Défis sur Internet : des challenges pas si anodins !
Sur les réseaux sociaux, les jeunes sont régulièrement invités à réaliser toutes sortes de défis, des plus ludiques aux plus dangereux. Certains peuvent avoir des conséquences dramatiques.
L’an dernier, le Blue Whale challenge, ou défi de la baleine bleue, défrayait la chronique. Celui ou celle qui souhaitait y participer n’avait qu’à diffuser sur les réseaux sociaux un message contenant le mot-clé #BlueWhale. Dans la foulée débutait la réception d’une série de défis quotidiens à réaliser. Les premiers étaient plutôt « bon enfant ». Il s’agissait d’écrire « I’m a whale » (Je suis une baleine) sur son mur Facebook ou de prendre une photo de sa main sur laquelle était dessinée une baleine. Mais au fur et à mesure que le jeu avançait, les défis devenaient de plus en plus scabreux (visionner des films d’horreur en pleine nuit, écouter de la musique triste, se lever tous les jours à 4 heures du matin…) pour devenir carrément morbides (s’allonger sur les rails, se dessiner une baleine au cutter sur l’avant-bras). Au cinquantième et dernier défi, le « joueur » devait mettre fin à ses jours en sautant par la fenêtre ou en se pendant, à l’image des baleines bleues réputées pour s’échouer sur les plages. En Russie, où est né ce défi, 80 suicides liés au Blue Whale Challenge auraient été recensés.
Ce genre de défis, Internet et les réseaux sociaux en regorgent. Il ne se passe pas un mois, pas une semaine, sans qu’un nouveau apparaisse. N’importe qui peut y participer. Il suffit de se filmer en train de relever le challenge puis de poster la vidéo sur les réseaux sociaux. Dans certains cas, il est demandé de désigner une ou plusieurs personnes de sa connaissance qui devront faire la même chose dans les 24 heures qui suivent sous peine de sanctions.
Un bilan lourd
Tous ces défis, heureusement, ne sont pas aussi dangereux que le Blue Whale Challenge. Certains ne portent pas à conséquence. Poster une photo de soi quand on était petit, se jeter dans la neige en maillot de bain ou se verser un seau de glaçons sur la tête, c’est plutôt amusant. D’autres défis, en revanche, sont moins anodins. Qu’il s’agisse de boire cul-sec une grande quantité d’alcool, de se jeter dans une rivière gelée (défi « A l’eau ou au resto »), de sauter dans une piscine depuis un balcon (Balconing) ou de se filmer en train de danser à côté d’une voiture en marche (InMyFeelings Challenge), les défis sur Internet ont été à l’origine de nombreuses blessures plus ou moins graves.
Des Américains ont même été gravement brûlés après s’être aspergés de déodorant pendant plusieurs minutes ou après s’être mis le feu sur une partie du corps (Fire challenge). Des jeunes filles ont arrêté de manger pour relever un défi qui consistait à cacher ses hanches derrière une feuille A4 ou pour réussir à avoir le plus grand écart possible entre les cuisses en faisant en sorte que les deux genoux se touchent. Des parents se sont inquiétés après la disparition de leur enfant resté 3 jours sans donner la moindre nouvelle, conformément à ce que lui imposait le « 72 heures challenge ».
La France n’a pas été épargnée par le phénomène. A Paris, un jeune est mort en se filmant en train de marcher sur le toit d’un métro en marche (Train surfing challenge). En Bretagne, un jeune est décédé en sautant dans l’eau avec son vélo après avoir tenté de relever le défi « A l’eau ou au resto ». Le deux-roues, attaché à sa jambe, l’avait entraîné au fond de la rivière. Et à Saint-Omer (62), en mars dernier, une collégienne a été sauvée in extremis alors qu’elle tentait de se pendre conformément au dernier défi du BlueWhaleChallenge.
Un phénomène nourri par les réseaux sociaux
Ces défis ne sont pas nouveaux. Ils sont en fait la version 2.0 des jeux du type « Cap ou pas cap ». Depuis des décennies, les adolescents s’y adonnent à un moment de leur vie où ils cherchent à quitter le monde de l’adolescence pour celui des adultes, trouvant dans ces challenges des moyens d’assouvir leur curiosité, de tester leurs limites, de vivre des sensations fortes, mais aussi de se rassurer et de renforcer l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes en s’inventant une vie et des capacités hors normes. Ces challenges leur permettent aussi de se faire une place au sein d’un groupe et d’exister aux yeux de leurs amis en leur montrant qu’ils sont capables de réaliser des choses extraordinaires que beaucoup d’autres n’oseraient pas tenter.
Si le phénomène prend de l’ampleur depuis une dizaine d’années, c’est d’une part à cause de l’omniprésence des nouvelles technologies. Le fait que chaque adolescent ait dans sa poche un smartphone connecté qui lui permet de se filmer et de diffuser les images en quelques secondes permet techniquement l’apparition de ces « défis ».
L’explosion des réseaux sociaux aussi a joué son rôle. Grâce à eux, les défis se diffusent très rapidement auprès des adolescents, mais surtout, leur fonctionnement intrinsèque pousse certains jeunes à aller très loin. Sur Facebook ou sur Instagram, l’image que l’on renvoie de soi-même et l’avis de la communauté, aussi virtuelle soit-elle, comptent plus que partout ailleurs. Résultat : pour de nombreux jeunes, la popularité se compte désormais moins en nombre d’amis réels qu’en nombre d’abonnés à son compte Instagram. Plus le nombre de « like » et de commentaires est important, plus le jeune se sent valorisé. Afin d’assouvir cette soif de reconnaissance, certains n’hésitent pas à réaliser des défis toujours plus extrêmes. Quitte à parfois perdre le contrôle.
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ZOOM
Les jeux dangereux toujours présents
Dans les cours de récréation, le jeu du foulard, qui consiste à s’étrangler jusqu’à perdre connaissance, celui de la tomate, qui vise à arrêter de respirer jusqu’à devenir tout rouge ou encore le happy slapping pour lequel il faut se filmer en train de frapper un camarade ont la vie dure. L’Education nationale et les associations de prévention, comme notamment « SOS Benjamin », ont mis en place des actions de prévention et mobilisé les personnels, mais le phénomène n’a pas disparu.
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POINT DE VUE
Grégory Michel, professeur des universités à Bordeaux et psychologue spécialiste des défis sur Internet, auteur de « La prise de risque à l’adolescence » (éd. Masson) et « La dépendance aux jeux vidéo et à internet » (éd. Dunod)
« Si tous les jeunes peuvent potentiellement y prendre part, ces défis attirent surtout les adolescents à la recherche de sensations fortes et qui ont une mauvaise d’image d’eux-mêmes. Dans le fait de diffuser sur les réseaux sociaux des images les montrant en train de réaliser des exploits, ils trouvent un moyen d’exister aux yeux des autres. Plus leurs vidéos génèrent de réactions positives et plus ils se sentent vivre. Le problème, c’est que certains jeunes ont tendance à vouloir aller toujours plus loin et ne parviennent pas à s’arrêter à temps.
La lutte contre ce phénomène passe avant tout par la prévention. Il est important que les parents et l’école alertent les adolescents sur les risques qu’ils prennent à relever ce genre de défis. Les inciter à prendre leurs propres décisions sans subir l’influence du groupe est aussi un bon moyen de lutter contre le phénomène d’entraînement. Et si des parents découvrent que leur enfant se met en danger, ils doivent à tout prix éviter de lui tenir un discours moralisateur qui risquerait d’avoir un effet inverse. Le mieux est qu’ils fassent appel à un professionnel. »