Règles et scolarité : informer, accompagner
Pour 8 filles sur 10, avoir ses règles à l’école est un facteur de stress. Une fille sur trois a déjà manqué l’école à cause de ses règles – elles sont une sur deux chez les 15-18 ans. 85 % des filles affirment que ce sont les douleurs menstruelles qui les ont empêchées d’aller à l’école. Une fille sur quatre considère que cet absentéisme a freiné sa progression scolaire… Ces chiffres, issus d’une récente enquête de l’association « Règles élémentaires », montrent que l’impact physique et psychologique des règles est bien réel, avec des conséquences sur leur scolarité.
Plusieurs problématiques se posent : l’éducation menstruelle, avec les questions d’hygiène, la précarité menstruelle, l’accompagnement des jeunes filles qui souffrent de règles douloureuses… « Si on parlait plus des règles à l’école, on pourrait prévenir les angoisses et les troubles de santé liés aux règles », réclame « Règles élémentaires ». Une solution : que « l’éducation menstruelle soit généralisée en milieu scolaire », comme le souhaite Florence Lépine, coordinatrice des actions jeunes de l’association – lire son interview plus loin.
«Chaque année, 130 000 collégiennes et lycéennes manquent l’école, faute de pouvoir se procurer des protections hygiéniques. » Derrière cette déclaration-choc, diffusée dans un communiqué de presse le 27 mai 2021, Élizabeth Moreno, alors ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce que l’on appelle la « précarité menstruelle » (lire en encadré ci-dessous) apparaît officiellement comme une cause importante d’absentéisme scolaire, voire de déscolarisation.
Une situation qui ne devrait pas aller en s’améliorant… Les chiffres du dernier baromètre « Hygiène & Précarité en France » de l’association Dons Solidaires parlent d’eux-mêmes : désormais, 1 Français sur 2 indique que le contexte économique le pousse à limiter sa consommation de produits d’hygiène, contre 1 Français sur 3 l’année passée. Autres points marquants : 1 jeune sur 5 fait désormais appel à une association pour se procurer des produits d’hygiène, et 16 % des femmes indiquent qu’il leur arrive de manquer de protections menstruelles pour elles ou leur fille, faute de moyens.
Douleurs
A cette précarité menstruelle s’ajoute aussi, pour de nombreuses jeunes filles, la douleur… Appelées dysménorrhées, les douleurs lors des règles, permanentes ou occasionnelles, touchent 50 à 70 % des adolescentes. Souvent soulagées par la prise d’un antalgique, les règles demeurent parfois si douloureuses qu’elles empêchent les activités habituelles, comme se rendre en cours… Conséquence : les douleurs lors des règles sont la première cause d’absentéisme scolaire de l’adolescente. Ce que confirme l’étude menée par l’association Règles élémentaires : 1 fille sur 3 a déjà manqué l’école à cause de ses règles, pour les 15-18 ans, c’est 1 fille sur 2…
Information
La question de l’information sur les règles est un premier sujet. Toujours selon cette enquête, si près des trois quarts des jeunes filles interrogées déclarent avoir reçu des informations à l’école, seules 50 % des moins de 13 ans en ont bénéficié. Si l’éducation menstruelle est capitale pour « bien vivre ses règles », elle n’est pas vraiment identifiée dans les programmes scolaires. En outre, aujourd’hui seulement 15% des élèves bénéficient des 3 séances annuelles d’éducation à la vie affective et sexuelle prévues par la loi.
Initiatives
Pour pallier ces insuffisances, des associations prennent le relais. A l’image de la campagne « toutes culottées » menée dans les collèges par l’institut des Hauts-de-Seine (92). Dans 98 collèges de ce département, une sensibilisation à l’hygiène menstruelle est apportée aux élèves au travers d’ateliers. Les intervenants (médecins, sages-femmes, étudiantes en médecine…) accueillent des petits groupes de collégiennes pour un temps consacré à l’explication du cycle menstruel, à la sensibilisation aux différents types de protections et aux risques liés à une mauvaise hygiène menstruelle.
Autre exemple : l’association CycloShow-XY propose des ateliers destinés aux filles entre 10 et 14 ans, accompagnées parfois de leur maman, axés sur l’anatomie, le cycle féminin, la puberté, les règles… L’objectif est de transmettre une vision positive du corps, des informations justes sur les règles tout en luttant contre les idées reçues. A la clé : une hausse de la confiance et de la sérénité lors de l’arrivée de leurs règles.
