DOSSIER

DOSSIER – Langues vivantes à l’école : le retard se comble

L’apprentissage des langues étrangères a toujours été l’un des talons d’Achille de l’enseignement français. En 2008, les 20 000 jeunes Français à qui l’on avait demandé de passer un test d’anglais avaient obtenu un score final de 88 sur 120, bien loin des 108 points atteints en moyenne par les Allemands ou les Néerlandais. Pourtant, dans un monde ouvert et mondialisé, connaître une ou plusieurs langues étrangères est plus que jamais une nécessité aussi bien pour sa vie professionnelle que personnelle.
Depuis une dizaine d’années, ce problème a régulièrement fait partie des priorités des ministres qui ont occupé le 110 rue de Grenelle (siège du ministère de l’Education nationale à Paris). Depuis 2005 notamment, plusieurs réformes se sont succédé pour redonner aux cours de langues toute la place qu’ils méritent. Dernière initiative en date : le ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, installait en avril dernier le Comité stratégique des langues, chargé de préparer des pistes de réforme pour améliorer l’apprentissage des langues étrangères tout au long du cursus scolaire. Le 7 février, après la remise du rapport de ce comité, le ministre a rendu publiques ses propositions, orientées vers trois domaines : l’immersion linguistique, les rythmes d’enseignement et la mobilité internationale.

C.B.

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Pour communiquer, échanger, voyager, la maîtrise d’au moins une langue étrangère est désormais une nécessité. Après avoir été longtemps délaissé, l’apprentissage des langues vivantes fait depuis plusieurs années partie des priorités de l’Education nationale. Le plan de rénovation de l’enseignement des langues vivantes étrangères, lancé en 2006, puis la réforme des langues vivantes au lycée en 2012, ont modifié la manière d’apprendre les langues vivantes de l’école primaire jusqu’au bac.
Tout d’abord, le début de l’apprentissage des langues vivantes n’a cessé d’être avancé. Alors qu’elle n’a longtemps été abordée qu’à partir de la classe de 6e, la première langue vivante est désormais obligatoire pour tous les élèves dès le CE1. Des initiatives sont même menées dès le CP, voire avant. Elles devraient être amenées à se généraliser. Dans le rapport qu’il a remis début février au ministre de l’Education nationale, le Comité stratégique des langues recommande en effet de profiter des grandes capacités d’écoute et d’acquisition des enfants de moins de 6 ans en instaurant une sensibilisation aux langues étrangères pour tous les élèves de maternelle. Introduite pour le moment en classe de 4e dans la filière générale et technologique, la seconde langue vivante pourrait, quant à elle, faire son apparition dès la classe de 6e.
Une progression mieux encadrée
Autre initiative marquante : l’adossement depuis 2005 au Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) a permis de mieux identifier les lacunes des élèves français en matière d’apprentissage des langues et de mieux encadrer leur progression. Ce référentiel commun à de nombreux pays européens se charge notamment de fixer le niveau de langue que doivent atteindre les élèves de chaque classe. En CM2, chaque élève doit, par exemple, savoir communiquer en anglais et comprendre un interlocuteur parlant lentement et distinctement (niveau A1 du CECRL). A la fin de la scolarité obligatoire, il doit être capable de relater un événement, de défendre une idée et de se débrouiller seul à l’étranger (niveau B1).

Des programmes à la carte
Du CE1 au CM2, chaque élève est censé bénéficier aujourd’hui d’une heure et demie de langue vivante par semaine. Ce quota passe à 4 heures par semaine en sixième avant de retomber à trois heures hebdomadaires à partir de la cinquième, voire moins dans certaines filières du lycée. Il peut néanmoins être revu à la hausse dans le cas où l’élève intègre les langues vivantes à ses Itinéraires de découverte (IDD) ou à ses Travaux personnels encadrés (TPE), s’il profite de l’atelier d’anglais proposé par son collège dans le cadre de l’accompagnement éducatif ou s’il assiste aux séances d’approfondissement mises en place dans son lycée. Les élèves peuvent également profiter des nombreuses initiatives proposées par les collectivités territoriales ou les associations.
Dans l’académie de Rouen (76), des stages intensifs de langues, menés par des locuteurs natifs, sont ainsi proposés pendant les vacances d’été aux élèves volontaires dont les parents n’ont pas les moyens de les envoyer en séjour linguistique à l’étranger. A Saint-Maximin-la-Baume (83), une association locale s’engage à remettre à niveau les élèves de la 6e à la 3e avant la rentrée de septembre.
Des filières spécifiques, tournées largement vers les langues, sont aussi proposées. Les sections européennes, accessibles à partir de la 6e ou de la 4e, ont la particularité de consacrer des plages horaires plus importantes aux cours de langues (lire notre article p.10-11, à la suite de ce dossier). Les sections bilangues, quant à elles, proposent une véritable double-formation, en français et dans une langue étrangère au terme de laquelle l’élève décroche à la fois son baccalauréat et le diplôme équivalent du pays concerné (le bachillerato pour la formation en espagnol, par exemple).

