EDUCATION

EDUCATION – Cantines scolaires : à quand un accès pour tous ?

Selon les communes, l’accès des élèves à la restauration scolaire est plus ou moins évident. Plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs mis en place des conditions d’accès dont une restriction en cas de chômage d’un des parents. Ces critères jugés discriminatoires sont dénoncés par les associations de parents d’élèves. Quid de la réglementation ?


Service public facultatif ou obligatoire ? Selon les interlocuteurs, les avis divergent en matière de restauration scolaire. Seule certitude : dans le primaire, celle-ci est à la charge des municipalités qui assurent le service elles-mêmes ou le délèguent à des sociétés de restauration privée.
Plus de six millions d’élèves (un élève sur deux en primaire, et deux élèves du secondaire sur trois) fréquentent quotidiennement la cantine de la maternelle au lycée (voir encadré chiffres clés). A Lyon, en dix ans, entre 2001 et 2011, on est ainsi passé de 14 350  à 21 000 repas servis par jour en école élémentaire. « Outre la crise économique qui pèse sur les familles, nous avons mis en place un système d’aides sociales et refondu la grille tarifaire ce qui a donné lieu à un accroissement des demandes émanant des foyers aux revenus les plus faibles. La baisse des coûts a entraîné le retour à la restauration scolaire d’un certain nombre d’enfants », explique Yves Fournel, adjoint au maire délégué à la petite enfance et à l’éducation à Lyon.
De même, à Bordeaux, pour la rentrée de septembre, 15 550 enfants sont inscrits à la cantine en maternelle. Face à cette demande en constante augmentation d’année en année, les communes ne sont pas toujours au rendez-vous. Certaines ont ainsi été condamnées pour un critère de restriction en particulier : la discrimination en fonction de la situation professionnelle des parents.
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Ordre de priorité
C’était notamment le cas, par le passé, à Lyon et à Bordeaux justement. Là comme ailleurs, la politique à l’égard de l’accueil en restauration a évolué. « Cette année, aucun critère restrictif n’a été appliqué », assure Emmanuelle Cuny, conseillère municipale déléguée pour la petite enfance et la vie scolaire. « C’est une volonté politique du maire Alain Juppé, des solutions techniques ont été trouvées et des aménagements réalisés afin de répondre favorablement à l’ensemble des demandes des familles. » La ville a effectué un investissement de 264 700 euros pour le matériel de restauration, de cuisine, et l’achat de lits pour accueillir des enfants de maternelle.
Même si la plupart des mairies, parmi celles connues pour leurs critères d’admission, se refusent à l’avouer, ils existent bien, comme le reconnaît à demi-mot Véronique Deutsch, maire-adjointe en charge de la petite enfance, de l’enfance et des affaires scolaires de Vernouillet, ville elle aussi inscrite sur la liste noire des communes pratiquant une politique de critères d’accueil : « La politique menée par la ville en matière d’accueil des élèves en cantine scolaire consiste à accepter tous les enfants dont les parents le souhaitent, mais lorsque notre capacité maximale est atteinte, nous donnons notamment la priorité aux enfants dont les deux parents travaillent, aux personnes en recherche d’emploi… » Et même si, comme le précise Véronique Deutsch : « toutes les situations particulières sont prises en considération, nous conseillons aux parents dont l’un ne travaille pas d’inscrire leurs enfants les jours de moindre fréquentation ». Même cas de figure à Lyon où, en dépit des efforts importants consentis par la mairie pour accroître ses capacités d’accueil (pour atteindre 24 200 places proposées), Yves Fournel reconnaît des « négociations avec les parents pour que leurs enfants viennent trois jours par semaine au lieu de quatre, afin d’assurer un roulement et permettre de rendre service au plus grand nombre ». Mais Yves Fournel dément l’existence de consignes de restriction « aujourd’hui », précise-t-il. « Pour les 130 restaurants scolaires que compte la ville de Lyon, la consigne est d’accueillir tout le monde. »
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Manque de moyens
« Il n’y a pas de réglementation en la matière, soutient Jean Denais, maire de Thonon-les-Bains, ville déjà épinglée par la presse pour sa politique restrictive (voir interview ci-dessous), rien n’oblige une commune à mettre en place un service de restauration scolaire et à y accueillir tous les enfants scolarisés. » « Que faire quand l’écart entre la demande et l’offre est trop grand ? » interroge l’adjoint au maire délégué à la petite enfance et à l’éducation à Lyon. « Accueillir tout le monde, très bien, renchérit Emmanuelle Cuny, mais dans quelles conditions ? » L’argument du manque de moyens revient souvent chez les uns et chez les autres pour justifier l’incapacité à accueillir davantage d’enfants à la cantine. « C’est en effet l’argument numéro un de beaucoup de collectivités, note Sébastien Durand, mais hormis pour les plus petites d’entre elles, l’excuse est souvent un peu facile. » Ce père de famille s’est battu en début d’année pour que sa fille puisse se rendre à la cantine à Saint-Cyr-l’Ecole, sa ville de résidence. « Il ne s’agit pas de blâmer toutes les communes, précise-t-il, mais l’argument n’est pas tenable dans des villes comme Saint-Cyr. » Il en veut pour preuve que « moins de trois à quatre semaines après sa condamnation, la ville avait trouvé des places de cantine ». Après avoir inscrit sa fille de trois ans à la cantine, Sébastien Durand apprenait que dans la mesure où un des parents de celle-ci ne travaillait pas, elle n’aurait accès à la cantine que deux jours par semaine maximum, voire un jour en cas de très forte demande. Après une tentative de conciliation avec la commune, le père de famille se résout à porter l’affaire devant le tribunal administratif. En juin dernier, celui-ci reconnaissait que la réglementation était « discriminatoire et illégale » et la suspendait. La mairie a ainsi dû modifier son texte et renoncé à ses critères.
Via son blog (enfants-tous-egaux.fr), Sébastien Durand recense les communes pratiquant ce type de discriminations (telles Oullins, une commune dont la condamnation fait jurisprudence) et donne des conseils et des outils aux parents confrontés à ces situations. Il tente de trouver des solutions à l’amiable et rappelle que « La restauration scolaire étant un service public périscolaire sous responsabilité de la commune et non obligatoire, il est possible que des problèmes de capacité d’accueil se posent ». Pas question cependant de se satisfaire de situations iniques selon lui car « la cantine n’est pas seulement une garderie avec une assiette, elle participe de l’éducation de l’enfant, de son équilibre alimentaire, de l’apprentissage de la vie en société ». Avant de conclure : « Elle mérite donc qu’on se batte pour un égal accès pour tous. »
CC

