DOSSIER

Lutte contre le harcèlement scolaire : où en est-on ?

443---ouv-dossier-newComme le demandait la circulaire ministérielle de la dernière rentrée scolaire, « Tous les élèves, suivant leur âge, sont sensibilisés, le jour ou dans la semaine de la rentrée, au phénomène du harcèlement et du cyberharcèlement ». Mais, malheureusement, la « sensibilisation » des élèves ne suffit pas. Pour s’attaquer à ce fléau qui touche environ 10 % des élèves, le ministère de l’Education nationale multiplie les plans et les mesures depuis une dizaine d’années. La dernière en date, comme l’a annoncé Pap Ndiaye il y a quelques jours : « l’enfant auteur de harcèlement faisant peser une menace grave sur la sécurité ou la santé des autres élèves pourra être affecté dans une autre école sans que l’accord des représentants légaux soit nécessaire ».

Pour autant, au-delà des textes et des lois, comme le martèle notre Grand Témoin, Nora Fraisse, fondatrice de l’association Marion la main tendue, ce qui importe, c’est de s’attaquer au harcèlement du scolaire à la racine, dès le plus jeune âge.

 

«Quand un enfant met fin à ses jours, il n’y a pas de mots pour dire l’émotion le chagrin la douleur, il n’y a pas de mots… ». Ces mots, ce sont ceux prononcés par Pap Ndiaye, ministre de l’Education nationale, devant les députés, quelques jours après le suicide du jeune Lucas, 13 ans, le 7 janvier dernier, victime de harcèlement – et d’homophobie – de la part de quatre de ses « camarades » de collège (1).

 

Des plans successifs

Le harcèlement scolaire n’est plus un sujet tabou comme il pouvait l’être il y a quelques années. Il est devenu un vrai sujet, documenté et mesuré ; selon un rapport d’information du Sénat de septembre 2021, on dénombre ainsi entre 800 000 et 1 million d’enfants victimes de harcèlement scolaire. Les politiques publiques se sont emparées de cette grave problématique. Depuis une décennie environ, des plans ont été mis en œuvre pour lutter contre fléau, notamment le dispositif « Non au harcèlement », et, plus récemment le programme de lutte contre le harcèlement pHARe ; 86 % des collèges et 60 % des écoles sont inscrits au printemps 2023 dans le programme pHARe, qui sera étendu aux lycées à la rentrée prochaine.

 

HD-443---page-2De nouvelles mesures

Aujourd’hui, les établissements scolaires ont des obligations légales en matière de prévention et de lutte contre le harcèlement scolaire. Outre que tous leurs personnels doivent dorénavant être formés à la lutte contre le harcèlement scolaire (article 5 de la loi du 2 mars 2022), ils sont tenus d’établir un plan de prévention du harcèlement, de nommer un référent harcèlement, de former des « élèves ambassadeurs », de mettre en place des protocoles d’intervention en cas de harcèlement avéré…

À la rentrée 2023, comme vient de l’annoncer le ministre de l’Education il y a quelques jours, de nouvelles mesures viendront compléter celles déjà en place, en particulier en primaire, pour mettre à distance les élèves harcelés de leurs harceleurs. Concrètement, quand tous les possibilités pour solutionner le problème de harcèlement auront été épuisées, l’enfant auteur de harcèlement pourra être affecté dans une autre école sans que l’accord des représentants légaux soit nécessaire ;  une scolarisation dans une nouvelle école qui devra faire l’objet de l’accord du maire de la commune concernée. Une mesure positive à première vue, mais qui peut appeler certaines nuances, comme nous l’explique Nora Fraisse, fondatrice de l’association Marion La Main Tendue (lire son interview plus bas). Car arriver à une telle mesures signe l’aveu d’un échec, celui de ne pas avoir pu empêcher le harcèlement.

 

Note (1). Lors d’une audience à huis clos, le parquet d’Epinal ne considère plus le harcèlement scolaire comme la cause du suicide du jeune Lucas survenu en janvier dans les Vosges, ce qui pourrait atténuer les éventuelles peines prononcées à l’égard des quatre collégiens mis en cause. Néanmoins, « Le tribunal pour enfants reste saisi de la totalité des faits, il appréciera lui-même si effectivement il y a un lien de causalité entre les deux », a indiqué le procureur. Le jugement a été mis en délibéré au 5 juin.

