EDUCATION

Classes à double niveau : la réussite sous conditions

Hd-390---double-niveau-1Souvent craintes, les classes à double niveau peuvent pourtant avoir des effets positifs sur les apprentissages, à condition qu’un certain nombre de critères soient réunis.

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Elles sont une hantise pour de nombreux parents qui craignent que leur enfant ne progresse pas aussi vite que dans une classe ordinaire. Les classes à double niveau sont aussi une angoisse pour certains enfants qui peinent à admettre de se retrouver avec des plus petits qu’eux ou qui ont du mal à comprendre qu’ils resteront une année de plus avec le même enseignant alors qu’ils sont passés dans le niveau supérieur. Ces craintes ne sont pas totalement infondées. Même s’ils ne laissent rien transparaître aux parents inquiets, de nombreux enseignants admettent, à demi-mots, qu’une classe à double niveau ne leur permet pas de consacrer à chaque élève autant de temps qu’ils le souhaiteraient ni d’assurer un suivi aussi individualisé qu’en classe simple.

 

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Personnaliser les apprentissages

Pour autant, beaucoup de ceux qui ont déjà pratiqué le double niveau y voient aussi un réel intérêt pour les élèves. « Le travail est colossal, le temps de recherche et de préparation est lourd, mais quelle ambiance dans la classe, témoigne Marianne, enseignante d’une classe en double niveau, CE2-CM1, près de Mende. Je trouve les enfants plus calmes. Ils s’écoutent, s’entraident, apprennent les uns des autres ».

A en croire ces convaincus, le double niveau serait aussi l’occasion de personnaliser encore plus les apprentissages. Un élève de CE1 ne sait pas encore parfaitement écrire ? Il pourra passer du temps avec les CP pour revoir les bases qui lui manquent. Au contraire, si un CP s’ennuie en mathématiques, il aura l’occasion de se joindre aux CE1 le temps d’une série d’exercices.

Les classes à double niveau facilitent enfin le décloisonnement, une pratique qui consiste à regrouper les élèves d’un même niveau et à confier l’enseignement d’une matière à un référent unique (un enseignant s’occupe par exemple de l’histoire-géographie, un autre des mathématiques…). Cette pratique pédagogique est surtout utilisée en fin de primaire pour préparer les élèves au fonctionnement du collège.

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Des études contradictoires

Ces effets positifs des classes à double niveau, plusieurs études les ont confirmés. Nombreuses en effet sont les recherches qui ont conclu que les élèves évoluant dans ces classes spécifiques réussissaient aussi bien que les autres, sinon mieux.

Ce constat a toutefois été battu en brèche une fois, en 2010, par des chercheurs de l’Institut de recherche sur l’éducation (Iredu). Au terme d’une étude menée sur 132 classes de primaire de la région Bourgogne, ils ont montré que les classes à double niveau pouvaient, dans certains cas, avoir des effets négatifs sur les résultats des élèves. Ce serait le cas notamment des élèves de CE1 évoluant dans les classes de CP-CE1. Ceux-ci auraient tendance à progresser moins vite que leurs camarades du même niveau scolarisés en classe simple.

Si ces conclusions ont fait grand bruit à l’époque, elles n’ont pas pour autant influé sur la politique du ministère de l’Education nationale pour qui le double niveau est indispensable pour remplir les classes et limiter le nombre d’enseignants. Au contraire. Les classes multi-niveaux n’ont cessé de se multiplier. Leur nombre a même doublé entre 2003 et 2013 et, désormais, près de la moitié des classes sont des classes multi-niveaux (lire encadré page 4 sur les chiffres-clés). Dans la majorité des cas, deux niveaux consécutifs sont associés (le plus souvent CM1/CM2 ou CE1/CE2). Conscientes des difficultés supplémentaires que cela peut poser, les équipes enseignantes évitent dans la mesure du possible de mettre dans la même classe les élèves de CP avec ceux de CE1 même si elles n’ont parfois pas d’autre choix.

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Hd-390---double-niveau-2Des conditions à la réussite

Néanmoins, le double niveau n’est pas en lui-même un frein à l’apprentissage. Il suffit en effet qu’un certain nombre de facteurs soient réunis pour que ses éventuels effets négatifs soient compensés. Le premier d’entre eux, c’est la composition de la classe. Pour permettre à l’enseignant de s’occuper au mieux de chaque élève, il est impératif que l’effectif du groupe ne soit pas trop important. Au-delà de 25 élèves, gérer une classe à double niveau devient compliqué. Il faut par ailleurs que les élèves d’un même niveau aient des compétences à peu près équivalentes et surtout qu’ils aient aussi une certaine aptitude à travailler seul.

L’étude de l’Iredu a montré que dans les écoles où les élèves de double niveau avaient été sélectionnés en fonction de leurs compétences, de leur autonomie et de leur comportement en classe, les résultats étaient nettement meilleurs que lorsque le tri était fait arbitrairement. Malheureusement, sur le terrain, ce critère, aussi essentiel soit-il, n’est pas toujours pris en compte par les équipes. Faute d’enseignants suffisants, la répartition des effectifs se fait le plus souvent sur de simples critères comptables. « On regarde combien il y a d’élèves dans chaque niveau et on voit quelles sont les combinaisons possibles », admet une enseignante.

