EDUCATION

L’école maternelle gagne en importance

HD-405---maternelle-1-AFPDepuis la rentrée, l’instruction est devenue obligatoire pour tous les enfants de 3 ans. Cette mesure vise notamment à accorder une autre place à l’école maternelle dans le paysage éducatif, qui devient plus précieuse pour le développement des enfants.

 

 

C’est une mesure qui pourrait relever de l’historique. Du moins, dans les textes. L’obligation d’instruction est abaissée à l’âge de 3 ans depuis la rentrée 2019. Jusqu’à présent, l’âge minimum était fixé à 6 ans, une disposition de la loi Ferry qui date de… 1882. Pourquoi un tel changement ? Pour faire de l’école maternelle « celle du langage et de l’épanouissement », selon les souhaits d’Emmanuel Macron. C’est en effet à la veille des Assises de la Maternelle, sortes de journées de réflexion organisées en mars 2018, que le président de la République a annoncé la mesure. « La plasticité du cerveau avant 6 ans est particulièrement propice à l’assimilation du langage, or […] c’est à ce moment que les décrochages les plus profonds se fabriquent », déclare-t-il en préambule des Assises.

L’objectif de cette mesure est donc de lutter contre les inégalités et notamment celle de la langue, clé de tous les apprentissages. « L’idée générale est d’élever le niveau des élèves français. Pourquoi ? Pour plus de justice sociale, confirme Laurent Pinel, IEN adjoint en charge du premier degré pour le département de l’Aisne. Lutter contre l’illettrisme prend sa source très tôt dans la scolarité. Voilà pourquoi l’école maternelle devient prioritaire. Dans les localités rurales très isolées, par exemple, amener son enfant à l’école permet de lui offrir un accès à la culture beaucoup plus tôt. »

Boris Cyrulnik, neuro-psychiatre qui a présidé les Assises de la Maternelle confirme cette importance : « La maternelle française était et reste l’une des meilleures au monde, mais des améliorations sont toujours possibles (lire son interview ci-dessous). Actuellement, c’est l’école qui sociabilise. Si les enfants sont mal scolarisés, c’est souvent parce que les parents sont en précarité sociale et culturelle », assure l’expert.

 

Fin de l’école à la carte

Les Assises de la Maternelle ont donc été l’occasion de faire le point sur la place de l’école maternelle dans le système éducatif, et de définir des pistes de progrès. L’abaissement de l’obligation d’instruction en fait donc partie. Mais dans les faits, la mesure ne changera pas grand-chose. Selon les estimations de l’Education nationale, 98 % des enfants de trois ans sont en effet scolarisés. Toutefois, il est vrai que les modalités restent imparfaites. Des disparités territoriales sont à relever dans les taux de scolarisation à trois ans : si Paris et sa région avoisinent le 100 %, le chiffre est bien différent en Corse, par exemple. De même, l’assiduité en petite section reste incomplète.

Certains parents d’élèves considèrent que la scolarité maternelle n’est pas indispensable, au point de retirer l’enfant de l’école pour pouvoir partir en vacances hors saison… Ce genre de procédé ne sera désormais plus toléré. « L’obligation scolaire va augmenter l’assiduité. Pour certains élèves, l’absentéisme se comptait en dizaines de journées, chaque année », commente Laurent Pinel. Maintenant, les parents d’élèves âgés de 3 à 6 ans devront fournir à l’école une explication justifiée pour chaque retard ou absence. En cas d’absence de justification légitime, l’établissement scolaire est en droit de saisir la justice. Les parents encourent jusqu’à 135 euros d’amende. Inciter les parents à laisser leurs enfants dès 3 ans à l’école chamboulera surtout les organisations personnelles.

 

HD-405---maternelle-3La propreté en question

Des parents s’interrogent également sur l’impératif de propreté de l’enfant, souvent exigé par les écoles. C’est le cas de Karine, dont le fils Ethan, 3 ans en octobre, devra prendre le chemin de l’école dès septembre.

« Quand je lui parle de l’école, mon fils n’est pas vraiment rassuré, mais surtout, il est loin d’être propre ! Je me demande donc comment l’école va pouvoir gérer ça. Auparavant, après concertation avec la direction de l’école, on pouvait envisager un autre rythme, à savoir une rentrée repoussée ou une présence en matinée uniquement. Là, nous n’avons plus le choix : Ethan devra assister à des journées entières, malgré des accidents de propreté et malgré son angoisse », partage Karine. Jusqu’à présent, dans de nombreuses écoles, ils arrivent que les directeurs refusent d’accueillir les enfants qui ne sont pas encore à l’aise avec les toilettes. Maintenant, ils vont devoir s’adapter. D’autant que dans les faits, une école n’a pas le droit de refuser un enfant parce qu’il n’est pas propre. Selon l’article L113 du Code de l’Education, « tout enfant doit pouvoir être accueilli, à l’âge de trois ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine le plus près possible de son domicile, si sa famille en fait la demande ». Et ce, qu’il soit propre ou non.

 

La sieste à l’école

De même, jusqu’à présent, les enfants de trois ans pouvaient être mis à l’école que le matin, pour rentrer chez eux à l’heure du déjeuner et y faire la sieste. Ce genre d’organisation ne sera plus possible. En revanche, se pose la question des conditions d’accueil. Une large partie des enfants de trois ans a besoin de dormir l’après-midi. Toutes les écoles seront-elles en mesure de gérer les enfants les plus jeunes sur une journée entière ?

