DOSSIER

L’enseignement professionnel au centre des attentions

LVDP-398---Faut-grandirC’est l’une des priorités du ministre de l’Education nationale. Que ce soit lors de sa conférence de rentrée, le 29 août, ou quelques jours plus tard à l’occasion d’un déplacement dans un lycée parisien, Jean-Michel Blanquer n’a cessé de réaffirmer son intention de réformer la filière professionnelle. Le ministre souhaite en faire une « filière d’avenir » en modernisant les enseignements dispensés dans les CAP et en les articulant mieux avec l’apprentissage. Augmenter le nombre de filières formant aux métiers d’avenir ou manquant de main d’œuvre et faire de la voie professionnelle « une vitrine du savoir-faire à la française » comptent aussi parmi les objectifs affichés. Pour autant, le pari est loin d’être gagné. Car elle a beau avoir beaucoup évolué, elle a beau offrir de séduisants débouchés, la filière professionnelle n’a toujours pas réussi à se défaire totalement de son image négative qui lui colle abusivement à la peau.

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HD-398---dossier-pro-3-AFPChaque année, un tiers des lycéens se tourne vers la filière professionnelle. Celle-ci s’intègre juste après la classe de troisième. L’élève qui choisit cette voie peut tenter de décrocher en trois ans l’un de 80 bacs professionnels formant à des métiers dans des domaines aussi divers que la fonderie, la bio-industrie, le cuir ou l’aéronautique. Au cours de sa formation, il passera aussi le BEP, qui n’est pas obligatoire pour obtenir le bac. L’élève peut aussi choisir de se lancer dans la préparation en deux ans de l’un des 160 Certificats d’aptitude professionnelle (CAP). Ce diplôme s’adresse surtout aux jeunes souhaitant s’insérer rapidement dans le monde du travail.

Le bac pro et le CAP se préparent dans un lycée professionnel (mais aussi en centre de formation des apprentis, par la voie de l’apprentissage – lire en encadré). Les enseignements alternent des cours théoriques et des travaux pratiques en atelier, en laboratoire, en salle informatique ou sur un chantier, selon la spécialité choisie. Les programmes de CAP sont particulièrement orientés « métier » alors que ceux du bac professionnel font une large place aux enseignements généraux (français, mathématiques, langues vivantes, etc.). Les deux filières font aussi la part belle aux stages : 12 à 16 semaines sur 2 ans pour le CAP et 22 semaines sur 3 ans pour le bac pro.

 

Des efforts qui paient

Jean-Michel Blanquer n’est pas le premier ministre de l’Education nationale à faire de la voie professionnelle l’une de ses priorités. Elle est même régulièrement au centre des attentions. Ces dernières années, la préparation au bac professionnel est passée de 4 à 3 ans pour se calquer sur celle des autres bacs, généraux et technologiques. Tous les lycées professionnels doivent par ailleurs porter une attention particulière à l’accueil des élèves en organisant des portes ouvertes et des journées d’intégration. Les partenariats avec les autres établissements et avec les entreprises ont été multipliés, le suivi des élèves au quotidien a été renforcé et des mesures ont été prises pour mieux détecter les décrocheurs et éviter qu’ils n’abandonnent leurs études.

Résultat : plus les années passent et plus la filière professionnelle séduit les élèves soucieux de se former rapidement à un métier ou ne se sentant pas à l’aise dans la voie générale ou technologique. Les enseignements plus centrés sur les métiers et la grande disponibilité des enseignants font aussi partie de ses atouts, tout comme le travail en atelier et les larges périodes de stage qui donnent du sens aux apprentissages, développent l’autonomie et leur font mettre un pied dans le monde du travail.

 

HD-398---dossier-pro-4Le droit à l’erreur reconnu

L’autre point fort de la filière pro, c’est son réseau de passerelles qui permet, par exemple, à un élève ayant obtenu son CAP de passer en première professionnelle ou à un jeune de filière pro de basculer en première technologique. Chaque élève a par ailleurs jusqu’aux vacances de la Toussaint pour demander à changer de spécialité ou à réintégrer la filière générale et technologique s’il se rend compte qu’il n’est pas à sa place – ce que l’on appelle « le droit à l’erreur ».