Quant aux compétences des élèves, il n’est pas rare qu’elles passent au second plan. « Alors que j’étais jeune enseignante, je me suis retrouvée avec 13 CP ayant des compétences variées et autant de CE1 ne sachant pas déchiffrer alors que d’autres enseignantes expérimentées avaient des classes simples à 25 élèves, déplore Cécile, enseignante en Ardèche. Si les classes à double niveau regroupent tous les élèves en difficulté sous prétexte qu’on ne peut pas les faire redoubler en se disant qu’ainsi on pourra leur faire travailler des notions du niveau inférieur, ça ne peut pas fonctionner. »

 

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L’enseignant au cœur du système

L’autre élément essentiel dans la réussite d’une classe à double niveau, c’est l’enseignant lui-même. Si celui-ci est volontaire, enthousiaste et prêt à s’investir, il y a de fortes chances pour que le succès soit au rendez-vous. Dans l’idéal, il doit avoir en outre une bonne expérience et ne pas rechigner à la tâche. « Le double niveau demande un lourd travail de préparation et de correction et nécessite une organisation irréprochable, reconnaît Marianne, l’enseignante de Lozère. En classe, tout est millimétré. Je commence par donner du travail aux CM1 avant de lancer une leçon avec les CE2. Dès que c’est terminé, j’inverse. Il ne peut pas y avoir de temps mort ».

Malheureusement, cette prime à l’expérience n’est pas toujours en vigueur. « Dans toutes les écoles où j’ai exercé, les collègues en place ne voulaient jamais des doubles niveaux. Alors à chaque fois, elles étaient confiées aux enseignants les plus jeunes ou à ceux qui venaient d’être affectés. Il arrivait même que leur soient ajoutés des élèves que personne d’autre ne voulait accueillir dans sa classe, regrette un autre enseignant. On ne peut pas assumer une telle tâche quand on sort tout juste de l’école ».

Pourtant, quand elles sont bien faites, les classes à double niveau peuvent aussi être l’occasion d’expériences innovantes favorables à l’apprentissage. Certaines écoles, par exemple, font le choix de réunir dans une même classe des élèves de CP et de CM2. « Ce mélange est intéressant d’un point de vue pédagogique car le fait d’avoir des CM2, qui sont plus autonomes, permet à l’enseignant de consacrer plus de temps aux CP. Il peut aussi mettre en place des initiatives intéressantes, comme des systèmes de tutorat qui aident les petits en difficulté et responsabilisent les grands », conclut Marianne. Des initiatives qui restent trop rares.

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ZOOM

Près de la moitié des élèves concernés par le multiniveau

En 2015, 47,5 % des élèves du secteur public étaient scolarisés dans des classes multi-niveaux selon la note d’information n°44 de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP). Ce taux dépassait même les 60 % dans les écoles maternelles. En élémentaire, 3 élèves sur 4 vivant en zone rurale évoluaient dans des classes multi-niveaux, alors qu’ils n’étaient qu’1 sur 4 en zone urbaine. La grande majorité de ces classes – 85 % – étaient à double niveau.

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TEMOIGNAGES

Sophie, enseignante en classe de CE2-CM1 à Villeurbanne (69)

« Dans l’école où je travaille depuis deux ans, le profil de l’effectif nous a contraints à créer deux classes à double niveau. Etant la dernière arrivée dans l’école, j’ai hérité d’un CE2-CM1 à 25 élèves. Cette année, j’ai fait en sorte de garder mes anciens CE2. Le fait qu’ils connaissent ma façon de fonctionner m’a permis de gagner du temps en début d’année. Chaque matin, après avoir lancé les élèves d’un niveau sur une série d’exercices, j’entre en phase de découverte avec les autres, puis j’alterne. Certaines matières se font en commun, comme les sciences, l’anglais ou le sport. Il arrive aussi que j’étudie des notions de français ou de mathématiques avec toute la classe avant de proposer des exercices adaptés à chaque niveau. Il n’est pas rare qu’en début d’année des parents inquiets viennent me voir. Je dois alors les rassurer en leur prouvant que leur enfant fera un vrai travail de CM1 et en mettant en avant le fait que le double niveau rend les élèves plus autonomes. Il arrive qu’ils s’obstinent. Dans ce cas, on ne se bat pas et on change leur enfant de classe. »

 

Antoine, papa de Virgile, 11 ans

« En emménageant dans un village de 800 habitants il y a 10 ans, nous savions que notre enfant connaîtrait les classes multi niveaux. Il n’a connu que 4 enseignants entre la petite section de maternelle et le CM2. Même si je sais que des enfants et certains parents ont parfois trouvé pesant le fait de devoir rester plusieurs années avec la même enseignante, pour nous, le bilan a été plutôt positif. Je pense sincèrement que le multi niveau a considérablement facilité le passage anticipé de Virgile en CP.

Un peu plus tard, lorsqu’il est arrivé en CM1, l’enseignant a décidé de l’intégrer à la classe de CM2 avec deux autres camarades qui avaient un profil identique. Si l’idée semblait plutôt intéressante, les résultats n’ont pas été à la hauteur de nos espérances. Notre fils a passé une année plutôt difficile. Mais ce n’est pas à proprement parler à cause du double niveau. Cela vient plutôt du fait qu’il s’est senti stigmatisé et que l’enseignant n’a pas vraiment su répondre à ses attentes. »

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