EDUCATION

Des Elco aux EILE : des langues vivantes pour tous

HD-402---elco-1L’année 2018 marque la fin des ELCO (enseignements de langue et de culture d’origine). Ils sont remplacés par les EILE (enseignements internationaux de langues étrangères). Ce changement de nom symbolise une nouvelle approche, à la fois plus encadrée du côté des enseignants et ouverte à tous les élèves volontaires.

 

 

E n France, à l’heure de passer à table, chacun se souhaite un bon appétit. Au Portugal, une formule de politesse vient précéder ce « bon appétit » traditionnel. C’est ce genre de petits détails, propres à la culture lusophone, qui sont enseignés aux élèves inscrits dans un cours dit EILE (Enseignements Internationaux de Langue Etrangère). Ce dispositif vient en remplacement du dispositif ELCO (Enseignements de Langues et de Culture d’Origine), en vigueur depuis plus de 40 ans.

Les ELCO ont en effet été créés dans les années 1970. Le but était de mettre en place des cours de langues réservés aux enfants de travailleurs immigrés, pour qu’ils maintiennent des liens avec la langue et la culture du pays d’origine de leurs parents. Neuf pays avaient signé une convention avec la France : l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Turquie, le Portugal, l’Italie, l’Espagne, la Serbie et la Croatie. Soit autant de langues qui pouvaient être enseignées dans le cadre des ELCO. Mais en 2015, la ministre de l’Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, annonce la fin du dispositif. Il sera remplacé par les EILE. L’objectif de la ministre était de « mettre fin à un régime d’exception », afin que les langues enseignées dans le cadre des ELCO rejoignent le socle commun et les programmes scolaires au niveau national. « Ces cours de langues vivantes étrangères seront inscrits dans le cadre de l’école laïque, gratuite et obligatoire, contrairement aux ELCO, qui ne faisaient pas l’objet d’un contrôle académique suffisant », explique-t-elle alors à la presse.

 

Tous les élèves peuvent s’inscrire

Autrement dit, il faut désormais que la personne qui dispense le cours soit un enseignant intégré dans l’équipe pédagogique, qui maîtrise le français et qui soit inspecté par l’Education nationale. Il est question d’« exigence renforcée ». « Ce principe prévalait déjà lorsque les ELCO étaient mis en place. Mais avec le changement de dispositif, certaines dispositions sont clarifiées. Elles s’appliqueront désormais à toutes les langues, toutes les académies. Par exemple, pour nos enseignants portugais, il y aura une formation continue et ils recevront des visites régulières de l’inspection académique », commente Adelaide Cristovao, coordinatrice de l’enseignement du portugais en France, à l’ambassade du Portugal.

Peu à peu mis en place durant ces deux dernières années à travers certaines académies, les EILE vont se généraliser à la rentrée 2018. Ils s’appuient sur un autre changement majeur : les cours sont ouverts à tous les enfants, et plus uniquement à ceux d’origine de la langue. « Désormais, il n’y aura plus de cours d’arabe algérien, d’arabe marocain ou d’arabe tunisien. Nous passons d’un enseignement de la langue et de la culture d’origine à l’enseignement d’une langue étrangère, ouverte à tous. Il y aura donc des enseignements de la langue arabe, accessibles à tous les enfants, y compris ceux qui ne sont pas nés dans l’un des pays du Maghreb », confirme Catherine Malard, coordinatrice départementale des Elco/Eile à l’académie de Strasbourg.

 

HD-402---elco-3Assiduité demandée

Concrètement, cela signifie que tous les enfants peuvent s’inscrire aux EILE. La démarche est volontaire, les écoles se renseignant généralement dans le courant de l’année pour savoir quelles seraient les familles intéressées par de tels cours à la rentrée suivante. « Sur le département du Bas-Rhin, les directeurs d’école ont saisi l’année dernière 7 389 demandes d’enseignement de langue vivante. Il y a une attente des parents, qui voient dans ces cours une opportunité de faire apprendre à leurs enfants une langue étrangère, ce qui constituera un atout majeur dans leur vie future. Pour cela, ils mobilisent toutes les ressources à leur disposition », ajoute Catherine Malard.

Malgré son caractère optionnel, la démarche implique un vrai sérieux. Une fois inscrit, l’élève doit être assidu. Aucune absence ne peut être autorisée sans justificatif, au même titre que les cours « classiques ». L’élève sera régulièrement évalué et sa note sera même reportée sur son bulletin scolaire. Quant aux cours eux-mêmes, ils s’appuient sur le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) – lire en encadré page 8.

 

HD-402---elco-2Du ludique pour motiver

« Durant les cours, nous abordons des thèmes communs à toutes les langues, précise Adelino Oliveira de Susa, professeur EILE de portugais dans l’Essonne et le Val-de-Marne. Il s’agit de savoir se présenter, de parler de son école ou de sa famille, de décrire ses centres d’intérêt, d’énumérer les aliments ou les animaux, etc. C’est tout ce qui constitue l’environnement de l’élève. »

En pratique, les enfants sont regroupés par niveau. Les débutants sont généralement des élèves de CE1/CE2. Le cours donne alors la priorité aux compétences orales (expression et compréhension orale). Ensuite, pour ceux qui ont déjà un peu pratiqué la langue, il s’agit de développer la compréhension et l’expression écrite. Par exemple, les élèves peuvent être invités à rédiger une petite carte postale.