La voie professionnelle est enfin celle qui, incontestablement, ouvre directement les portes de l’emploi. Une fois le bac pro ou le CAP en poche, les jeunes diplômés peuvent intégrer directement le monde du travail, avec de bonnes chances de réussite (lire encadré Débouchés ci-dessous). « Dans les métiers de bouche, on a du mal à recruter, explique le responsable du magasin Intermarché de Pont-Audemer (27). Accueillir des élèves de la filière professionnelle en stage ou en apprentissage, c’est l’occasion de leur montrer qu’en grande surface aussi, on manipule les produits. Et s’ils font l’affaire, on espère bien les recruter quand ils auront fini leurs études ». Ceux qui préfèrent peuvent poursuivre leurs études, le plus souvent vers un BTS, pour décrocher un diplôme de niveau bac + 2 et s’ouvrir de nouvelles perspectives.

 

HD-398---dossier-pro-2-SIPAEncore du chemin à parcourir

Pour autant, la filière professionnelle a encore de grands défis à relever. Trop d’élèves l’intègrent encore parce que leurs résultats scolaires sont insuffisants pour poursuivre leur scolarité dans la voie générale et technologique ou bien se retrouvent dans une filière qu’ils n’ont pas choisie parce qu’ils ne savaient pas ce qu’ils voulaient faire ou faute de place dans celle qu’ils visaient. « La demande est extrêmement variable en fonction des filières, explique Pierre Filet, proviseur du lycée professionnel Les Huisselets à Montbéliard (25). Dans mon établissement, par exemple, la filière Sécurité est tellement sollicitée que seul 1 postulant sur 6 est accepté et que nous sommes obligés d’organiser des entretiens pour valider la présence des pré-requis. Pour les jeunes qui sont écartés, c’est dur car pour la plupart d’entre eux, c’est vraiment ce qu’ils voulaient faire. Pour chacun, nous essayons de trouver une solution acceptable, mais ce n’est pas toujours évident. Dans le même temps, nous avons beaucoup de mal à recruter des jeunes pour notre filière Pressing alors qu’il y a du travail à la clé. Quant à notre filière Gestion administration, elle accueille pas mal de jeunes qui ne l’ont pas forcément choisie, mais qui, finalement, y trouvent leur compte. »

Un gros travail sera nécessaire pour faire de la voie professionnelle une véritable « filière d’excellence ». Il va surtout falloir changer un regard pour le moins condescendant qui persiste dans une partie des élites. Le 30 août dernier, à la journaliste Léa Salamé qui lui demandait pourquoi il n’avait pas poussé ses enfants vers l’apprentissage, le Pdg de Veolia, Antoine Frérot, déclarait au micro de France Inter que « la question ne s’était pas posée » dans la mesure où ils « étaient brillants à l’école ». Une phrase qui en dit long sur le chemin qu’il reste à parcourir pour qu’enfin la filière professionnelle soit reconnue à son juste niveau.

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ZOOM

Des diplômes spécifiques « agricoles »

Les élèves qui souhaitent se former aux métiers de l’agriculture doivent emprunter une filière à part. Après la troisième, ils peuvent viser soit le Certificat d’aptitude professionnelle agricole (CAPA), soit le bac professionnel. Le premier se prépare en 2 ans et permet de travailler comme ouvrier qualifié. Le second, qui se décroche au bout de 3 ans d’études, forme des employés hautement qualifiés et des responsables d’exploitation agricole. A partir de la seconde, l’élève doit choisir un champ professionnel (nature, production animale, végétale, vente…) lui permettant d’accéder à la spécialité du bac qu’il aura choisie (forêt, élevage, vigne, etc.). Une fois le bac pro en poche, le jeune peut intégrer le marché du travail ou poursuivre ses études en BTS ou BTS agricole pour accéder à des métiers de responsabilité ou d’encadrement.

 

Un portail de l’alternance

Comment formaliser un contrat en alternance ? Quel type de contrat et combien de temps ? Quels sont les avantages pour les apprentis ? Qui peut m’aider dans ma recherche ? Le portail officiel de l’alternance, alternance.emploi.gouv.fr, propose une mine d’informations pour les jeunes tentés par une formation en apprentisssage. A noter : quelque 7 000 offres de contrats en alternance (contrat d’apprentissage et contrat de professionnalisation) sont disponibles sur le site.