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REPERES
Chiffres clés

• Plus de six millions d’élèves vont à la cantine de la maternelle au lycée.
• 60 % des élèves y prennent au moins trois repas par semaine.
• Un milliard de repas sont servis chaque année dans les restaurants scolaires et universitaires.
• En primaire, 53 000 établissements scolaires servent environ 400 millions de repas.
• Pour les collèges et lycées qui servent 600 millions de repas, depuis le 1er janvier 2005, il y a transfert de compétences en matière d’hébergement et de restauration scolaire aux départements pour les premiers et aux régions pour les seconds. Les cantines sont placées sous le contrôle du ministère de l’Agriculture.

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Le point sur l’enquête menée par le défenseur des droits, Dominique Baudis, sur l’accès à la cantine scolaire

Au mois d’août dernier, Dominique Baudis, Défenseur des droits lançait une enquête en ligne sur www.defenseurdesdroits.fr concernant l’accessibilité des cantines scolaires des écoles publiques. Parents d’élèves, professionnels de la restauration scolaire et élus étaient invités à témoigner via un questionnaire proposé en mentionnant la commune et l’école concernées, le type de difficultés rencontrées pour l’accès à la cantine au moment de l’inscription (handicap, raisons de santé, de transport, de disponibilité des parents ou encore de sanction en cas d’impayés) ou sur le service rendu (cas des enfants allergiques, menus spécifiques pour raisons philosophiques ou religieuses…).

« Chaque année, à l’occasion de la rentrée scolaire, nous recevions, sur ce sujet, des réclamations émanant de parents, mais aussi de maires ou encore d’associations de parents d’élèves, explique Dominique Baudis. Les doléances portaient essentiellement sur les difficultés voire les refus d’inscription d’enfants à la cantine scolaire. Des refus fondés, dans certains cas, sur des critères totalement discriminatoires comme le chômage de l’un des deux parents. » « Cette enquête va nous permettre d’éclairer le paysage, en élaborant un guide des bonnes pratiques », assure le Défenseur des droits. Il sera prêt au printemps prochain.

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INTERVIEW

Jean Denais, maire de Thonon-les-Bains

Quelle est la réglementation en matière d’accès au service de restauration scolaire ?

