collectif. Un gâchis dans l’orientation en amont, un gâchis pendant, et un gâchis après, qui rend tout le monde malheureux. »

S’appuyant sur ce triste constat, Emmanuel Macron a annoncé une transformation profonde de la voie professionnelle. Avec comme principales lignes directrices :

– donner plus d’autonomie aux lycées professionnels ;

– développer les temps de stage d’au moins 50 % ;

– recruter davantage de professeurs associés issus du monde professionnel, qui verra sa place renforcée dans les conseils d’administration ;

– revoir, en lien avec les régions, la carte des formations – développer celles qui fonctionnent, en créer vers des secteurs porteurs en termes d’emploi, et fermer celles qui n’insèrent pas…

 

HD-438-dossier-machine-blacUne convergence avec l’apprentissage

Emmanuel Macron ne s’en est pas caché, il souhaite une convergence entre les deux voies de formation actuelles de l’enseignement professionnel : la voie scolaire en lycée professionnel avec des périodes de stage, et la voie de l’apprentissage, où l’élève apprenti partage son temps de formation entre le CFA (centre de formation des apprentis) et l’entreprise qui l’accueille. Et le président de la République de souligner la réussite aujourd’hui de l’apprentissage, qui attire quelque 700 000 jeunes chaque année (lire notre dossier « spécial apprentissage » dans La Voix des Parents n° 428 de décembre 2021).

 

Une filière déjà remodelée

Revaloriser l’enseignement professionnel n’est pas un chantier nouveau. Depuis plusieurs années déjà, des mesures ont été prises en ce sens, comme l’abaissement de la formation du bac pro de 4 à 3 ans, la flexibilité du temps de formation pour les CAP (de 1 à 3 ans), la création des secondes professionnelles par familles de métiers (pour une meilleure lisibilité et une orientation progressive) ; sans oublier les récentes innovations pédagogiques comme la réalisation du « chef d’œuvre », que tous les élèves de CAP et de bac pro doivent réaliser tout au long de leur scolarité, ou encore la co-intervention des professeurs des matières professionnelles et générales, pour rendre les matières générales plus concrètes.

 

Réforme : entre préparation et oppositions

Malgré la mise en œuvre de toutes ces mesures, la voie professionnelle peine encore à répondre aux attentes, et n’est pas encore réellement devenue une « voix de choix ». Pour y parvenir, une « transformation profonde » va donc être lancée.  Le 21 octobre, Carole Grandjean, ministre déléguée auprès du ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion et du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse, chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, a mis sur pied des groupes de travail autour de 4 grandes thématiques :

  • comment réduire le nombre de décrocheurs ?
  • comment mieux préparer les poursuites d’études supérieures requises par certains métiers ?
  • comment améliorer le taux d’accès à l’emploi après le diplôme ?
  • comment donner des marges de manœuvre aux établissements tout en conservant le caractère national des diplômes ?

Si le chantier est lancé (les premières expérimentations doivent être mises en place début 2023…), cette future réforme rencontre déjà une sérieuse opposition, celle des enseignants de la voie professionnel, avec comme principal grief l’augmentation des heures de stages dans les entreprises d’au moins 50 %, qui réduirait les heures d’enseignement théorique.

 

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ZOOM

Chiffres-clés de l’enseignement professionnel

En troisième, un collégien sur 3 s’oriente dans la voie professionnelle ; 21,4 % vers un baccalauréat professionnel et 10,7 % vers un certificat d’aptitude professionnelle (CAP).

En chiffres, l’enseignement professionnel (voie scolaire) ce sont 626 700 lycéens (1 lycéen sur 3), dont 511 800 en baccalauréat professionnel ou brevet des métiers d’art (BMA), 72 900 enseignants  exerçant dans 2 090 lycées professionnels, 440 diplômes préparés (CAP, baccalauréat professionnel, brevet professionnel, BMA, MC, mention complémentaire…).

Après le lycée professionnel, un jeune sur deux poursuit ses études.

 

« Demi-journée avenir » : une découverte des métiers à partir de la classe de 5e

Presque 700 collèges se sont portés volontaires pour mettre en œuvre les « demi-journées avenir » (soit 10% du total de nombre de collèges en France). Une expérimentation, lancée depuis la rentrée 2022, qui permet de proposer de nouvelles activités de découverte des métiers aux élèves, à partir de la classe de 5e et tout au long du cycle 4, pouvant prendre la forme de visites d’entreprises, de mini-stages, de rencontres avec des professionnels de différents secteurs d’activité, etc.

Cette « demi-journée avenir » hebdomadaire a pour but, selon les mots du président de la République dans son discours général sur l’avenir de l’école le 25 août dernier, « d’éveiller des vocations, favoriser une meilleure orientation en faisant découvrir aux élèves de nombreux métiers, notamment des métiers techniques, manuels, métiers relationnels mettant en valeur d’autres formes d’intelligence que le savoir académique. »

L’expérimentation menée cette année de ce « temps de découverte des métiers »  devrait être généralisée à tous les collèges pour la prochaine rentrée.