 

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ZOOM

Le harcèlement scolaire, un fléau aux multiples facettes

443---harcel-telephoneInsultes, racket, mise à l’écart, bousculades, coups, moqueries, menaces… Si le harcèlement entre élèves peut prendre différentes formes, ses caractéristiques demeurent les mêmes : une violence répétée qui peut être verbale, physique ou psychologique. Avec l’utilisation d’internet et du téléphone portable, dès l’entrée au collège le plus souvent, le harcèlement entre élèves ne se cantonne plus seulement aux enceintes scolaires et entre dans la sphère privée de l’élève. On parle alors de cyber-harcèlement.

Le harcèlement scolaire peut avoir de multiples conséquences : de l’absentéisme à la phobie scolaire, du décrochage scolaire au mal-être et aux troubles de la santé, pouvant amener l’enfant, dans les cas les plus graves, à commettre l’irréparable.

 

3018 et 3020 : deux numéros à connaître !

Parce qu’il n’est pas toujours facile de se confier à un proche dans en cas de harcèlement scolaire, que l’on soit victime ou témoin, deux lignes téléphoniques, gratuites et anonymes, ont été mises en place.

Joignable du lundi au vendredi de 9h à 20h, et de 9h à 18h le samedi, le 3020 est le numéro national à composer pour signaler un cas de harcèlement. A l’autre bout du fil : écoute, conseil et orientation.

Autre numéro à connaître, concernant les cas spécifiques de harcèlement en ligne (cyber-harcèlement), le 3018, un numéro joignable aux mêmes horaires que le 3020, gratuit et confidentiel.

A partir de septembre prochain, la communication de ces numéros d’urgence sera systématisée à chaque rentrée scolaire dans les carnets de correspondance de tous les élèves.

 

Ressources et accompagnement : la PEEP active dans la lutte contre le harcèlement scolaire

Intégrer obligatoirement les parents élus et les élèves délégués dans l’élaboration du plan de prévention du harcèlement, faire un bilan des cas et des actions proposées au conseil d’école ou au conseil d’administration à la fin de chaque année scolaire, mettre en place une commission dans chaque département pour examiner tous les signalements et comprendre pourquoi une solution n’a pas été apportée… Depuis des années, par ses propositions, la PEEP est en première ligne pour lutter contre le harcèlement scolaire.

couv-doc-harc-2022Parmi ses actions, la PEEP propose le guide « Harcèlement scolaire, prévention et accompagnement ». Un vademecum actualisé destiné aux responsables d’APE et aux représentants des parents d’élèves (plusieurs leviers d’action les concernant y sont détaillés), mais également à tous les parents d’élèves.

Autre levier d’action pour lutter contre le harcèlement scolaire : le Groupe Santé Prévention de la PEEP. Grâce à un réseau de 51 référents départementaux, il est en mesure d’accompagner efficacement les parents d’élèves face à cette lourde problématique, que ce soit en termes d’information / prévention et d’accompagnement.

 

Le harcèlement scolaire est désormais un délit

Depuis la loi du 2 mars 2022, le harcèlement scolaire est reconnu comme un délit pénal. Le texte stipule que « Le harcèlement scolaire est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’il a causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’a entraîné aucune incapacité de travail ».

Ces peines peuvent être alourdies :  jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende lorsque les faits ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours, et portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.

A côté de ce volet pénal, avec amendes et peines de prison, le juge est également en mesure d’imposer un stage de « sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire ».

 

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GRAND TEMOIN

443---Portrait-Nora-FraisseNora Fraisse, fondatrice de l’association Marion La Main Tendue

Le 13 février 2013, Marion, 13 ans, se suicide, victime de harcèlement à l’école. Depuis ce jour, sa mère, Nora Fraisse, se bat. Pour que Marion ne soit pas « morte pour rien », « pour qu’on prenne au sérieux le harcèlement scolaire », pour que les choses changent vraiment. Par le biais de l’association qu’elle a créée, Nora Fraisse rencontre de nombreux enfants et adolescents victimes, ainsi que leurs parents, et intervient au sein des écoles.

« Agir dès le primaire, c’est le vrai sujet ! »

Depuis plusieurs années maintenant, les pouvoirs publics se sont montrés plus offensifs, que ce soit en termes d’information, de prévention et de sanction, pour lutter contre le fléau du harcèlement scolaire. La situation s’est-elle réellement améliorée de votre point de vue ? 

Le harcèlement est aujourd’hui un sujet majeur dans la société, ce n’est plus un sujet tabou. On l’a constaté avec notre baromètre national qu’on avait lancé en 2021, où l’on interrogeait les Français de quinze ans et plus, qui disaient à 93 % que le harcèlement était un phénomène d’ampleur.