L’objectif, à l’issue des EILE en primaire, est d’atteindre le niveau A1 du CECRL (lire en encadré). « Toutefois, nous essayons de privilégier l’aspect ludique, souligne Adelino Oliveira de Susa. Les cours ont souvent lieu après le goûter, le mercredi ou bien le samedi matin. C’est donc une réalité avec laquelle il faut travailler. Les élèves ne doivent pas voir le cours comme une contrainte, il faut garder leur motivation intacte. De plus, l’approche ludique permet de bien travailler l’expression orale. Elle favorise une utilisation pragmatique de la langue. Par exemple, nous faisons des simulations : comment commander au restaurant, raconter ses vacances à son voisin, etc. »

Ouverts dès le CE1, les EILE sont surtout dispensés en primaire. L’enjeu est alors d’assurer la continuité de cet apprentissage après le CM2, afin que les élèves ne perdent pas ces précieux acquis. Malheureusement, seules quelques villes poursuivent les EILE au collège, et pour certaines langues seulement. Une offre limitée, donc, qui ne permet pas toujours aux élèves de continuer à travailler la langue vivante qu’ils ont choisie.

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ZOOM

Le CECRL

Le Cadre européen commun de référence pour les langues fournit une base commune pour l’élaboration de programmes de langues, de matériels d’enseignement et d’apprentissage, ainsi que pour l’évaluation des compétences en langues étrangères. Le CECRL se fonde en effet sur des niveaux communs de référence. Il en existe 6, qui vont de A1 (utilisateur élémentaire débutant) à C2 (maîtrise de la langue).

 

Chiffres-clés

En 2016, on dénombrait 85 000 élèves inscrits dans un ELCO (enseignement de langue et de culture d’origine) :

- 48 129 pour la langue arabe
– 19 261 pour le turc

- 10 468 pour le portugais
- 5 513 pour l’italien
- 190 pour l’espagnol
- 184 pour le serbe
- 22 pour le croate.

Source : ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

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itw-402---eile-abdelhakim-bINTERVIEW

Abdelhakim Benhammou, professeur EILE de langue arabe à Strasbourg depuis 2014, est rattaché au consulat du Maroc et intervient dans six écoles élémentaires

Les ELCO deviennent EILE. Qu’est-ce que ça change pour vous ?

Le nouveau dispositif change l’approche que l’on a des langues : ce sont des langues vivantes à part entière et non plus le symbole d’une origine particulière. Dans notre cas, par exemple, nous ne parlons plus de marocain ou d’algérien, mais d’arabe. Il n’est plus question de faire une distinction d’origine ou de nationalité. D’ailleurs, dans mes cours, j’ai aussi bien des élèves dont les parents viennent de Turquie, d’Afrique subsaharienne que de France. En revanche, le contenu du cours reste identique : il s’agit de se consacrer à la communication orale. Je commence souvent les cours par une situation qui permet aux enfants de s’exprimer : se présenter ou présenter quelqu’un, parler de son école, de sa famille, etc. J’ai aussi mis en place des évaluations périodiques pour m’assurer que les enfants aient bien acquis les cours.

 

Vous travaillez actuellement sur une thèse consacrée au dispositif EILE. Que vous ont appris vos recherches ?

Dans le cadre de mes travaux, j’ai interviewé les parents qui ne sont pas d’origine arabe et dont les enfants sont inscrits en EILE. Je voulais connaître leur motivation. Cette dernière repose souvent sur des affinités avec la culture de la langue arabe. Ce sont souvent des gens qui aiment voyager, notamment au Maghreb. Aussi, j’espère que ce changement de dispositif va valoriser la langue arabe et bannir les mauvaises représentations que les gens s’en font parfois. Ce n’est pas une langue de religion.

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TEMOIGNAGE

Mohamed Tajine, père de Safwa, scolarisée à Strasbourg

Une fois par semaine, Safwa, élève de CM1 en Alsace, suit 1h30 de cours d’arabe. C’est la 3e année qu’elle y est inscrite. Elle y travaille notamment la grammaire, la conjugaison et la prononciation : des bases utiles pour lui forger une solide compétence de la langue arabe. Pour son père, Mohamed Tajine, l’intérêt est triple.

« Une partie de sa famille ne parle pas français, c’est donc bien qu’elle puisse échanger avec eux. Ensuite, apprendre l’arabe, c’est lui permettre d’accéder à une culture riche et universelle. Enfin, à ce jour, un demi-milliard de personnes dans le monde parlent arabe : connaître la langue, c’est lui ouvrir de sérieuses perspectives professionnelles », énumère le père. A l’approche du collège, il songe déjà aux autres langues que Safwa pourra apprendre comme l’anglais, bien sûr, mais aussi l’espagnol ou le chinois. « Ce sont des langues importantes, dont la connaissance sera un plus pour sa vie professionnelle, assure Mohamed Tajine. Je souhaite que ma fille soit polyglotte, mais elle n’est qu’en CM1. L’apprentissage de l’arabe se fait donc sans contraintes : je surveille sa progression, mais je suis moins pointilleux que lorsqu’il s’agit du programme officiel, des mathématiques, du français, de l’histoire, etc. »

 

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