EDUCATION

Faut-il conjuguer (re)doubler au passé ?

HD-391---redoublement-1Après avoir fait tremblé des générations d’élèves, le (re)doublement ne doit plus être désormais qu’une décision « exceptionnelle », car jugé inefficace. Décision justifiée ou fausse bonne idée ?

 

 

La France, dans le peloton de tête des pays européens, avec l’Espagne, en matière de (re)doublement. Une situation qui devrait évoluer : en effet, depuis la rentrée 2015, cette décision doit demeurer « exceptionnelle », possible dans seulement deux cas précis et « après accord écrit des parents ». Le Journal officiel du 20 novembre 2014 a publié le décret limitant le redoublement à deux cas de figure : une interruption de la scolarité (par exemple une période de maladie) ou le refus d’orientation en 3e et en seconde. Si l’Education nationale précise que le redoublement n’est pas supprimé, mais doit être l’exception comme le prévoit la loi de refondation de l’Ecole, c’est tout de même la fin d’une pratique traditionnelle française.

 

Le redoublement, un vieux débat

A l’inverse, la loi d’orientation du 23 avril 2005 sur l’avenir de l’école, dite loi Fillon, avait légitimé cette pratique pour chaque classe et plus seulement en fin de cycle. Si pour l’actuelle ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, « cela fait des années qu’il est avéré que le redoublement est assez inefficace pédagogiquement parlant, qu’il est démotivant pour les élèves et par ailleurs qu’il est coûteux », pour François Fillon il s’agissait à travers le redoublement de « reconnaître à l’enseignant son rôle d’expert à l’égard de l’élève. Non pas un pouvoir de sanction mais l’exercice de discernement du professionnel sur la conciliation entre le souhaitable et le possible pour chaque élève en fin d’année ». On le voit, le redoublement cristallise depuis longtemps un clivage droite/gauche, mais au-delà du débat politique qu’il provoque, que représente le redoublement sur le terrain ? A-t-il des vertus pédagogiques ou conduit-il au décrochage scolaire sur le long terme ?

 

HD-391---redoublement-3Le redoublement, une stigmatisation ?

Si le taux de redoublement demeure encore élevé en France, la plaçant au 5e rang sur 35 pays de l’OCDE, il a tout de même nettement régressé au cours de la dernière décennie (11 points de moins, selon les enquêtes PISA 2003 et 2012). Cette diminution a été initiée depuis le début des années 1990, sous l’impulsion des recteurs et des inspecteurs de l’Education nationale. Ainsi, alors qu’en 1993, près de la moitié des élèves de troisième avait déjà redoublé (46 %), il n’étaient plus que 24 % dans ce cas en 2013. Quelle évolution par rapport à son utilisation massive dans les années 60 où 22,1 % des élèves de CP et 52 % des élèves de CM2 – soit plus de la moitié – étaient en retard !

Concernant ces redoublements précoces, Christian Forestier, inspecteur général de l’Education nationale, ancien président du Haut Conseil de l’évaluation de l’école, va jusqu’à parler de « véritable génocide pédagogique ». Car selon lui « un élève qui redouble au cours préparatoire ou au cours élémentaire première année a près d’une chance sur deux de sortir de l’école dix ans plus tard sans diplôme », écrit-il dans son ouvrage « Que vaut l’enseignement en France ? » (éd. Stock). Aujourd’hui, l’Education nationale constate qu’un redoublement affecte négativement la motivation, le sentiment de performance et les comportements d’apprentissage des élèves, les conduisant à se sentir stigmatisés. Elle en veut pour preuve qu’à niveau égal en fin de 3e, les élèves « en retard » obtiennent de moins bonnes notes que les élèves « à l’heure ».

 

Des cas spécifiques

Rien d’étonnant pour Antoine, professeur d’histoire-géographie en région parisienne, qui constate que deux redoublants présents respectivement dans ses classes de 5e et de 4e subissent plus le redoublement qu’autre chose. « Ce sont des élèves qui ont du mal à s’intégrer dans la dynamique de la classe, qui restent sur la réserve, sur la berge. » L’enseignant l’explique par un sentiment de honte qui se transforme en position d’illégitimité par rapport aux autres. Résultat : pas de progression spectaculaire ni même d’étincelle. L’un de ses collègues en revanche se souvient d’un élève qui avait redoublé pour cause de grand degré d’immaturité et qui était méconnaissable après son redoublement. Didier, professeur de français dans un collège lillois, est lui plus catégorique : « la peur du redoublement met au travail tous les élèves qui ne veulent pas redoubler. Le supprimer est stupide ».

Et quel point de vue chez les parents ? Pour Christine, qui a refusé le redoublement pour sa fille en 5e, la « peur » du redoublement avait fonctionné, « peur de quitter ses camarades et de se retrouver avec des plus jeunes qu’elle » ; et l’année suivante, en 4e, « elle s’est vraiment mise à travailler. Elle avait pris conscience des enjeux ». Autre situation, celle vécue par Hugo, à qui il aura fallu malgré tout un redoublement en seconde générale et technologique pour qu’il passe en filière scientifique, celle qu’il souhaitait. Ici, le redoublement fait partie d’une stratégie scolaire efficace pour empêcher une orientation dans la voie technologique ou une filière générale non souhaitée. Cependant, pour Mme Veylon, principale de collège à Montfermeil, « cela ne fonctionne que pour des élèves motivés qui se départissent du « je connais, j’ai déjà fait » mais changent leurs habitudes et décident de redoubler et de se donner les moyens de réussir ».

