DOSSIER

Les cantines n’ont pas encore trouvé la bonne recette !

dessin-vdp-403Elles font tellement partie du paysage que beaucoup de parents n’imaginent pas s’en passer. Les cantines n’ont pourtant aucun caractère obligatoire. Rien dans les textes n’oblige une commune, un département ou une région à mettre à la disposition de ses administrés un service de restauration dans les établissements scolaires dont il a la charge.

Dans la pratique, heureusement, la très grande majorité des collectivités locales ont mis en place des systèmes de restauration collective à destination des élèves dont l’utilité va bien au-delà de la seule aide aux parents qui travaillent. Les cantines sont aussi des lieux d’apprentissage de la vie en communauté, des endroits où l’on peut sensibiliser les jeunes à la nutrition et au gaspillage alimentaire. Elles jouent également un rôle central dans la lutte contre l’obésité ou contre la pauvreté. Mais encore faut-il qu’elles aient les moyens de jouer pleinement leur rôle. Or, si de belles initiatives voient régulièrement le jour, beaucoup de cantines n’ont toujours pas fait évoluer leurs pratiques.

 

 

Chaque jour, en France, plus de 6 millions de repas sont servis dans les restaurants scolaires. Un vrai succès ! Pourtant, pour les collectivités locales qui en ont la charge, proposer un service de restauration scolaire n’est pas une mince affaire. Il faut trouver des locaux, investir dans du matériel, recruter du personnel compétent. Il faut respecter des process stricts en matière d’hygiène, d’approvisionnement, de manipulation et de stockage des denrées, de tri des déchets, de traçabilité… Il faut par ailleurs s’assurer que les menus proposés soient variés, équilibrés et, conformément à la règlementation, composés de 4 ou 5 plats, dont un plat principal accompagné d’une garniture et un produit laitier, le tout en respectant un budget très strict. Il faut enfin organiser le service de manière à ce que tous les enfants aient le temps de manger sans se presser (un délai de 30 minutes, attente non comprise, est préconisé). Ces contraintes sont si lourdes qu’environ un quart des communes a fait le choix de déléguer cette tâche à des sociétés privées.

« Faire appel à un prestataire nous permet surtout d’avoir un interlocuteur unique et de profiter de services que nous ne pourrions pas assurer par nous-mêmes, comme l’organisation d’animations dans les établissements, la facturation mensuelle au repas consommé ou le paiement en ligne par carte bancaire ou par prélèvement, explique Martial Blanc, le responsable de la restauration scolaire des Hauts-de-Seine dont les services restauration de 66 collèges ont été confiés à la société Elior. En contrepartie, nous avons cinq agents qui tournent dans les collèges pour vérifier que tous les aspects du contrat sont respectés ».

 

HD-403---cantine-AFPDe nombreuses plaintes au menu

Il faut dire qu’en matière de restauration des enfants, peut-être plus que dans tout autre domaine, les attentes sont fortes. Et les plaintes fréquentes. Trop chère, trop bruyante, mal organisée, mal encadrée… les griefs faits aux cantines sont variés. Nombreux aussi sont ceux qui se plaignent de n’avoir pu y inscrire leur enfant faute de places ou d’accessibilité. A tel point que le médiateur de la République a dû, à plusieurs reprises, rappeler que le fait de refuser un enfant à la cantine pouvait être assimilé à une discrimination. Mais de tous les aspects, ceux qui reviennent le plus souvent sur la table sont liés à la qualité des plats proposés. Les aliments utilisés, leur goût et la taille des portions servies sont au centre de la plupart des récriminations.

« Si certains plats proposés sont bons, d’autres ne sont pas acceptables, soit parce que les recettes sont trop compliquées et inadaptées aux enfants, soit parce que leur réchauffage pose problème, confirme Peggy Piétré, parent d’élèves élue PEEP à Neuilly-sur-Seine (92) et membre de la commission départementale des menus. Je comprends que le fait de préparer certains plats en grandes quantités pose des difficultés, mais dans ce cas, il vaut mieux ne pas les mettre au menu. Je suis même certaine qu’il suffirait parfois de peu de chose pour améliorer le résultat, mais la société rechigne souvent à modifier sa manière de faire ».

