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Garde partagée : comment préserver les enfants ?

HD-395---garde-2Une semaine chez l’un, la suivante chez l’autre : la garde partagée concerne aujourd’hui 15 % des enfants en cas de séparation. Comment s’organiser en pratique ? Quelle attitude adopter vis-à-vis des enfants ?

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Instauré par la loi du 4 mars 2002, le mode de garde alternée en cas de divorce ou de séparation a quasiment doublé en dix ans. Si la résidence principale chez la mère reste la norme pour 76 % des enfants, 9 % d’entre eux vivent chez leur père tandis que la garde alternée concerne 15 % des enfants. Comment organiser cette garde tout en préservant ses enfants ? « Il faut que les conditions soient réunies pour que la résidence alternée soit possible, témoigne le Dr Benzohra, psychiatre et thérapeute familial (lire son témoignage en encadré). La proximité résidentielle est préférable pour que l’enfant continue à fréquenter le même établissement. Puis le rythme et la fréquence peuvent se définir au cas par cas. Sans être trop laxiste pour que les enfants ne se promènent pas comme ils veulent, ni trop rigide pour passer sur 10, 15 jours, si c’est dans l’intérêt des parents comme de l’enfant ».

 

Une organisation à trouver

Si l’âge moyen de l’enfant au moment de la séparation est de 9 ans, faut-il choisir son mode de garde selon l’âge ? C’est parfois une évidence pour le Dr Benzohra, qui a rencontré un père souhaitant la résidence alternée alors que son ex-femme allaitait encore son bébé ! C’est une décision souvent de bon sens, qui explique que les juges accordent très rarement cette résidence alternée lorsque l’enfant a moins de 2 ans (5 % d’enfants). Concernant les enfants entre 6 et 10 ans, le pourcentage des décisions grimpe à 21 % puis baisse à 15 % pour les 15-17 ans.

« Si les pères sont de plus en plus impliqués auprès de leurs enfants, il est important dans une garde alternée que le père sache organiser les repas comme les choix d’habillement, a fortiori pour les tout-petits », rappelle le psychiatre, qui a parfois vu des grand-mères prêter main forte à leur fils… générant de nouvelles tensions entre les parents.

Car la famille récemment séparée a un rythme et une organisation à trouver. Cécilia, mère de deux enfants de 7 et 10 ans, a dû rapidement résoudre des problèmes pratiques : « Les enfants oubliaient sans cesse des affaires chez leur père, et inversement, et parfois des livres et cahiers scolaires, ce qui était source de stress. Peu à peu, on s’est organisés pour qu’ils aient tout en double, au niveau vêtements, tenues de sport (…) à l’exception des livres scolaires pour lesquels nous sommes devenus très vigilants », témoigne-t-elle. Une solution que préconise le Dr Benzohra : « Il faut les aider pour leur cartable et avoir les vêtements en double, détails si importants pour éviter que les enfants trimballent sans cesse leurs valises ! Et il faut que chaque parent continue à suivre la scolarité, accède aux bulletins. C’est la co-parentalité ! ».

 

Séparés, mais toujours parents

Mais avant d’être « co-parent », encore faut-il que le climat soit apaisé afin que les ex-conjoints puissent dialoguer et imposer des règles de vie communes à leurs enfants. Depuis le divorce, Valérie est régulièrement en conflit avec sa fille de 16 ans qui passe une semaine sur deux chez son ex-conjoint : « Lorsqu’elle est chez son père, son petit copain peut rester dormir et elle est libre de sortir même en semaine, jusque tard dans la nuit. Cela me place dans un mauvais rôle, alors qu’avant le divorce ces règles tombaient sous le sens », regrette-t-elle. « Il est essentiel que les parents gardent une proximité éducative, qu’ils aient la même façon d’éduquer, qu’ils sachent mettre des limites, comme ils le faisaient auparavant, sinon comme dans ce cas, cela peut réalimenter le conflit », conseille le psychiatre, qui met aussi en garde sur les capacités des enfants à profiter de leur culpabilité. Car si de nombreux parents couvrent leurs enfants de cadeaux après un divorce, il n’est pas rare que les enfants y trouvent aussi leur compte, les plus malins allant jusqu’à obtenir le cadeau en double !