 

HD-438---ouv-dossierCampus des métiers et des qualifications

Regroupant des lycées professionnels, des CFA, des établissements d’enseignement supérieur, les « Campus des métiers et des qualifications » sont organisés autour d’un secteur d’activité « dynamique et porteurs d’emploi » ; 12 filières ont ainsi été classifiées : « Tourisme et gastronomie », « Mobilité et aéronautique », « Numérique et télécommunications », « Transition énergétique et éco-industrie »… Mis en place pour valoriser l’enseignement professionnel et soutenus par les collectivités territoriales et les entreprises, ces campus sont en fort développement : ils sont aujourd’hui plus d’une centaine répartis sur tout le territoire national.

 

Lycées des métiers

Pour les aider à choisir l’établissement qui leur convient le mieux, les élèves peuvent se fier au label « Lycée des métiers ». Il est attribué par l’Etat aux lycées professionnels offrant une large gamme de formations et de services et proposant de solides partenariats avec les entreprises locales et les collectivités territoriales.

Les lycées des métiers sont censés proposer un enseignement de qualité répondant à la fois aux attentes des élèves et aux besoins des entreprises. 

 

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INTERVIEW

438---vivierPascal Vivier, enseignant, secrétaire général du SNETAA, premier syndicat de l’enseignement professionnel

« Les entreprises aux enfants dès 14 ans, c’est toujours une idée pour les « enfants des autres », rarement pour les siens »

 

Vous avez pris position contre la prochaine réforme de l’enseignement professionnel telle  que la souhaite le président de la République. L’augmentation du temps de stage pour les élèves, au détriment du temps consacré aux enseignements généraux, apparaît comme la principale mesure de cette réforme annoncée. Pourquoi s’y opposer ? A première vue, plus de terrain, plus de temps dans le monde professionnel, semble être une voie à suivre, qui va dans le bon sens, pour une meilleure préparation des jeunes à leur entrée dans le monde du travail…

Quand vous dites que ce sont des annonces du président de la République, je crois que – comme pour des textes sacrés – il y a le texte et il y a son interprétation.

L’interprétation, c’est la ministre déléguée qui la donne et j’observe de façon factuelle que c’est cette lecture qui fait l’unanimité contre elle. Y compris des organisations syndicales de l’enseignement privé et de l’enseignement agricole.

Vous parlez de « bon sens » quand j’en suis le premier adepte. Toutefois, si on reprend les réussites de l’enseignement professionnel et quand la ministre ne pointe que des échecs dont les lycées pro sont rarement responsables, j’invite tout le monde à revenir au bon sens en effet.

C’est quoi ? Des élèves qui suivent un cursus en CAP ou en baccalauréat professionnel qu’ils valident après avoir effectué 20 à 22 semaines de stages. Soit presque 6 mois en entreprises (PFMP) !

Ce que l’on observe, tous les jours dans nos lycées, ce sont des élèves qui nous arrivent après la 3e avec de grandes difficultés scolaires, parfois cumulant avec des difficultés sociales. Souvent, oui, des enfants « cabossés » par la vie. Cela signifie que le collège unique 1/ ne parvient pas à donner un savoir scolaire minimum aux jeunes 2/ qu’il ne parvient pas à repérer d’autres talents chez les enfants en dehors de savoirs académiques. Selon nous : c’est l’urgence à s’occuper. Quelle est la place de l’Ecole dans notre société ? Pour quoi faire ? Quoi transmettre ? A quoi doit aboutir le collège pour TOUS les enfants ?

Les jeunes qui sont en lycées pro sont partout reconnus comme de bons professionnels qui ont appris les technologies liées aux métiers et qui ont une expérience réelle en entreprises. En revanche, ils sont en souffrance en matière de lecture, d’écriture, en mathématiques et ont du mal à se repérer spatialement et dans l’actualité du pays, du monde totalement bouleversés. Pour être plus clair, ils manquent d’une solide culture générale, celle-là meme qui permet de devenir un homme ou une femme, un citoyen, une citoyenne. Car en lycées professionnels, nous accueillons tous les enfants pour les former à devenir des Hommes, des Citoyens, des Travailleurs. Pas uniquement des travailleurs !

Alors pourquoi vouloir qu’ils soient purement et simplement plus en entreprises quand ils sont de bons professionnels et que c’est le manque de culture générale auquel il faut s’atteler. Où est le bon sens ?

 

Outre la question du temps de stage, vous rejetez en bloc les autres points de la réforme censée revaloriser l’enseignement professionnel ?

Nous rejetons la lecture que la ministre fait des annonces du président de la République car ils ne répondent en rien à la réalité de l’enseignement professionnel, aux attentes des jeunes et de leurs familles, aux besoins des entreprises.

Pour qu’on comprenne bien les choses, et en toute indépendance de tout parti politique,  je le dis : l’Ecole publique, bien que laïque, est traversée par des idéologies contraires et portées par les pouvoirs politiques.

Pour certains, il y a des enfants qui sont faits pour être a l’école tandis que ceux qui n’arrivent pas à suivre sont faits pour aller à la mine. Le souci, c’est qu’il n’y a plus de mines, une industrie qui a fondu au point que la France se retrouve derrière l’industrie italienne et bientôt l’industrie espagnole.