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398-_DOss-Joel-LamoiseTEMOIGNAGE

Joël Lamoise, proviseur du lycée général, technique et professionnel Pierre Mendès-France d’Epinal (88) et secrétaire national du Syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale (SNPDEN)

« Même s’ils sont loin d’être majoritaires, on ne peut pas cacher le fait que certains élèves sont ici contre leur gré. Mais en filière professionnelle, les compteurs sont remis à zéro. Nous ne regardons pas le passé, nous tenons compte uniquement des aptitudes et de la motivation. Notre objectif est d’emmener chacun d’entre eux jusqu’au diplôme, voire au-delà vers des études supérieures. Cela passe par des échanges entre les nouveaux élèves et les anciens. Pour cela, nous organisons des journées d’intégration. Le fait que le lycée intègre des filières de bac pro, des CAP et des classes préparatoires aux écoles est aussi un atout. Certains ont envie de s’accrocher parce qu’ils voient d’autres jeunes obtenir leur diplôme et poursuivre leurs études. La réussite passe également par un suivi personnalisé de chaque lycéen, avec une attention particulière portée aux élèves de première dont certains envisagent d’abandonner leurs études après avoir goûté au travail en entreprise. Nous passons beaucoup de temps à repérer ceux qui sont sur le point de décrocher et nous faisons tout pour les retenir. Le plus important, c’est de leur redonner confiance en eux. Ce n’est pas forcément évident quand ils s’entendent dire depuis des années qu’ils ne réussiront pas. Pour cela, les parents ont aussi leur rôle à jouer. Ils ne doivent pas hésiter à leur montrer qu’eux aussi croient en eux. »

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A SAVOIR

Débouchés : tout dépend de la filière et du niveau

Selon une étude du Cnesco parue en 2016, 43 % des titulaires d’un CAP et 54 % des bacheliers pro trouvent un emploi dans les sept mois suivant l’obtention de leur diplôme. Au bout de 3 ans, ce taux dépasse à peine les 65 % pour les CAP et les 80 % pour les bacs pro, ce qui fait de la France l’un des pays de l’OCDE insérant le moins bien les jeunes issus de l’enseignement professionnel.

Ces chiffres cachent toutefois de grandes disparités. Alors que les formations dans les métiers du tertiaire (commerce, vente, secrétariat…) offrent plutôt moins de débouchés, celles préparant aux métiers de bouche et les filières industrielles permettent quasiment à coup sûr de trouver rapidement un emploi.

Le diplôme joue aussi sur l’employabilité. Décrocher un BTS permet, pour une même filière, d’augmenter de 50 % les chances d’être embauché dans les 7 mois suivant l’obtention du diplôme. Malheureusement, un grand nombre de places en BTS sont prises par des bacheliers de filière générale ou technologique, obligeant ceux des filières professionnelles à se tourner vers des DUT ou des licences, où ils sont très nombreux à échouer tant les méthodes d’enseignement sont différentes. Pour limiter ce phénomène, 10 000 places de BTS devraient être réservées aux bacheliers professionnels d’ici 2021.

 

Entrée en apprentissage : un pas de plus dans l’entreprise

Le CAP et le bac pro peuvent aussi se préparer par le biais de l’apprentissage. Dans ce cas, le jeune partage son temps entre la formation dispensée dans un Centre de formation des apprentis (CFA) et le travail en entreprise. C’est ce que l’on appelle l’alternance. Le rythme de cette alternance est souvent d’une semaine en CFA pour deux semaines en entreprise. Mais ce rythme varie selon le CFA, le diplôme et le métier préparés.

Contrairement au lycéen, l’apprenti est considéré comme un salarié à part entière. Il bénéficie de congés et d’une rémunération minimale variant de 25 à 78 % du SMIC selon son âge et son ancienneté. L’apprenti a également droit à une carte « Étudiant des métiers » lui donnant accès à des réductions tarifaires dans les cinémas, les transports en commun, etc. L’apprentissage est surtout un tremplin vers le marché du travail. Selon une étude de 2016, 89 % des apprentis ont décroché un emploi dans les trois ans suivant l’obtention de leur bac pro (source Cereq). Ceux qui ne sont pas passés par l’apprentissage ne sont que 76 % dans ce cas. Attention toutefois : l’apprentissage n’est possible qu’à condition de trouver un employeur. Pour mettre toutes les chances de son côté, le candidat ne doit pas hésiter à démarcher les entreprises et à demander de l’aide auprès de son CFA.

