EDUCATION

Transports scolaires : les parents montent au créneau !

HD-403---transport-AFPPartout en France, des parents d’élèves signalent des soucis de transport scolaire. Alors que les Régions sont entrées en jeu, l’essentiel des problèmes se concentre du côté des agglomérations. Comment expliquer que des enfants d’un même établissement ne bénéficient pas des mêmes conditions de confort et de sécurité ? Peut-on améliorer les choses ?

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« Le transport scolaire connaît beaucoup de ratés dans nos agglomérations ! » Solange Beziau, présidente de la Peep de Charente-Maritime, ne décolère pas. Depuis deux ans, elle identifie de nombreux dysfonctionnements : « des lignes qui se mettent en place trois semaines après la rentrée, des bus qui ne respectent pas leur itinéraire ou oublient des arrêts… » Plus grave : elle pointe des « problèmes de sécurité » : « A Rochefort, les jeunes restent debout dans des bus qui roulent à 70 km/h sur des routes rurales. Le mercredi midi, on a vu des enfants qui ne pouvaient pas monter dans les véhicules, et restaient à attendre sur le trottoir. »

Ce cas n’est pas isolé. « Depuis deux ans, les élèves sont en surnombre dans des bus de l’agglo », regrette Laurence Estève, ancienne responsable Peep à Carcassonne. Eric Cherruault, président de la Peep 57, liste les soucis du côté d’Hayange : « Depuis que le transport a basculé au sein de la Communauté de communes, les horaires ne sont plus aussi bien adaptés, les enfants attendent plus, les trajets sont plus longs… » Bref, « la rentrée est mauvaise », regrette Eric Breton, directeur des études de l’Anateep, association nationale dédiée au transport scolaire (lire son interview page suivante). « On constate un accroissement des problèmes en zone urbaine. Des enfants se retrouvent entassés, debout, dans des bus. »

 

Un choc pour les villages

Que s’est-il passé ? « Une réforme en a caché une autre » analyse l’Anateep. La loi Notre, en vigueur depuis le 1er septembre 2017, a rebattu les cartes. En transférant la compétence Transport des Départements aux Régions, elle a provoqué des réactions en chaîne. Beaucoup d’agglomérations et communautés de communes ont alors choisi, comme la loi le leur permettait, de reprendre les transports sur leur périmètre.

Et avec l’agrandissement des intercommunalités, l’enjeu est devenu majeur. « À partir de 2016, il y a eu plus d’enfants transportés en agglomération qu’hors agglomération, précise Eric Breton. Il s’est opéré une véritable bascule. » De quoi provoquer un choc pour beaucoup de villages. « Les intercommunalités ont intégré de plus en plus de communes rurales, parfois très éloignées des centres urbains. Mais le service du transport scolaire ne s’est pas adapté. On tente d’appliquer aux zones rurales les fonctionnements des zones denses. »

Pour Solange Beziau, il y a sans doute un problème d’expertise : « Les intercommunalités n’étaient sans doute pas prêtes à gérer cette compétence. Cela s’est fait trop vite, et élèves et parents en pâtissent. » Une idée partagée par Vincent Breteau, directeur général adjoint en charge des Transports de la région Normandie : « Planifier des circuits, s’assurer de l’adéquation entre les véhicules et le public à transporter, cela s’apprend. Un car, cela coûte 200 000 euros par an. Les financements des agglos étant limités, elles ont été amenées à faire des choix. »

 

HD-403---transport-4-sourceVide juridique

Face à cette situation, des collectifs de parents se mobilisent. À l’image de « Touche pas à mon car », qui réunit 200 parents de Rochefort. Une réaction à « une dégradation du service », explique son fondateur Franck Louvrier. « Jusqu’en juin 2017, on dépendait du Département : nos enfants partaient au collège dans des cars, assis, avec une ceinture de sécurité. En septembre 2017, l’agglo a récupéré la compétence. Sur les mêmes routes de village, le même circuit a alors été assuré par des autobus de ville. Une majorité d’enfants voyagent donc debout, à 70 km/h sur des routes de campagne ! » Ce qui l’inquiète beaucoup : « Statistiquement, des accidents vont avoir lieu un jour. Imaginez un choc frontal avec trente enfants debout. Le risque d’éjections est démultiplié ! » Après avoir sollicité élus, préfet et même les ministères, il a déposé en avril 2018 un recours au tribunal administratif. Son espoir : que le juge oblige l’agglo à repenser le service. Car il existe un « vide juridique ». Si le transport scolaire est réglementé par le Code des transports, les intercommunalités peuvent s’affranchir de certaines règles : il suffit de déclarer que la ligne transportant les élèves fait partie du « réseau classique ».

