EDUCATION

Reprise des cours : le casse-tête sanitaire et organisationnel

413---dossier-ouvLa fin du confinement a sonné la reprise des cours pour 30 % environ des écoliers, depuis le 12 mai (chiffres annoncés par le ministre Jean-Michel Blanquer) ; et depuis le 18 mai pour les collégiens de 6e et de 5e, dans les régions vertes. La reprise des 4e et 3e, ainsi que des lycéens, envisagée pour début juin dans ces mêmes zones à circulation maîtrisée du Covid-19, étant suspendue à un point d’étape fin mai. Un retour dans les classes qui cristallise toutefois craintes et interrogations, tant du côté des parents que des enseignants, sur le plan sanitaire comme pédagogique. 

 

Nécessité de récupérer les élèves décrocheurs, impératif économique de reprise du travail… Un pragmatisme affiché a prédominé sur la situation sanitaire toujours incertaine et sur l’avis du Conseil scientifique, qui prônait la réouverture des établissements scolaires en septembre. Selon le ministère de l’Education nationale, un million d’écoliers et 130 000 enseignants avaient fait leur rentrée la semaine du 11 mai, dans 85 % des écoles. Soit 15 % des élèves du primaire (les classes charnières de GS, CP et CM2 étant privilégiées) et 40 % des professeurs des écoles. Des chiffres en augmentation depuis la semaine du 18 mai puisque 3 élèves de primaire sur 10 ont retrouvé les bancs de l’école selon le ministre Jean-Michel Banquer.

Une reprise sous le signe d’un double volontariat. D’une part, celui des parents, du moins jusqu’au 1er juin : date à laquelle, pour garder leurs enfants à la maison tout en bénéficiant du chômage partiel, ils devront fournir une attestation de l’école indiquant qu’elle ne peut accueillir les élèves. D’autre part, celui des maires. Une commune sur dix refuse d’ailleurs de rouvrir, estimant les conditions sanitaires et organisationnelles insuffisantes. D’autres ont reporté la réouverture des écoles au 18, voire au 25 mai.

 

413---dossier-elementaireCalendrier échelonné

Pour le second degré, les collèges sont rouverts, pour les 6es et 5es, depuis le 18 mai, en zone verte – 150 000 élèves dans 4 000 collèges. Mais ils resteront fermés dans les quatre régions placées en zone rouge (Hauts-de-France, Ile-de-France, Grand Est, Bourgogne-Franche-Comté et Mayotte). La réouverture éventuelle, début juin, des lycées et des classes de 4e et 3e sera discutée fin mai. En attendant, tous les élèves non rentrants poursuivent l’enseignement à distance.

L’institution prévoit des cours comprenant au maximum 15 élèves (10 en maternelle), avec un accueil aux modalités variables (un jour sur deux, deux jours consécutifs sur quatre ou une semaine sur deux). Sont prioritaires les enfants de personnels indispensables à la gestion de la crise sanitaire et à la continuité de la vie de la Nation, handicapés et décrocheurs. « L’enjeu n’est pas de finir les programmes mais de s’assurer que les élèves maîtrisent les connaissances nécessaires pour poursuivre leur scolarité dans de bonnes conditions », précise la circulaire ministérielle.

 

Double défi pour les enseignants

Pour les enseignants, c’est un double défi qui s’annonce. D’abord, réussir à accueillir les élèves sans se et sans les mettre en danger, eux et leur famille. Car si le virus prend, très généralement, des formes bénignes chez les plus jeunes, ceux-ci pourraient être aussi contagieux que les adultes. « Les enseignants vont devoir faire appel à leur bon sens, inventer au jour le jour, estime Jean-Rémi Girard, enseignant de français en lycée à Asnières-sur-Seine (92) et président du Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur (Snalc). Et ce, en considérant l’avis de la Société française de pédiatrie, selon laquelle les mesures de distanciation excessive (suppression des espaces de jeux, interdiction aux enfants de jouer entre eux ou refus de consoler un enfant) sont inapplicables en pratique et susceptibles d’entraîner une anxiété néfaste au bon développement des enfants.

Clément Peyrottes, enseignant en CP en REP + à l’école Allezard à Créteil (Val-de-Marne) et secrétaire départemental du SE-UNSA, se veut rassurant : « En maternelle, l’enseignement est basé sur la répétition, les rituels. Toutes choses que nous avons adaptées aux gestes barrières. Et pour les récréations, qui cristallisent beaucoup de craintes, là aussi on joue l’adaptation : dans certaines écoles, des zones ont été délimitées sur le sol de la cour ; d’autres organisent des roulements entre les enfants ; d’autres, encore, ont choisi un temps de pause n’incluant pas forcément de sortie pour tous. »

Second défi : réussir à enseigner, alors que le protocole sanitaire réduit fortement les interactions avec les élèves, d’autant plus essentielles que ceux-ci sont jeunes. « On ne sait pas bien si le port du masque autorise les enseignants à jeter un œil sur un cahier ou à circuler dans la classe », pointe François Jarraud, rédacteur en chef du Café Pédagogique, média d’information et de réflexion sur l’école.