Si nos responsables nationaux voulaient que ce service soit garanti et égal pour chaque enfant où qu’il se trouve sur le territoire, la loi le rendrait obligatoire et l’État en prendrait la charge et la responsabilité, comme l’Éducation nationale, dont il deviendrait un service annexe et on n’en parlerait plus. En revanche, dès lors que c’est le contribuable local qui finance le service, il faut s’attendre à ce que chaque collectivité cherche la meilleure solution pour son territoire. Et il se peut, comme chez nous, que l’attractivité de la commune fasse que nous devions prévoir le cas où, ponctuellement, nous ne pourrions pas, au moment d’un pic de fréquentation, satisfaire toutes les demandes. Dans ce cas, il faut savoir que les juges administratifs préconisent la règle « du premier arrivé, premier servi » : c’est légal. Certains élus s’en satisfont. D’autres non. Je fais partie de la deuxième catégorie. Comment dire à un enfant, à l’entrée du restaurant : « Ah non, désolé, il n’y a plus de place » ? C’est pourtant ce système qui est légal en France, il faut le savoir.


Quelle est la situation à Thonon-les-Bains ?

Étant opposés au principe du « premier arrivé, premier servi », nous avons mis en place un ordre de priorité qui fait que nous privilégions la fréquentation des enfants dont les parents ne peuvent pas s’occuper le temps du midi : soit qu’ils travaillent tous les deux, soit qu’ils soient demandeurs d’emploi et dans ce dernier cas nous voyons avec la famille quels sont les jours à privilégier. Par ailleurs, sont placées en priorité absolue les familles envoyées par les services sociaux. Donc je le redis, nous n’excluons personne et nous ne l’avons fait à aucun moment jusqu’ici : nous souhaitons simplement concentrer nos efforts pour satisfaire les besoins réels des familles dans une période transitoire où nos travaux d’extension sont en cours.

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GRAND TEMOIN : Marie Derain


« Le Défenseur des droits est chargé de défendre et de promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant. Il est assisté dans cette mission par la Défenseure des enfants », en la personne de Marie Derain.

Pourquoi le Défenseur des droits (Dominique Baudis) a-t-il lancé cette enquête sur les cantines scolaires des écoles publiques ?
Marie Derain – Les réclamations reçues portent essentiellement sur les difficultés voire les refus d’inscription d’enfants à la cantine scolaire. Des refus fondés, dans certains cas, sur des critères totalement discriminatoires comme le chômage de l’un des deux parents.
Chaque année la question des restrictions d’accès aux cantines se pose. Les sollicitations des parents nous parviennent souvent avant la rentrée, les familles se plaignent d’être prévenues, comme c’est souvent le cas, au dernier moment du refus de l’inscription à la cantine, ce qui pose des problèmes d’organisation évidents. Les problèmes d’accès portent sur trois sujets : la restriction liée au fait qu’un des parents ne travaille pas ; aux revendications religieuses et philosophiques ; aux allergies. Mise en ligne en août dernier, l’enquête a déjà recueilli plus de 1 200 contributions dont une moitié est composée de réclamations effectives, l’autre de témoignages.
L’objectif de notre enquête est de repérer les problèmes et de proposer de bonnes pratiques. Ensuite, un état des lieux sera dressé avant l’élaboration au printemps, en collaboration avec l’Association des maires de France (AMF), d’un guide des bonnes pratiques. Il s’agira de poser un cadre juridique.
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Quelle est la règle qui s’applique en la matière ?
Les cantines scolaires relèvent du service public, c’est un service facultatif en termes de droit mais qui doit respecter les principes de celui-ci. La continuité du service public, l’égalité d’accès et la neutralité religieuse s’appliquent donc. On ne peut donc pas fonder un refus légalement. En outre, il s’agit d’un service public à vocation sociale, il doit permettre aux enfants de prendre un repas à un coût moindre.
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Quel rôle joue le Défenseur des droits des enfants sur ces questions ?
La médiation est son premier mode d’intervention, il peut intervenir devant le juge lorsque le tribunal est saisi, mais ne peut pas remettre en cause une décision juridictionnelle. Il s’efforce de créer des espaces de dialogue. Sur ce sujet, nous travaillons beaucoup avec l’AMF mais aussi avec les associations de parents d’élèves. Celles-ci permettent de recueillir un certain nombre de témoignages mais aussi de dialoguer avec les maires. Dans certaines communes, l’offre de places en restauration scolaire est trop petite par rapport à la demande d’où la mise en place de conditions d’accès. Le Défenseur des droits rappelle le cadre législatif et l’obligation de défense et de promotion des droits de l’enfant que la France s’est engagée à respecter en signant la Convention internationale des droits de l’enfant.
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A SAVOIR. Nommée Défenseure des enfants auprès du Défenseur des droits, adjointe au Défenseur des droits, en juillet 2011, Marie Derain (née en 1969) est diplômée en droit privé et de l’Institut de criminologie. Auparavant elle a occupé différents postes en services déconcentrés, à l’école nationale de protection judiciaire de la jeunesse, à la Direction des politiques éducatives et de l’audit de la Direction inter régionale Île-de-France-Outre Mer, puis en administration centrale.


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