EDUCATION

Quelle réforme pour la formation des enseignants ?

HD-407---enseignants-SIPA-Le ministère amorce une refonte profonde de la formation des enseignants. Recrutements anticipés, programmes harmonisés, formation continue… Tout pourrait changer dans les prochaines années ! Pour comprendre les enjeux, la Voix des Parents a interrogé plusieurs experts du sujet.

 

 

C’est une révolution qui se prépare dans le monde scolaire. Déjà réformée dans les années 2010, lorsque les IUFM ont été remplacés par les Espé (Écoles supérieures du professorat et de l’éducation), la formation des enseignants est sur le point d’être totalement repensée. Une réponse à des situations complexes : difficultés de recrutement dans certaines filières, vacances de postes dans les zones sensibles, soucis de gestion de classe… Le tout, alors que le niveau des élèves français affiché dans les études internationales est loin de faire des étincelles…

Le ministre Jean-Michel Blanquer a donc fixé en début d’année un nouveau cap, dans le cadre du projet de loi sur l’école de la confiance. Le plan est ambitieux : nouveau programme, nouveau concours, accompagnement et formation continue, présélection en facultés… De quoi changer la donne ?

 

Un concours mal placé

L’enjeu principal, c’est la professionnalisation des personnels. Car le métier de prof suppose non seulement de maîtriser sa discipline, mais également l’art de la transmission. Or, le concours actuel privilégie les connaissances académiques. « On a tendance à recruter des experts d’une discipline », souligne Richard Wittorski, chercheur en sciences de l’éducation à l’Université de Rouen et ancien directeur de l’Espé de Rouen (2014-2018). Une raison à cela : ce concours est « ouvert ». À côté des étudiants en Espé, voie royale vers le professorat et le métier de CPE, les « externes », étudiants de tout master universitaire, peuvent tenter leur chance.

Dès lors, il faut bien sélectionner. Le problème, c’est que le concours est placé « à la plus mauvaise place », tranche Brigitte Marin, présidente du réseau national des Espé. Au milieu de la première année de master, il ne laisse pas le temps, même au sein des Espé, de maîtriser les questions pédagogiques. Logique, donc, qu’il soit plus orienté sur les connaissances. « Actuellement, en Espé, tout se joue en six mois, analyse le sociologue Pierre Périer, qui a longuement étudié le début de carrière des professeurs. Les étudiants entrent en septembre et passent le concours en mars. On se concentre uniquement sur cette échéance. Cela ferait presque oublier ce à quoi les étudiants se préparent réellement : enseigner en classe ! »

La réforme propose de retarder d’un an le passage du concours, en fin de Master 2 (Bac + 5). Une idée qui peut avoir un avantage selon Pierre Périer : « Son passage en Master 2 pourrait permettre de desserrer l’étau du calendrier. Rajouter un an apporte plus de temps pour la formation universitaire, la maîtrise des outils, la didactique… » À condition, glisse Richard Wittorski, que les Espé ne deviennent pas de simples « prépas » au concours… « Ce décalage ne doit pas se faire au détriment des savoirs à enseigner et de la professionnalisation », complète Pierre Périer. Le réseau national des Espé aurait d’ailleurs préféré que le concours soit avancé d’un an, en licence 3, pour que la formation en Espé soit consacrée essentiellement à la pratique… Richard Wittorski préfère prévenir : avec un concours en fin d’Espé, il faudra accompagner la réforme d’une « solide formation post concours ». Sinon ? « On va droit dans le mur, l’échec complet ! »

 

HD-407---enseignants-2Harmoniser la formation

Adieu les Espé, bonjour les Inspé ! Créées en 2013 et portées par les universités, les 32 écoles de professorat vont être renommées Inspé (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation). Le terme « national » souligne la volonté d’harmoniser les programmes. Le contenu du Master Meef (voir encadré plus bas) sera ainsi défini sur le plan national, avec 800 heures de cours réparties sur deux ans. Une avancée selon Pierre Périer : « Le grand public l’ignore, mais il existe des différences entre Espé ! Selon les priorités locales, les moyens, les établissements ont une certaine latitude pour adapter la formation. » Aujourd’hui, les profs français ne sont pas tous formés de la même façon ? « Il y a des disparités, concède Brigitte Marin. Les Espé sont des composantes des universités. Le projet pédagogique, le volume horaire des disciplines enseignées peuvent varier d’une Espé à l’autre, selon la sensibilité des équipes. » Une harmonisation lui semble pertinente, surtout pour les enseignants amenés à « bouger » pendant leur carrière. « Poser un volume important de 400 heures de cours par an pour tous, c’est une avancée, juge Brigitte Marin. C’est notamment un avantage pour les étudiants qui passent le concours « externe ». Dans certaines académies, ils recevaient à peine 144 heures de formation… »