« Il n’est pas évident de satisfaire tout le monde, nuance Martial Blanc. Il n’est pas rare que des élèves trouvent que certains plats ont trop de sauce alors que d’autres estiment qu’il n’y en a pas assez, que des collèges demandent plus de légumes alors que d’autres réclament des féculents à chaque repas. Nous cherchons sans cesse à améliorer la qualité des plats mais aussi du service. Nous formons régulièrement le personnel de manière à lui rappeler l’importance de bien remettre les plats en température et lui faire prendre conscience de l’importance de bien ranger les vitrines ou encore de bien expliquer aux adolescents ce qu’ils leur servent car tous ces gestes ont un impact sur la perception des plats servis ».

 

HD-403---cantine-3-SIPAUn début de prise de conscience

Serait-on néanmoins en train d’assister à un changement ? Toujours est-il que de plus en plus de collectivités, quelle que soit leur taille, cherchent à introduire dans leurs restaurants scolaires des produits labellisés, bio et produits localement. Ainsi, la ville de Saint-Etienne a été la première commune de plus de 100 000 habitants à proposer 100 % de produits bio dans ses cantines (1). Les 12 000 enfants du XVe arrondissement de Paris mangent des plats cuisinés sur place à partir de produits bruts provenant pour un tiers d’entre eux de l’alimentation durable.

Dans le village de Bonneville-la-Louvet, situé à la frontière entre le Calvados et l’Eure, une cantinière prépare chaque jour le repas pour 40 enfants. « Il y a quelque temps, elle préparait encore des confitures et des tartes à partir des pommes qu’elle ramassait dans le champs d’à-côté. Pour des questions de sécurité alimentaire, ce n’est plus possible, mais nous prenons toujours garde à ce que les produits viennent des alentours », assure un adjoint au maire.

Quant à la démarche « Monrestauresponsable », qui vise à engager un maximum de cantines dans une démarche responsable, elle a fait plus de 500 émules. Des prestataires privés surfent aussi sur cette tendance, à l’image de la société RPC basée dans l’Ain, qui s’engage à préparer les 26 000 repas quotidiens dont elle a la charge de façon traditionnelle, à partir de produits frais provenant à 80 % de producteurs situés à moins de 200 km de ses ateliers de production.

La multiplication de telles initiatives finit par avoir un réel impact sur la situation globale. Une étude du Conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) sur la restauration scolaire dans le secondaire notait qu’en 30 ans, les espaces de restauration s’étaient modernisés, les menus s’étaient diversifiés, et les plats étaient plus que jamais préparés à partir de produits frais et locaux.

 

HD-403---cantine-4-SIPADes gros écarts

Pour autant, cette amélioration globale ne doit pas cacher le fait que perdurent de fortes disparités. En fonction de la commune dans laquelle ils résident, de la collectivité qui gère leur restaurant, des élèves bénéficient de repas faits sur place à partir de produits frais alors que d’autres doivent toujours se contenter de nourriture confectionnée de manière complètement industrielle à partir de produits de basse qualité. Le prix du repas aussi peut varier considérablement. A tel point que, selon le Cnesco, les élèves issus de familles défavorisées seraient en moyenne deux fois plus nombreux que ceux des familles favorisées à ne pas manger à la cantine. Pourtant, le fait de bénéficier le midi d’un repas équilibré permet d’améliorer l’attention des élèves et de limiter l’absentéisme dû aux maladies. La cantine jouerait aussi un rôle important dans la lutte contre l’obésité et l’apprentissage de la citoyenneté (lutte contre le gaspillage notamment).

On le voit, la restauration scolaire joue un rôle essentiel dans le développement au sens large des enfants. Et si la responsabilité est collective, il revient aussi aux parents, quand la possibilité leur est offerte (dans les commissions menus par exemple), de peser pour garantir le meilleur dans l’assiette de leurs enfants.

 

Note

1 – Depuis, elle est revenue à un objectif de 80 % afin d’éviter de faire venir de l’autre bout du monde des produits qu’elle ne trouvait pas sur le territoire français.