Une deuxième chance pour certains, une démotivation pour d’autres, mais tous s’accordent à croire qu’il faut avant tout accompagner les élèves à combler leurs lacunes. Antoine, le professeur d’histoire-géographie veut croire à une mutation majeure qui fera émerger d’autres leviers pour faire progresser ces élèves qui ne seraient plus menacés par un redoublement. Mais quels sont-ils ?

 

HD-391---redoublement-2Permettre à l’élève de rester dans la course

La loi Fillon pointait une condition au redoublement à l’école primaire pour en assurer l’efficacité pédagogique : la mise en place d’un programme personnalisé de réussite éducative (PPRE). Le récent décret, qui rend le redoublement exceptionnel, renvoie lui aussi au PPRE pour répondre aux besoins d’un élève lorsqu’il apparaît qu’il risque de ne pas maîtriser les connaissances et les compétences du socle commun. Elaboré par l’équipe pédagogique, discuté avec les parents et présenté à l’élève, ce plan d’aide est proposé dès l’école élémentaire, tandis qu’au collège, chaque élève pourra également bénéficier d’un accompagnement personnalisé : 3 heures en 6e, et 1 heure pour les élèves du cycle 4 (5e, 4e et 3e) comme le prévoit la réforme mise en œuvre à la rentrée.

Mais ces « béquilles » sont-elles efficaces ? Qu’en est-il ailleurs ? Direction la Finlande, pays parmi les mieux classés dans les comparaisons internationales des résultats scolaires et dont le redoublement, quasiment inexistant, n’affecte que 0,5 % des élèves. Mais cette volonté de limiter au maximum le redoublement, la Finlande s’en donne les moyens en permettant aux enseignants d’adapter leurs cours au niveau de leurs élèves et en organisant un soutien scolaire au sein-même des établissements. L’adaptation, c’est tout l’enjeu de la pédagogie différenciée, assez nouvelle en France et qui reste encore compliquée à mettre en œuvre.

Autres pistes : pourquoi ne pas s’inspirer également de la quasi-totalité des pays européens qui offrent aux élèves la possibilité de passer des épreuves supplémentaires (écrites et/ou orales selon les pays) en fin d’année scolaire pour rattraper des résultats jugés trop faibles par l’équipe enseignante ? Ou encore de l’Italie qui développe des stages d’été obligatoires pour les élèves en difficulté : un dispositif particulièrement efficace et adapté aux élèves de primaire, selon les experts.

Si le redoublement est également coûteux (2 milliards d’euros par an selon l’Institut des politiques publiques), sa quasi-suppression doit s’accompagner en parallèle d’un dispositif ambitieux d’aide aux élèves en difficulté, dès l’école primaire. Pour une véritable seconde chance donnée aux élèves.

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INTERVIEW

Mme Veylon, principale du collège Pablo Picasso à Montfermeil (classé REP)

Le recours au redoublement a-t-il été abusif ?

Pas dans notre collège. La commission d’appel n’existe plus qu’en 3e donc nous avons la main sur le passage en seconde générale. Mais les parents ont pour obligation de discuter avec nous et d’entendre le dernier mot de l’établissement et l’exigence attendue au lycée. Résultat : le taux de parents qui font appel est bas. Sur 130 élèves seulement 6 appels.

Pour cela nous faisons un travail de fond avec les professeurs principaux et la conseillère d’orientation dès l’entrée en 3e en leur parlant d’orientation, en les emmenant dans des forums, en leur faisant faire des mini-stages dans des lycées professionnels et en les familiarisant avec la procédure des entretiens de motivation.

A la fin du 2e trimestre, je reçois généralement entre 15 et 20 parents d’élèves pour réfléchir à un autre projet que la seconde générale. Nous les aidons à chercher une voie professionnelle qui pourrait les faire arriver au même type d’études après un bac pro grâce à la formulation de vœux de secours. Rien n’est pire pour les élèves que de se sentir coincés.

 

Quel choix dans ce cas pour les élèves en grande difficulté ?

Doubler ou ne pas doubler n’est pas le plus gros problème car il y a des dégâts psychologiques lors du doublement. Mais pour des élèves qui arrivent en 6ème avec déjà de grosses lacunes, l’écart ne va cesser de se creuser. Or, au collège les professeurs ne sont pas formés pour apprendre à lire. Il nous manque un dispositif pour ces élèves en difficulté, même si, avec la réforme, l’accompagnement personnalisé est compris dans les heures de cours.

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ZOOM

Redoubler : qu’en pensent les élèves ?

Le Cnesco a mené en novembre 2014 une étude auprès de plus de 5 000 collégiens et lycéens pour les interroger sur leur perception du redoublement. Voici les principaux enseignements chiffrés de cette enquête.

  • 64 % des lycéens et collégiens sont tout à fait ou plutôt d’accord avec le fait que le redoublement démotive.
  • Pour 64 % des élèves, le redoublement diminue la confiance en soi.
  • 59 % considèrent qu’il entraîne un sentiment d’infériorité. La crainte la plus forte, s’ils devaient redoubler, et partagée par les trois quarts des élèves, est d’une part de décevoir ses parents (77 %) et d’autre part de ne plus être avec ses amis (76 %).
  • 67 % des redoublants déclarent s’être plus investis dans leur travail l’année de leur redoublement.

Pour 56 % d’entre eux, les parents se sont plus investis dans le suivi de leur travail scolaire. 35 % des redoublants disent avoir eu envie d’arrêter l’école à cause du redoublement et 33 % affirment qu’ils ne se sont pas bien intégrés dans la nouvelle classe l’année de leur redoublement.

Pour 26 %, les autres élèves se sont moqués d’eux parce qu’ils avaient redoublé.

  • 67 % des élèves sont favorables à la mise en place de stages de soutien pendant les vacances scolaires afin d’éviter le redoublement.

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