« Il va falloir faire attention à ce que tous les élèves scolarisés puissent faire la sieste s’ils en ont besoin, confirme Laurent Pinel. Face à des nombres de lits disponibles parfois limités, la réponse avancée était alors souvent « comme l’école n’est pas obligatoire, pas besoin d’y laisser l’enfant l’après-midi. Or, dans certaines écoles, les choses sont déjà bien organisées : les élèves reprennent l’apprentissage dès 15 h, à leur réveil qui doit être échelonné. Ils prennent le temps de se lever, d’aller aux toilettes, de se rhabiller avant de retourner travailler avec les autres. Ne pas aller à l’école l’après-midi, c’était se priver de près d’1h30 d’apprentissage par jour. La sieste fait partie du temps de vie de l’enfant à l’école et ce sera d’autant plus vrai avec l’obligation d’inscription ramenée à 3 ans  », explique Laurent Pinel

 

HD-405---maternelle-2Un autre regard sur la maternelle ?

Enfin, à savoir, il reste bien sûr possible d’envisager une instruction à domicile. A condition d’être prêt à répondre à toutes les exigences administratives que suppose un tel choix, à commencer par la visite régulière d’un inspecteur académique, qui viendra s’assurer que l’enfant progresse correctement et acquiert toutes les compétences attendues à son âge.

Une attention particulière doit être apportée aux fondamentaux. « Les Assises ont eu pour but de mettre en place une école maternelle du langage et de l’épanouissement. Cela signifie que c’est à l’école maternelle que les enfants préparent les apprentissages du CP. Les programmes sont donc légèrement modifiés, notamment pour les moyennes et grandes sections, mais c’est avant tout pour mettre en avant les activités de langage et une meilleure prise en compte de la conscience chronologique, c’est-à-dire du développement du langage chez l’enfant », précise Laurent Pinel.

Les apprentissages de français et de mathématiques vont faire l’objet de toutes les attentions dès l’école maternelle, amenant peut-être à changer le regard que porte le grand public sur l’école maternelle. « Cette dernière sera peut-être considérée avec plus de sérieux, espère Laurent Pinel. Avant on disait « tu as 6 ans, tu vas aller à la grande école. Aujourd’hui, il n’est plus question de petite ou de grande école. Il y a une école. ». Selon l’inspecteur académique, le succès de cette obligation se mesurera dans quelques années, lors des évaluations de début d’année en CP.

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ZOOM

Chiffres-clés

- La France compte 2 522 282 élèves en maternelle.

- 92 885 ont moins de trois ans et 788 070 ont trois ans.

- En tout, il y 14 131 écoles maternelles et 93 134 classes accueillent les élèves scolarisés. Cela représente une moyenne de 25,3 élèves par classe.

Source : L’Education nationale en chiffres, Depp 2017.

 

L’école à 2 ans ? Des « pour » et des « contre »…

Si l’école devient obligatoire à 3 ans, peu de choses sont encore précisées concernant l’école à 2 ans. L’accueil scolaire de ces petits continuera à se faire au cas par cas… et à opposer deux clans ! « Notre département est très actif dans la scolarisation des enfants de moins de trois ans, assure Laurent Pinel, IEN de l’Aisne. Il y a un encadrement renforcé, des classes allégées en effectif et des Atsem à temps complet. Sur les 18 000 enfants scolarisés en maternelle que compte notre département, plus de 800 d’entre eux ont moins de 3 ans. Il suffit de prendre en compte leurs besoins particuliers. »

Du côté des détracteurs de l’école à 2 ans, Boris Cyrulnik tient à souligner la trop grande fragilité de certains enfants à cet âge-là : « A 3 ans, les enfants parlent et, la plupart du temps, sont propres. Ce n’est pas le cas à 2 ans : si pour certains, la maternelle améliore en effet leur langage, pour d’autres elle peut être vécue comme un petit syndrome psychosomatique. »

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itw-405---Boris_CyrulnikINTERVIEW

Boris Cyrulnik, neuropsychiatre

Vous avez dirigé les Assises de la Maternelle qui se sont tenues en mars 2018. Quels sont les changements envisagés pour les plus jeunes élèves ?

Le premier changement pourrait concerner la formation des professeurs des écoles. Ces derniers ont déjà un très bon niveau, mais leur formation n’est pas adaptée à la petite enfance. On n’y parle pas de la théorie de l’attachement ni de la biologie de l’attachement. Certains ont des maîtrises de linguistique ou d’histoire mais ils n’ont jamais tenu un enfant dans les bras. Ils n’ont donc aucune expérience vécue de ce qu’est un enfant. 

Il est capital de comprendre la sémiologie comportementale des enfants quand ils pleurent ou quand, au contraire, ils sont trop sages (car cela signifie qu’ils évitent les relations).

Les Atsem (agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, ndlr) sont également très demandeuses de ce type de formation. Leur rôle n’est pas assez reconnu alors qu’il est fondamental puisqu’elles servent de relais entre les familles, les enfants et les professeurs des écoles.

 

Il s’agit donc d’appréhender autrement la relation avec les élèves ?

C’est le deuxième point important soulevé lors des Assises de la maternelle, à savoir le ralentissement (des apprentissages, ndlr) qui sécurise les enfants.

Les pays du Nord ont adopté une telle conduite. Au bout de plusieurs années d’application, ils n’ont pu que constater les différents progrès : l’ambiance dans les écoles maternelles est grandement améliorée. Il n’y a pas un seul cri ni aucune brutalité relationnelle car les Atsem, les enseignants et même les parents comprennent mieux les enfants. Ils savent comment interagir avec eux. Ces pays observent également une réduction sensible de l’illettrisme et un mieux-être des anciens élèves de maternelle, une fois adolescents. »

 

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