EDUCATION

Education à la sexualité : une démarche qui divise

HD-403---educ-sex-AFPLes cours d’éducation à la sexualité ont récemment été remis sur le devant de la scène. Leur objectif est de favoriser la parole des élèves en abordant notamment le respect des uns et des autres et le vivre ensemble. Le discours doit être adapté à chaque âge. Pourtant, malgré cette précaution, tous les élèves ne sont pas forcément prêts à y assister.

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Au collège Jules Verne à Paris 12e, c’est l’heure du cours d’éducation à la sexualité. L’infirmière scolaire et une conseillère conjugale du planning familial reçoivent une vingtaine d’élèves, les installent en arc de cercle autour d’elles. L’un d’entre eux se saisit d’une boîte et y tire une carte pour la lire à voix haute : « une fille qui porte une mini-jupe cherche à provoquer ». Cet élève doit réagir à cette affirmation : est-il d’accord ? Ou non ? Pourquoi ? Ses camarades expriment ensuite leur propre avis. Ensemble, les élèves échangent et débattent. Ce temps de réflexion collectif a été mis en place il y a quelques années maintenant au sein du collège. Il colle parfaitement à l’actualité et aux prérogatives du ministère de l’Education nationale.

En effet, en septembre dernier, une circulaire est venue recadrer le fond et la forme de l’enseignement à la sexualité. En cause ? L’annonce de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes, d’une circulaire aux recteurs leur demandant de mettre en œuvre la loi Aubry du 4 juillet 2001, relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. Le texte prévoit trois séances annuelles d’éducation à la sexualité, de l’école au lycée. Durant l’été, les réseaux sociaux se sont enflammés, laissant libre cours à de nombreuses rumeurs sur Internet. Face à ces vifs émois, le ministère de l’Education nationale a dû clarifier les choses dès la rentrée. « Il n’y aura pas d’éducation à la sexualité explicite à l’école primaire, rien qui heurte le bon sens de tout père ou mère de famille », a alors assuré Jean-Michel Blanquer lors d’une conférence de presse.

Dans les faits, la loi Aubry est restée très peu appliquée jusqu’à présent. Pourtant, déjà en 2003, une circulaire vient la compléter, précisant que « l’éducation à la sexualité doit également susciter la réflexion des élèves (…) et les aider à développer des attitudes de responsabilité individuelle, familiale et sociale ». C’est donc cet aspect que le gouvernement souhaite voir mieux appliqué, notamment dans un contexte social tendu, où les relations hommes / femmes, et donc garçons / filles sont au cœur des discussions.

 

HD-403---educ-sex-3Déconstruire les stéréotypes

Alors, concrètement, sur quoi vont porter ces cours d’éducation à la sexualité ? « Au primaire, il s’agit de répondre aux questions des enfants. Par exemple, les garçons et les filles peuvent-ils être amis ? Est-ce que les garçons ont le droit de soulever les jupes des filles ? Ce sont des questions issues de leur quotidien », partage Caroline Rebhi, co-présidente du Planning Familial. Ce dernier intervient en effet soit pour proposer une approche pédagogique sur des sujets-clés, soit à la demande des chefs d’établissement en collège et lycée en cas d’événement important (comme une élève qui tombe enceinte, par exemple). Les conseillers du planning familial travaillent souvent en partenariat avec l’infirmière scolaire ou même les enseignants, surtout en primaire.

Auprès des plus jeunes, il s’agit d’aborder des situations concrètes pour mettre en lumière des sujets tels que l’égalité et le respect de l’autre. Ces séances permettent notamment de déconstruire les stéréotypes sur les filles et les garçons. « Notre objectif est de faire parler les enfants. Nous traitons aussi de l’anatomie à partir de dessins pour amener les enfants à mieux connaître leur corps. Ces séances permettent même d’agir sur le dépistage des violences. Il nous est déjà arrivé de nous rendre compte d’incestes ou de violences à la maison en abordant le sujet de la propreté… », complète Caroline Rebhi.