De nouvelles méthodes pédagogiques
Outre l’organisation des rythmes d’apprentissage, les méthodes d’enseignement aussi ont évolué. Le temps où les élèves passaient la majeure partie de leur temps à enchaîner d’ennuyeux exercices de grammaire est révolu. Désormais, priorité est donnée à la pratique de l’oral, conformément aux exigences du CECRL. Pour les aider dans leurs démarches, les enseignants ont accès notamment à diverses bases de données accessibles sur Internet. Qu’elles soient publiques ou privées, conçues par des professionnels ou alimentées par les internautes eux-mêmes, elles mettent à leur disposition des milliers de documents sonores ou vidéo que les enseignants peuvent télécharger à leur guise pour les faire écouter aux élèves et les utiliser comme points de départ pour des exercices ou des débats.
Les lycées, de leur côté, sont fortement incités à travailler par « groupes de compétences ». Ainsi, à la cité scolaire Pardailhan d’Auch (32), les emplois du temps de deux classes de seconde ont été aménagés de manière à ce que les élèves soient, à certains moments de la semaine, répartis en quatre groupes distincts en fonction de leurs besoins. Pendant 8 semaines, certains d’entre eux seront ainsi amenés à travailler de manière poussée sur la compréhension écrite alors que d’autres approfondiront leur expression orale.
Certains établissements vont même encore plus loin en dispensant des cours de mathématiques ou d’histoire-géographie en anglais ou en allemand. Ce genre d’initiative, jusque-là réservée aux sections européennes ou internationales, peut désormais être mis en place dans tous les établissements.

La part belle aux nouvelles technologies
Que ce soit aussi bien pour renforcer la pratique de l’oral en classe que pour développer les échanges avec des établissements étrangers imposés par les programmes, les nouvelles technologies ont déjà montré leur utilité.
Au lycée Raoul Follereau de Nevers (58), par exemple, chaque élève se voit remettre en début d’année un baladeur MP3 sur lequel il doit télécharger des documents sonores en anglais, mis à sa disposition par le professeur sur le site Internet de l’établissement, et accompagnés d’exercices de compréhension et d’expression orale. « Grâce à ce système, je peux écouter le texte autant de fois que nécessaire. Je peux aussi m’enregistrer sans peur d’être jugé et me réécouter pour détecter mes erreurs. Ça me donne confiance et ça m’incite à plus participer en classe », assure une élève sur le site Eduscol. L’intérêt de la « baladodiffusion » a aussi été souligné par le Comité stratégique des langues qui souhaite le développer sur tout le territoire.
Les élèves de CM1 de l’école Sanquer de Brest (29), quant à eux, échangent depuis 10 ans avec des établissements étrangers par le biais d’un système de visioconférence. Plusieurs fois par semaine, les élèves font connaissance avec des Anglais ou des Australiens de leur âge par webcam interposée, se posent mutuellement des questions ou jouent à distance (à « Qui est-ce ? », par exemple). Cette expérience permet aux petits Bretons non seulement d’entendre de l’anglais, mais elle donne aussi du sens à leurs échanges et les incite plus que jamais à faire des efforts pour se faire comprendre. A en croire le ministère de l’Education nationale, 700 dispositifs de visioconférence seraient actuellement en place dans les établissements du primaire.

