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MAGAZINE – Lutte contre le phénomène du cyber-harcèlement


A la suite des Assises nationales sur le harcèlement à l’école de mai 2011, l’Education nationale prend la mesure d’une violence d’un nouveau genre : le cyberbullying, une pratique de harcèlement et d’intimidation par internet. Etat des lieux de ce phénomène et des moyens mis en œuvre pour le combattre.

Le 6 juin dernier, Luc Chatel signait une convention contre le cyber-harcèlement entre élèves. Une avancée majeure car, jusqu’alors, aucune démarche officielle ne permettait de venir en aide aux enfants et aux différents acteurs de l’éducation confrontés à ce nouveau phénomène. Il y a pourtant urgence, car dans le seul cycle 3 (CE2, CM1, CM2), le taux d’élèves harcelés s’élève à 11-12 %. Des élèves souffrant de violences répétées physiques et verbales au sein de leur établissement, pouvant également être victimes de cyberbullying, autrement dit d’attaques en ligne. En effet, toutes les catégories de victimation apparaissent fortement liées.
Avec près de 20 % des enfants de 8 à 12 ans inscrits sur Facebook – alors que l’ouverture d’un compte est théoriquement interdite au moins de 13 ans – impossible de nier la puissance de ce réseau social. La place qu’il occupe, à l’instar de celles des blogs et des sms, ne fait d’ailleurs que croître en avançant dans les tranches d’âges. Outil devenu indispensable, Internet devient aussi pour certains une arme, un défouloir.

Une vulnérabilité commune
Une relation agressive intentionnelle et répétée, voilà ce qui définit le harcèlement. Derrière un écran d’ordinateur, en piratant un compte ou en créant un faux profil, l’intention de nuire est encore plus puissante : « Dans ce cadre, l’autre devient virtuel. La prise de conscience de la gravité du geste est alors plus tardive que dans un affrontement direct », explique Nicole Catheline, pédopsychiatre (1). « En outre, l’utilisation des réseaux sociaux implique la participation et la validation du harcèlement par d’autres personnes, entraînant un sentiment de raison chez le harceleur. » Une situation qui repousse les limites de l’empathie sur laquelle il existe très peu de prises. D’une part, il s’agit le plus souvent de rumeurs difficiles à contrer et d’autre part, les parents ont très peu accès à ce monde virtuel.
Face à eux-mêmes, les enfants voient déjà leurs codes se bousculer avec notamment la révélation de leur identité, alors qu’il est très souvent défendu aux plus jeunes de communiquer des données personnelles. Par ailleurs, ils sont susceptibles de subir différentes formes de méchanceté gratuites et destructrices, sans comprendre que leur bourreau est aussi vulnérable qu’eux. « Le harceleur est souvent un ancien bon camarade de sa victime. Il utilise la fragilité de celle-ci pour cacher la sienne et pour exprimer, à sa manière, son besoin de reconnaissance », poursuit Nicole Catheline.
Un fonctionnement psychique qui peut, à court terme, provoquer de lourdes conséquences sur les deux protagonistes. La victime va tout d’abord traverser un état de détresse qui s’accompagne de la peur de sortir, de troubles du sommeil et de l’alimentation. C’est ensuite la culpabilité qui prend le dessus et peut faire plonger le sujet dans la dépression. Parallèlement, on observe une incapacité à apprendre, puis un refus d’aller à l’école voire un décrochage scolaire. Du côté du harceleur, s’il est exclu de son établissement, il va reproduire le même schéma de méchanceté pour soigner sa souffrance d’infériorité… Jusqu’à la prochaine exclusion ou la prise en charge par un éducateur. Des solutions qui ne font qu’accentuer sa fragilité, occasionnant anxiété, dépression. « Dans les deux cas, une résurgence des symptômes des années plus tard est possible », note la pédopsychiatre. Une réminiscence qui se traduit par un problème d’estime de soi. La victime sera mal à l’aise dans les relations de groupe et subira des répercussions dans son milieu professionnel et dans sa vie de couple.