Pour les plus grands, au collège et au lycée, sont abordés des thèmes plus précis : puberté, émotions liées à la sexualité, pornographie ou encore discriminations. Des questions liées aux droits, comme rendre accessible la contraception d’urgence, peuvent aussi être évoquées. « Ce qui est important, c’est de répondre aux questions dès le moment où les élèves se les posent, sinon cela crée des tabous », poursuit Caroline Rebhi. Une démarche qu’approuve Elsa, collégienne dans le Var : « il faut parler de ces sujets car le débat est la meilleure des solutions pour échanger entre nous. Pour qu’il soit vraiment intéressant, il faut vraiment l’ouvrir aux questions que se posent les jeunes, sans intervenants qui soient vieux-jeu », confie-t-elle.

Ces séances d’éducation à la sexualité sont donc adaptées aux classes d’âge et elles s’organisent le plus souvent autour des questions des élèves. Mais là encore, l’organisation même de ces séances divise. Pour certains spécialistes, il faut respecter le rythme de chaque enfant et ne pas en faire un enseignement systématique, ni obligatoire. C’est ce que défendent le docteur Eugénie Izard, pédopsychiatre et Hélène Romano, psychothérapeute : parler de prévention oui, sans pour autant aborder des sujets trop intimes qui déstabiliseraient l’enfant ou l’adolescent qui ne souhaiteraient pas aborder le sujet. « La difficulté actuelle c’est que les élèves n’ont pas réellement une parole libre à ce sujet puisque ces séances sont obligatoires. Si pour certains, parler et échanger avec d’autres est vécu positivement, pour d’autres c’est un cauchemar, car la parole prise par un est entendue de tous », commente Hélène Romano.

 

Privilégier des séances facultatives ?

Tous les jeunes ne sont pas forcément au même niveau concernant ce sujet. Si les plus précoces doivent obtenir des réponses à leurs questions, il faut également respecter les autres, respecter leur rythme et leur appréhension du sujet. « Les cours « d’éducation à la sexualité » sont des apprentissages qui doivent relever de la sphère publique, développe Eugénie Izard. Aussi apprendre aux enfants à respecter les autres et à contenir leur monde pulsionnel, c’est leur apprendre qu’on ne parle pas de pratique sexuelle en public, donc encore moins dans une classe. La meilleure façon de leur apprendre, c’est de ne justement pas le faire dans ces cours. Par contre, informer sur la prévention (ce qui appartient au discours public) oui, et en le faisant en fonction des besoins et des âges, c’est une nécessité ».

En effet, parmi les premiers concernés, certains avouent être parfois frileux à l’idée de séances collectives. « Une explication sur les règles, les hormones ou la puberté serait bien plus utile aux adolescents qu’un exposé sur comment mettre un préservatif. Quand on est encore un peu enfant dans sa tête, ça peut vite devenir déstabilisant », partage Héloïse, collégienne en région parisienne.

Le flou persiste donc autour des cours d’éducation à la sexualité. Il faudrait à la fois se mettre d’accord sur leur contenu, leur fréquence, leur caractère obligatoire. « Ces cours ont une place à l’école, car ils ont une visée pédagogique et de santé publique, affirme Caroline Rebhi. Le problème est que le terme est peut-être mal emprunté et qu’il provoque une confusion dans l’esprit des gens. Sexualité ne veut pas dire rapports sexuels. La sexualité des enfants est avant tout psychologique. Elle n’a rien à voir avec celle des adultes. » Pour mieux accepter ces cours, selon l’experte, il faudrait soigner l’information qui est transmise auprès des parents. « Ils ont beaucoup de questions légitimes, car ils ne savent pas comment aborder le sujet. Personne ne nous apprend à parler sexualité avec nos enfants », ajoute Caroline Rebhi. En plus des cours d’éducation à la sexualité des élèves, une séance annuelle d’information auprès des adultes permettrait non seulement de démystifier ces cours, mais aussi de répondre à leurs questions de parents.