Hygiène
Outre la problématique de l’information, il existe un « sujet » que la plupart des jeunes filles ont malheureusement expérimenté : les sanitaires à l’école ! Un point primordial pour la Gestion de l’hygiène menstruelle (GHM). Le manque d’intimité et de propreté crée un stress supplémentaire. Un rapport de l’OMS Europe a mis en évidence le fait qu’en France, près d’un élève sur trois évitait de se rendre aux toilettes pour ces raisons… Un point crucial dont les représentants des parents d’élèves, dans les conseils d’école et d’administration, ne doivent manquer de se saisir !
__________
ZOOM
Que signifie la « précarité menstruelle » ?
Comme le définit le rapport « Lutte contre la précarité menstruelle » publié en octobre 2023 par Impact Tank, la précarité menstruelle peut être définie comme « l’accès limité ou inadéquat aux produits menstruels et à l’hygiène menstruelle, ou à l’éducation à la gestion de l’hygiène menstruelle en raison de contraintes financières ou de stigmates socioculturels négatifs associés aux menstruations ».
Alexandra Mérienne, rapporteuse des travaux de cette publication extrêmement étayée, préconise d’équiper tous les établissements scolaires en protections périodiques gratuites, et ce dès l’école primaire. « Même si l’âge moyen de la ménarche (apparition des premières règles) est établi à 12 ans, certaines filles ont leurs premières règles plus tôt, et il est primordial que les écoles soient en mesure de les accompagner et de leur fournir des protections ». Tina, une enseignante dans une école primaire à Besançon, lui a expliqué que, pour pallier ce manque de disponibilité des protections dans les écoles primaires, « les professeurs s’organisent eux-mêmes pour acheter des stocks de protections, à l’aide de l’argent d’une coopérative alimentée par les parents d’élèves sur la base du volontariat ».
Infirmerie et PAI
Outre les salles de cours, il est une autre salle dans les collèges et les lycées que fréquentent nombre de jeunes filles : l’infirmerie. En cas de traitement des règles douloureuses, les parents doivent contacter l’infirmière : un formulaire est à remplir par le médecin généraliste de l’élève et par ses parents. Ce document est à redonner à l’infirmière, signé et accompagné des médicaments correspondants. Ainsi, le traitement pourra être donné à l’élève si besoin. Les élèves peuvent venir à l’infirmerie pendant la récréation, la pause méridienne, les heures de permanence ou aux intercours.
Dans le cadre d’un traitement spécifique, pour des troubles de santé chroniques, les familles peuvent recourir à un PAI, projet d’accueil individualisé (PAI). Un document écrit qui définit les adaptations apportées à la scolarité de l’élève en lien avec l’état de santé. Si vous souhaitez que votre enfant bénéficie d’un PAI, sollicitez le directeur de l’école ou le chef de l’établissement.
Actions de terrain
De plus en plus d’acteurs institutionnels (départements, régions, établissements scolaires) mettent en place des actions pour améliorer l’accès aux produits menstruels, par exemple en installant des distributeurs.
Mise à disposition gratuite de protections féminines
Le département de Loire-Atlantique a lancé dans six collèges une mise à disposition gratuite de protections féminines jetables et bios, en installant des distributeurs dans les toilettes ou à l’infirmerie. Des kits « premières règles » ont été remis aux collégiennes de 6e et des actions de sensibilisation sur les menstruations ont été mises en œuvre, pour les filles et les garçons.
Au collège Louise Michel de Paimboeuf, une journée baptisée « Sang gênes ? » a été organisée par les équipes éducatives pour « dépasser les clichés, et décomplexer filles et garçons sur le sujet des règles ».
2 millions de protections hygiéniques
La région Hauts-de-France mène un projet de lutte contre la précarité menstruelle dans les lycées publics de la région depuis septembre 2021, articulé autour de deux axes d’action : un volet sur la mise à disposition de protections périodiques et un volet sur l’éducation aux menstruations. Depuis le début de l’initiative, 2 millions de protections hygiéniques ont été mises à disposition dans les lycées.
Remboursement… et précautions !
En mars 2023, la Première ministre Elisabeth Borne a annoncé le remboursement des protections périodiques réutilisables par la Sécurité sociale pour les moins de 25 ans.
