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L’émancipation : la majorité avant l’heure ?

HD-392---emancipation-2Etre assimilé juridiquement à un majeur quand on est mineur ? C’est possible grâce à l’émancipation. Une procédure qui produit des effets à la fois à l’égard du mineur et de ses parents.

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L’ émancipation est un acte qui met fin à l’incapacité du mineur. Le mineur émancipé devient ainsi majeur avant ses 18 ans. S’il acquiert quasiment les mêmes droits que les adultes, il est également soumis aux mêmes devoirs. Il devient juridiquement capable, comme un majeur, pour tous les actes de la vie civile requérant la majorité légale (18 ans). « Au total, ce sont ainsi près de 1 200 demandes d’émancipation qui ont été formulées en 2015 », précise Nathalie Renard, avocate au barreau de Paris (lire son interview ci-dessous).

 

 

L’accord des parents

En droit français, l’émancipation est régie par les dispositions des articles 413-1 et suivants du Code Civil et met ainsi fin à l’incapacité et à la protection d’un mineur avant ses 18 ans. Il existe deux cas d’émancipation du mineur : soit de plein droit par son mariage (il s’agit de cas exceptionnels de mineurs autorisés par leurs parents et le procureur de la République à s’unir avant l’âge de 18 ans : 15 ans pour les filles, 16 ans pour les garçons), soit à 16 ans révolus par décision judiciaire devant le Juge en charge des tutelles. Dans ce cas, pour que la procédure d’émancipation soit engagée, les parents doivent donner leur accord. Si le mineur n’a plus ses parents, c’est au conseil de famille d’agir. En pratique, un enfant ne peut donc jamais demander lui-même son émancipation. Cette demande doit être présentée par, au moins, un des deux parents de l’enfant par courrier adressé au Juge des Tutelles et envoyé au Greffe du Tribunal d’Instance du domicile du mineur (ou celui du domicile du tuteur).

Autres possibilités : la demande d’émancipation peut se faire par simple déclaration du ou des parents directement au Greffe (généralement en remplissant un formulaire spécialement prévu à cet effet), ou encore par voie de requête rédigée par un avocat. En d’autres termes, le jeune n’a pas d’autre solution que d’avoir l’accord de l’un de ses parents.

 

 

Les justes motifs

Les raisons de demandes d’émancipation de mineurs sont très différentes d’une famille à l’autre. Dans le cas de Caroline, la procédure d’émancipation de sa fille découle d’un changement de résidence. « Je vais déménager à Marseille mais ma fille de 16 ans ne souhaite pas me suivre car elle veut rester avec son ami de 18 ans. » Selon Nathalie Renard, « le plus souvent les demandes sont faites pour des jeunes partant faire leurs études à l’étranger, ou pour des jeunes mères de famille qui ont l’autorité parentale mais ne peuvent pas gérer leurs propres affaires. Mais les demandes peuvent également concerner de jeunes gens précoces qui désirent se lancer dans le commerce, créer leur société, ou dans des cas où le mineur ne vit déjà plus avec sa famille, où il est déjà autonome ».

Il existe aussi des demandes d’émancipation qui émanent de parents n’arrivant plus à gérer un adolescent difficile, « mais il ne s’agit pas des cas les plus importants », souligne l’avocate. Car il ne doit évidemment pas s’agir pour les parents d’un moyen de se décharger de leurs responsabilités.

 

 

HD-392---emancipation-1Déroulement de la procédure

Comment se déroule la procédure d’émancipation ? Le juge reçoit la demande, puis convoque le jeune pour une audition. Quand un seul parent fait la demande, le juge entend celui qui n’a pas signé la demande ; « dans les faits le juge considère souvent qu’il est plus éclairant d’entendre les deux parents », précise Nathalie Renard. Une fois les auditions faites, le juge prend sa décision et la communique rapidement.

Dans tous les cas, l’émancipation ne sera accordée que pour de « justes motifs ». Autrement dit, le mineur concerné ne pourra être émancipé que si le magistrat saisi de l’affaire estime que celui-ci dispose d’ores et déjà d’une maturité suffisante, afin de s’assumer sans l’aide de ses parents et de gérer seul tous les aspects de la vie courante, et qu’il a réellement et légitimement besoin de bénéficier d’un élargissement concret de ses droits, avant même d’avoir atteint l’âge de la majorité. C’est l’intérêt supérieur de l’enfant mineur qui prime.

 

 

Nouveaux droits et devoirs

Une fois émancipé, le mineur est libéré de l’autorité de ses parents ou des personnes titulaires de l’autorité parentale à son égard. Il devient alors capable, comme une personne majeure, de tous les actes de la vie civile : ouvrir un compte bancaire, contracter un crédit, signer un contrat de travail, percevoir ses propres revenus, louer un appartement, mener une action en justice… Il devient aussi seul responsable des dettes contractées et doit répondre des dommages qu’il causerait à autrui.

Le jeune émancipé connaît un élargissement de ses droits, certes, mais son émancipation connaît aussi certaines limites. Par exemple, avant ses 18 ans, il ne pourra pas voter ou passer son permis de conduire, ni se faire adopter ou se marier (le consentement de ses parents demeure obligatoire), ou encore devenir commerçant (sauf autorisation du juge).

A savoir enfin, émancipation ou non, les parents ont toujours l’obligation de contribuer à l’entretien et à l’éducation de leurs enfants jusqu’à la fin de leurs études.

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TEMOIGNAGE

Charlotte, 34 ans

« J’avais 17 ans quand j’ai été émancipée. Jeune maman, j’ai dû prendre mon indépendance et quitter le domicile familial. Mes parents ont donc fait cette démarche pour des raisons purement administratives. J’ai pu ainsi prendre mon propre appartement et assumer ma vie de jeune mère avec ma fille. Les relations avec mes parents n’ont pas changé, mais cela a affirmé ma capacité à m’assumer seule. »

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392---avocateINTERVIEW

Nathalie Renard, avocate au barreau de Paris

L’émancipation d’un enfant mineur est-elle une décision importante ?

L’émancipation n’est pas un acte à prendre à la légère. Un jeune émancipé perd la protection liée à sa condition d’enfant mineur. Il devra être suffisamment mature pour être reconnu légalement auteur de ses actes, mais aussi pour pouvoir s’assumer sans l’aide de ses parents et gérer seul tous les actes de la vie courante. Une immersion précoce dans la vie d’adulte qu’il faut donc avoir mûrement réfléchie.

 

La procédure d’émancipation semble simple et rapide, est-ce la réalité ?

La procédure est simple et ce n’est généralement pas très long. Mais il est préférable que chaque famille se renseigne avant auprès du Tribunal d’Instance du lieu de résidence pour connaître les délais et l’encombrement des tribunaux.

 

Un refus du juge des tutelles est-il toujours possible même si les parents sont d’accord ?

L’émancipation correspond à une situation bien particulière, c’est une exception car un enfant mineur est un enfant protégé. Donc, si l’intérêt de l’enfant n’est pas justifié, si au cours de l’audition le juge estime que le jeune n’est pas suffisamment mature pour subvenir lui-même à ses besoins et gérer sa vie, ou s’il estime qu’il n’y a pas de « juste motif », il pourra refuser l’émancipation du mineur. La famille pourra alors contester ce jugement devant la cour d’appel.

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