 

413---dossier-toilettesProtocole sanitaire lourd, conditions d’application floues

Pour les élèves de maternelle, le port du masque est à proscrire. En élémentaire, il n’est pas recommandé mais des masques « grand public » sont normalement prévus pour équiper les enfants présentant des symptômes, dans l’attente de leur départ de l’école. Au collège et au lycée, ce port est obligatoire, pour les élèves comme pour tous les adultes encadrants, dans toutes les situations où le respect des règles de distanciation n’est pas garanti.

« Nombre de chefs d’établissements évoquent une décision prise sans préparation pédagogique, sans concertation avec les professionnels et sans directives précises, hormis un protocole sanitaire de 60 pages indigeste, déplore François Jarraud. Document communiqué tardivement et très difficile à appliquer, avec des moyens matériels limités et des équipements (masques, gel hydroalcoolique et même savon) parfois encore manquants ou inadaptés. Ministère et collectivités locales se renvoyant la balle. »

 

Disparité des situations et des discours

Les situations sont très disparates en fonction de la localisation géographique, de la taille des établissements, de l’implication de la collectivité responsable et du nombre d’élèves et d’enseignants présents. Mais organiser la reprise de l’école dans ces conditions inédites relève partout du casse-tête. Il faut prévoir transport scolaire, cantine, personnel supplémentaire nécessaire pour nettoyer les locaux, etc.

Autre facteur de disparité : la multiplicité des interprétations par les différentes strates de l’institution. « Le Premier ministre a donné les clés aux maires et aux directions d’équipes, mais a mis de côté les inspecteurs d’académie, qui ont un rôle essentiel au quotidien dans le fonctionnement des écoles, regrette Clément Peyrottes. Du coup, nous avons autant de discours différents que de circonscriptions (sur l’application du protocole, la possibilité d’enseignement à distance, etc.). »

 

Des questions sans doute persistantes en septembre

Dans un contexte sanitaire encore très fragile, beaucoup s’interrogent sur la pertinence de rouvrir les collèges et surtout les lycées en juin, pour un mois, alors même que l’examen du baccalauréat est supprimé (à part peut-être l’oral de français en classe de première – lire en page « Actu »). A l’exception des lycées professionnels, qui ont besoin de se confronter rapidement à une reprise des pratiques. « Ce qui pose toutefois de vraies problématiques sanitaires pour certaines filières, sur la désinfection des tenues, des postes de travail, des matériels. Sans oublier la question du travail en groupe », pointe Jean-Rémi Girard.

Conscients de ces aléas, de nombreux parents jouent encore la carte de l’attentisme, repoussant leur décision à début juin. Devant les incertitudes, les associations de parents d’élèves peuvent être précieuses, comme l’explique Sandrine Vilain, secrétaire départementale de la PEEP Loire. « D’une part, pour informer les parents des situations en place et de leurs droits ; d’autre part, pour agir avec les collectivités pour améliorer une organisation, par exemple les transports scolaires, ou en cas de manquement au protocole sanitaire dans les établissements. » Une vigilance d’autant plus cruciale qu’il est malheureusement probable que la rentrée de septembre soit agitée des mêmes problématiques… A l’échelle, cette fois, de 12 millions d’élèves.

CP

 

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ZOOM

Pour plus d’informations

Les écoles et les établissements scolaires qui ont rouvert doivent obéir à un protocole sanitaire extrêmement strict. Le ministère de l’Education nationale a édité un guide précisant toutes les mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19. Guide (mis à jour le 11 mai) à télécharger ICI.

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POINT DE VUE

413---itw-Sophie-Aufèvre-(pSophie Aufèvre, professeure de maths et sciences physiques au lycée du bâtiment Pierre Coton, à Néronde (Loire)

« Une préparation de rentrée dans un climat d’incertitude généralisé »

« Mon lycée étant en zone verte, nous préparons la rentrée activement. Nous avons besoin de revoir nos élèves, qui sont plutôt demandeurs d’une reprise. La priorité va être donnée à la reprise des ateliers, dont l’organisation ne pose pas de problème majeur, du fait des effectifs limités (douze élèves), chacun ayant son propre poste et son matériel individuel.

Nous accueillerons aussi des élèves de terminale pro volontaires pour préparer l’oral de rattrapage du bac. Ainsi que ceux ayant reçu une affectation Parcoursup en BTS ou en école d’architecture, pour un programme complémentaire, trop ardu à faire en distanciel.

Les points problématiques ? La gestion de l’internat, qui va être organisée par roulements, certains élèves venant les lundis et mardis, les autres en fin de semaine, le mercredi étant consacré à la désinfection des locaux. Se pose aussi la question des personnels : d’entretien, enseignants, assistants d’éducation pour veiller à l’application des gestes barrières… Et celle des transports, certains de nos élèves venant de loin.