De l’autre côté, certains pensent que l’Ecole doit donner une chance à tous les enfants quels que soient leurs talents. C’est ce qu’on appelle l’école publique qui doit émanciper une jeunesse pour devenir, outre des salariés reconnus par un diplôme national, des citoyens libres en conscience.

Je crois que c’est la mission de l’Ecole : donner le meilleur pour chaque enfant, repérer les talents de chacun, leur donner le goût de l’effort et reconnaître chacun utile au pays.

L’école d’aujourd’hui ne répond plus à cette attente des parents. Ce n’est pas aux entreprises qui s’affrontent à des crises nouvelles difficiles à remédier aux manques de l’Ecole.

Donc vouloir s‘atteler d’abord à la terminale bac professionnel, vouloir donner la présidence des conseils d’administration aux entreprises, développer un pré-apprentissage d’enfants de 14 ans, vouloir supprimer un grand nombre de diplômes avant même de réfléchir avec les entreprises pour monter les diplômes dont elles auront besoin à 5, 10 et 15 ans, je vous le confirme, c’est un rejet en bloc.

 

Selon vous, les groupes de travail mis en place par Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’enseignement et de la formation professionnels, pour préparer et finaliser cette réforme sont un gadget ? Tout est déjà joué et décidé ? Ou bien avez-vous des motifs d’espoir ?

Pourquoi voudriez-vous que des énièmes groupes de paroles – pardon, groupes de travail – alors qu’on connaît le diagnostic sur lequel le ministre Blanquer avait fait travailler toutes ses équipes, ne soient autre chose que du gadget ou pire, une manière d’occuper tout le monde alors que les annonces sont déjà faites. La ministre déléguée ne peut pas annoncer les conclusions des quatre groupes de travail qu’elle a installés et affirmer que rien n’est écrit.

Vous parliez de bon sens, non ?

 

Si la réforme telle qu’elle est envisagée ne vous convainc pas, vous convenez néanmoins qu’une réforme de cet enseignement doit être envisagée pour garantir un meilleur avenir aux élèves qui s’engagent dans cette voie de formation, notamment quand on connaît les chiffres actuels concernant leur insertion professionnelle après l’obtention de leur diplôme… Que préconiseriez-vous ?

Quand vous parlez d’insertion, on pense immédiatement « obtenir un emploi ». L’insertion, pour nous, ce sont deux jambes : l’accès à l’emploi ou l’accès à l’enseignement supérieur.

Vous me parlez de chiffres quand ils sont exploités pour faire croire à des données statistiques donc scientifiques faibles et indiscutables. Pourtant… certains diplômes de l’enseignement professionnel ne permettent pas d’accéder en effet à l’emploi. En revanche, à bac + 2 ou plus 3, l’accès à l’emploi est quasi assuré. Donc dire qu’après un baccalauréat professionnel tertiaire, par exemple le bac pro Agora (secrétariat, assistance de direction, aide comptable) ne permet pas l’insertion donc il faut les supprimer, c’est une vision à courte vue. Car si vous ouvrez pour ces jeunes un BTS (et n’oublions pas que nous n’avons pas plus de places en BTS qu’en 1995 quand aujourd’hui 60 % des bacheliers professionnels – pour beaucoup encore enfants mineurs – veulent pouvoir continuer leurs études).

Pour être clair, nous demandons une réforme globale pour tous les jeunes qui doivent se faire sur deux axiomes :

– des mesures d’urgence pour les élèves qui vont sortir de 3e sans avoir le minimum nécessaire ;

– des mesures à plus à long terme : faire que le collège ne soit pas un petit lycée qui exclut des enfants qui n’ont pas l’appétence de l’abstraction, créer des diplômes des métiers d’avenir pour répondre aux besoins des entreprises, consolider les secondes CAP et bac Pro pour donner toutes les bases de culture générale que les enfants n’ont pas acquises, ouvrir des filières complètes allant du CAP au bac pro, du bac pro au bachelor professionnel (bac + 3) avec un diplôme intermédiaire reconnu aujourd’hui dans les conventions collectives des salariés (Mentions complémentaires), donner les moyens pour que l’enseignement professionnel reste novateur en matière pédagogique, proposer aux jeunes qui sont sortis de l’école sans aucun diplôme (ils sont actuellement 1 million de jeunes entre 16 et 24 ans qui n’ont aucun diplôme) de venir préparer un CAP en 1 an, etc.

On ne manque ni d’idée ni d’un projet fort. Mais nous croyons que l’Ecole est le patrimoine de tous les jeunes à qui nous devons donner le meilleur pour que chacun trouve sa juste place dans notre pays. Cela ne semble en effet pas une volonté partagée.

Tous les parents aiment leurs enfants et veulent le meilleur pour eux. Les entreprises aux enfants dès 14 ans, c’est toujours une idée pour les « enfants des autres », rarement pour les siens. C’est à l’Ecole de retrouver sa mission d’ascenseur social sans rejeter quiconque. C’est ce que fait l’enseignement professionnel.

 

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