« L’Anateep demande régulièrement à ce que toutes les lignes transportant essentiellement des scolaires dépendent du même cadre », rappelle Eric Breton. Son association tente donc de sensibiliser les élus avec un guide de recommandations. Si beaucoup suivent ses principes, d’autres répondent avoir « la loi de leur côté » ! « Pour des raisons économiques, certains contournent les règles, en niant la vocation scolaire d’une ligne. » Un problème signalé par Franck Louvrier. « On parle de pseudo lignes classiques, qui transportent 100 % de scolaires. Si on ne fait rien, on ne reviendra jamais en arrière. »

 

Des services inégaux

À côté des intercommunalités, les Régions complètent désormais l’offre de transport scolaire. Et à la différence des agglos, celles-ci ont pu préparer la transition, s’appuyant sur l’expérience des Départements. « On a évité un big bang régional, souffle Eric Breton. Le transfert de compétences a été bien assumé. » D’ailleurs, le changement est peu perceptible : abonnements, subventions ou itinéraires ont peu évolué. « Souvent, les parents n’y ont vu que du feu », sourit Franck Dhersin, vice-président aux Transports de la Région Hauts-de-France. Avant de poursuivre : « On s’inscrit dans la continuité, en reprenant pour le moment l’organisation des Départements. On a récupéré les agents départementaux spécialistes des transports. Ils connaissent le sujet sur le bout des doigts, et sont en lien avec le terrain. Cela facilite la transition. » En Normandie, Vincent Breteau confirme : « Nous reprenons des services qui fonctionnaient plutôt bien. On ne voulait pas tout bousculer. » Seuls les tarifs ont parfois évolué, avec l’arrivée de plafonnements, ou même de la gratuité (voir encadré).

Sur le terrain, le niveau de service n’a donc rien à voir, entre les cars régionaux et les bus de ville. « Dans le même collège, des enfants de villages voisins sont transportés différemment, selon que leur commune fasse partie de l’agglo ou non, se désole Franck Louvrier. Il y a un problème d’égalité entre usagers. Certains ont le droit à la sécurité, d’autres non. » De quoi interpeller Franck Dhersin, l’élu aux Transports des Hauts-de-France. « On est dans la caricature du millefeuille administratif français… » Il juge que la mobilisation des parents éclaire « un problème majeur » : « Les routes de campagnes sont très accidentogènes. Y transporter des enfants debout, c’est scandaleux ! On ne peut pas gérer le transport scolaire comme une ligne classique… »

 

HD-403---transport-3-sourceGrenoble, exemple à suivre

Certaines villes l’ont compris, selon Eric Breton. « Des agglos et métropoles font du bon travail : Grenoble, Cholet, Nantes… En Seine-et-Marne, plusieurs villes ont testé les bus, et sont revenues aux cars ! On n’a rien contre les bus, mais ils doivent servir uniquement pour la desserte de proximité. »

L’exemple à suivre selon l’Anateep : le SMTC, syndicat mixte gérant depuis 34 ans les transports scolaires du Grenoblois. Ici, difficile de trouver un parent mécontent. Et ce n’est pas une surprise : le syndicat mixte est membre de l’Anateep, qui forme régulièrement ses agents ! La recette du SMTC ? S’adapter aux situations de chacun. Au réseau classique, qui assure les liaisons de proximité, viennent s’ajouter 61 lignes « Sacado », des cars desservant les communes plus éloignées. En plus, des aides financières sont proposées aux familles les plus modestes ou isolées. Et Yann Mongaburu, président du syndicat mixte, prend la sécurité au sérieux : « Pour les routes dont la limitation dépasse 50 km/h, il semble une évidence d’utiliser des cars, avec places assises et ceinture de sécurité », souligne-t-il. Des « comités de déplacement » réunissant élus et usagers, dont les parents d’élèves, sont même consultés régulièrement. « Ils font remonter les difficultés, ce qui permet des ajustements dès la rentrée », certifie le président.

 

Plus de cohérence

En Occitanie, on va reproduire le modèle grenoblois. D’ici la fin de l’année, des Commissions départementales des transports scolaires regrouperont élus, représentants des parents d’élèves, transporteurs et Éducation nationale. « Elles s’exprimeront sur tous les sujets, promet Jean-Luc Gibelin, vice-président aux Transports en Occitanie. On veut co-élaborer le fonctionnement du service régional, en partant de l’existant et des principes de l’Anateep. » Les parents d’élèves auront un droit de vote important sur l’organisation des circuits, les arrêts et horaires, et même les demandes de dérogations. « L’objectif sera d’atteindre un consensus dans les décisions », confie l’élu.