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POINT DE VUE

Lydie Perrigault, responsable du restaurant scolaire Jean-Moulin, qui accueille chaque jour entre 620 et 700 enfants de primaire à Saint-Macaire en Mauges (49)

« Je ne servirai jamais de raviolis en boîte ! »

« Après avoir longtemps été géré par une association de parents d’élèves, notre restaurant scolaire est placé sous la responsabilité de la mairie depuis 2013. Mais si la gestion a changé, notre manière de faire est restée la même. Nous privilégions plus que jamais des aliments de qualité, si possible bio et produits localement et nous avons trois cuisiniers qui créent les recettes et confectionnent les plats sur place. Nous faisons nous-mêmes nos terrines de poissons, nos cakes, nos brownies, nos salades de crudités, etc.

Nous n’hésitons pas à introduire dans nos recettes des aliments que les enfants n’ont pas l’habitude de manger. Au début, quand nous avons servi un gratin de blettes, il en restait toujours. Mais après avoir amélioré la recette et resservi le plat plusieurs fois, ils en redemandaient.

Certes, notre organisation ne nous met pas à l’abri de problèmes d’approvisionnement. Il est déjà arrivé que des betteraves que nous avions commandées ne nous aient pas été livrées à cause de mauvaises conditions météo et nous servons rarement de salades car la production est insuffisante. Mais nous trouvons toujours une solution de rechange. En tout cas, il est hors de question de servir des nuggets, des raviolis en boîte ou des lasagnes surgelées.

Les prix à l’achat sont un peu plus élevés, mais en adaptant les quantités en fonction des plats proposés et des élèves, notre gaspillage se situe entre 7 et 30 grammes par élève (la moyenne nationale est de 115 g, NDLR), ce qui nous permet de maintenir le prix du repas. »

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ZOOM

Primaire, secondaire, les règles diffèrent

Alors que dans les écoles, les communes sont en charge de la cantine, la tâche est dévolue aux départements dans les collèges et aux régions dans les lycées. Mais entre le primaire et le secondaire, d’autres différences existent. Alors que dans le primaire, l’encadrement des cantines est assuré par la collectivité locale, dans les établissements publics de l’enseignement secondaire, ce sont le Conseiller principal d’éducation et les assistants d’éducation qui assurent la surveillance des élèves, qui restent sous la responsabilité de l’Education nationale. Enfin, si dans les deux cas le service peut être confié à un prestataire extérieur, dans le secondaire, le personnel reste obligatoirement sous l’autorité fonctionnelle du chef d’établissement.

 

HD-403---cantine-2Bio : l’objectif des 20% remis sur la table

Edicté comme une règle depuis longtemps, l’objectif d’utiliser un minimum d’aliments d’origine biologique dans les cantines n’était jusque-là pas contraignant. Cela devrait changer. La loi sur l’alimentation votée le 2 octobre dernier prévoit en effet qu’à partir de 2022, tous les services de restauration collective devront intégrer à leurs menus au moins 50 % de produits de qualité (Label rouge, produits fermiers, AOC…) et 20% de produits bio. Dès la rentrée prochaine, chaque cantine devra par ailleurs tester la mise en place d’un menu végétarien hebdomadaire. Un bilan complet de cette expérience sera réalisé au bout de 2 ans. Notons néanmoins que ce test ne devrait s’adresser « qu’aux collectivités qui proposent déjà deux menus ».

 

La fin du plastique est votée

Après des années de combat, l’association Cantine sans plastique a eu gain de cause. A partir du 1er janvier 2025 dans les villes de plus de 2000 habitants et trois ans plus tard dans les autres communes, les  services de restauration scolaire ne pourront plus utiliser des contenants en plastique pour cuisinier, réchauffer ou servir les plats. Ainsi en ont décidé in extremis les députés en votant mi-septembre cette disposition de la loi sur l’agriculture et l’alimentation. Il faut dire que l’utilisation du plastique a beaucoup d’inconvénients. Non seulement ces barquettes jetables sont incompatibles avec une politique d’économie circulaire digne de ce nom, mais surtout, en chauffant, elles libèrent des perturbateurs endocriniens aux multiples effets négatifs sur la santé. Les services de restauration vont donc devoir adopter des contenants en matériaux inertes qui, s’ils sont un peu plus chers à l’achat, peuvent être vite amortis.

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Des prix qui font le grand écart

 Fixés par les collectivités territoriales qui en ont la charge, les prix des repas facturés aux parents peuvent varier considérablement d’une cantine à l’autre.