Par ailleurs, depuis le 1er janvier 2023, il est obligatoire pour les fabricants d’indiquer sur les emballages les compositions des protections périodiques, les précautions d’utilisation et les contre-indications (notamment les risques de chocs toxiques). Sur ce sujet, Marie-Françoise Wittrant, responsable du Groupe Santé Prévention de la PEEP, alerte également sur les potentiels dérèglements hormonaux dont les tissus de certains vêtements (en particulier ceux de la « fast fashion », vêtements à bas coûts en provenance d’Asie principalement) peuvent être à l’origine.
Pour en savoir plus…
Découvrez le Webinaire du Groupe Santé Prévention (GSP) de la PEEP : « L’école des filles : Règles douloureuses & précarité menstruelle », avec Florence Lépine, de Règles élémentaires, et Virginie Tesnière, docteur-gynécologue obstétricien. Contactez le GSP : sante.prevention@peep.asso.fr.
__________
INTERVIEW
Florence Lépine, coordinatrice des actions jeunes / référente PACA de l’association Règles Élémentaires
« Nous souhaitons que l’éducation menstruelle soit généralisée en milieu scolaire »
En quelques mots, quels sont les objectifs de votre association « Règles élémentaires » ?
Créée en 2015, Règles Élémentaires est la première association française de lutte contre la précarité menstruelle et le tabou des règles. Notre mission : permettre à toutes les personnes de vivre leurs règles dans de bonnes conditions et faire qu’avoir ses règles ne soit plus un frein. C’est précisément parce que les règles ont des conséquences quotidiennes sur la vie de la moitié de la population, qu’elles sont un sujet de société :
- l’égalité : près d’1 adulte sur 3 a déjà manqué le travail, et près d’1 jeune sur 2 a déjà manqué l’école, à cause de leurs règles ;
- la santé : on estime qu’ 1 personne sur 2 souffre de règles douloureuses ;
- la lutte contre la précarité : près de 4 000 000 de personnes sont en situation de précarité menstruelle ;
- l’éducation : près d’1 personne sur 2 n’entend parler des règles pour la première fois qu’à la puberté ;
- l’estime de soi : aujourd’hui, pour plus d’1 jeune sur 2, ses premières règles sont synonyme d’angoisse ou de peur.
Vous êtes chargée, au sein de Règles élémentaires, de l’éducation menstruelle. Justement, qu’en est-il de l’information des jeunes filles sur les règles ? Dans cette éducation, le rôle de la famille, des parents, semble primordial… Sur cette thématique précise, l’Ecole joue-t-elle, ou bien doit-elle aussi jouer un rôle ?
On parle peu ou pas des règles, alors que le premier pas pour savoir utiliser des protections périodiques, bien vivre ses règles, et comprendre son corps, c’est d’en parler. L’enseignement des règles est encore aujourd’hui majoritairement abordé en 4e alors que 72 % des jeunes filles ont leurs règles avant 13 ans…
Il y a un enjeu à leur apporter des informations qui puissent leur permettre de comprendre ce qu’il se passe dans leur corps mais aussi de les rassurer. Malheureusement, avoir ses règles est source de stress pour 8 jeunes filles sur 10 comme le révèle notre étude sur l’éducation menstruelle.
Apporter des informations qui vont du temps d’utilisation d’une serviette hygiénique à l’identification des premiers signaux d’alerte de règles trop douloureuses est essentiel dans la lutte contre la précarité menstruelle et pour l’égalité entre les filles et les garçons. C’est en ce sens que l’école doit jouer un rôle.
Nous souhaitons que l’éducation menstruelle soit généralisée en milieu scolaire et il nous semble important de sensibiliser à la fois les jeunes mais également l’ensemble des équipes éducatives. Nous connaissons en effet les conséquences délétères de la précarité menstruelle sur la scolarité, la vie sociale et l’insertion professionnelle des personnes qui ont leurs règles. Les établissements d’enseignement, dès l’école primaire et jusqu’à l’université, sont donc des lieux stratégiques pour transmettre une information de qualité sur les règles et favoriser, dès le plus jeune âge, l’autonomie corporelle des jeunes filles, et promouvoir l’égalité filles-garçons.
Globalement, une chose qui maintient le tabou des règles, et toutes ses conséquences, c’est le silence. Commencer à en parler dès le plus jeune âge, et y compris à l’école, c’est commencer à rendre le sujet un peu moins tabou.