Toutes ces dispositions pourraient néanmoins être amenées à évoluer, le gouvernement ayant annoncé son intention de réformer l’apprentissage. Une concertation devrait « déboucher au début de l’année 2018 sur un projet de loi, qui sera débattu au printemps au Parlement », a indiqué Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, le 4 octobre dernier.

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398-_DOssPatrice-GaillardGRAND TEMOIN

Patrice Gaillard

Patrice Gaillard est Délégué académique à la formation professionnelle initiale et continue (DAFPIC) de l’académie de Lyon et coordonnateur de la carte des formations initiales pour la région académique Auvergne-Rhône-Alpes. À ce titre, il conseille la rectrice de la région académique sur la formation professionnelle tout au long de la vie et participe à la mise en œuvre de la formation professionnelle initiale des établissements publics et privés.

 

Quelles sont les conditions à réunir pour qu’un jeune réussisse dans la filière professionnelle ?

Il faut avant tout qu’il soit acteur de son orientation, et non qu’il la subisse. Cette préoccupation, qui implique la famille, doit être engagée bien avant le lycée. Le parcours Avenir, qui accompagne chaque élève de la sixième jusqu’à la terminale, permet à l’élève de découvrir les différents métiers ainsi que les formations qui y conduisent, notamment les emplois méconnus et pourvoyeurs d’emploi. Nous devons dans le même temps lutter contre tous les stéréotypes, notamment ceux liés au genre. À titre d’exemple, dans l’académie de Lyon, les Meilleurs Ouvriers de France viennent chaque année exposer aux élèves de 6e et de 5e leur métier et leur parcours ; et un camion « micro usine mobile » se déplace dans les collèges et lycées pour promouvoir les métiers de la plasturgie.

 

Comment faites-vous pour rapprocher l’école du monde de l’entreprise ?

Nous travaillons avec le Conseil régional et les établissements pour adapter la carte de formation afin qu’elle réponde aux besoins des entreprises. Chaque année, nous fermons des formations et nous en ouvrons d’autres. Nous avons créé des formations dans le domaine de la logistique et du transport après avoir identifié des besoins dans ce domaine. Nous envisageons de renforcer les formations aux métiers de la sécurité car la demande est forte dans ce secteur. Nous essayons d’être le plus réactif possible. Nous avons même formé une trentaine de jeunes sur trois ans pour répondre au besoin ponctuel d’une entreprise de la région. Il en va de l’intérêt de l’économie, mais aussi de celui des élèves qui sont quasiment certains de trouver un emploi quand ils sortent de l’école.

Après la création de 500 nouvelles formations au niveau national à la rentrée 2017, nous allons continuer à mettre l’accent sur les filières d’avenir et les métiers en tension. Enfin nous nous efforçons de mieux articuler l’offre de formation sous statut scolaire et en apprentissage pour que chacun puisse construire son propre parcours de formation.

 

En quoi la filière professionnelle est-elle selon vous une voie de réussite ?

Ses principaux atouts sont la richesse de l’offre de formation et son modèle pédagogique dans lequel bon nombre d’élèves se retrouvent. La pédagogie de l’alternance, qui permet des allers-retours permanents entre activité professionnelle en entreprise et formalisation des compétences en CFA et en lycée, est un atout indéniable pour s’insérer dans le monde du travail. La voie professionnelle permet en outre à chacun de réussir à son rythme. Nous cherchons d’ailleurs à renforcer cette souplesse en favorisant la reconnaissance des compétences par les blocs de compétences. Cela permet par exemple aux jeunes qui ont décroché d’être repositionnés sur un parcours adapté. Cette souplesse s’exprime également dans le cadre des classes de seconde professionnelle à orientation progressive qui donnent plus de temps à un jeune pour faire le choix de son orientation. Nous misons beaucoup aujourd’hui sur le croisement et la complémentarité des expériences et des compétences.

 

Par exemple ?

Dans les campus des métiers et des qualifications labellisés par les ministères de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de l’Économie, un jeune en CAP peut être amené à travailler avec un élève ingénieur, les jeunes sous statut scolaire et les apprentis partagent les mêmes plateaux techniques et des entreprises viennent tester les équipements… Le fait que les mondes de l’enseignement secondaire, du supérieur et de l’entreprise se côtoient donne du sens aux apprentissages, favorise les échanges d’expérience et ouvre des perspectives.

 

 

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