Voilà ce qui s’est passé ces dix dernières années : on est passé de « ça va, c’est un jeu de gamins, ça va passer, ce n’est pas grave, on n’en est pas mort », à « on en meurt,  c’est extrêmement grave et il faut que ça bouge ». Ce premier constat est positif.

Le deuxième constat, c’est qu’il est temps de s’occuper du premier degré. Nous y travaillons depuis des années : on intervient dès la grande section pour travailler sur les interactions sociales positives. C’est ce que disent depuis des années Santé publique France ou encore l’OMS, de l’Organisation mondiale de la santé : les interactions négatives ont des conséquences sur la santé mentale à moyen et long terme, sur les conduites addictives et délictuelles. Aujourd’hui c’est compris par les familles et c’est aussi plutôt positif.

Troisième point : l’aspect « politique ». Depuis plusieurs années, la société civile ou des associations comme la nôtre, moi en tant que militante, activiste ou auteure, nous essayons de dénoncer ce genre de phénomène et d’être la voix des familles, et, maintenant, les politiques publiques, les acteurs publics, les institutions, le Parlement se sont penchés sur ce sujet.

 

C’est aussi un aspect positif…

Le problème c’est croire qu’en multipliant les lois, on allait résoudre les problèmes. Il n’y a pas besoin d’être historien, les lois sont toujours à rebours de la réalité. Une fois que la loi est promulguée, il s’est passé deux ans, trois ans et, surtout, c’est toujours après souvent un fait important mais qui ne prend pas en compte l’ensemble du phénomène.

 

C’est-à-dire ?

Quand Marion est décédée, on était en 2013, il n’y avait pas de délit de harcèlement scolaire. On a eu un délit sur le harcèlement en général en 2014, puis en 2016. Puis on a eu la loi du 3 août 2018 de Marlène Schiappa sur le cyber-harcèlement en meute. Puis on a eu Jean-Michel Blanquer avec le code de l’éducation, puis on a eu la loi Balanant. Puis… à un moment vous vous dites, cette accumulation de loi, est-ce qu’elle sert vraiment puisqu’elle n’est pas appliquée ? Le constat que je fais, un peu amer, c’est qu’aujourd’hui si on croit qu’on va résoudre le phénomène en multipliant les lois et en n’allouant pas des budgets derrière et des moyens humains, cela ne fonctionne pas. Il y a une unanimité sur le manque de moyens criant de prise en charge, de prévention et d’accompagnement. Aujourd’hui, on a une médiatisation de ce que les parents d’enfants harcelés vivent et qui n’est pas pris en charge. Avec des enfants qui sont hospitalisés, du décrochage scolaire, des suicides… Tout cela, ce n’est pas dans la loi.

 

Le harcèlement scolaire demeure une problématique complexe à traiter… 

Dans notre association, avec nos équipes – et je les remercie ! –, nous nous réjouissons d’avoir mis en avant le côté harceleur. Pendant des années, et à juste titre, on a parlé des enfants harcelés, qui sont parfois d’anciennes victimes, sauf qu’enfin, on a compris que si on ne traite pas le phénomène dès la racine, et notamment auprès des harceleurs ou des intimidateurs, des auteurs de faits de violences, on n’y arrivera pas. Il faut lever ce tabou, il n’y a pas de problème de parler des harceleurs. Ils ont un problème, ils sont en souffrance et ils sont peut-être victimes d’autres violences. La recherche le dit.

 

Les nouvelles mesures annoncées par le ministre de l’Education nationale, et notamment, en dernier recours, le possible changement d’école en primaire pour les élèves harceleurs, vont-elles dans le bon sens ? 

Je vais être nuancée. Je pense que cela répondait à la PPL (proposition de loi) de la sénatrice Mercier suite à la médiatisation de l’affaire du petit Maël. Mais c’est quelque chose qu’on vit depuis de très nombreuses années, qu’on décrit en disant « C’est quand même dommage que ce soit toujours à la personne cible de partir ». Et c’est souvent une décision qui est prise par les familles du fait de la désespérance, de la non-prise en charge du sujet. Mais, si on revient à la racine pour éviter que la personne cible parte, il faut s’occuper des auteurs et il faut accompagner la personne cible dès le début.

La deuxième chose, dans la nuance, c’est qu’on parle du harceleur, sauf qu’on sait que c’est un phénomène de meute avec des suiveurs et que souvent celui qui est identifié comme l’auteur des faits est accompagné d’une meute. Vous allez le déplacer, mais comment allez-vous l’accompagner ? il faut de la justice restaurative.