Comment résoudre les inégalités ? Hubert Salaün, administrateur de la Peep, propose de confier l’intégralité de la compétence Transports aux Régions. « Elles s’occupent déjà de la formation, des lycées. Cela semblerait plus cohérent. » L’idée séduit les élus Jean-Luc Gibelin et Franck Dhersin, qui y voient « une solution efficace pour plus d’équité territoriale ». D’autant que cela réglerait une « inégalité tarifaire », note Eric Breton. « On va vers deux poids et deux mesures, avec la gratuité dans les régions, et des abonnements souvent chers dans les agglomérations. Cette situation exaspère les familles : elles veulent de la cohérence ! »

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itw-403---anateepPOINT DE VUE

Eric Breton, directeur des études de l’Anateep, Association nationale pour les transports éducatifs de l’enseignement public

« On revient 30 ans en arrière ! »

Pourquoi l’Anateep parle de « mauvaise rentrée » ?

On n’a jamais eu autant de remontées d’informations sur des enfants entassés, fatigués et stressés dans les transports de nombreuses agglomérations. Aujourd’hui, nous sommes dans une période de régression, et je mesure mes mots ! Le service a pris un sérieux coup dur. On revient 30 ans en arrière…

 

Faut-il s’inquiéter ?

Un enfant debout dans un bus, sur 30 km de route rurale, c’est un danger ! On préfère éviter un drame. Ce n’est pas grand-chose ce que l’on demande. Un gamin, qui va passer 7 heures en cours, devrait pouvoir être transporté assis.

 

Comment expliquer ces difficultés ?

Si les régions semblent bien assurer leur rôle, les différentes réformes ont désorganisé les transports dans les zones urbaines. Le souci, c’est que métropoles et agglomérations n’ont pas la fibre du transport scolaire. On peut le constater avec la hausse des correspondances, qui rallongent la durée des transports. C’est consternant.

 

Que faut-il faire ?

L’Anateep diffuse un guide à l’usage des décideurs locaux. On tente de conseiller les élus. Ils ignorent qu’en cas d’accident, ce sont eux qui seront inquiétés en premier. Mais notre travail de persuasion n’est pas suffisant. Il faut une mobilisation citoyenne, que les parents fassent remonter les problèmes. Un certain nombre de collectifs se créent, et dénoncent les problèmes de coûts, de sécurité… On pourrait créer un observatoire du transport scolaire avec les fédérations de parents d’élèves. Sans cela, la qualité du transport va continuer à se dégrader.

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ZOOM

Vers un transport gratuit ?

C’était une demande de l’Anateep, jugeant que le transport scolaire est une « prolongation du service public de l’Éducation ». Depuis le 1er septembre 2017, la Région Centre a rendu gratuits les transports scolaires pour ses 108 000 élèves, moyennant une participation aux frais de 25 euros par enfant. Un modèle qui satisfait Hubert Salaün, administrateur de la Peep. « Cela permet aux parents de faire des économies. Avec une participation symbolique, on a le droit de s’exprimer. »

D’autres régions vont suivre. D’ici la fin du mandat, l’Occitanie intégrera le même principe pour ses 400 000 élèves. En 2020, les Hauts-de-France appliqueront une « gratuité absolue ». « Cela nous coûte 5,5 millions d’euros, mais c’est un vrai geste pour 212 000 enfants et leurs familles », glisse Franck Dhersin, élu aux transports, évoquant la « volonté politique de favoriser les territoires peu denses ». Mais la mesure fait encore débat. Plusieurs Régions refusent ce principe de gratuité. Ainsi, en Normandie, le tarif devrait simplement être « harmonisé ».

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Ra-2018---H-SALAUNSmallAVIS

Hubert Salaün, administrateur national de la Peep, spécialiste des transports

 « Une paupérisation du service »

« Ce n’est pas à nous, parents d’élèves, de nous préoccuper des conséquences de la répartition des compétences du Transport scolaire. On ne peut que constater une paupérisation du service. Il est difficile de comprendre comment, dans une même région, on peut avoir des différences de tarifs ou de service aussi importantes. Il y a un problème de lisibilité, de compréhension. Dans un établissement, le tarif de la cantine est le même pour tous. Pourquoi n’est-ce pas le cas pour le transport ?

La Peep est intervenue sur la question de la sécurité. Nous avons des remontées sur les conditions de transport debout, sur des conducteurs qui demandent leur chemin aux enfants ou déposent les jeunes en pleine campagne, alors qu’il fait nuit ! Pourquoi les bus ne sont pas équipés de GPS ? Il faut former et donner les moyens aux chauffeurs d’assurer le service en toute sécurité. Surtout, il est urgent d’améliorer et simplifier les choses pour les utilisateurs. Même si c’est plus complexe à organiser pour les autorités ! »

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