EDUCATION

Maternelle : un nouveau programme plus ludique

HD-386-matern-1-sipa-« Stopper la dérive de l’école maternelle en cours depuis plusieurs années. » Voici, selon Michel Lussault, le président du CSP (conseil supérieur des programmes), l’objectif du futur programme de maternelle, qui entrera en vigueur à la rentrée prochaine.

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Le programme de maternelle actuel, effectif depuis 2008, fait presque aujourd’hui l’unanimité contre lui. A tel point qu’il aurait, selon Michel Lussault, président du Conseil Supérieur des programmes (CSP), « provoqué une sorte de malaise dans la profession ». Pour beaucoup d’enseignants, le programme d’aujourd’hui aurait fait perdre à l’école maternelle ses spécificités, son identité. « Peu à peu, on a primarisé l’école maternelle », estime ainsi Isabelle Racoffier, présidente de l’Association générale des enseignants des écoles et classes maternelles publiques (AGEEM). « L’école maternelle jouait le rôle de « classe préparatoire » au CP, rôle qui n’était pas le sien » renchérit Michel Lussault. La manière de vouloir faire travailler les enfants de maternelle, une manière déjà très scolaire, était un des points de contestation. Le programme insistait par exemple sur le « devenir élève ». « On faisait faire aux enfants des exercices pour réussir le contrôle et on en faisait seulement des exécutants, non des êtres pensants » explique Isabelle Racoffier. « Or, des recherches scientifiques démontrent que les élèves de maternelle sont immatures, fragiles dans leur processus d’apprentissage », souligne Michel Lussault.

Il apparaît donc erroné de vouloir en faire des « élèves » si tôt. » En outre, les connaissances et compétences attendues en fin de maternelle paraissaient, pour beaucoup, trop élevées. « En demandant des choses trop ambitieuses, on crée de l’échec scolaire, assure Jeanne-Claude Mori, enseignante à l’école maternelle Saint-Morand, à Altkirch (Haut-Rhin). Cela est plus vrai encore pour les enfants des milieux sociaux défavorisés pour qui il faut beaucoup d’éducatif pour les aider à acquérir la culture scolaire. »

 

Un mot-clé : bienveillance

Fort de ce constat, Vincent Peillon, alors ministre de l’Education nationale, a demandé au CSP, au moment de la loi sur la refondation de l’école en 2013, de produire un nouveau programme de maternelle. Un premier projet fut remis l’an dernier et soumis à la consultation des enseignants, faisant remonter quelques difficultés – projet trop ambitieux, trop imprécis, pas assez clair. Le CSP l’a alors retravaillé et le Conseil supérieur de l’éducation l’a adopté à la quasi-unanimité le 5 février dernier, avant qu’il ne soit publié au Bulletin officiel le 26 mars.

Une des différences majeures avec celui de 2008 est que ce programme s’inscrira dans un cycle unique, celui des « apprentissages premiers », et non plus dans un cycle comprenant également le cours préparatoire. « On a estimé indispensable de redonner à l’école maternelle son intégrité », indique Michel Lussault.

La philosophie globale du nouveau programme diffère également de la précédente. Un mot la définit : bienveillance. « En maternelle, il ne faut pas brusquer les enfants mais mettre les cadres. Il ne faut pas avoir le fantasme d’en faire des pré-élèves. Faire apprendre trop tôt, c’est faire apprendre mal et créer de mauvaises conditions dans l’apprentissage futur. L’important n’est pas la rapidité de l’apprentissage mais sa solidité » justifie le président du CSP. Il s’agit de laisser plus de temps à l’enfant, de suivre son rythme. Certains dénoncent alors un manque d’ambition couplé à un abaissement du niveau. « L’ambition que l’on porte est que les élèves, au sortir de la maternelle, doivent être aptes à apprendre. Quelle autre ambition peut-on espérer pour des enfants de moins de 5 ans ? On ne doit pas en faire de petits perroquets qui ne font que répéter ce qu’ils ont appris » répond Michel Lussault.

 

HD-386-matern-25 grands domaines

Le futur programme de maternelle sera ainsi davantage axé sur des activités en situation, des jeux, plutôt que sur des exercices formels, sur fiches par exemple. « De nombreuses recherches montrent que le jeu est essentiel pour apprendre », relève Michel Lussault. « Le jeu amène de la motivation, de la confiance en soi, ajoute Jeanne-Claude Mori. En jouant, il y a un échange avec l’enseignant, ce n’est pas magistral. On apprend des choses sans s’en rendre compte. Il y a du plaisir, du vivre-ensemble, on apprend à coopérer, on se socialise, ce qui n’est pas le cas seul derrière sa table. »

En ce qui concerne les apprentissages, ils se diviseront en cinq grands domaines. Le premier, « Mobiliser le langage dans toutes ses dimensions », doit amener les enfants à être capable, en fin de maternelle, de « Communiquer avec les adultes et les autres enfants par le langage », « S’exprimer dans un langage syntaxiquement correct et précis » ou encore « Ecrire son prénom en écriture cursive, sans modèle ». « Bien que fondé sur le jeu et la socialisation, le programme se donne des objectifs ambitieux, notamment concernant la phonologie » assure Michel Lussault. « Ces objectifs sont plus adaptés, confirme Jeanne-Claude Mori. Avant on demandait que les enfants en fin de maternelle soient capables d’écrire une phrase entière en cursive. Or peu d’enfants y parvenaient. »

Les deuxième et troisième domaines, « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique » et « Agir, s’exprimer, comprendre à travers les activités artistiques », redonnent de l’importance au corps et à l’art. « Ils avaient été oubliés dans le programme de 2008, estime Isabelle Racoffier, alors qu’il est par exemple démontré que les arts plastiques jouent un rôle fondamental et apprennent l’empathie envers l’autre. » La numération prend elle place dans le quatrième domaine intitulé « Construire les premiers outils pour structurer sa pensée » où la compréhension des nombres et de leur fonctionnement est davantage mise en avant que l’apprentissage « par cœur », même si l’enfant devra pouvoir « dire la suite des nombres jusqu’à trente ».