Surtout, nous ne devrions être fixés que fin mai, pour une réouverture le 2 juin. Si cela se trouve, tous ces préparatifs seront à mettre à la poubelle. »

 

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TEMOIGNAGES DE PARENTS

413---itw-Sophie-Torlotin-bSophie Torlotin (Paris), maman de Lily (Terminale L), Stella (3e), Apolline (CM1) et Astor (GS)

« Un premier pas vers le retour à la normalité pour tous »

« Mon mari et moi sommes plutôt pour la reprise des cours pour l’ensemble de nos enfants. Cette étape va remettre un peu de normalité dans le quotidien : zone rouge ou pas, on ne peut pas vivre « sous cloche » jusqu’à ce qu’un traitement ou un vaccin soit trouvé. Lily, qui a déjà virtuellement son bac en poche, n’y retournera sans doute pas. Stella est partante pour retrouver le collège et ses copains si celui-ci rouvre : elle a déjà son stock de gel hydroalcoolique ! Pour Apolline, pas de retour à l’école avant le 25 mai a priori. Mais comme elle doit sauter le CM2, ce sera l’occasion pour elle de retrouver sa maîtresse, qui lui fera un planning personnalisé pour aborder au mieux la 6e. Astor, lui, a fait sa rentrée ce matin, pour deux jours par semaine. Nous faisons pleinement confiance à la maîtresse, qui nous a précisément informés sur l’organisation prévue. Et puis, Astor est désormais rompu aux gestes barrière. Il est ravi d’y retourner. Et fier, car les enfants auront chacun leur petite table individuelle face au tableau, comme des « grands » de l’école élémentaire. »

 

413---itw-Raffaella-BaronciRaffaella Baroncini, Salies-de-Béarn (64), maman de Vittoria, collégienne

« Plutôt pour la reprise, mais beaucoup d’interrogations »

« Les cours doivent reprendre le 18 mai, par petits groupes et sans cantine. Cette organisation ne m’emballe pas, car je ne me vois pas reprendre ma fille tous les midis. Je lui préparerai un pique-nique si elle peut rester sur place. Sur le plan sanitaire, je ne suis pas très inquiète car la région est relativement protégée et c’est un petit collège de campagne. Elle ira avec un masque dans tous les cas. En dehors de ces contingences, je suis plutôt partante pour qu’elle reprenne le chemin du collège. Elle a certaines difficultés dans les matières scientifiques et je vois les limites de l’enseignement à distance. Si je la remets en cours, ce sera pour lui permettre de reprendre un contact physique rassurant avec ses professeurs et de revoir ses copines. »

 

413---itw-Fabien-Marechal-Fabien Maréchal (Gagny, Seine-Saint-Denis), papa d’Antonin, en CM1

« Je ne participerai pas à cette mascarade de garderie »

« L’école d’Antonin doit rouvrir le 18 mai, en zone rouge. Et ce, en dépit de l’opposition du maire. Les conditions d’accueil des enfants font frémir : interdiction de toucher au matériel pédagogique, prohibition de tous les jeux collectifs, nécessité d’amener un panier repas, pas d’étude. Les enfants ne seront pas forcément avec leur groupe classe. Qui plus est, la maîtresse, en garde d’enfant à domicile, continuera le distanciel. Les élèves présents seront pris en charge par des animateurs, sans formation ni connaissance des programmes. Bref, sur le plan pédagogique, ça n’a aucun sens, et sur le plan sanitaire, je trouve la prise de risque démentielle. Avec ma compagne, nous continuerons à assurer l’enseignement d’Antonin à distance. Je refuse de participer à cette mascarade de garderie pour que les parents puissent retourner au travail. »

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2 Réponses - “Reprise des cours : le casse-tête sanitaire et organisationnel”

  1. Le 28 mai 2020 à 5 h 10 min lexa a écrit #

    Bonjour.
    Est ce que les mairies et les écoles peuvent/ doivent informer les parents du nombre d’élèves au maximum qui peuvent reprendre l’école en suivant le protocole ?
    On nous a répondu que cela ne concernait pas les parents ! !
    Merci

    • Le 29 mai 2020 à 10 h 16 min Peep_admin a écrit #

      Bonjour,
      le protocole sanitaire qui accompagne la réouverture des écoles impose un maximum de 15 élèves par classe (10 en école maternelle). C’est un maximum, chaque école fixe un plafond en fonction de ses contraintes. En toute logique, l’école / la mairie doivent informer les parents des nouvelles conditions d’accueil à l’école de leurs enfants.
      Le ministère indique notamment :
       » Le directeur d’école informe le conseil d’école des modalités d’organisation retenues.
      Il s’agit aussi de contacter les familles pour leur demander si elles souhaitent scolariser leur enfant. Une information individuelle sur les conditions de la réouverture est délivrée à chaque famille, afin qu’elle puisse être pleinement rassurée et exprimer son choix en connaissance de cause. »

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