Troisième nuance, c’est « au bout du bout, du bout du bout du bout… », le troisième recours, sous réserve que le maire, un maire, accepte de l’accueillir. Évidemment, on a le droit de scolarité et la continuité ; mais vous savez que derrière se cachent d’autres choses : les territoires, la capacité d’accueillir, la durée de trajet, la fratrie, la famille. C’est pas si simple. C’est pour ça que je suis nuancée et que je veux voir au cas par cas. Et, au final, ça reste un aveu d’échec.

 

Que préconisez-vous pour éviter cet « échec » ? 

Il faudrait créer une vie scolaire au premier degré ! Quand vous êtes au collège ou au lycée, une fois qu’on a identifié un phénomène de violence – on n’est pas dans le harcèlement, c’est toujours une violence au début, une volonté de domination – vous avez une communauté éducative bienveillante et vous avez un recours à la commission éducative, puis au conseil de discipline… Pour des faits extrêmement graves, on ne pose pas la question, c’est exclusion définitive et la possibilité pour les parents de faire appel. Il manque cela au premier degré.

Pour le programme phare, par exemple, comme il n’y a pas de vie scolaire, il ne peut pas y avoir d’équipe ressource dédiée et c’est ramené au responsable de la circonscription. C’est forcément compliqué. Et puis derrière il y a la stigmatisation des familles d’un enfant dit harceleur. Moi je ne veux stigmatiser personne, cet enfant a besoin d’aide, d’accompagnement, découvrir ses souffrances, pourquoi a-t-il ces problématiques. Tout cela, ce n’est pas abordé.

 

Le primaire est au cœur du problème, ou plutôt à la racine… 

Depuis deux ou trois ans, on a réussi à faire intégrer le premier degré dans le débat autour du harcèlement scolaire. Mais ce n’est pas que de notre volonté, parce qu’en fait il y a aujourd’hui tellement de remontées d’incidents au premier degré, qui ne peuvent plus être minimisés grâce à la médiatisation, qu’on doit agir à ce niveau.

Pendant longtemps on nous a fait croire que le harcèlement c’était au collège. Au collège, c’est le continuum des violences. Des violences qui se sont accumulées. Des violences exacerbées au collège : par exemple, quand vous avez un élève de 6e qui est en cours de maturation, de développement personnel, hormonal, qui se retrouve avec des 3es qui vivent d’autre chose ; à cela vous ajoutez le téléphone, plus le transport scolaire – les transports scolaires, souvent, c’est 50 % des violences avant l’école – vous avez là des situations exacerbées.

On nous dit, c’est au collège… C’est au collège que « ça pète » ! Mais, so on avait pris en charge dès la maternelle dès la grande section, ça n’arriverait pas. C’est au bout de la quinzième gifle que l’on commence à s’y intéresser, une fois que l’enfant est à terre. Comment on arrive à faire du happy slapping, à le mettre à terre, le filmer, rigoler, etc. C’est parce que, dès le plus jeune âge, nous-mêmes adultes, on avait minimisé  « Ca va passer, ce n’est pas grave, va jouer avec quelqu’un d’autre ».

 

Il reste beaucoup à faire… 

Oui, comme par exemple intégrer le périscolaire dans la réflexion. Mais j’insiste, et cela fait des années qu’on le dit, il faut mettre l’accent sur le primaire, tout le monde le dit, les travaux de recherche sur le sujet, l’OMS, Santé publique France, c’est le vrai sujet ! Et puis, s’il y a une volonté de dire on va bouger les lignes, il faut des moyens humains ; mais, au contraire, on a supprimé les Rased…

 

Pour conclure, quel rôle doivent tenir les parents ?

Le risque majeur c’est d’avoir un enfant harceleur. En tant qu’éducateurs, en tant que parents, on est informés normalement dès la rentrée sur ce sujet. Il faut dire à son enfant : « le risque c’est que tu deviennes quelqu’un qui soit violent et cela va avoir des conséquences sur ta vie future, ta perte de chance », et non « tu risques d’être viré de l’école », ça n’a aucun intérêt. L’accompagnement des familles n’est jamais abordé et c’est pourtant essentiel.

Un dernier point : dans le cadre de l’expérimentation du programme Phare, dans l’académie de Versailles, on a travaillé sur la formation des parents ambassadeurs ; malheureusement cela n’a pas été repris. Il faudrait pouvoir s’appuyer, notamment au premier degré, sur des parents qui seraient le relais des familles sur ces sujets, et uniquement sur ces sujets de harcèlement scolaire.

 

 

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