Enfin, le cinquième domaine, « Explorer le monde », comprend les sciences de la vie et de la terre ainsi que le numérique. Précisons en outre que tous ces apprentissages feront l’objet d’évaluations « positives ».

 

HD-386-matern-3Garder le lien avec l’élémentaire

Si ce programme reprend de nombreux points de son prédécesseur, il le fait de manière moins ambitieuse et en modifiant la manière de parvenir aux fins souhaitées. Désormais, le prochain enjeu consiste en sa mise en œuvre, soumise à plusieurs conditions. D’abord, l’appropriation du programme par les enseignants. « C’est une question centrale, estime Michel Lussault, et elle passe par deux choses : la production de ressources pédagogiques et l’accompagnement des enseignants, à travers les corps d’inspection et la formation, initiale et continue ». En outre, la mise en place du cycle unique ne doit pas entraîner une séparation avec l’élémentaire. « Il ne faut pas perdre les liens qui se sont créés » prévient Isabelle Racoffier. « Il est évident que le programme du cycle 2 doit être cohérent avec celui du cycle 1, rassure Michel Lussault. Mais la maternelle n’étant pas obligatoire, on ne peut pas mettre en place des apprentissages qui seraient irrattrapables pour les enfants qui n’y ont pas été. Ce serait trahir le rôle de service public. »

Enfin, l’école maternelle devra laisser une place aux parents. « Le travail avec les parents accompagne le travail sur la bienveillance et le bien-être de l’enfant, car notre objectif est commun : faire réussir l’enfant » explique Jeanne-Claude Mori, avant de conclure : « En tout cas, avec ce programme, on revient à l’idée qu’on se faisait de la maternelle au départ. On va vers une école plus juste, plus efficace, où tout le monde peut réussir. »

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TEMOIGNAGE

PhotoDominique-moisnard-maDominique Moinard, enseignant à l’école maternelle Chambord, de Legé (Loire-Atlantique)

« Les nouveaux programmes ne sont pas révolutionnaires, on a connu des changements plus radicaux. Les contenus ne changent pas forcément, c’est plus la philosophie, les manières de faire qui évoluent, en ne brusquant pas les enfants, en mettant moins la pression, en mettant l’accent sur la bienveillance.

Ces programmes insistent plus sur les jeux dirigés, car on faisait mal en voulant trop faire. On faisait faire des exercices sur fiches – notamment car, ne nous cachons pas, c’était aussi plus facile à faire pour les enseignants – or, à cet âge-là, c’est surtout de la manipulation et des jeux dirigés qui vont aider les enfants à atteindre leurs objectifs. Ils insistent également sur le fait que l’on ne peut rien faire sans les parents, sans co-éducation, surtout à cet âge-là. L’école maternelle est aussi l’école des parents. Puis, les nouveaux programmes réaffirment la place des activités artistiques, que l’on avait un peu laissées de côté.

Enfin, avec le cycle unique, on réaffirme la spécificité de l’école maternelle car on a connu ces dernières années des dérives de primarisation. En revanche, il ne faut pas que ça empêche de faire un lien avec le CP, car on en a besoin. Mais il est certain que l’école maternelle est spéciale, car les enfants ne sont pas tous prêts au même moment. »

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ZOOM

L’école à deux ans

En 2013, selon le ministère de l’Education nationale, un enfant âgé de deux ans sur huit était scolarisé. Dans le cadre de la loi de la refondation de l’école, Vincent Peillon a souhaité relancer la scolarisation des moins de 3 ans, en particulier dans les quartiers les plus défavorisés. L’objectif, d’ici 2017, est de tripler le nombre de ces enfants scolarisés. Une mesure qui part du principe que l’échec scolaire se joue dès la maternelle, et que celui-ci touche surtout les élèves issus de ces quartiers, et plus encore les enfants de familles étrangères. « L’école permet de mettre l’enfant au contact des gens, car il y a une énorme différence entre une famille qui emmène ses enfants à la campagne et l’autre qui ne connaît que la TV ou le terrain vague du coin, souligne Isabelle Racoffier, présidente de l’AGEEM. Ces enfants ne développent pas les mêmes capacités. L’école doit jouer ce rôle d’ouverture au monde. »

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Apprendre le “vivre ensemble”

Dans le futur programme de maternelle, le vivre ensemble est présent dès les premières pages. Il est notamment écrit : « L’école maternelle structure les apprentissages autour d’un enjeu de formation central pour les enfants : Apprendre ensemble et vivre ensemble. » La laïcité a également sa place : « La classe et le groupe constituent une communauté d’apprentissage qui établit les bases de la construction d’une citoyenneté respectueuse des règles de la laïcité. » En outre, il s’agit notamment de « développer un regard positif sur les différences » et construire « les conditions de l’égalité ».

 

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