Repenser les moyens d’action
Des enfantillages ? Au vu des séquelles qui résultent d’un harcèlement, certainement pas. L’affaire des parents ? En partie. Mais Internet étant aujourd’hui présent partout – par le biais des smartphones notamment – la responsabilité revient à tous, à la maison comme à l’école. Une mesure du problème qui commence par une évolution des mentalités, estime Nicole Catheline : « Parents et enseignants ne doivent pas suspecter le discours de l’autre. Les chefs d’établissement, quant à eux, doivent s’impliquer et organiser une explication entre les enfants accompagnés de leurs parents. » En envoyant la victime chez le psy et le harceleur chez le juge pour enfants, les responsables auraient tout faux. De l’avis du pédopsychiatre, la meilleure des préventions est de faire travailler les deux élèves ensemble, en privé, afin de faire changer l’opinion qu’ils ont l’un sur l’autre.
Néanmoins, suite aux assises nationales sur le harcèlement à l’école de mai 2011, d’autres mesures permettent de gérer la situation. Un guide en direction des professionnels de l’Education nationale et une information sur le sujet à l’attention des parents font partie des nouveaux outils de prévention. L’association e-Enfance fait partie du circuit officiel (lire encadré). Avec son dispositif Net-Ecoute, elle axe ses interventions pédagogiques sur des valeurs fondamentales telles que la citoyenneté et le respect de l’autre.
Justine Atlan, directrice de l’association, rappelle également les tenants et aboutissants du web 2.0 : « D’un côté, certains pensent, à tort, qu’il est inutile de signaler un élément perturbateur. Et de l’autre, personne n’accepterait de filtrage en direct. Il faut donc faire confiance aux modérateurs. » L’immédiateté sur laquelle reposent les échanges sur Internet implique aussi de savoir prendre un certain recul avant d’agir. L’une des stratégies de l’association : faire écrire par un élève sur le tableau de la classe un message insultant ou discriminatoire. Une façon de replacer les propos dans un contexte réel où l’autre existe vraiment.
A.J.

Note (1) : Nicole Catheline est l’auteur de « Harcèlements à l’école » (Albin Michel).
15 euros.
Informations et commande sur www.albin-michel.fr.

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L’association e-Enfance à l’écoute

Depuis quelques mois, Net-Ecoute, ligne nationale d’accueil téléphonique, traite une quarantaine d’appels chaque jour, soit deux fois plus de demandes qu’auparavant. Sélectionnée en 2008 par la Commission européenne et signataire d’un partenariat avec l’Education nationale cette année, l’association e-Enfance qui gère cette plateforme s’attend à en recevoir davantage encore. En effet, la convention prévoit, dès la rentrée 2011, de transmettre les cas de cyber-harcèlement avérés à l’association. « Les enfants ont un super outil à leur disposition, Internet, mais personne ne leur apprend à s’en servir. Alors ils se débrouillent pour maîtriser les aspects techniques, mais ils ne savent pas forcément définir les limites morales », estime Justine Atlan, directrice d’e-Enfance.
« Nous voulons être partout où sont présents les enfants », insiste Justine Atlan. Il est donc possible d’alerter l’équipe d’e-Enfance sur le Web (en « chat ») ou encore d’envoyer un sms pour être rappelé. La procédure de prise en charge inclut conseils, rappel du cadre de la loi et une intervention pédagogique dans la classe concernée. Tiers de confiance de Facebook, l’association peut, dans les cas ultimes, activer un blocage de compte du profil incriminé.
* 0820 200 000, du lundi au vendredi, de 9h à 19h (prix d’un appel local depuis un poste fixe) et www.netecoute.fr


Que dit la loi ?

Le cyber-harcèlement est un phénomène de menaces, d’injures et d’incitation à la haine qui est répréhensible. Aussi, les parents de victimes sont-ils en droit de porter plainte en gendarmerie ou au commissariat. Pour cela, il faut pouvoir prouver les agissements du harceleur et donc conserver tous les messages en question. Imprimer des captures d’écran peut aussi être une solution. D’après l’article 222-33-2 du Code pénal qui sanctionne le harcèlement moral, la peine peut aller jusqu’à un an de prison et 15 000 e d’amende. Parallèlement, selon la convention signée entre l’Education nationale et e-Enfance contre le cyber-harcèlement entre élèves, une sanction éducative peut être décidée au sein des établissements scolaires concernés.

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