Faire mieux avec moins
La mise en place des réformes successives se heurte toutefois à plusieurs obstacles. L’apprentissage précoce des langues vivantes doit notamment faire face à la suppression à la rentrée prochaine d’un millier de postes d’intervenants qui assuraient jusque-là la plupart des cours au primaire. Il reviendra dorénavant à chaque professeur des écoles d’assurer les séances d’anglais dans sa classe, au même titre que les cours de mathématiques ou de français. Pour y parvenir, la formation initiale a bien été renforcée et des stages de remise à niveau ont été proposés aux enseignants déjà en poste. « Les quelques heures de formation dont j’ai bénéficié n’ont pas été inutiles, mais elles ne m’ont pas permis de rattraper le retard que j’avais accumulé, déplore une enseignante chargée désormais d’apprendre l’anglais à ses élèves de CM1. Je ne me sens pas encore suffisamment à l’aise avec la grammaire, le vocabulaire et la prononciation pour donner à mes élèves des bases solides ». Pour pallier ce problème, le ministre de l’Education nationale a annoncé son intention de renforcer encore la formation, mais aussi de promouvoir la mobilité des enseignants hors de France voire d’imposer, à terme, la validation d’au moins 6 mois d’études à l’étranger pour pouvoir postuler à un concours d’enseignant. Autre solution envisagée par Luc Chatel : demander aux professeurs de langue du secondaire de venir aider leurs collègues du primaire.

Inégalités
La succession de réformes pose aussi des problèmes d’organisation. En fonction des initiatives menées dans leurs écoles respectives, les élèves n’arrivent pas tous en 6e avec le même bagage. « Depuis le début de l’année, nous ne faisons que reprendre ce qu’on a déjà fait les années précédentes », soupire Joseph, qui bénéficie de cours d’anglais depuis le CE2. Des groupes de compétences sont bien mis en place et des séances de soutien organisées pour essayer de gommer ces disparités, mais confrontées à des problèmes d’emploi du temps ou de personnel, ces initiatives ne sont pas systématiquement mises en place. Quant aux nouvelles technologies, leur développement dépend en grande partie de l’implication des enseignants et des collectivités territoriales, chargées d’acheter et d’entretenir le matériel. Il faudra encore beaucoup d’efforts pour qu’un jour les petits Français deviennent tous bilingues.

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REPERES
L’anglais en force
• Plus que jamais l’anglais s’impose comme la langue étrangère numéro 1 à l’école. Elle est désormais étudiée par 90 % des élèves du cycle 3 en primaire. Dans le secondaire, la langue de Shakespeare est encore plus présente. A la rentrée 2010, 94,7 % des jeunes collégiens avaient fait de l’anglais leur première langue vivante.
• Au moment de choisir leur deuxième langue, l’espagnol a la préférence de 71,3 % des collégiens, très loin devant  l’allemand (14,7 %), l’anglais (7,1 %) et l’italien (5,7 %). Les autres langues sont respectivement étudiées par moins de 0,5 % des élèves. Parmi elles, le chinois est celle qui a le plus progressé.
• Seuls 7 % des élèves étudient une troisième langue vivante.

Source : Repères et références statistiques 2011.

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INTERVIEW
Suzy Halimi, présidente du Comité stratégique des langues

Le 7 février, vous avez remis au ministre de l’Education nationale vos recommandations sur l’évolution de l’apprentissage des langues. Pour quelles raisons, selon vous, faut-il une fois de plus faire évoluer le système ?
Il faut se rendre à l’évidence : la grande majorité des entreprises ne recrutent plus désormais que des personnes parlant au moins une langue vivante, l’anglais dans la plupart des cas. Faire en sorte que chaque citoyen maîtrise au moins une langue étrangère est une nécessité non seulement pour l’insertion professionnelle des jeunes, mais aussi pour la croissance du pays.

Utilisation des nouvelles technologies, renforcement de la formation des enseignants, apprentissage précoce… ces recommandations sont-elles envisageables dans le contexte actuel ?
La plupart des initiatives que nous recommandons de généraliser, comme la « baladodiffusion » ou les stages intensifs, existent déjà. C’est donc faisable. Quant au renforcement de l’apprentissage au primaire, il suffirait de procéder à des aménagements pour que son surcoût reste limité. Par ailleurs, si l’apprentissage dans le cadre de l’école est essentiel, il faut à mon avis aller plus loin et faire des langues vivantes non plus une discipline comme les autres mais un problème de société à part entière, notamment en développant une culture de la langue hors du cadre scolaire. C’est pour cette raison que nous souhaitons, par exemple, que des émissions en langue étrangère soient diffusées à la télévision.

Une meilleure réussite passe-t-elle forcément par un apprentissage plus précoce ?
Il est prouvé que plus les élèves sont confrontés tôt aux langues étrangères, mieux ils réussissent à les assimiler. C’est pour cette raison que nous souhaitons que soient généralisés l’apprentissage d’une deuxième langue vivante dès la 6e et une sensibilisation des élèves de maternelle par le biais de jeux, de comptines, mais aussi en s’appuyant sur la richesse linguistique de la classe.