Une étude menée en région Nouvelle-Aquitaine par le journal Sud-Ouest en janvier dernier révélait que le prix du repas facturé aux parents dans les communes de moins de 1 500 habitants s’élevait en moyenne à 2,59 euros et pouvait atteindre 3,55 euros. Dans les villes de plus de 5000 habitants, les écarts sont encore plus grands : de quelques dizaines de centimes à 5,88 euros.

Ces écarts sont notamment dus au fait que les villes peuvent plus facilement se permettre d’appliquer des tarifs différenciés en fonction des revenus des parents.

Dans le secondaire, le prix moyen d’un repas facturé aux familles tournerait autour de 3,30 euros selon le Cnesco, qui note que si des aides peuvent être octroyées aux familles en difficulté, les procédures pour les obtenir sont « lourdes et donc potentiellement dissuasives ». Le plan pauvreté annoncé le 13 septembre pourrait simplifier les choses puisqu’il prévoit pour toutes les familles défavorisées des repas à 1 euro dans les cantines. Reste à voir la mise en place effective de cette mesure…

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itw-403---gd-temoin-Sandra-GRAND TEMOIN

 Sandra Franrenet

« Les parents peuvent peser sur la qualité de la restauration scolaire »

Aliments de mauvaise qualité, plats mal préparés, l’état des lieux que vous faites des cantines scolaires en France est inquiétant. Quelles sont, d’après vous, les principales raisons qui ont mené à une telle situation ?

La multiplication des normes d’hygiène a contribué à  la situation de malbouffe que je dénonce. L’augmentation de la sécurité sanitaire s’est traduite par la fermeture de nombreuses cuisines intégrées au profit de grosses cuisines centrales dans lesquelles on se contente d’ouvrir des boîtes de conserve, de réchauffer des barquettes et de composer des plats à partir d’aliments déjà préparés. C’est Tricatel version restauration collective ! Les règles des marchés publics, non plus, n’ont pas amélioré la situation. Elles sont si strictes qu’elles jouent en faveur des gros distributeurs et ne permettent pas toujours de privilégier les petits fournisseurs locaux.

 

De plus en plus de cantines servent des produits labellisés. Cela va plutôt dans le bon sens, non ?

Les labels permettent surtout aux collectivités et aux industriels de rassurer les parents. Bien sûr que le bio va dans le bon sens mais pas n’importe lequel ! Les produits bio ultratransformés sont dénués de vitamines, de minéraux et d’anti-oxydants. Il faut exiger des produits bio bruts en provenance directe du producteur et que l’on va cuisiner sur place. Les labels ne doivent pas nous empêcher de réfléchir, or c’est exactement ce que l’industrie essaie de faire…

 

Que peuvent faire les parents d’élèves pour peser sur la qualité des repas servis ?

Je les invite à aller manger à la cantine de leur enfant, à se rendre dans les cuisines, à réclamer les fiches techniques des aliments pour contrôler la liste des ingrédients des plats servis et à discuter avec le personnel.

En tant qu’usagers d’un service public, les parents ont droit à ces informations. Ils peuvent peser ensemble sur la collectivité locale pour réclamer des changements en commençant par ce qui peut être modifié facilement (remplacer les yaourts aromatisés par des yaourts nature avec une dosette de sucre, par exemple) puis en montant crescendo (comme faire interdire les barquettes en plastique). Selon les cantines, les actions à mener sont très variées.

 

N’y a-t-il pas un risque qu’on leur oppose systématiquement des problèmes de budget ?

Il y a des années, on réussissait à confectionner sur place de bons repas. Il n’y a pas de raison pour qu’on ne puisse pas le faire aujourd’hui. Qui plus est, certaines cantines sont parvenues à améliorer la qualité des repas sans en augmenter le prix, notamment en travaillant sur le gaspillage alimentaire. C’est d’abord une question de volonté politique.

 

BIO

403---LeLivreNoirDesCantineAprès avoir soutenu une thèse sur l’éthique médicale et avoir travaillé dans l’humanitaire, Sandra Franrenet est devenue journaliste. C’est en s’interrogeant sur ce que mangeait sa fille à la cantine qu’elle s’est penchée sur le sujet de la restauration scolaire. Elle est l’auteure du « Livre noir des cantines scolaires », chez Leduc.s Editions.

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