Parlons de la question de l’accompagnement des jeunes filles, au quotidien, dans les établissements scolaires, en particulier quand elles souffrent de règles douloureuses. Cela crée un stress qui n’aide pas être dans une situation optimale pour les apprentissages, cela peut conduire à ne pas se rendre en cours… Selon une de vos enquêtes d’ailleurs, la moitié des jeunes filles ont manqué l’école à cause de leurs règles. Comment améliorer cette situation, limiter cet absentéisme préjudiciable à leur scolarité ? Que préconisez-vous pour améliorer leur vécu dans ces circonstances ?
Si on apporte un socle de connaissances solide et suffisant aux jeunes et aux personnes qui les entourent, les jeunes personnes qui souffrent de règles douloureuses, et leur entourage, seront déjà en mesure d’identifier que la douleur n’est pas normale. Il y a une nécessité de déconstruire cette idée reçue auprès de tout le monde, afin de pouvoir prendre en compte et prendre en charge ces douleurs.
Nous souhaitons préconiser l’installation d’un label ou d’une charte “règles-friendly” en milieu scolaire. Réfléchir à ce que serait un établissement scolaire “règles-friendly”, c’est prendre en considération le fait que l’école doit aménager des temps, des espaces pour les personnes qui ont leurs règles, qu’elles aient des règles douloureuses, abondantes ; etc.
Mais il faut aussi améliorer l’état des toilettes ainsi que leur accès pour que les élèves puissent se sentir à l’aise d’y aller quand cela est nécessaire. Il nous semble également important de créer des assemblées d’élèves qui réfléchissent à ce sujet qui les touche directement pour écouter leurs propositions.
La précarité menstruelle demeure également un problème pour beaucoup trop d’adolescentes. Les distributeurs de protection menstruelle, qui sont installés dans les établissements scolaires, sont-ils une solution à développer ?
La précarité menstruelle est en effet une problématique conséquente auprès des jeunes et l’installation de distributeurs permet de contribuer à lutter contre la précarité menstruelle. Néanmoins, elle doit être accompagnée par une sensibilisation, auprès des élèves et des équipes éducatives, afin que tout le monde ait les informations importantes sur les précautions d’usage des produits périodiques et que les élèves se sentent à l’aise de se servir. En effet, dans la majorité des cas, les distributeurs sont à l’infirmerie, voire à l’administration, et les élèves ne sont pas toujours au courant de leur existence ou n’osent pas y aller.
Il y a aussi l’enjeu de réfléchir sur du long terme à son fonctionnement et à la manière dont ce ou ces distributeur(s) vont être réapprovisionné(s).
En parallèle, il faut également aller plus loin dans la mise à disposition de produits périodiques : en ce sens, la mesure de rendre accessibles les produits réutilisables pour les personnes de moins de 26 ans est un premier pas pour contribuer plus durablement à la lutte contre la précarité menstruelle dès le plus jeune âge.
« Parlons Règles » : plateforme d’éducation menstruelle en ligne
« Nous serons en mesure de donner accès à du contenu éducatif et bienveillant sur les règles au plus grand nombre de jeunes, grâce à notre plateforme de sensibilisation, Parlons Règles, qui sera disponible à toutes et à tous dès le 11 octobre 2024.
Parlons Règles est une plateforme d’éducation menstruelle en ligne qui dispose d’un accueil dédié aux 8-14 ans constitué de ressources vidéos pensées pour le public, et ce, sur la base des questions récurrentes lors des temps de sensibilisation préalablement opérés en primaire et au collège. La plateforme dispose par ailleurs d’une entrée à destination des relais éducatifs, proposant des ressources et déroulés pédagogiques afin d’accompagner les enseignants et personnes au contact des jeunes pour aborder le sujet dans le cadre du programme, mais aussi de répondre aux questions du quotidien qu’ils et elles pourraient avoir.
Une dernière entrée de la plateforme est dédiée aux parents et vise aussi à leur apporter des ressources pour aborder la santé menstruelle avec leurs enfants. Nous sommes conscients qu’il peut être difficile pour des parents de savoir comment expliquer les règles à ses enfants, de choisir les mots et le moment pour le faire. Parlons Règles sera aussi un outil pour les rassurer et les accompagner dans cette démarche.
Un tchat intelligent, 100 % dédié aux règles, est en train d’être développé en partenariat avec la fondation Bayes Impact. La base de données recense les questions les plus posées lors des ateliers organisés en milieu scolaire, et les questions complémentaires recensées auprès d’un échantillon du public cible. L’objectif étant de créer des réponses à chaque question, ceci de manière adaptée à la tranche d’âge de chacune des cibles de Parlons Règles. »