Si vous n’aviez qu’une priorité, quelle serait-elle ?
Je trouve que les professionnels de l’éducation ne travaillent pas assez ensemble. Il est essentiel que les ressources soient mutualisées et que les échanges entre les enseignants et entre les établissements soient favorisés.

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POINT DE VUE
Françoise Du, professeur d’anglais au lycée Bréquigny de Rennes (35) et secrétaire générale adjointe de l’Association des professeurs de langues vivantes (APLV)

« L’apprentissage de l’anglais a nettement évolué. Les cours sont plus dynamiques, plus interactifs qu’avant. La grande place laissée à la pratique de l’oral et à l’utilisation des nouvelles technologies, notamment des baladeurs MP3, a montré son intérêt. Le fait que les élèves aient accès plus facilement à des vidéos en anglais (notamment sur Internet) ou à des films en version originale est forcément positif. Pour autant, cette sensibilisation à la langue ne remplacera jamais de vrais cours dispensés par des professeurs. Or, nous constatons qu’au lycée, par exemple, le nombre d’heures de cours a tendance à être revu à la baisse. Dans mon établissement, les dédoublements, qui nous permettaient de travailler en petits groupes, vont être supprimés, nous obligeant à faire cours à des classes de 36 élèves. Quant à la pratique de l’oral, aussi importante soit-elle, elle ne doit pas faire oublier l’importance de l’écrit. »

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ZOOM
La réponse du CNED pour l’apprentissage des langues

Le CNED a profité de la remise au ministre de l’Education nationale du rapport du Comité stratégique des langues pour lancer son tout nouveau site Internet destiné à favoriser l’accès de tous aux langues étrangères. Disponible sur n’importe quel terminal (ordinateur, tablette ou smartphone), Englishbyyourself.fr donne accès à des centaines de vidéos (extraits de films, animations, jeux interactifs…) émanant d’éditeurs partenaires ou recueillies sur Internet puis validées et mises en forme par une équipe pédagogique. Les ressources peuvent être triées en fonction de l’âge du visiteur (dès 3 ans) et de ses centres d’intérêt. Cerise sur le gâteau : la très grande majorité des contenus est en accès libre. www.englishbyyourself.fr

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L’INFO EN +
Lire et télécharger le rapport du comité stratégique des langues


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L’AVIS DE LA PEEP

Le rapport du comité stratégique des langues, remis le 7 février à Luc Chatel, présente 17 recommandations ambitieuses.

Pour la PEEP, la qualité première de ce rapport est d’aborder l’enseignement des langues vivantes, non pas sous l’angle unique du scolaire mais de manière plus globale et ainsi de placer cet apprentissage au cœur des questions sociétales.

La sensibilisation aux langues dès la maternelle ‐ qu’elles soient régionales ou nationales ‐ par des locuteurs natifs, est une recommandation essentielle qui correspond à une demande de longue date de notre Fédération.

Les parents PEEP souhaitent que l’apprentissage d’une deuxième langue vivante, dès la classe de 6ème, soit mis en place dans tous les collèges à la prochaine rentrée, et pas uniquement dans 10 % des collèges comme l’annonce le ministre.

Le rapport aborde également l’importance de la mobilité pour les élèves et les enseignants dans l’apprentissage d’une langue vivante. Les élèves doivent pouvoir, au moins une fois au cours de leur scolarité, faire un voyage linguistique. Ces séjours ayant un coût conséquent pour les familles, la PEEP recommande de privilégier les échanges entre élèves ou entre établissements scolaires européens, tout aussi efficaces et moins onéreux.

Comme le souligne ce rapport, une meilleure coopération entre tous les acteurs et interlocuteurs permet d’améliorer les pratiques pédagogiques. La PEEP partage avec les membres de ce comité l’ambition de dynamiser les commissions académiques pour l’enseignement des langues dans lesquelles siègent nos responsables. Elles doivent devenir un lieu de réflexion et d’échange.

Enfin La PEEP demande que les séries et films, diffusés à la télévision, soient systématiquement en version originale sous‐titrée comme dans un grand nombre de pays européens.

La PEEP est consciente que les préconisations ambitieuses de ce rapport se font dans un contexte budgétaire contraint, mais s’agissant d’un investissement indispensable pour l’avenir

de notre pays, elle sait que des arbitrages peuvent être faits pour faire avancer ce dossier prioritaire.

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PRESENTATION DU RAPPORT PAR LUC CHATEL

Luc Chatel – Présentation du rapport sur… par Luc-Chatel

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