Revu, le programme insistera sur les fondamentaux. « Cela semble relever du bon sens qu’un professeur des écoles ait une formation solide en français et en mathématiques pour enseigner la lecture, l’écriture, le calcul, le raisonnement, pointe Brigitte Marin. Si l’on veut développer l’esprit critique des élèves, ils doivent savoir bien lire, écrire et compter… Ce n’est pas rétrograde d’y voir une priorité ! »

Richard Wittorski est plus nuancé, craignant l’écueil de la « standardisation ». « Les réalités sont différentes et la population scolaire n’est pas la même selon les régions. Il semble y avoir une pertinence à s’adapter aux contextes locaux… » D’autant qu’il signale que les conditions actuelles de formation au sein des Espé ne permettent déjà pas d’aller au fond des sujets. « On veut être dans une logique d’accompagnement, de professionnalisation. Comment faire quand on a un groupe de 300 étudiants pour le premier degré ? Difficile de faire de l’individualisation : on est obligé de standardiser la formation… »

 

HD-407---enseignants-1-AFPEnfin une formation continue ?

Le projet intègre également un « plan pluriannuel » de formation continue. L’objectif : assurer un « continuum » d’accompagnement entre formation et carrière. « Le début de carrière est toujours difficile, on a besoin d’accompagnement », confirme Pierre Périer. Il propose ainsi que pendant les premières années d’exercice, des référents restent à disposition du jeune prof, pour écouter et conseiller. Brigitte Marin appuie sur la situation post-concours : « Avec la réforme, les 2e année en Inspé ne passeront plus qu’un tiers du temps en classe, contre 50 % actuellement. Il faut donc réfléchir à développer la formation continue. » Ce sera au moins le cas pour les admis externes : désormais, ils bénéficieront d’une vraie année de préparation à mi-temps !

L’occasion de se pencher sur la demande récurrente de formation en gestion de classe. « Les modules comportement, conflits, gestion de classe, sont les plus demandés, annonce Brigitte Marin. Mais ils ne sont pas forcément disponibles… » Elle y voit une « priorité pour l’avenir ». « On ne peut pas enseigner si on ne gère pas bien la classe ! Il faut développer les outils psychologiques et sociologiques. Comprendre les mécanismes selon l’âge, ce qui va heurter les enfants et adolescents, car ce n’est pas forcément une évidence. S’appuyer sur l’expérience de terrain. »

Même si le sujet n’est pas simple. « C’est compliqué à aborder en formation initiale, témoigne Richard Wittorski. Quel est le bon moment ? Si on évoque la question de l’élève agressif avant que l’enseignant soit sur le terrain, on la vit de façon abstraite. Il faut attendre que les gens soient face aux classes pour vivre et analyser la situation avec eux. » C’est le principe d’une formation continue !

Tous nos contacts partagent un souhait : que les formations répondent aux besoins réellement exprimés… « Il faut développer les remontées de terrain, espère Richard Wittorski. Comme l’entretien annuel dans le privé, le rendez-vous de carrière des professeurs pourrait être l’occasion d’évoquer les besoins en formation. »

 

De nouveaux apprentis profs

Surprise de la réforme : à la rentrée 2019, des « milliers d’étudiants volontaires » seront recrutés dès la 2e année de licence pour intervenir dans les classes. L’occasion de tester sa vocation en découvrant très tôt la réalité.

« C’est plutôt pas mal, sourit Richard Wittorski. En début d’Espé, il n’est pas rare de voir des étudiants se dire que le métier n’est pas pour eux. Avec cette mesure, cela permettra en amont de voir la différence entre ses représentations et la réalité. » Il y voit un second avantage : apporter plus d’expérience, en étalant la formation sur un temps plus long. L’idée intéresse aussi Brigitte Marin. « C’est une bonne mesure, socialement intéressante. Elle va permettre à des étudiants qui ont très tôt la vocation de se préprofessionnaliser dans la durée, en contact avec les classes. » Avec quelques limites : « Il sera essentiel que les critères de sélection soient bien choisis, pour recruter des étudiants capables de valider leurs diplômes. Et ils ne doivent pas devenir une force de remplacement. » Mais elle imagine que ce prérecrutement pourrait limiter les soucis en début de carrière. « Selon les statistiques, les étudiants qui rencontrent le plus de problèmes de gestion de classe sont ceux qui ont eu le moins de contacts avec les élèves pendant leur formation. Ils n’ont pas eu le temps d’acquérir une maturité professionnelle. Enseignant, c’est un vrai métier, qui doit s’apprendre. »

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ZOOM

La situation actuelle

Depuis 2013, les Espé, rattachées aux universités, constituent la voie royale pour devenir enseignant. Mais pas la voie exclusive : tout étudiant en Master 1 peut tenter les concours du professorat (premier degré, second degré ou CPE).

Le parcours pour devenir enseignant est multiple. L’étudiant doit d’abord attester de toute formation de niveau Bac+3, type licence universitaire. Dès lors, il peut soit tenter d’intégrer, sur dossier, les sélectives Espé, soit poursuivre dans le Master 1 de son choix et tenter le concours en « externe ».