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POINT DE VUE

Yann Cottet, principal adjoint au collège Jules Lequier, à Plérin-sur-Mer (Côtes d’Armor)

Comment l’établissement aborde-t-il l’éducation à la sexualité ?

L’action phare de l’établissement se fait en 5e. Elle dure trois heures pour chacune des classes. Chaque séance comprend un temps de travail entre garçons et entre filles, où ils abordent les changements physiques propres à la puberté. Ils reviennent aussi sur d’autres changements liés à l’adolescence, qui sont de l’ordre du comportement et de l’évolution des relations entre eux.

Ensuite, nous prévoyons un temps de restitution où tous les élèves sont réunis : ensemble, ils échangent sur les points qu’ils ont abordés. Les élèves en viennent à analyser certaines situations également, comme des cas de harcèlement par exemple.

 

Comment sont préparées ces séances ?

Le souci est à chaque fois de faire le lien avec les enseignements qui sont dispensés en classe : la SVT pour les changements physiques ou physiologiques, l’éducation morale et civique pour ce qui relève de l’aspect citoyen. L’objectif est de susciter l’adhésion des élèves et leur prise de parole. Il faut qu’ils soient acteurs : nous partons donc de leurs questionnements.

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ZOOM

Quelle formation pour les enseignants ?

« Parler d’éducation à la sexualité à l’école, c’est d’abord former les enseignants pour que ça soit fait dans le respect de l’élève et dans celui de l’enseignant. Si ce dernier ne sait pas comment aborder le sujet, il sera mis en difficulté », affirme Karine Guého-Liguet, chargée de mission inspection SVT à l’académie de Rennes. Elle participe à un comité de pilotage sur l’éducation à la sexualité, dont le rôle est de donner les clés aux enseignants, CPE ou infirmières scolaires pour mieux parler d’éducation à la sexualité. La formation vient en effet en aide à ceux qui sont volontaires, qu’il s’agisse d’encadrer des séances d’éducation à la sexualité ou à les intégrer dans un enseignement.

« L’accent est mis sur la dimension psycho-affective et la dimension sociale, le volet biologique étant, lui, déjà inscrit dans les programmes. Nous voulons montrer aux enseignants qu’ils sont tous impliqués dans l’éducation à la sexualité car il ne s’agit pas d’une mécanique sexuelle mais d’apprendre la responsabilité, le respect mutuel, apprendre à dire non, etc. », précise Karine Guého-Liguet.

De plus en plus de volontaires souhaitent suivre les formations de l’académie, démontrant ainsi que les cours d’éducation à la sexualité gagnent en importance au sein des établissements scolaires.

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Itw-403---sexualite-CGATEMOIGNAGE

Christine Gibon-Alphand, principale du collège Jules Verne, à Paris 12e

« Lors de mon arrivée à la tête de l’établissement il y a trois ans, le collège allait mal. Nous avons alors décidé avec mon équipe de mettre en place une démarche de prévention globale pour apaiser le climat scolaire. Nous avons ainsi pu libérer la parole des élèves, lors de séances telles que celles sur l’éducation à la sexualité. La main est laissée à notre conseillère conjugale, intervenante du planning familial, en lien avec l’infirmière scolaire. Ce sont elles qui décident des thèmes abordés, âge par âge. Les séances sont organisées en demi-groupes. La plupart d’entre elles s’appuient sur la mise en place d’une boîte où les élèves tirent au sort des affirmations. A partir de cette phrase, ils débattent. Chacun est invité à s’exprimer, même si ce n’est que pour dire « oui » ou « non ». Les élèves parlent ainsi des représentations qu’ils se font, notamment en ce qui concerne les rapports garçons/filles.

Aucun enseignant n’est associé à la démarche, pour qu’il n’y ait pas de gêne au niveau des élèves. Par ailleurs, ce programme a été présenté aux parents élus : ils sont satisfaits de cette démarche. »

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