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HD-395---garde-1Chacun à sa place

« Les enfants ont besoin qu’on soit proches d’eux, qu’on partage des moments ensemble, il ne faut pas compenser le divorce par des excès de cadeaux. Et à l’inverse, il ne faut pas “parentifier” l’enfant, en lui demandant de s’occuper de ses frères et sœurs, comme souvent dans les grandes fratries si le parent est dépassé », ajoute le Dr Benzohra. Pour rester dans son rôle d’éducateur, il faut savoir dépasser ses propres douleurs pour se rendre disponible pour ses enfants. Souvent plus facile à dire qu’à faire… Romain, père de 2 jeunes enfants, a senti qu’il avait besoin d’un soutien : « J’étais si mal moi-même que j’étais présent auprès de mes fils, mais seulement physiquement, j’enchaînais les tâches mécaniquement. J’ai consulté un thérapeute et depuis, je me suis reconstruit. Mes relations avec mes fils sont reparties sur de nouvelles bases », raconte-t-il.

Pour instaurer un climat apaisé dans une garde partagée, il peut être utile en cas de difficulté, que chaque parent trouve pour lui-même un confident, un ami, un thérapeute… qui viendra aussi combler le vide constitué par l’absence de l’autre parent au quotidien. « Il faut assumer seul tout ce qu’on faisait à deux, les activités des enfants, s’intéresser à leur scolarité, ne pas négliger les rituels…», rappelle le Dr Benzohra.

Avant que chacun des membres de la famille ne retrouve son équilibre, il peut s’écouler un peu de temps, parfois nécessaire pour faire le deuil de cet ancien schéma. « Il faut réussir à retrouver assurance et légitimité en tant que parent, car cette image peut avoir été écornée dans l’esprit de l’enfant. Après, il y a une phase de construction dont les enfants ont besoin, ils veulent revoir leur maman rire, leur papa content de jouer avec eux… Il est important de ne pas laisser traîner ce problème, qui peut empêcher de retrouver un équilibre affectif ! », ajoute le thérapeute, pour qui l’étape suivante consistera pour les enfants à accepter l’éventuel nouvel(le) amoureux(se) de leurs parents. « Ce nouveau venu peut aider la garde alternée à se rééquilibrer, l’ex-conjoint n’est plus seul. A condition de bien expliquer à ses enfants que ce n’est pas pour autant qu’ils ne seront plus leur père et leur mère ! ».

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itw-benzora-separePOINT DE VUE

Nour-Eddine Benzohra, psychiatre et thérapeute familial, vient de publier (avec Colette Barroux-Chabanol) « L’art d’être des parents séparés » aux éditions Albin Michel

« Il faut protéger ses enfants, répondre à leurs questions, leur expliquer les choses avec des mots de leur âge, sans rentrer dans trop de détails ni des déballages… et surtout sans jamais discréditer l’autre parent. Pour que la résidence alternée fonctionne, il faut surtout que le climat soit apaisé pour pouvoir dialoguer et continuer à prendre à deux les décisions, notamment scolaires. Attention à ce que l’école ne les stigmatise pas, toutes les difficultés scolaires ne sont pas dues aux séparations ! Les problèmes ne viennent d’ailleurs souvent pas de la séparation mais plutôt de la discorde familiale. Moins le conflit dure, mieux c’est pour les ex-conjoints et a fortiori pour les enfants. Il faut que les parents arrivent à se décentrer de la problématique conjugale.

L’enfant n’a pas à être au cœur du conflit et il ne faut surtout pas le prendre comme allié dans une « collision de guerre ». Cela peut aller jusqu’au syndrome d’aliénation parentale (SAP), qui peut amener l’enfant à ne plus vouloir voir son autre parent. C’est terrible. L’enfant n’est pas le bon interlocuteur, il faut se tourner vers une tierce personne, un bon ami mais neutre ou un conseiller conjugal, un psychologue… pour réussir à clôturer l’histoire, entrer dans une relation apaisée et être un co-parent. Et ensuite, il ne faut surtout pas être intrusif quand les enfants sont chez l’autre et pour les enfants, apprendre à accepter le(la) nouveau (lle) venu(e) dans ce nouveau schéma familial. »

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