S’il intègre l’Espé, il suivra en deux ans le Master Meef (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation). La première année inclut 3 semaines de stages, une préparation au concours et des cours (contexte professionnel, didactique, enseignements disciplinaires, pratique professionnelle…).

Une fois le concours obtenu, les étudiants deviennent enseignants stagiaires, en charge d’une classe à mi-temps. Qu’ils proviennent de la première année d’Espé ou non, ils suivront en alternance la deuxième année d’Espé, et devront préparer un mémoire. Une exception : les candidats externes ayant déjà un Master 2 ne bénéficient que d’heures de mise à niveau pédagogique…

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Chiffres-clés

  • En 2018, 187 000 personnes ont tenté un concours de recrutement pour devenir professeur dans l’enseignement public.
  • Près de 11 000 ont obtenu un poste dans le premier degré (maternelle, élémentaire), ce qui a permis de couvrir l’ensemble des besoins.
  • Près de 12 000 ont obtenu un poste dans le second degré (collège, lycée). Les besoins sont pourvus, sauf dans certaines matières : lettres classiques, allemand, mathématiques…
  • En 2018-2019, les Espé comptaient 65 600 étudiants. Ils représentaient 60 % des admis pour le premier degré, mais seulement 40 % des admis pour le second degré.
  • Dans le public, près de 10 % des professeurs du second degré ne sont pas titulaires (remplaçants, vacataires…).

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itw-407---ENSEIGN-P-ierre-PINTERVIEW

Pierre Périer, sociologue en sciences de l’éducation à l’université Rennes II, spécialisé dans la formation et le début de carrière des enseignants

« La formation n’est pas en adéquation avec les conditions réelles »

La formation des enseignants va être profondément repensée…

On ne peut pas dire que l’expérience laisse un souvenir toujours très positif aux stagiaires ! La question de fond, c’est que l’on a beau l’avoir rallongée d’un an en 2010, les jeunes profs ont le sentiment que la formation n’est pas en adéquation avec les conditions réelles de l’exercice du métier. Ils regrettent de ne pas être préparés à la réalité qui les attend… Il y avait moins de critiques il y a quelques décennies.

 

Qu’est-ce qui a changé ?

Le métier est plus imprévisible. Il s’est complexifié, les missions se sont étendues, les contextes sont diversifiés. Il y a une forme d’incertitude dans la dimension relationnelle avec les élèves, notamment dans les questions d’autorité et de gestion de classe. On n’attend plus des élèves qu’ils soient passifs : on leur demande d’être autonomes, expressifs. Ils sont donc plus engagés dans les interactions… Cela change fondamentalement le quotidien : on n’est plus seulement dans la transmission de savoirs. La dimension relationnelle prend de l’importance, surtout dans les contextes difficiles. Face à de telles incertitudes, des professeurs inexpérimentés ne sont pas toujours en mesure d’apporter des réponses adéquates. Il faut faire preuve de réflexivité, agir tout en analysant en temps réel. Cette compétence suppose de l’expérience !

 

Vous travaillez auprès des jeunes enseignants. Quel est leur ressenti sur leur formation ?

Les stagiaires et néo-titulaires déplorent le rythme intense du Master Meef. En première année, il y a l’objectif du concours. En seconde année, il y a l’alternance entre les cours et les stages, avec l’objectif d’obtenir son diplôme de Master 2, et un mémoire à rendre. On intercroise une logique de préparation de concours, une professionnalisation, et un diplôme universitaire ! Les étudiants se sentent sous pression en permanence. Avec une ambivalence : en classe, les stagiaires sont en responsabilité face aux élèves, aux parents d’élèves, aux collègues. Mais à l’Espé, ils sont de simples étudiants, sous l’autorité des formateurs qui les contrôlent et les évaluent.

 

Comment aider les futurs enseignants ?

Il faut renoncer à une ambition vaine : les enseignants ne pourront jamais être préparés à toutes les situations, pour tous les contextes. Il faut donc réfléchir à assurer le meilleur pour débuter, puis instaurer un accompagnement tout au long de la carrière. Le problème n’est pas d’être débutant. Des professeurs qui démarrent dans des conditions favorables réussissent bien. Mais ils ne sont pas préparés à des contextes particuliers. Le côté imprévisible engendre la difficulté.

 

L’enjeu est donc la formation continue ?

C’est un point majeur. Par rapport à d’autres pays, on a un grand souci en France à ce sujet. Or il est nécessaire de se former régulièrement aux nouveaux programmes et outils pour enseigner, aux questions pédagogiques et didactiques. Pour un enseignant qui a 20 ans de carrière, la classe inversée, les tableaux numériques, cela veut dire réapprendre un métier !

Au-delà, il faudrait développer l’analyse de pratiques tout au long de la carrière. Car il n’existe pas d’espace protégé où le professeur peut parler librement de ses difficultés, prendre du recul. C’est probablement à ce niveau que la formation continue serait la plus nécessaire, et où elle fait le plus défaut.

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